Décision n° 382-C-A-2003
le 27 juin 2003
RELATIVE à une plainte déposée par Sylvie Desrochers contre Aeroflot - Russian Airlines relativement à l'ambiguïté de sa politique sur les changements d'itinéraires involontaires des vols internationaux.
Référence no M4370/A565/01-1
PLAINTE
Le 27 février 2003, Sylvie Desrochers a déposé auprès de l'Office des transports du Canada (ci-après l'Office) la plainte décrite dans l'intitulé.
Le 3 mars 2003, le personnel de l'Office a demandé à Aeroflot - Russian Airlines (ci-après Aeroflot) d'examiner la plainte dans le contexte du sous-alinéa 122c)(iv) du Règlement sur les transports aériens,DORS/88-58, modifié (ci-après le RTA). Aeroflot n'a pas déposé de réponse auprès de l'Office.
Le personnel de l'Office a fait le suivi auprès du transporteur par lettre en date du 8 avril 2003, mais en vain.
CONTEXTE
Le 1er janvier 2001, Mme Desrochers a voyagé avec Aeroflot de Montréal (Québec), au Canada, à Calcutta, en Inde, via Moscou, en Russie. Mme Desrochers devait partir de Calcutta pour revenir au Canada le 1er avril 2001 . Elle a toutefois appris, à cette même date, que le point de départ de ce vol avait été changé pour Delhi. Laissée à elle-même par le transporteur, Mme Desrochers a acheté un billet d'avion, au montant de 250 $, pour voyager de Calcutta à Delhi, afin d'aller y prendre son vol de retour. À son arrivée à Delhi, Mme Desrochers a été informée que les vols avaient été annulés. Mme Desrochers a passé la nuit à l'aéroport et est revenue au Canada le lendemain matin.
Le 9 mai 2001, Mme Desrochers a déposé une plainte auprès du Commissaire aux plaintes relatives au transport aérien dans laquelle elle demandait un remboursement du coût du billet d'avion qu'elle a été contrainte d'acheter et des frais que lui a occasionnés le retard de son vol de retour. Mme Desrochers a également déposé une réclamation à la Cour des petites créances du Québec. À la suite de cette réclamation, Aeroflot a versé à Mme Desrochers la somme de 557 $ à titre de règlement.
La plainte de Mme Desrochers reçue en date du 27 février 2003 a été transmise à l'Office en raison de la nature réglementaire de la plainte.
QUESTIONS PRÉLIMINAIRES
Bien qu'Aeroflot n'ait pas répondu aux lettres du personnel de l'Office en date des 3 mars et 8 avril 2003, l'Office peut, aux termes du paragraphe 46(4) des Règles générales de l'Office national des transports, DORS/88-23, trancher la demande sans lui donner d'autre avis.
Quoiqu'Aeroflot ait été invitée à répondre à la plainte dans le contexte du sous-alinéa 122c)(iv) du RTA, l'Office se penchera également sur la question de savoir si Aeroflot s'est conformée aux conditions de transport que renferme le tarif IPG-1, NTA (A) No 324 d'Aeroflot relatif au transport international de passagers (ci-après le tarif international), comme le prévoit le paragraphe 110(4) du RTA.
QUESTIONS
L'Office doit déterminer si,
- aux termes du sous-alinéa 122c)(iv) du RTA, les conditions de transport que renferme le tarif international d'Aeroflot précisent clairement la politique du transporteur relative aux changements d'itinéraires involontaires.
- aux termes du paragraphe 110(4) du RTA, Aeroflot s'est conformée aux conditions de transport que renferme son tarif international.
POSITION DE MME DESROCHERS
Mme Desrochers fait valoir que la règle 80(C) relative aux changements d'itinéraires involontaires du tarif international d'Aeroflot n'est pas claire du fait qu'elle crée une incertitude à savoir si Aeroflot est tenue de transporter le passager entre les points indiqués sur le billet, ou à partir de tous points d'où des sièges sont libres à bord des aéronefs.
ANALYSE ET CONSTATATIONS
Pour en arriver à ses constatations, l'Office a examiné la plainte déposée par Mme Desrochers ainsi que la règle 80(C) relative aux changements d'itinéraires involontaires, laquelle est contenue dans le tarif international d'Aeroflot et prévoit, en partie, ce qui suit :
Advenant que le transporteur annule un vol, ne l'exploite pas selon l'horaire prévu, remplace le type d'équipement, modifie la catégorie de service ou est incapable de fournir la place confirmée au préalable, le transporteur :
(a) assure le transport du passager à bord d'un autre aéronef si l'espace le permet;
(b) veille à ce qu'un autre transporteur ou service de transport assure le réacheminement du passager par l'acceptation de la partie inutilisée du billet;
(c) réachemine le passager vers la destination figurant sur le billet ou la partie applicable de celui-ci aux moyens de son propre service ou d'un autre mode de transport; si le prix, les frais supplémentaires pour excès de bagages et tous autres frais de services applicables sont supérieurs à la valeur de remboursement du billet ou des parties applicables de celui-ci conformément à la règle 90 (Remboursements) du présent tarif, le transporteur n'exige aucuns frais supplémentaires du passager, mais rembourse la différence si le prix et les frais relatifs au nouvel itinéraire sont inférieurs; ou
(d) effectue un remboursement involontaire conformément à la règle 90 (Remboursements).
[traduction libre]
Certaines dispositions du RTA sont pertinentes à la présente analyse.
L'article 110 du RTA énonce, en partie, ce qui suit :
110.(1) Sauf disposition contraire des ententes, conventions ou accords internationaux en matière d'aviation civile, avant d'entreprendre l'exploitation d'un service international, le transporteur aérien ou son agent doit déposer auprès de l'Office son tarif pour ce service, conforme aux exigences de forme et de contenu énoncées dans la présente section, dans lequel sont comprises les conditions du transport à titre gratuit ou à taux réduit.
(2) L'acceptation par l'Office, pour dépôt, d'un tarif ou d'une modification apportée à celui-ci ne constitue pas l'approbation de son contenu, à moins que le tarif n'ait été déposé conformément à un arrêté de l'Office.
...
(4) Lorsqu'un tarif déposé porte une date de publication et une date d'entrée en vigueur et qu'il est conforme au présent règlement et aux arrêtés de l'Office, les taxes et les conditions de transport qu'il contient, sous réserve de leur rejet, de leur refus ou de leur suspension par l'Office, ou de leur remplacement par un nouveau tarif, prennent effet à la date indiquée dans le tarif, et le transporteur aérien doit les appliquer à compter de cette date.
[soulignement ajouté à dessein]
Par ailleurs, le paragraphe 113.1 du RTA prévoit ce qui suit :
Si un licencié n'applique pas les prix, taux, frais ou conditions de transport applicables au service international et figurant à son tarif, l'Office peut :
a) lui enjoindre de prendre les mesures correctives qu'il estime indiquées;
b) lui enjoindre d'indemniser les personnes lésées par la non-application de ces prix, taux, frais ou conditions de transport.
Le sous-alinéa 122c)(iv) du RTA établit la compétence de l'Office en ce qui concerne les plaintes selon lesquelles les conditions de transport énoncées dans le tarif d'un transporteur aérien ne sont pas claires. Il se lit comme suit :
122. Les tarifs doivent contenir :
...
c) les conditions de transport, dans lesquelles est énoncée clairement la politique du transporteur aérien concernant au moins les éléments suivants :
...
(iv) le réacheminement des passagers.
Le sous-alinéa 122c)(iv) du RTA dispose donc que les tarifs internationaux doivent contenir les conditions de transport énonçant clairement la politique du transporteur aérien relative au réacheminement des passagers. L'Office doit ainsi se pencher sur la question de savoir si la règle 80(C) du tarif international d'Aeroflot énonce clairement la politique du transporteur relative au réacheminement des passagers.
Le terme « clearly »(Puisque le tarif international d'Aeroflot est en anglais, l'analyse est basée sur les définitions des dictionnaires juridiques anglais) (« clairement ») n'est pas défini dans le RTA. Le Dictionary of Canadian Law définit le mot anglais « clearly » (« clairement ») comme suit :
free from doubt, free from encumbrance, lien or charge or free from deductions.
[traduction libre]
sans aucun doute, libre et quitte de toute charge, tout privilège ou toute déduction
Quant au Black's Law Dictionary, voici les définitions qu'il donne des termes « clear » (« clair ») et « clearly » (« clairement ») :
Clear. Obvious; beyond reasonable doubt; perspicuous; plain. Free from all limitation, qualification, question or shortcoming. Free from incumbrance, obstruction, burden, limitation, etc. Plain, evident, free from doubt or conjecture, unequivocal, also unincumbered. Free from deductions or drawbacks.
[traduction libre]
Clair. Évident; hors de tout doute raisonnable; perspicace; simple. Sans limite, sans qualification, sans question, sans lacune. Libre et quitte de toute charge, sans obstruction. Évident, non équivoque, incontestable. Libre de toute déduction ou de tout remboursement.
Clearly. Visible, unmistakable, in word of no uncertain meaning. Beyond a question or beyond a reasonable doubt; honestly, straightforwardly, and frankly; plainly. Without obscurity, obstruction, entanglement, confusion, or uncertainty. Unequivocal.
[traduction libre]
Clairement. Visiblement, non équivoque. Au-delà de tout doute, ou hors de tout doute raisonnable; honnêtement, carrément et franchement; simplement; libre de tout obstacle ou obstruction et sans confusion ou doute.
Bien que les tribunaux n'aient pas établi ce que constitue une politique « claire » dans le contexte d'un tarif d'un transporteur aérien, la Cour fédérale du Canada s'est tout de même déjà penchée sur l'utilisation et l'interprétation du mot « clairement » dans un autre contexte législatif.
Ainsi, dans la cause GWG Ltd. c. The Registrar of Trade Marks, (1981), 55 C.P.R. (2d)(Voir aussi : John Labatt c. Carling Breweries Ltd., (1974), 18 C.P.R. (2d) 15 (CFSPI); General Foods Inc. c. Tradition Fine Foods Ltd., (1990) 29 C.P.R. (3d) 348 (Commission des oppositions des marques de commerce); M.D. Vaillancourt Ltée c. Meubles Zip International Ltée, (1987), 16 C.I.P.R. 207.), la Cour fédérale - Division de première instance (ci-après la cour) s'est penchée sur la règle à utiliser pour déterminer si une marque de commerce donne une description claire en vertu de l'alinéa 12(1)b) de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. 1970, ch. T-10 (maintenant l'alinéa 12(1)b) de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. 1985, ch. T-13) :
Il a été maintes fois mentionné, dans le cadre de la jurisprudence :
(...) Le mot « clair » utilisé au sous-alinéa 12(1)b) de la [Loi sur les marques de commerce, S.R.C. 1970, ch. T-10] n'est pas tautologique mais désigne un niveau et n'est pas synonyme d'« exacte » dans le contexte de cet alinéa, il signifie « facile à comprendre, explicite ou simple (...) [soulignement ajouté à dessein]
Même si l'interprétation par la cour du mot « clair » retrouvée dans la Loi sur les marques de commerce n'est pas déterminante quant à la signification de ce mot dans le RTA, elle en donne néanmoins une définition générale de sa signification.
Selon cette interprétation et ces définitions, l'Office est d'avis qu'un transporteur aérien satisfait aux obligations prévues dans son tarif lorsque de l'avis d'une personne raisonnable, les droits et les obligations du transporteur et des passagers sont définis de telle façon à éviter quelque doute, ambiguïté ou incertitude que ce soit.
À cet égard, l'Office est d'avis que, selon une interprétation raisonnable du tarif international d'Aeroflot, celle-ci est tenue de transporter le passager entre les points de départ et d'arrivée indiqués sur le billet. L'Office estime donc que le tarif international d'Aeroflot renferme des conditions de transport qui énoncent clairement la politique du transporteur relative au réacheminement des passagers.
L'Office reconnaît que la règle 80(C) du tarif international d'Aeroflot est très similaire aux règles énoncées dans les tarifs internationaux publiés par d'autres transporteurs aériens, notamment Air Canada, Société Air France, exerçant son activité sous le nom d'Air France, British Airways Plc, United Air Lines, Inc. et American Airlines, Inc. L'Office constate aussi que, par suite du jugement de la Cour des petites créances du Québec, Mme Desrochers a eu droit à un remboursement de la part d'Aeroflot.
CONCLUSION
À la lumière de ce qui précède, l'Office conclut que le tarif international d'Aeroflot renferme des conditions de transport qui énoncent clairement la politique du transporteur relative au réacheminement des passagers. Ainsi, l'Office conclut que les dispositions du tarif à cet égard satisfont aux exigences du sous-alinéa 122c)(iv) du RTA, et il rejette donc, par les présentes, la plainte.
Toutefois, l'Office conclut qu'Aeroflot a contrevenu au paragraphe 110(4) du RTA en ce qu'il n'a pas appliqué, raisonnablement, la règle 80(C) de son tarif en négligeant de prendre les mesures nécessaires pour réacheminer Mme Desrochers, soit aux moyens de ses propres services ou d'un autre mode de transport.
L'Office enjoint donc à Aeroflot de se conformer à la règle 80(C) de son tarif et d'interpréter les conditions de transport relatives aux changements d'itinéraires involontaires que renferme son tarif d'une façon raisonnable et conforme aux pratiques de l'industrie du transport aérien.
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