Décision n° 358-R-2012
DEMANDE présentée par Charles Kallai Jr. en vertu de l’article 32 de la Loi sur les transports au Canada, L.C. (1996), ch. 10, modifiée.
INTRODUCTION ET QUESTION
Demande
[1] Charles Kallai Jr. a déposé une demande auprès de l’Office des transports du Canada (Office) en vertu de l’article 32 de la Loi sur les transports au Canada (LTC) concernant la révision de la décision no 53-R-2012 (décision initiale) portant sur la construction d’un passage à niveau privé au point milliaire 62,71 la Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique (CP) de la subdivision Hamilton à Burlington, (Ontario) (demande originale).
Question
[2] Les renseignements consignés par M. Kallai constituent-ils un changement de faits ou une évolution des circonstances qui permet de justifier la révision de la décision initiale de l’Office, la décision no 53‑R‑2012, depuis qu’elle a été rendue?
Conclusion
[3] Pour les motifs énoncés ci-dessous, l’Office conclut que M. Kallai ne s’est pas acquitté du fardeau de la preuve voulant que des faits nouveaux ou une évolution des circonstances soient survenus depuis que la décision no 53-R-2012 a été rendue, et, par conséquent, il rejette la demande.
CONTEXTE
[4] Le 20 avril 2012, M. Kallai a déposé une demande auprès de l’Office en vertu de l’article 32 de la LTC. M. Kallai demande une révision de la décision no 53-R-2012 à la suite des nouveaux renseignements obtenus du Bureau d’enregistrement des titres de biens-fonds (BETBF), des Archives publiques de l’Ontario et de la Société d’évaluation foncière des municipalités (SÉFM).
[5] L’Office a ouvert les actes de procédure sur la question le 3 mai 2012, CP a répondu à la demande de M. Kallai le 31 mai 2012 et M. Kallai a répliqué le 12 juin 2012. Par la décision no LET‑R‑106‑2012, l’Office a demandé à M. Kallai d’expliquer l’erreur présumée qui serait survenue selon lui dans la numérotation des documents au BETBF, y compris quand et comment cela a été découvert. En outre, l’Office a demandé à M. Kallai de déterminer quels documents, déposés avec sa demande de révision, ne pouvaient pas être découverts à la suite de l’erreur de numérotation survenue au BETBF.
POSITIONS DES PARTIES
[6] M. Kallai a d’abord déclaré que les renseignements sur la propriété foncière relatifs au lot désigné comme étant le chemin/lot 28 dans la décision no 53-R-2012 n’avaient pas été trouvés préalablement dans le BETBF, en raison d’une erreur de numérotation des documents. M. Kallai soutient que les nouveaux renseignements indiquent que le propriétaire immatriculé du terrain en question est Jonathan John Bigelow. M. Kallai affirme qu’ils fournissent également la preuve de l’existence d’un chemin de 1875 à aujourd’hui, et qu’il n’a pas simplement été créé en 1962.
[7] M. Kallai affirme maintenant qu’il n’y avait aucune erreur particulière dans la numérotation des documents et que l’erreur dans la numérotation des documents qu’il a mentionnée au préalable n’était qu’une simple déclaration générale qui ne visait aucun document particulier.
[8] M. Kallai déclare que l’acte no 531 est mentionné dans le sommaire du BETBF, mais quand il a cherché les bobines de microfilms disponibles correspondantes devant contenir l’acte no 531, l’acte n’était pas inclus et, par conséquent, il n’a pas pu le trouver.
[9] M. Kallai soutient qu’il a fait preuve de diligence raisonnable lorsqu’il a effectué les recherches dans les dossiers du BETBF, en recourant à un professionnel pour effectuer la recherche historique des titres de propriété du terrain, notamment Diane Harman de Diane Harman Paralegals Services de Milton (Ontario).
[10] M. Kallai indique qu’en janvier 2010, Harman Paralegals a mis à sa disposition de nombreux documents connexes, mais l’acte no 531 n’en faisait pas partie. En outre, M. Kallai ajoute qu’il a effectué des recherches supplémentaires sur la propriété historique du lot désigné comme étant le chemin/lot 28, le 20 juin 2010, le 9 novembre 2010, le 15 novembre 2010, le 23 novembre 2010, le 14 mai 2011, le 21 juin 2011, le 15 août 2011 et le 17 septembre 2011, dans le cadre de sa demande originale.
[11] M. Kallai déclare qu’aucune bobine de microfilm disponible ne contenait l’acte no 531 et ce document demeurait introuvable et son contenu inconnu. Par conséquent, l’acte no 531 n’a jamais été inclus dans les présentations qu’il avait déposées dans le cadre de sa demande originale.
[12] M. Kallai déclare qu’après avoir reçu la décision no 53-R-2012 de l’Office, datant du 15 février 2012, il s’est rendu aux Archives publiques de l’Ontario le 6 mars 2012 dans l’espoir de trouver l’acte no 531 et il a réussi à localiser le document. M. Kallai indique que le fait de trouver cet acte était donc un fait nouveau inconnu avant le 6 mars 2012, ce qui influence les faits et les circonstances entourant la décision initiale, d’où sa demande en vertu de l’article 32 de la LTC. M. Kallai ajoute qu’un « sommaire du BETBF obtenu du Bureau régional no 20, l’acte no 1903 datant du 3 juin 1875 et l’acte no 2413 datant du 21 août 1877 et l’information provenant de la SÉFM » [traduction] déposés avec sa demande constituent également de nouveaux renseignements.
[13] CP estime que cette demande de M. Kallai, déposée en vertu de l’article 32, est un moyen de présenter à nouveau des faits qui étaient connus de lui lors de sa demande originale et de plaider à nouveau sa cause.
[14] Selon CP, non seulement l’acte no 531 existait déjà au moment de la décision initiale, mais les faits étaient également connus de M. Kallai. CP a examiné les documents du dossier et a déterminé que l’acte no 531 et l’acte no 534 (ayant fait l’objet de discussions dans la décision initiale) sont le même document.
[15] CP indique que M. Kallai mentionne le transfert des 50 acres de terrain en 1868 d’Eunice Bigelow à John Jonathan Bigelow; CP ajoute que l’acte de cession est l’acte no 534, mais que ceci est, en fait, mentionné également comme étant l’acte no 531.
[16] CP soutient que, même si M. Kallai affirme qu’il y avait une erreur dans la numérotation du document au BETBF, le transfert de propriété des 50 acres d’Eunice Bigelow à John Bigelow en 1868 est un fait bien documenté que M. Kallai a inclus dans les actes de procédure relatifs à sa demande originale.
[17] CP affirme qu’elle a facilement pu retrouver l’acte no 531 des sources du BETBF en juin 2011, et le document était clairement disponible au public au moment de la décision initiale.
ANALYSE ET CONSTATATIONS
Contexte législatif
[18] Conformément à l’article 32 de la LTC :
L’Office peut réviser, annuler ou modifier ses décisions ou arrêtés, ou entendre de nouveau une demande avant d’en décider, en raison de faits nouveaux ou en cas d’évolution, selon son appréciation, des circonstances de l’affaire visée par ces décisions, arrêtés ou audiences.
[19] Il importe de souligner dès le départ que la procédure de révision envisagée par l’article 32 de la LTC n’est pas une procédure d’appel. Les parties qui souhaitent interjeter appel d’une décision de l’Office peuvent le faire devant la Cour d’appel fédérale en vertu de l’article 41 de la LTC.
[20] Pas plus que cette procédure n’équivaut à un pouvoir illimité conféré à l’Office de revenir sur ses décisions. La compétence de l’Office en vertu de cet article est limitée et ne peut être exercée que si, à son avis, il y a eu des faits nouveaux ou une évolution des circonstances de l’affaire visée par une décision particulière depuis qu’elle a été rendue.
[21] À vrai dire, la capacité d’un tribunal à réviser une décision définitive constitue une exception à la règle du functus officio selon laquelle un tribunal n’a pas le droit de revenir sur une décision définitive. Dans l’affaire Chandler c. Alberta Association of Architects, [1989] 2 R.C.S. 848, la Cour suprême du Canada a abordé la question de savoir si un conseil ou un tribunal, comme l’Office, est habilité à revenir sur une décision finale :
En règle générale, lorsqu’un tel tribunal a statué définitivement sur une question dont il était saisi conformément à sa loi habilitante, il ne peut revenir sur sa décision simplement parce qu’il a changé d’avis, parce qu’il a commis une erreur dans le cadre de sa compétence, ou parce que les circonstances ont changé. Il ne peut le faire que si la loi le lui permet ou s’il y a eu un lapsus ou une erreur au sens des exceptions énoncées dans l’arrêt Paper Machinery Ltd. v. J.O. Ross Engineering Corp., précité.
Le principe du functus officio s’applique dans cette mesure. Cependant, il se fonde sur un motif de principe qui favorise le caractère définitif des procédures plutôt que sur la règle énoncée relativement aux jugements officiels d’une cour de justice dont la décision peut faire l’objet d’un appel en bonne et due forme. C’est pourquoi j’estime que son application doit être plus souple et moins formaliste dans le cas de décisions rendues par des tribunaux administratifs qui ne peuvent faire l’objet d’un appel que sur une question de droit. Il est possible que des procédures administratives doivent être rouvertes, dans l’intérêt de la justice, afin d’offrir un redressement qu’il aurait par ailleurs été possible d’obtenir par voie d’appel.
Par conséquent, il ne faudrait pas appliquer le principe de façon stricte lorsque la loi habilitante porte à croire qu’une décision peut être rouverte afin de permettre au tribunal d’exercer la fonction que lui confère sa loi habilitante.
[22] L’article 32 de la LTC énonce le cadre législatif par lequel l’Office peut exercer son pouvoir de revenir sur ses décisions. L’Office a tous les pouvoirs d’interpréter les dispositions de la LTC, sa loi habilitante.
[23] Une question analogue a été tranchée par la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Kent c. Canada (A.G.), 2004 CAF 420 (affaire Kent). La Cour a établi un double critère pour la question de savoir si des faits nouveaux sont présentés à un tribunal dans le cadre d’une demande d’annulation ou de modification d’une décision. D’abord, il faut que les faits nouveaux avancés n’aient pas été découverts, malgré une diligence raisonnable, avant la première audience. Si tel est le cas, le tribunal doit alors passer à la deuxième étape et évaluer le caractère substantiel des faits nouveaux, c’est-à-dire qu’il doit déterminer l’importance des présumés faits nouveaux pour le fond de la demande. Au cas où il n’y aurait pas de faits nouveaux, la décision reste valable.
[24] Même si la décision rendue dans l’affaire Kent a trait au paragraphe 84(2) du Régime de pensions du Canada, L.R.C. (1985), ch. C‑8, qui mentionne la présentation de « faits nouveaux » plutôt qu’« un changement des faits et une évolution des circonstances », l’Office y voit néanmoins une source d’orientation sur ce qui peut constituer un changement des faits ou une évolution des circonstances.
[25] Pour traiter une demande de révision, l’Office doit commencer par déterminer s’il y a eu un changement des faits ou une évolution des circonstances de l’affaire visée par la décision. Si aucun changement de ce type n’existe, la décision reste valable. Si, en revanche, l’Office conclut qu’il y a eu des faits nouveaux ou une évolution des circonstances depuis que la décision a été rendue, il doit alors déterminer si ce changement est suffisant pour justifier une révision, une annulation ou une modification de la décision. Lorsqu’une autre partie a participé à la première audience, l’Office peut décider d’enclencher le processus des actes de procédure pour être sûr que toutes les parties à la décision originale ont la chance de traiter des questions, notamment de la question de savoir s’il y a eu des faits nouveaux ou une évolution des circonstances depuis que la décision a été rendue et de déterminer l’incidence de ce changement sur la question.
[26] La formation des membres conclut que le libellé de l’article 32 doit généralement interpréter comme intéressant seulement les faits ou les circonstances qui n’existaient pas au moment de l’audience originale ou qui n’étaient pas susceptibles d’être découverts par le demandeur à ce moment. Si le fait était connu du demandeur ou qu’il pouvait être découvert en exerçant une diligence raisonnable au moment de la plainte d’origine, il ne peut alors constituer un changement des faits ou une évolution des circonstances. Le texte de l’article 32 réfère clairement aux faits nouveaux et à l’évolution des circonstances de l’affaire visée par la décision.
[27] Le fardeau de la preuve impose au demandeur qui demande la révision de fournir à l’Office des éléments de preuve et des explications prouvant qu’un changement présumé des faits ou des circonstances s’est produit depuis que la décision a été rendue. Le demandeur doit aussi expliquer en quoi le changement présumé affecte l’issue de l’affaire.
[28] Une demande présentée en vertu de l’article 32 n’est pas la solution qui convient pour produire des éléments de preuve qui étaient connus ou qui auraient pu être connus du demandeur lors de la présentation de sa demande originale. Son but n’est pas d’offrir la possibilité à la partie perdante de compléter le dossier ou de débattre à nouveau d’une affaire. Pour que la demande aboutisse, il doit y avoir eu un changement véritable des faits ou des circonstances depuis que la décision originale a été rendue pour justifier une nouvelle audience. Cela doit être soupesé par rapport au principe juridique de base qui privilégie la finalité des décisions. Cela protège l’autre partie, qui est en droit légitime de s’attendre à ce qu’une décision, une fois rendue, est définitive.
Le cas présent
[29] M. Kallai a d’abord déclaré à l’Office qu’il ne pouvait pas localiser l’acte no 531 en raison d’une erreur de numérotation survenue au BETBF. Par conséquent, l’Office a demandé à M. Kallai d’expliquer ce qu’il entendait par erreur de numérotation et de fournir les renseignements concernant les documents qui ne pouvaient pas être consultés au moment de la décision initiale. Dans sa réponse, M. Kallai indique qu’il s’agissait d’une déclaration générale et non pas d’un problème de numérotation particulier.
[30] En outre, comme il est mentionné précédemment, M. Kallai affirme qu’il n’a pu consulter l’acte no 531 qu’après que l’Office ait rendu la décision no 53-R-2012. L’Office note que, dans les présentations de CP, cette dernière déclare avoir consulté l’acte no 531 dès le 8 juin 2011 tel que mentionné dans la « chaîne de titres », et l’Office convient avec CP que l’acte no 531 était accessible au public au moment où la décision initiale a été rendue.
[31] CP soutient qu’à la page six de la lettre de M. Kallai datant du 17 août 2011, M Kallai fait référence au transfert de 50 acres de terre en 1868 d’Eunice Bigelow à John Jonathan Bigelow et ajoute que l’acte de cession est en réalité l’instrument no 534. CP déclare qu’en fait cela est mentionné comme étant l’acte no 531. L’Office convient avec CP que M. Kallai avait une certaine connaissance du contenu de l’acte no 531 et de son importance perçue pour la décision finale de l’Office, et, par conséquent, l’Office conclut que les faits et les circonstances présentés par M. Kallai ne sont pas nouveaux.
[32] Bien que M. Kallai formule des déclarations générales quant au fait que les nouveaux renseignements présumés n’étaient pas disponibles avant la décision initiale, il n’a pas fourni à l’Office une explication suffisante justifiant pourquoi il en était ainsi, malgré les instructions de l’Office dans sa décision no LET-R-106-2012. M. Kallai admet dans sa lettre datant du 3 août 2012 qu’il connaissait l’existence de l’acte no 531 avant que la décision initiale soit rendue. M. Kallai n’a pas présenté de preuves afin d’appuyer sa revendication selon laquelle il exerçait une diligence raisonnable pour rechercher les titres au BETBF. Par ailleurs, M. Kallai n’a pas expliqué pourquoi il avait attendu jusqu’au 6 mars 2012 pour effectuer des recherches aux Archives publiques de l’Ontario. Enfin, même si M. Kallai affirme que « le sommaire du BETBF obtenu du bureau régional no 20, l’acte no 1903 datant du 3 juin 1875 et l’acte no 2413 datant du 21 août 1877 et l’information de la SÉFM » [traduction] sont des renseignements nouveaux, il n’a pas expliqué de quelle façon cela constituerait des faits nouveaux.
CONCLUSION
[33] Compte tenu de ce qui précède les présentations des parties, l’Office conclut que M. Kallai ne s’est pas acquitté du fardeau de prouver l’existence de faits nouveaux ou d’une évolution des circonstances depuis que la décision no 53-R-2012 a été rendue.
[34] Par conséquent, l’Office rejette la demande.
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