Décision n° 367-R-2002

le 10 juillet 2002

le 10 juillet 2002

DEMANDE présentée par l'Association canadienne de transport industriel pour que l'Office des transports du Canada déclare que le tarif CN 9000 de la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada daté du 1er octobre 2000 et le tarif CPRS 6666 de la Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique daté du 15 avril 2001 ne sont pas autorisés par la Loi sur les transports au Canada, L.C. (1996), ch. 10, et qu'ils vont à l'encontre de la politique nationale des transports établie à l'article 5 de la Loi sur les transports au Canada.

RELATIVE aux requêtes préliminaires déposées par la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada et la Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique au sujet de la compétence de l'Office des transports du Canada pour l'examen de la demande de l'Association canadienne de transport industriel.

Référence no T7300-16


DEMANDE

Le 21 mars 2002, l'Association canadienne de transport industriel (ci-après l'ACTI) a déposé auprès de l'Office des transports du Canada (ci-après l'Office) la demande énoncée dans l'intitulé.

L'ACTI affirme qu'elle représente plus de 200 expéditeurs qui acquièrent au-delà de 6 milliards $ par année en services de transport de marchandises. Elle regroupe des sociétés de produits chimiques, des sociétés d'exploitation de ressources, des fabricants de véhicules et de pièces, des sociétés d'aliments transformés, des sociétés céréalières, des fabricants de biens durables, des fabricants de biens de consommation et de biens de détail ainsi que des représentants d'autres secteurs économiques du Canada. Son énoncé de mission est de promouvoir activement un réseau de transport nord-américain plus concurrentiel et rentable.

REQUÊTES PRÉLIMINAIRES

Avant le dépôt de toute réponse sur les mérites de la demande, la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (ci-après CN) et la Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique (ci-après CP) ont déposé des requêtes mettant en question, entre autres choses, la compétence de l'Office pour examiner la demande, la qualité d'agir de la demanderesse pour déposer cette demande et le besoin de séparer la demande, si elle se poursuit, en deux instances différentes - une contre chaque compagnie de chemin de fer.

Dans sa décision no LET-R-119-2002 datée du 22 avril 2002, l'Office a ouvert les plaidoiries sur les requêtes susmentionnées, ayant conclu que ces dernières soulevaient des questions fondamentales qui devaient être réglées le plus tôt possible compte tenu des circonstances en l'espèce.

QUESTION

L'Office doit déterminer si les requêtes sur la compétence de l'Office devraient être accordées.

Si les requêtes sont accordées, la demande devra être rejetée. Par contre, si les requête sont refusées, l'Office devra examiner les requêtes eu égard à la qualité de l'ACTI pour déposer la demande. Dans le cas où l'Office confirme le droit de l'ACTI de déposer la demande, l'Office devra alors donner les directives sur la procédure à suivre pour l'échange des plaidoiries sur les mérites de la demande ou des demandes, selon le cas.

POSITION DE CN

CN soutient que la compétence de l'Office est limitée à ce que l'Office est précisément habilité à faire en vertu de la Loi sur les transports au Canada (ci-après la LTC), qu'il n'y a pas de pouvoir déclaratoire général dans la LTC et, même si un tel pouvoir existe, qu'il s'applique seulement en ce qui concerne des taux bien précis de transport ferroviaire. Sur ce dernier point, CN fait référence au mandat de l'Office pour déterminer les prix d'interconnexion, les prix de ligne concurrentiels et les prix communs, les taux maximums du transport du grain et les obligations en matière de niveau de service et pour renvoyer les différends à un arbitre en vertu des dispositions sur les demandes d'arbitrage de la LTC.

À l'appui de sa position, CN fait allusion à la décision de la Cour d'appel fédérale dans Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. Brocklehurst, [2002] 2 C.F. 141, qui, selon CN, a jugé qu'à la suite de la déréglementation de l'industrie en 1996, l'Office n'avait pas de mandat en matière de réglementation à moins qu'il y ait une disposition de loi qui lui accorde un tel pouvoir.

Selon CN, en déréglementant l'industrie ferroviaire canadienne au moyen de l'abrogation de la Loi de 1987 sur les transports nationaux [abrogée (1996), ch. 10, article 183], le Parlement envisageait seulement de donner un mandat limité à l'Office eu égard aux tarifs de transport ferroviaire et aucune compétence générale ou accessoire sur les frais ferroviaires. Ce manque de compétence au sujet des frais est généralement, selon CN, illustré dans Compagnie de chemins de fer nationaux du Canada c. Gordon Moffatt, Sa Majesté du chef de la province de Terre-Neuve et du Labrador, l'Office des transports du Canada et la Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique et l'Atlantic Provinces Trucking Association (2001), 207 D.L.R. (4e) 118.

Donc, contrairement au mandat clair stipulé dans la législation ferroviaire précédente, l'absence d'une compétence particulière pour enquêter sur les frais de service ou les sanctions en vertu de la présente législation signifie qu'il n'y a pas de tel mandat aujourd'hui. De même, le manque de notions habilitantes dans la LTC doit être comparé à celles du Code canadien du travail, L.R.C. (1985), ch. L-2, qui accorde un pouvoir déclaratoire explicite au conseil. De plus, CN précise que la politique nationale des transports qui apparaît à l'article 5 de la LTC est seulement un énoncé de politique et n'est pas, comme le prétend la demanderesse, une disposition qui confère une compétence.

CN renvoie aussi à l'article 25 de la LTC et conclut que les pouvoirs d'une cour supérieure accordés à l'Office aux termes de cette disposition ne font pas de l'Office une cour supérieure et ne le rend pas capable de rendre des décisions déclaratoires.

POSITION DE CP

CP affirme que la demande de l'ACTI repose sur l'allégation que les tarifs en litige sont injustes, déraisonnables et mal administrés par les compagnies de chemin de fer. Selon CP, il n'y a rien dans la LTC qui octroie, directement ou fondamentalement, à l'Office l'autorité de juger d'une telle affaire.

Plutôt, CP suggère que si un expéditeur cherche à s'opposer au tarif d'une compagnie de chemin de fer pour le motif qu'il est injuste, la solution disponible en vertu de la LTC est la demande d'arbitrage. Autrement, et lorsqu'il n'y a pas de défaillance particulière ou de plainte donnant lieu à un pouvoir de prise de décision à l'Office ailleurs dans la LTC, aucun autre recours n'est possible auprès de l'Office. Donc, CP fait valoir que même si l'Office peut dans certains cas prendre des mesures de redressement déclaratoires, cela peut seulement se produire lorsque, en condition préalable, la compétence de l'Office est déclenchée en vertu d'une disposition de fond de la LTC.

D'après CP, la LTC n'autorise pas la délivrance ou l'application de tarifs. La LTC restreint seulement la procédure de publication d'un tarif et le contenu des tarifs. Donc, CP affirme qu'elle n'a pas besoin d'une autorisation législative pour publier ou appliquer un tarif dans n'importe quelle circonstance. De plus, une fois appliqué, le tarif devient un contrat entre le transporteur et la partie demandante et, ainsi, tout différend associé à la relation contractuelle n'est pas du ressort de l'Office.

Pour ce qui est du pouvoir implicite de faire des déclarations, CP suggère que, dans la mesure où une déclaration amènerait une solution discrétionnaire, une telle discrétion ne devrait pas être exercée lorsque, comme dans le cas à l'étude, les expéditeurs lésés ont accès à une solution plus commune comme les demandes d'arbitrage.

POSITION DE L'ACTI

L'ACTI affirme que sa demande n'est pas une plainte sur les frais puisqu'elle ne demande pas à l'Office de statuer sur l'équité ou le caractère raisonnable des règles et des frais contenus dans les tarifs des compagnies de chemin de fer. Elle demande plutôt une déclaration établissant que CN et CP ont imposé arbitrairement et unilatéralement les règles et les frais dans les tarifs concernés et que cela n'est pas autorisé par la LTC.

En conséquence, l'ACTI soutient que par sa demande, elle ne cherche pas à obtenir une ingérence réglementaire dans un contrat ou tout autre genre de redressement indirect. Elle veut seulement obtenir un jugement par l'Office qui déclare que les tarifs ont ou n'ont pas force de loi contre les tierces parties qui ne sont pas des expéditeurs ainsi que contre les expéditeurs en vertu du paragraphe 119(2)a) de la LTC. L'ACTI affirme que l'article 119 de la LTC accorde un mandat réglementaire à l'Office pour rendre une telle décision dans la présent instance.

Selon l'ACTI, le pouvoir de l'Office d'accorder un redressement déclaratoire ne se trouve pas dans un article précis de la LTC. L'ACTI suggère plutôt que les pouvoirs, droits et privilèges d'une cour supérieure qui sont octroyés à l'Office en vertu de l'article 25 de la LTC incluent le pouvoir de faire des déclarations.

À l'appui de sa position, l'ACTI renvoie à diverses décisions et divers arrêtés rendus par l'Office par le passé qui, selon elle, constituent des déclarations législatives.

ANALYSE ET CONSTATATIONS

L'Office a examiné les plaidoiries sur les requêtes en cause et la demande de l'ACTI qui a donné lieu à ce différend.

Le paragraphe 12 de la demande explique en détail que la « base » de cette demande est à double objet. Premièrement, la LTC n'accorde pas à CN et à CP l'autorisation d'imposer unilatéralement les règles et les frais dans les tarifs en question aux expéditeurs et aux autres parties. Deuxièmement, malgré le manque d'autorité réglementaire, CN et CP ont établi unilatéralement et publié les règles et les frais dans les tarifs concernés et ont pris la position que ces tarifs sont juridiquement contraignants pour les parties touchées.

Cela, selon l'ACTI, mérite la conclusion que les tarifs ne sont pas autorisés par la LTC, qu'ils sont contradictoires à la politique nationale des transports établie à l'article 5 de la LTC et que cette conclusion devrait être fixée dans une « déclaration » de l'Office.

L'ACTI a suggéré que cela n'équivaudrait pas à un jugement par l'Office sur le caractère raisonnable ou équitable des tarifs. Au mieux, cette déclaration équivaudrait seulement à un jugement que les tarifs n'ont pas « force de loi » en vertu de l'article 119 de la LTC.

L'Office reconnaît que pas sa demande, l'ACTI cherche à obtenir une déclaration. À cet égard, l'Office estime que la législation applicable, c'est-à-dire la LTC, contrairement à d'autres lois fédérales, ne fait pas allusion à un mandat précis pour faire des « déclarations ». Cependant, cela ne règle pas la question. Il y a deux raisons.

Premièrement, la loi habilitante de l'Office mentionne souvent des « déterminations », des « conclusions », des « décisions » et des « arrêtés » ou des « directives » de l'Office et parle des situations où il « fixe les modalités ». Dans certaines divisions de la LTC, l'Office peut aussi « statuer » sur quelque chose, comme pour l'interconnexion élargie en vertu du paragraphe 127(2) de la LTC, ou il peut « établir » des choses, comme des itinéraires ferroviaires pour les prix de ligne concurrentiels en vertu de l'article 132 de la LTC.

Dans des circonstances appropriées, et selon les faits du cas, même s'il ne s'agit pas d'une déclaration en soi, tout cela peut équivaloir à une « déclaration ». Par exemple, une décision dans un cas particulier pourrait être que la LTC a été respectée, ou non, et cette constatation « déclarerait » effectivement que l'infraction ou la conformité existe.

Dans plusieurs cas, ce pouvoir de prise de décision réglementaire comporte aussi la capacité d'offrir une solution particulière. Donc, s'il y a eu une infraction aux obligations de niveau de service (articles 113 à 116 de la LTC), l'Office peut, entre autres choses, préciser le « prix maximal » ou « octroyer » des droits de circulation à une autre compagnie de chemin de fer.

Deuxièmement, il peut y avoir des cas où un tribunal comme l'Office a le pouvoir de faire une déclaration quand le différend va à la base de sa compétence dans le sens qu'il est intégralement relié à un cas qui est clairement de la compétence de l'Office et où, comme l'a mentionné CP dans son mémoire, il n'y a pas de solutions réglementaires adéquates et efficaces disponibles pour redresser la situation.

Dans le cas présent, l'ACTI a demandé une déclaration établissant que les tarifs visés n'ont pas « force de loi ». Selon l'Office, cela signifie que si ces tarifs sont contradictoires de quelle que façon que ce soit à la LTC ou s'ils enfreignent la LTC, ils n'auront pas de fondement juridique. La demanderesse n'a pas demandé dans ce cas que les tarifs soient mis de côté, mais, clairement, c'est ce qui est insinué.

La position de la demanderesse est que si on ne permet pas aux compagnies de chemin de fer de faire quelque chose en vertu de la LTC, alors elles ne peuvent pas le faire. À cet égard, la demande renvoie à la législation précédente dans laquelle la loi (la Loi de 1987 sur les transports nationaux) accordait expressément à une compagnie ferroviaire la capacité d'établir un tarif « sur demande d'un expéditeur » et « dans les autres cas ». L'ACTI soutient que l'élimination du passage « dans les autres cas » signifie, par voie de conséquence, que les compagnies de chemin de fer n'ont qu'un pouvoir limité pour établir des tarifs - maintenant on peut seulement le faire sur demande d'un expéditeur.

L'Office estime que ce changement dans le libellé de l'article 119 de la LTC (précédemment l'article 115 de la Loi de 1987 sur les transports nationaux) n'insinue pas qu'il délimite les pouvoirs des compagnies de chemin de fer. Cette conclusion est axée sur l'orientation claire de la politique visée par la LTC voulant que l'industrie ferroviaire canadienne soit déréglementée, laissant le soin aux compagnies de chemin de fer d'effectuer leurs activités comme bon leur semble, bien qu'elles soient assujetties à un nombre limité d'exceptions. En d'autres mots, les règles d'application générale doivent s'appliquer aux compagnies de chemin de fer maintenant plutôt que les règles spécifiques à l'industrie, comme celles fixées en vertu de la Loi sur les chemins de fer [abrogée (1996), ch. 10, article 185] ou de la Loi de 1987 sur les transports nationaux.

Cependant, il y a des exceptions à cette politique et elles sont toujours établies en vertu de la LTC. L'autorité de réglementation a conservé une certaine compétence en ce qui concerne ces cas précis. Cette conclusion est conforme au récent jugement de la Cour d'appel fédérale dans les cas de Brocklehurst et Moffatt susmentionnés.

Ces considérations amènent l'Office à rejeter l'argument de la demanderesse disant qu'une compagnie de chemin de fer fédérale peut seulement faire ce qui est expressément autorisé en vertu de la LTC. En fait, c'est exactement le contraire. En vertu de la LTC sous sa forme actuelle, les compagnies de chemin de fer peuvent effectuer leurs activités comme bon leur semble sous réserve de quelques exceptions établies en vertu de la LTC et de toute règle d'application générale ou de toute règle spécifique à l'industrie comme la Loi sur la sécurité ferroviaire, L.R.C. (1985), ch. 32 (4e suppl.) ou la Loi sur le transport des marchandises dangereuses, L.C. (1992), ch. 34.

Ce sont ces exceptions en vertu de la LTC (et celles prévues par la Loi sur la sécurité ferroviaire) qui donnent lieu au mandat de l'Office et c'est à l'égard de ces dernières que l'Office jouit d'un certain pouvoir déclaratoire. À ce titre, ce pouvoir est un complément aux pouvoirs de fond qui existent ailleurs dans la LTC. La nature complémentaire de ce pouvoir est évidente dans les cas cités par la demanderesse comme exemples de l'exercice d'un pouvoir déclaratoire. Dans ces cas, l'Office a reconnu que les déclarations, dans la mesure où elles existent, reposent sur une compétence sous-jacente dans la LTC qui donne lieu à une plainte ou à la capacité de l'Office de rendre des jugements déclaratoires sur sa compétence de traiter les affaires dont il est saisi.

Dans un environnement déréglementé, les pouvoirs de l'Office sur les tarifs des compagnies de chemin de fer sont limités à déterminer : (i) si le tarif a été établi sur demande d'un expéditeur (article 118 de la LTC) ou (ii) si la compagnie de chemin de fer a publié un avis de 20 jours concernant la hausse des prix d'un tarif (paragraphe 119(1) de la LTC).

Dans la pratique, les tarifs ferroviaires sont de nature commerciale et en tant que question juridique ils sont maintenant laissés aux compagnies ferroviaires et leurs clients, c'est-à-dire à l'extérieur de l'ingérence réglementaire. Si le redressement est disponible, par exemple, aux expéditeurs en ce qui concerne de telles questions commerciales, la LTC leur accorde clairement le droit à la demande d'arbitrage. C'est-à-dire que l'arbitrage est disponible aux expéditeurs insatisfaits « des prix appliqués ou proposés par un transporteur pour le transport de marchandises ou des conditions imposées à cet égard... » (paragraphe 161(1) de la LTC).

En résumé, les tarifs sont maintenant des questions commerciales qui doivent être réglées entre une compagnie ferroviaire et ses clients, tout en ayant accès à la demande d'arbitrage et aux tribunaux pour régler des différends dans la phase pré-contractuelle ou post-contractuelle, respectivement. Si des expéditeurs redoutent des comportements anticoncurrentiels ou des conséquences dans ce cadre, concernant par exemple l'abus d'un pouvoir de marché dominant, ils peuvent porter le cas à l'attention du Commissaire de la concurrence qui est responsable de l'administration des dispositions de la Loi sur la concurrence, L.R.C. (1985), ch. C-34.

CONCLUSION

L'Office n'a pas l'autorité réglementaire pour faire la déclaration demandée, c'est-à-dire que les règles et les frais énoncés dans le tarif CN9000 de CN et dans le tarif CPRS 6666 de CP n'ont pas force de loi pour les tierces parties qui ne sont pas des expéditeurs ainsi que pour les expéditeurs en vertu du paragraphe 119(2)a) de la LTC. Par conséquent, les requêtes de CN et de CP sont par les présentes accordées et la demande est par les présentes rejetée.

À la lumière des constatations qui précèdent, il n'est pas nécessaire que l'Office prenne une décision sur toute question de qualité d'agir, de dissociation ou de prorogation de délai établie dans les requêtes des compagnies de chemin de fer.

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