Décision n° 406-AT-A-2013

le 24 octobre 2013

DEMANDE présentée par Susan Babbitt contre Sunwing Airlines Inc.

No de référence : 
U3570/13-02581

INTRODUCTION

[1] Susan Babbitt a déposé une demande auprès de l’Office des transports du Canada (Office) en vertu du paragraphe 172(1) de la Loi sur les transports au Canada, L.C. (1996), ch. 10, modifiée (LTC) contre Sunwing Airlines Inc. (Sunwing), relativement au siège que Sunwing lui a assigné pour un voyage prévu à Cuba.

LA LOI

[2] Lorsqu’il doit statuer sur une demande en vertu du paragraphe 172(1) de la LTC, l’Office applique une procédure particulière en trois temps pour déterminer s’il y a eu obstacle abusif aux possibilités de déplacement d’une personne ayant une déficience. L’Office doit déterminer :

  1. si la personne qui est l’auteur de la demande a une déficience aux fins de la LTC;
  2. si la personne a rencontré un obstacle du fait qu’on ne lui a pas fourni un accommodement approprié pour répondre aux besoins liés à sa déficience. Un obstacle est une règle, une politique, une pratique, un obstacle physique, etc. qui a pour effet de priver la personne ayant une déficience de l’égalité d’accès aux services offerts aux autres voyageurs par le fournisseur de services de transport;
  3. si l’obstacle est « abusif ». Un obstacle est abusif à moins que le fournisseur de services de transport puisse prouver qu’il y a des contraintes qui rendraient l’élimination de l’obstacle déraisonnable, peu pratique ou impossible, de sorte qu’il ne peut pas fournir la mesure d’accommodement sans se voir imposer une contrainte excessive. Si l’obstacle est jugé abusif, l’Office ordonnera la prise de mesures correctives pour éliminer l’obstacle abusif.

QUESTIONS

  1. Mme Babbitt est-elle une personne ayant une déficience aux termes de la partie V de la LTC?
  2. Les éléments suivants constituent-ils des obstacles abusifs aux possibilités de déplacement de Mme Babbitt et, dans l’affirmative, quelles mesures correctives devraient être ordonnées le cas échéant :
  • la politique de Sunwing en matière d’assignation de sièges offrant plus d’espace pour les jambes pour les personnes ayant une déficience;
  • la manière dont la demande de Mme Babbitt visant un siège offrant plus d’espace pour les jambes a été traitée?

OBSERVATIONS PRÉLIMINAIRES

Échange d’information durant le processus de facilitation

[3] Les parties ont échangé des renseignements alors qu’elles tentaient de régler de manière informelle la demande de Mme Babbitt au moyen de la facilitation. Les parties ont été avisées dans la lettre ouvrant les actes de procédure que ces renseignements ne seraient pas versés au dossier, car les deux parties sont en désaccord sur ce point. Mme Babbitt a par la suite déposé une requête demandant que la correspondance échangée pendant le processus de facilitation soit versée au dossier. L’Office a rejeté la requête le 29 août 2013.

[4] Dans sa réplique du 15 septembre 2013, Mme Babbitt se réfère aux renseignements échangés pendant la facilitation. Par conséquent, conformément à sa décision du 29 août 2013, l’Office n’en tiendra pas compte dans cette décision.

Réclamation au titre des dépenses

[5] Mme Babbitt a présenté dans sa demande une réclamation au titre des dépenses. L’Office note que cette réclamation a été réglée par Sunwing, qui indique dans sa réponse qu’elle a émis un chèque au montant réclamé par Mme Babbitt. Par conséquent, l’Office n’en tiendra pas compte dans cette décision.

ANALYSE ET CONSTATATIONS

Détermination de la déficience

[6] Pour déterminer s’il y a obstacle aux possibilités de déplacement d’une personne ayant une déficience au sens du paragraphe 172(1) de la LTC, l’Office doit d’abord déterminer si la demande a été déposée par une personne ayant une déficience ou en son nom. Dans le cas présent, Mme Babbitt est incapable de plier la jambe droite. Sunwing n’a pas contesté le fait que Mme Babbitt est une personne ayant une déficience aux fins de l’application des dispositions en matière d’accessibilité de la LTC.

[7] À la lumière de ce qui précède, l’Office conclut que Mme Babbitt est une personne ayant une déficience aux fins de l’application des dispositions en matière d’accessibilité de la LTC.

Démarche de l’Office pour conclure à l’existence d’un obstacle abusif

[8] L’Office définit un obstacle dans le réseau de transport fédéral comme étant une règle, une politique, une pratique, un obstacle physique, etc. qui est :

  • soit direct, c’est-à-dire qu’il s’applique à une personne ayant une déficience;
  • soit indirect, c’est-à-dire que, bien qu’il soit le même pour tous, il a pour effet de priver une personne ayant une déficience d’un avantage;
  • et qui prive une personne ayant une déficience de l’égalité d’accès aux services accessibles aux autres voyageurs de sorte que le fournisseur de services doit fournir un accommodement.

[9] Un service ou une mesure dont le but est de répondre aux besoins liés à la déficience d’une personne est défini comme étant un « accommodement approprié ». Si l’on détermine que la personne a bénéficié d’un accommodement approprié, il est alors impossible de prétendre qu’elle a rencontré un obstacle.

[10] Les fournisseurs de services ont l’obligation d’offrir un accommodement aux personnes ayant une déficience. Une personne ayant une déficience rencontre un obstacle à ses possibilités de déplacement si elle démontre qu’elle avait besoin d’un accommodement qu’on ne lui a pas fourni, ce qui revient à la priver de l’égalité d’accès aux services accessibles aux autres passagers dans le réseau de transport fédéral.

[11] Il incombe au demandeur de fournir des éléments de preuve suffisamment convaincants pour établir son besoin d’accommodement et pour prouver que ce besoin n’a pas été satisfait. La norme de preuve qui s’applique au fardeau de la preuve est la prépondérance des probabilités.

Démarche de l’Office pour conclure à l’existence d’un obstacle abusif

[12] Un obstacle est abusif à moins que le fournisseur de services puisse justifier son existence. Dès lors que l’Office a déterminé qu’une personne ayant une déficience a rencontré un obstacle, le fournisseur de services peut :

  • soit fournir l’accommodement approprié ou offrir une autre solution qui répond tout autant aux besoins de la personne liés à sa déficience. En pareil cas, l’Office déterminera les mesures correctives qui s’imposent pour s’assurer que l’accommodement approprié est fourni;
  • soit justifier l’existence de l’obstacle en prouvant qu’il ne peut pas raisonnablement fournir l’accommodement approprié ou toute autre forme d’accommodement raisonnable sans se voir imposer une contrainte excessive. À défaut de ce faire, l’Office ordonnera des mesures correctives pour s’assurer que l’accommodement est fourni.

[13] Dans les situations où le fournisseur de services est d’avis qu’il ne peut pas fournir l’accommodement adapté aux besoins de la personne ayant une déficience, il doit justifier l’existence de l’obstacle.

[14] Le critère que doit respecter un fournisseur de services pour justifier l’existence d’un obstacle comporte trois éléments. Le fournisseur de services doit prouver :

  1. que la source de l’obstacle est rationnellement liée à la fourniture des services de transport;
  2. que la source de l’obstacle a été adoptée selon la conviction honnête et de bonne foi qu’elle était nécessaire pour fournir les services de transport;
  3. qu’il ne peut fournir aucun accommodement sans se voir imposer une contrainte excessive.

[15] Il incombe au fournisseur de services de fournir des preuves suffisamment convaincantes pour établir selon la prépondérance des probabilités que l’obstacle est justifié (c.‑à‑d. que la mise en place des mesures d’accommodement entraînerait une contrainte excessive).

[16] Si un fournisseur de services s’acquitte du fardeau de la preuve, l’Office conclura que l’obstacle n’est pas abusif et il n’ordonnera pas de mesures correctives.

Le cas présent

Faits, éléments de preuve et présentations

[17] Mme Babbitt fait valoir qu’au moment de faire sa réservation, elle a informé un agent de Sunwing de sa déficience et qu’elle avait besoin d’un siège spécial. Elle fait également valoir que l’agent lui a dit qu’il y avait des sièges offrant plus d’espace pour les jambes et qu’elle pourrait en obtenir un si elle présentait une note du médecin.

[18] Mme Babbitt a transmis à Sunwing un formulaire de demande de services spéciaux de Sunwing, sur lequel elle indique qu’elle a besoin de plus d’espace pour les jambes, car elle ne peut plier la jambe droite, de même qu’une note de son médecin. Mme Babbitt soutient qu’elle a transmis de nouveau ces documents, car Sunwing n’avait pas accusé réception de sa première transmission, ni confirmé si elle allait bénéficier d’un siège offrant plus d’espace pour les jambes.

[19] Sunwing a accusé réception des documents ultérieurement et informé Mme Babbitt que les Services spéciaux communiqueraient avec elle.

[20] Le 9 février 2012, Mme Babbitt a reçu un courriel des Services spéciaux de Sunwing indiquant que le siège 3A lui avait été assigné; Mme Babbitt fait valoir que le siège se trouve dans la rangée pour les passagers ayant une condition médicale. Le courriel des Services spéciaux précisait aussi que les frais avaient été supprimés et que le siège lui était offert gratuitement. Lorsque Mme Babbitt a demandé la confirmation que ce siège offrait plus d’espace pour les jambes, les Services spéciaux lui ont plutôt assigné le siège 3C, un siège côté allée du côté gauche de l’aéronef. Mme Babbitt fait valoir que lorsqu’elle a de nouveau demandé un siège offrant plus d’espace pour les jambes, les Services spéciaux lui ont répondu que de tels sièges étaient uniquement disponibles pour les passagers du programme Élite Plus.

[21] Mme Babbitt a fait part de ses inquiétudes concernant le siège 3C, car il s’agit d’un siège ordinaire qui l’aurait forcée à placer sa jambe dans l’allée. Les Services spéciaux ont répondu à Mme Babbitt que si elle avait besoin de plus d’espace pour les jambes, elle devait communiquer avec le service des ventes et des réservations, car le programme Élite Plus est un produit payant et les Services spéciaux n’ont aucun contrôle sur ces sièges.

[22] Mme Babbitt indique qu’elle a annulé son voyage le 11 février 2013, car elle ne pouvait obtenir le siège désiré sans se faire surclasser au programme Élite Plus (ELPL) et que Sunwing a remboursé le coût de son billet.

[23] Sunwing a déposé sa politique, qui comporte les dispositions suivantes :

  • les passagers ayant des besoins spéciaux qui joignent une note du médecin à leur demande d’un siège du programme ELPL offrant plus d’espace pour les jambes n’auront pas à payer le coût de l’assignation préalable associé à la réservation d’un siège du programme ELPL;
  • les services additionnels associés au programme ELPL (p. ex., franchise de bagages additionnelle, etc.) doivent être expliqués au passager ayant des besoins spéciaux. Ces services additionnels sont facturables; toutefois, si le passager ayant des besoins spéciaux ne désire pas utiliser ces services, ceux-ci seront retirés du programme ELPL associé au passager ayant des besoins spéciaux et une note contenant ce renseignement sera envoyée par courriel à la station ou l’équipe applicable.
  • si le passager ayant des besoins spéciaux refuse ces services additionnels, le coût complet du produit du programme ELPL est supprimé;
  • si le passager ayant des besoins spéciaux accepte ou demande les services additionnels, le coût associé à l’assignation préalable du siège sera soustrait du coût du produit du programme ELPL pour calculer le montant facturé au passager.

[24] Sunwing explique qu’au cours du dernier exercice financier, elle a reçu plus de 46 demandes de personnes ayant une déficience souhaitant avoir un siège offrant plus d’espace pour les jambes et que dans chaque cas, à la réception de la note du médecin requise, la demande a été approuvée et un siège approprié offrant plus d’espace pour les jambes a été fourni sans frais supplémentaires, y compris un siège du programme ELPL au besoin. Toutefois, dans le cas de Mme Babbitt, Sunwing fait valoir qu’elle ne conteste pas qu’elle a rencontré un obstacle. Sunwing soutient par contre que le fait qu’elle n’a pas traité adéquatement la demande de Mme Babbitt visant un siège offrant plus d’espace pour les jambes ne découlait pas d’un problème systémique lié à ses politiques et ses procédures, mais qu’il s’agissait plutôt d’une situation unique pour laquelle elle a remboursé les frais engagés par Mme Babbitt.

[25] Sunwing a déposé une copie d’un bulletin transmis le 21 juin 2013 à ses employés des « Services spéciaux » concernant sa politique en matière d’assignation de sièges.

Analyse et constatations - Obstacle

La politique de Sunwing en matière d’assignation de sièges offrant plus d’espace pour les jambes pour les personnes ayant une déficience constitue-t-elle un obstacle aux possibilités de déplacement de Mme Babbitt?

[26] Comme il a été mentionné plus haut, les fournisseurs de services ont l’obligation de fournir un accommodement approprié par la voie d’un service ou d’une mesure qui répond aux besoins liés à la déficience d’une personne. S’il est déterminé qu’une personne ayant une déficience a bénéficié d’un accommodement approprié, l’Office conclura que cette personne n’a pas rencontré d’obstacle à ses possibilités de déplacement.

[27] Dans le cas présent, Mme Babbitt a besoin, comme accommodement approprié, d’un siège offrant plus d’espace pour les jambes, car elle ne peut plier la jambe droite.

[28] La politique de Sunwing consiste à fournir un siège offrant plus d’espace pour les jambes, sans frais supplémentaires, aux personnes ayant une déficience qui en ont besoin et qui appuient leur demande d’une note d’un médecin.

[29] Puisque la politique de Sunwing consiste à fournir un accommodement approprié qui répond aux besoins liés à la déficience de Mme Babbitt, l’Office conclut que la politique de Sunwing en matière d’assignation de sièges ne constitue pas un obstacle aux possibilités de déplacement de Mme Babbitt.

La manière dont la demande de Mme Babbitt pour un siège offrant plus d’espace pour les jambes a été traitée a-t-elle constitué un obstacle à ses possibilités de déplacement?

[30] Bien que la politique de Sunwing consiste à fournir un siège offrant plus d’espace pour les jambes sans frais supplémentaires (sauf pour ce qui est des services supplémentaires associés au programme ELPL, moins le coût de l’assignation préalable du siège) aux personnes ayant une déficience qui en ont besoin et qui appuient leur demande d’une note d’un médecin, on a dit à Mme Babbitt qu’elle devrait payer des frais pour obtenir un siège offrant plus d’espace pour les jambes, même si elle avait une note du médecin et qu’elle n’a pas demandé les services supplémentaires associés au programme ELPL.

[31] Sunwing ne conteste pas que la demanderesse a rencontré un obstacle et affirme qu’elle n’a pas traité adéquatement la demande de Mme Babbitt visant un siège offrant plus d’espace pour les jambes.

[32] À la lumière de ce qui précède, l’Office conclut que la manière dont Sunwing a traité la demande de Mme Babbitt visant un siège offrant plus d’espace pour les jambes a constitué un obstacle à ses possibilités de déplacement.

Obstacle abusif

La manière dont la demande de Mme Babbitt visant un siège offrant plus d’espace pour les jambes a été traitée a-t-elle constitué un obstacle abusif à ses possibilités de déplacement?

[33] Sunwing n’a pas présenté d’éléments de preuve pour justifier l’existence de l’obstacle ou pour démontrer l’existence de contraintes qui auraient fait en sorte qu’elle n’aurait pu l’éliminer sans se voir imposer une contrainte excessive. Sunwing n’a pas présenté d’éléments de preuve démontrant que des contraintes ont empêché son personnel de traiter adéquatement la demande de Mme Babbitt visant un siège offrant plus d’espace pour les jambes conformément à sa propre politique.

[34] L’Office conclut donc que la manière dont la demande de Mme Babbitt visant un siège offrant plus d’espace pour les jambes a été traitée a constitué un obstacle abusif à ses possibilités de déplacement.

CONCLUSION

[35] L’Office conclut que la politique de Sunwing en matière d’assignation de sièges offrant plus d’espace pour les jambes pour les personnes ayant une déficience ne constitue pas un obstacle aux possibilités de déplacement de Mme Babbitt. Toutefois, l’Office conclut que la manière dont la demande de Mme Babbitt visant un siège offrant plus d’espace pour les jambes a été traitée a constitué un obstacle abusif à ses possibilités de déplacement.

ORDONNANCE

[36] L’Office note que Sunwing a envoyé un bulletin à son personnel des Services spéciaux. Toutefois, à la lumière de la constatation susmentionnée concernant l’obstacle abusif, l’Office exige de Sunwing qu’elle fasse en sorte que le personnel de tous les points pertinents de contact avec la clientèle (c.-à-d., non seulement le personnel des Services spéciaux) connaisse et applique adéquatement la politique de Sunwing en matière d’assignation de sièges offrant plus d’espace pour les jambes pour les personnes ayant une déficience. Sunwing est tenue de le faire d’ici le 25 novembre 2013 en publiant un bulletin à l’intention de tout le personnel pertinent.

[37] L’Office exige également de Sunwing qu’elle inclue sa politique en matière d’assignation de sièges offrant plus d’espace pour les jambes pour les personnes ayant une déficience dans ses procédures et ses documents de formation du personnel.

Membre(s)

Sam Barone
J. Mark MacKeigan
Date de modification :