Décision n° 416-AT-A-2010

le 14 octobre 2010

14 octobre 2010

DEMANDE déposée par Dre Diane Sawchuck contre Air Canada.

Référence no U3570/10-3


Introduction

[1] Dre Diane Sawchuck, dont l'allergie au parfum déclenche des symptômes comme l'asthme, a déposé une demande auprès de l'Office des transports du Canada (Office) en vertu du paragraphe 172(1) de la Loi sur les transports au Canada, L.C. (1996), ch. 10, modifiée (LTC) contre Air Canada en ce qui a trait au parfum porté par ses agents de bord.

[2] Dre Sawchuck demande qu'Air Canada adopte une politique pour un milieu de travail sans parfum à bord de ses aéronefs.

[3] Air Canada a actuellement une politique concernant le parfum porté par les agents de bord. Le transporteur a déposé des extraits de son document de formation initiale des agents de bord, qui demande aux agents de bord de ne porter que des fragrances subtiles et explique que le parfum agressif ou lourd devrait être évité. Air Canada ajoute que les rappels, qui sont envoyés aux agents de bord sous forme de communications en ligne appelées e-Pub, expliquent que les fragrances portées doivent être subtiles et que le parfum agressif et lourd doit être évité.

[4] Dans sa demande, Dre Sawchuck décrit aussi son allergie aux chats. Dans la décision no LET-AT-A-67-2010, l'Office a ajourné la partie de la demande de Dre Sawchuck relative à son allergie aux chats en attendant les conclusions de l'Office sur des demandes semblables dont il est actuellement saisi.

Questions

[5] Dre Sawchuck est-elle une personne ayant une déficience aux termes de la partie V de la LTC en raison de son allergie au parfum, et si tel est le cas, la politique existante d'Air Canada constitue-t-elle un obstacle abusif aux possibilités de déplacement de Dre Sawchuck? Si la politique existante constitue un obstacle abusif, quelles mesures correctives devraient être ordonnées, le cas échéant?

La Loi

[6] Le mandat législatif de l'Office en ce qui concerne les personnes ayant une déficience est énoncé à la partie V de la LTC, qui confère le pouvoir de prendre des règlements [paragraphe 170(1)] et un pouvoir d'enquêter sur les plaintes [paragraphe 172(1)], dans le but exprès d'éliminer les obstacles abusifs aux possibilités de déplacement des personnes ayant une déficience au sein du réseau de transport fédéral.

[7] La Cour suprême du Canada, dans l'affaire Conseil des Canadiens avec déficiences c. VIA Rail Canada Inc., [2007] 1 R.C.S. 650, 2007 CSC 15, a fourni d'importantes directives à l'Office relativement à l'exécution de son mandat, notamment la confirmation que la partie V de la LTC est un texte législatif sur les droits de la personne. Cela signifie que l'identification et l'élimination des obstacles abusifs pour les personnes ayant une déficience dans un contexte de transport doivent être effectuées d'une façon conforme à l'approche utilisée pour identifier et éliminer la discrimination en vertu des lois sur les droits de la personne. Plus particulièrement, la Cour suprême a précisé que lorsqu'un demandeur a établi dans sa demande l'existence d'un obstacle aux possibilités de déplacement d'une personne ayant une déficience dans le réseau de transport fédéral, il incombe alors au fournisseur de services de transport intimé de faire la preuve, selon la prépondérance des probabilités, que cet obstacle n'est pas abusif en démontrant que des mesures raisonnables d'accommodement ont été prises, c'est-à-dire dans la mesure où il n'en résulte pas une contrainte excessive.

Analyse et constatations

Démarche de l'Office pour conclure à l'existence d'une déficience

[8] Une demande aux termes de l'article 172 de la LTC doit être déposée par une personne ayant une déficience ou en son nom. Alors qu'il existe des cas où une déficience est évidente (p. ex. une personne qui se déplace en fauteuil roulant), il y en a d'autres où des éléments de preuve supplémentaires sont nécessaires pour établir à la fois la déficience et le besoin de mesures d'accommodement. Dans pareils cas, l'Office a recours à la Classification internationale du fonctionnement, du handicap et de la santé (CIF) de l'Organisation mondiale de la Santé, instrument mondialement reconnu de classification normalisée des handicaps.

[9] La CIF contient une classification complète des fonctions organiques et des structures anatomiques, et définit trois dimensions de déficience, à savoir l'invalidité, la limitation d'activité et la restriction de participation.

[10] Le processus d'évaluation de l'Office en ce qui a trait à ces dimensions de la déficience a été clairement établi dans plusieurs cas de l'Office, le plus récent étant la décision no 60-AT-A-2010.

[11] La distinction entre une limitation d'activité et une restriction de participation est importante. La limitation d'activité relevant d'une invalidité désigne la présentation de symptômes et les difficultés qui en résultent, quel que soit le contexte. Bien qu'une limitation d'activité puisse être de nature légère, comme il a été constaté dans des décisions antérieures, l'Office estime que, pour parvenir à une détermination aux termes de la partie V de la LTC, une limitation doit être suffisamment importante pour entraîner une difficulté inhérente à accomplir une tâche ou une action.

[12] La restriction de participation se manifeste dans le cadre de ce que la CIF appelle des « situations de vie réelles ». Dans le cas présent, cela désigne la corrélation entre la personne ayant une invalidité et le réseau de transport fédéral.

[13] L'existence d'une restriction de participation dans le cadre du réseau de transport fédéral dépend de l'existence d'une limitation d'activité et est attestée par l'incapacité d'une personne à avoir accès aux services accessibles aux autres personnes qui ne présentent pas cette limitation d'activité dans le réseau.

[14] Pour être considérée comme une personne ayant une déficience, il incombe à la demanderesse de démontrer qu'elle a une invalidité qui entraîne une limitation d'activité et qu'elle fait face à une restriction de participation dans le cadre du réseau de transport fédéral.

Le cas présent

Invalidité

[15] L'Office note que la catégorie des « réactions d'hypersensibilité », incluse dans les fonctions des systèmes hématologique et immunitaire de la CIF, englobe les « fonctions de la réaction de l'organisme après sensibilisation accrue à des substances étrangères comme dans les sensibilités à divers antigènes ». L'Office note aussi que cette catégorie inclut explicitement les allergies et, par conséquent, l'Office conclut qu'une allergie constitue une invalidité.

[16] Dre Sawchuck indique qu'elle est très allergique au parfum et que cette allergie aggrave son asthme. Une note de son médecin, Dr. Ayling, indique ce qui suit :

Je confirme qu'elle a d'importantes allergies aux poils des chats et des chiens ainsi qu'à plusieurs parfums. Une grave crise d'asthme est sa réaction lorsqu'elle est exposée à ces substances. Il est essentiel qu'elle ne soit pas exposée à ces allergènes précis lorsque cela est possible, surtout dans les espaces clos comme la cabine d'un aéronef. [traduction]

[17] Bien qu'Air Canada fait valoir que la lettre de Dr. Ayling est « plutôt laconique » et insuffisante pour constituer la preuve d'une invalidité, l'Office est d'avis que la note confirme que Dre Sawchuck est allergique au parfum.

[18] Compte tenu de la preuve déposée, l'Office accepte le fait que Dre Sawchuck est allergique au parfum. L'Office conclut donc que Dre Sawchuck a une invalidité.

Limitation d'activité

[19] Air Canada affirme que, même si la preuve était suffisante pour démontrer une invalidité, Dre Sawchuck ne s'est pas acquittée de son fardeau de la preuve de démontrer qu'elle a fait face à une limitation d'activité et à une restriction de participation. Le transporteur demande que la plainte de Dre Sawchuck, en ce qui a trait au parfum, soit rejetée.

[20] Comme il est indiqué plus haut, la limitation d'activité qui se rattache à une invalidité désigne la présentation de symptômes et les difficultés qui en résultent, quel que soit le contexte. L'Office est d'avis que, pourvu que la preuve démontre que la demanderesse manifeste une réaction allergique d'une ampleur suffisante pour créer une difficulté inhérente à accomplir une tâche ou une action, cela suffit pour établir l'existence d'une limitation d'activité.

[21] L'Office reconnaît que les personnes allergiques affichent une grande variété de symptômes dont la gravité et la durée peuvent considérablement varier en fonction de la nature de l'allergie, de la concentration et de la proximité des allergènes présents, et de la durée d'exposition de la personne aux allergènes.

[22] Dre Sawchuck explique qu'elle a eu de nombreuses réactions asthmatiques moins graves au parfum porté par l'équipage de bord et qu'elle a souvent eu besoin d'eau glacée parce qu'en raison du parfum, de son asthme et de la température élevée dans la cabine, elle a presque perdu connaissance. Dre Sawchuck affirme aussi que « Même si j'ai toujours avec moi du Ventolin et de l'épinéphrine, je ne voudrais pas faire face à ça (l'équipage non plus) à 10 000 pieds dans les airs. » [traduction]

[23] En réponse aux interrogatoires d'Air Canada pour obtenir des détails concernant les incidents précités, pour lesquels l'Office a demandé que Dre Sawchuck réponde au meilleur de sa capacité, cette dernière affirme qu'il est impossible de connaître les détails comme les numéros de vols et les sièges qui lui ont été assignés lors des vols qui ont eu lieu au cours des dernières années.

Vol Montréal-Vancouver

[24] Dre Sawchuck fait référence à des symptômes qu'elle a présentés sur un vol d'Air Canada entre Montréal (Québec) et Vancouver (Colombie-Britannique). Toutefois, ces symptômes étaient seulement liés à la température élevée dans la cabine de l'aéronef. Dre Sawchuck indique elle-même que l'équipage de bord ne portait pas de parfum. L'Office tiendra seulement compte des symptômes liés à son invalidité, c.-à-d. son allergie au parfum, afin de déterminer si elle a démontré qu'elle a fait face à une limitation d'activité associée à cette invalidité.

[25] Par conséquent, l'Office ne considère pas que ce mémoire de Dre Sawchuck soit pertinent au cas dont il est saisi et il n'en tiendra pas compte.

Vol vers l'Australie

[26] Dre Sawchuck a aussi fourni un exemple d'une réaction liée à son allergie au parfum qu'elle a eue lors d'un vol vers l'Australie. En réponse aux interrogatoires d'Air Canada, elle a précisé qu'il s'agissait d'un vol de Qantas Airways Limited (Qantas) et non pas d'Air Canada. Puisque Qantas n'est pas le nom de l'intimé indiqué dans la demande de Dre Sawchuck, il n'est pas nécessaire dans ce cas de traiter de la politique relative à la tenue vestimentaire de l'équipage de Qantas.

[27] De plus, même si la preuve fournie par Dre Sawchuck en ce qui a trait au vol de Qantas est représentative des symptômes qu'elle peut présenter lorsqu'elle est en présence d'un parfum, il y a des incohérences dans sa preuve (p. ex. dans sa demande, Dre Sawchuck fait référence à une agente de bord qui portait un parfum prononcé alors que dans sa réponse aux interrogatoires d'Air Canada, elle parle d'un agent de bord qui portait une lotion après-rasage très agressive) et Air Canada n'est pas en mesure de s'opposer à cette preuve, et ne devrait pas avoir à le faire, en ce qui concerne un vol exploité par un autre transporteur aérien.

[28] Par conséquent, comme cela était le cas pour le vol précédent mentionné par Dre Sawchuck, l'Office ne considère pas que ce mémoire de Dre Sawchuck soit pertinent au cas dont il est saisi et il n'en tiendra pas compte.

Vol Washington-Montréal

[29] Dre Sawchuck fournit des détails en ce qui a trait au vol AC7655 d'Air Canada (exploité par Jazz Air S.E.C., représentée par son commandité, Commandité Gestion Jazz Air inc.) entre Washington (district de Columbia) et Montréal, le 9 juin 2010. Dre Sawchuck fait valoir que l'odeur très prononcée du parfum porté par une agente de bord était envahissante chaque fois que l'agente passait près d'elle et était perceptible d'aussi loin que cinq rangées. Dre Sawchuck décrit qu'elle a présenté des symptômes, dont une irritation des yeux et de la gorge, des éternuements et une gêne respiratoire. E affirme que puisqu'elle occupait le siège côté hublot, il était difficile de bouger et elle ne pouvait aller nulle part puisque l'aéronef était petit et que le parfum était trop agressif. Elle ajoute qu'elle a ouvert les évents d'aération au maximum et a pris un antihistaminique. Dre Sawchuck explique que même si elle n'a pas demandé d'aide médicale, son compagnon de voyage est médecin et était au courant de sa réaction allergique.

[30] Air Canada fait observer que même si, dans sa demande initiale, Dre Sawchuck prétend avoir eu plusieurs réactions asthmatiques moins graves en raison du parfum porté par le personnel de bord, elle ne peut pas relier un incident « d'attaque asthmatique » à un vol précis d'Air Canada. Le transporteur souligne aussi que le seul incident avec Air Canada que Dre Sawchuck peut décrire et qui est prétendument lié au fait qu'une agente de bord portait un parfum concerne le vol AC7655, qu'elle a pris après le dépôt de sa demande. Air Canada ajoute que Dre Sawchuck n'a pas demandé d'aide médicale pendant ou après le vol AC7655, mais qu'elle a plutôt atténué les symptômes qu'elle a décrits, c.-à-d. une irritation des yeux et de la gorge, des éternuements et une gêne respiratoire, en ouvrant les évents d'aération au maximum et en prenant un antihistaminique.

[31] Air Canada fait valoir que cet incident a entraîné des réactions mineures du même genre que celles prétendues par la demanderesse de la décision no 370-AT-A-2009, dans laquelle l'Office a conclu que la preuve était « insuffisante pour affirmer que la réaction allergique de Mme Kerr aux fleurs est suffisamment importante pour entraîner une limitation d'activité dans le contexte de l'utilisation du réseau de transport fédéral ».

[32] Air Canada indique que même si elle a fourni à Dre Sawchuck une liste de plus de 40 vols qu'elle a pris avec Air Canada entre le 1er janvier 2008 et le 30 avril 2010, elle est incapable de fournir la preuve de ses allégations des nombreuses réactions au parfum porté par l'équipage. Le transporteur fait valoir que Dre Sawchuck ne s'est pas acquittée de son fardeau de la preuve de démontrer qu'elle a fait face à une limitation d'activité et à une restriction de participation. Air Canada affirme, par conséquent, que Dre Sawchuck n'est pas une personne ayant une déficience en raison de son allergie au parfum.

[33] Même si Dre Sawchuck a pris au moins 40 vols d'Air Canada depuis 2008, elle se souvient seulement d'un incident à bord d'un vol d'Air Canada où elle a eu une réaction allergique au parfum porté par une agente de bord. Dre Sawchuck décrit ses réactions au parfum sur des vols antérieurs en termes généraux seulement et elle n'a jamais eu besoin, ou ne se souvient pas avoir eu besoin, d'aide médicale à bord des vols. Par conséquent, l'Office conclut que Dre Sawchuck n'a pas fait face à une difficulté inhérente à accomplir une tâche ou une action suffisante pour démontrer une limitation d'activité.

[34] Par conséquent, l'Office conclut que Dre Sawchuck n'a pas suffisamment démontré l'existence d'une limitation d'activité en raison de son allergie au parfum.

[35] En l'espèce, comme l'Office a déterminé que Dre Sawchuck n'a pas fait face à une limitation d'activité en raison de sa réaction allergique au parfum, il n'est pas nécessaire que l'Office évalue la restriction de participation. Néanmoins, même si la preuve avait appuyé une constatation d'une réaction assez marquée au parfum pour constituer une limitation d'activité, pour les raisons énoncées ci-bas, l'Office est d'avis que Dre Sawchuck n'a pas démontré l'existence d'une restriction de participation en ce qui a trait à son allergie au parfum.

[36] Comme l'a souligné Air Canada, Dre Sawchuck a voyagé plus de 40 fois avec Air Canada depuis 2008, mais elle n'a eu qu'une réaction au parfum que portait une agente de bord à bord d'un vol d'Air Canada. En ce qui a trait aux interrogatoires d'Air Canada, l'Office accepte qu'il pourrait être difficile pour Dre Sawchuck de fournir certains des détails demandés par Air Canada (p. ex. les dates des vols ainsi que les numéros des vols et des sièges). Toutefois, l'omission de Dre Sawchuck de décrire les symptômes qu'elle a présentés (p. ex. le genre de symptômes, leur durée et ce qui a atténué la situation) après avoir été exposée au parfum porté par les agents de bord des vols d'Air Canada indique qu'elle n'a pas fait face à une restriction de participation.

[37] Air Canada souligne aussi que, lors de l'incident mettant en cause le vol d'Air Canada exploité par Jazz Air S.E.C., représentée par son commandité, Commandité Gestion Jazz Air inc., Dre Sawchuck a pu atténuer ses symptômes en ouvrant les évents d'aération et en prenant un antihistaminique, et qu'elle n'a pas demandé d'aide médicale pendant ou après le vol.

[38] Air Canada prétend que Dre Sawchuck n'a pas fourni suffisamment de preuves factuelles pour conclure qu'elle a fait face à une restriction de participation. Air Canada affirme qu'il incombe à la demanderesse de fournir la preuve factuelle qui, selon Air Canada, fait cruellement défaut dans le cas présent.

[39] L'Office note que Dre Sawchuck n'a jamais demandé d'aide, médicale ou autre, lors de ses réactions allergiques au parfum ou après celles-ci, n'a jamais fait de suivi de l'incident en remplissant un rapport auprès d'Air Canada et n'a jamais avisé Air Canada de son allergie au parfum avant un vol.

[40] L'Office conclut que ces actions et inactions ne sont pas compatibles avec l'affirmation de Dre Sawchuck que ses réactions au parfum entraînent une restriction de participation.

Conclusion

[41] L'Office conclut que Dre Sawchuck ne s'est pas acquittée de son fardeau de la preuve de démontrer, au sens de la partie V de la LTC, qu'elle est une personne ayant une déficience en raison de son allergie au parfum car elle n'a pas su démontrer qu'elle a fait face à une limitation d'activité. Par conséquent, l'Office rejette la demande.

Membres

  • John Scott
  • Raymon J. Kaduck
  • J. Mark MacKeigan

Membre(s)

Raymon J. Kaduck
Date de modification :