Décision n° 424-R-2012
PLAINTE déposée par Merg Kong en vertu de l’article 95.3 de la Loi sur les transports au Canada, L.C. (1996), ch. 10, modifiée.
Introduction
Plainte
[1] Le 21 février 2012, Merg Kong (plaignante) a déposé une plainte auprès de l’Office des transports du Canada (Office) concernant les activités ferroviaires qui se déroulent sur Viking Lane près de sa résidence, dans la ville de Toronto (Ontario). Cette plainte est déposée en vertu de l’article 95.3 de la Loi sur les transports au Canada (LTC) contre la Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique (CP) en raison du bruit et des vibrations causés par ses activités.
Question
[2] Lorsqu’elle mène ses activités ferroviaires, CP respecte-t-elle son obligation, en vertu de l’article 95.1 de la LTC, de limiter les vibrations et le bruit produits à un niveau raisonnable, compte tenu de ses obligations relatives au niveau de services, de ses besoins en matière d’exploitation et du lieu d’exploitation?
Contexte
[3] La plaignante vit au troisième étage d’un immeuble d’habitation en copropriété de 30 étages construit en 2009. Son logement situé au sud donne sur le chemin St. Alban (une artère à quatre voies), un terminal d’autobus de la Toronto Transit Commission (TTC), une station de métro de la TTC, une gare GO Transit et des voies ferrées de CP.
[4] Les voies ferrées de CP (subdivision Galt) sont situées à environ 100 mètres de l’immeuble d’habitation en copropriété et comptent à cet endroit deux lignes principales et un embranchement. On y retrouve également une traverse et deux aiguillages et cœurs de croisement situés à une distance d’environ 250 mètres. Ce couloir ferroviaire de CP existe depuis 1885.
[5] Les activités ferroviaires de CP dans ce secteur comprennent le passage de 14 à 16 trains de ligne principale tous les jours. Ces trains mesurent généralement entre 7 000 et 8 000 pieds, sont tractés par trois locomotives diesel et transportent en général des marchandises à une vitesse de 50 mi/h. CP utilise également deux locomotives locales quotidiennement qui partent de la gare de triage de Lambton de CP pour se rendre sur l’avenue Runnymede, à près de 700 mètres à l’est, pour desservir les clients de la région de Toronto. Tous les jours, soit du lundi au vendredi, il y a un autre train au départ et à destination du terminal intermodal Obico de CP, situé près de la rue Queen Nord, à près de 1 000 mètres de l’immeuble d’habitation en copropriété, assurant le transport de conteneurs entre Montréal (Québec) et Chicago, Illinois, États-Unis d’Amérique. CP partage sa voie principale avec GO Transit pour l’exploitation de ses trains de banlieue.
Question préliminaire
[6] CP demande que la plainte soit rejetée puisque la plaignante n’a pas fourni de preuves suffisantes à première vue pour prouver ses allégations. CP fait référence à la décision no 273‑R‑2012, dans laquelle l’Office a établi que le demandeur a le fardeau de prouver ses allégations pour parvenir à ses fins, et qu’il doit produire « une preuve suffisante pour que ses arguments soient convaincants […] ».
[7] CP allègue qu’un demandeur doit présenter des preuves suffisantes pour appuyer sa position en établissant les faits, et que le défendeur ne devrait pas avoir à deviner et à répondre sur cette base. En outre, CP estime que, dans le cas présent, la plaignante n’a pas fourni des preuves suffisantes et n’a révélé aucune cause d’action valable. Selon CP, c’est à elle que l’on a demandé d’estimer à quel moment et à quel endroit le bruit et les vibrations ont lieu, quelle(s) personne(s) ou quel(s) élément(s) pourrait/pourraient être en cause et quelles solutions, le cas échéant, pourraient être appropriées.
[8] La plaignante soutient que sa plainte ne devrait pas être rejetée étant donné qu’elle-même et ses voisins vivent réellement à proximité de lignes principales, qu’ils ont des problèmes liés au bruit et aux vibrations et que sa demande contient la plupart des preuves que CP allègue être insuffisantes, notamment les périodes, l’emplacement et ses discussions avec la municipalité.
Constatation de l’Office sur la question préliminaire
[9] La décision no 273-R-2012 porte sur une violation présumée concernant les droits interréseaux et sur le refus de CP d’obtenir des données provenant de CN. Dans cette décision, l’Office a indiqué ce qui suit :
Il faut d’emblée réitérer que le demandeur a le fardeau initial de présenter une preuve suffisante pour étayer sa plainte. Bien que les précédents indiquent que cette obligation n’est pas contraignante, un demandeur doit démontrer qu’il a, à première vue, une demande valable à faire valoir à l’encontre de la partie adverse. Dans Phipson on Evidence, 16e édition (Common Law Library London Sweet & Maxwell, 2005), les auteurs expliquent que [traduction] « l’on parle parfois, pour désigner le fardeau de présentation, de « l’obligation de convaincre le juge d’examiner la question » ou de « l’obligation de produire une preuve ». Ce fardeau oblige la partie à qui il incombe à produire une preuve suffisante pour que la question en litige soit soumise au juge des faits. »
[10] Le fardeau de la preuve incombe au plaignant qui doit présenter des preuves suffisantes pour justifier l’examen des questions. La jurisprudence établit que le seuil nécessaire pour le plaignant est assez bas et que les décideurs devraient se montrer prudents avant de rejeter une affaire au stade initial. Dans l’affaire Hunt c. Carey Canada, 1990 CanLII 90 (CSC), [1990] 2 R.C.S. 959 (Hunt), la Cour suprême du Canada indique clairement qu’une demande doit être interprétée de manière libérale de façon à pouvoir tenir compte des défauts attribuables à une rédaction qui laisse à désirer. Dans Hunt, la Cour suprême du Canada insiste sur le fait qu’un décideur ne devrait exercer son pouvoir discrétionnaire de rejeter une demande que lorsqu’il est évident et manifeste que, à la lumière des faits présentés dans la demande, celle-ci ne révèle aucune cause d’action valable.
[11] Il est bien établi en droit que lorsqu’on examine si une affaire révèle une cause d’action valable, il n’est pas pertinent de déterminer si un cas est mal fondé et a peu de chances de succès. Il est plutôt important de déterminer si les renseignements fournis soulèvent une question qui peut faire l’objet d’une décision. On considère que le critère est satisfait si la demande révèle que le demandeur a un droit légitime ou prévu par un texte législatif et que ce droit est touché. Lorsqu’elle a énoncé les motifs dans l’affaire Hunt, la juge Wilson a indiqué ce qui suit :
[…] dans l’hypothèse où les faits mentionnés dans la déclaration peuvent être prouvés, est-il « évident et manifeste » que la déclaration du demandeur ne révèle aucune cause d’action raisonnable? Comme en Angleterre, s’il y a une chance que le demandeur ait gain de cause, alors il ne devrait pas être « privé d’un jugement ». La longueur et la complexité des questions, la nouveauté de la cause d’action ou la possibilité que les défendeurs présentent une défense solide ne devraient pas empêcher le demandeur d’intenter son action.
[12] Dans la présente affaire, l’Office note que la plaignante déclare qu’elle est touchée et concernée par les actions de CP. La plaignante a rempli le formulaire de plainte relative au bruit et aux vibrations ferroviaires de l’Office et a répondu aux questions supplémentaires posées par le personnel de l’Office pour compléter sa demande. De plus, l’Office a déterminé que celle-ci a épuisé toutes les mesures de coopération, comme il est prévu dans les Lignes directrices sur la résolution des plaintes relatives au bruit et aux vibrations ferroviaires (Lignes directrices), une condition nécessaire pour que l’Office puisse enquêter sur une plainte.
[13] L’Office est d’avis que la plaignante a présenté une preuve suffisante à première vue étant donné qu’elle a étayé sa plainte et qu’elle a bel et bien présenté une affaire à laquelle se doit de répondre CP.
[14] La requête de CP est donc rejetée.
Positions des parties
Plaignante
[15] La plaignante affirme que les vibrations et le bruit causés par les activités ferroviaires de CP se produisent nuit et jour, mais qu’ils nuisent principalement à son sommeil et à celui des autres locataires de l’immeuble. Elle a fourni une liste des heures où elle est dérangée par le bruit ferroviaire. La plaignante soutient que le bruit est produit par le passage des trains et par le contact entre les rails et les roues, mais elle ajoute que les manœuvres, l’aiguillage des wagons et le sifflement des trains font également du bruit. Elle affirme ne pas savoir quels dommages a subis sa propriété en raison des vibrations. La plaignante ajoute que depuis qu’elle a acheté son logement, il y a eu un arrêt du bruit lors de la récente grève de CP et qu’il s’agit là de la seule différence du niveau de bruit produit par les activités ferroviaires de CP. Elle fait référence aux constatations de l’Organisation mondiale de la Santé sur les effets graves du bruit excessif pour la santé humaine.
[16] La plaignante souligne que la ligne de chemin de fer se trouve à environ 100 mètres de son immeuble. À cet égard, elle fait référence à la suggestion de l’Association des chemins de fer du Canada et de la Fédération canadienne des municipalités selon laquelle un corridor ferroviaire principal doit se trouver à une distance de 300 mètres de l’immeuble.
[17] La plaignante indique que la convention d’achat de la copropriété comportait une mention de mise en garde contre le bruit, mais qu’elle n’a pas réussi à obtenir de la documentation auprès du constructeur (Tridel) ou de la Ville de Toronto portant sur des études sur le bruit ou des engagements d’atténuation du bruit pouvant concerner l’immeuble d’habitation en copropriété.
[18] La plaignante demande que CP remplace les fenêtres des logements touchés étant donné qu’on l’a avisée que sa suggestion de ralentir les trains pourrait augmenter les niveaux de bruit et qu’un écran antibruit pouvait uniquement réduire le bruit sur une hauteur de trois étages.
CP
[19] CP affirme que ce corridor ferroviaire existe depuis 1885, et que les activités marchandises de CP et la fréquence des trains à cet emplacement n’ont pas changé depuis plus de 20 ans.
[20] CP soutient que les activités de la ligne principale à cet endroit sont tout à fait conformes aux normes prescrites par l’article 95.1 de la LTC.
[21] Selon CP, la voie ferrée est composée d’une combinaison de longs rails soudés de 115 lb et de 136 lb, sans joints boulonnés. Toute l’infrastructure de la voie ferrée est en bonne condition et est inspectée régulièrement. En outre, CP soutient que l’ensemble du matériel, y compris le matériel locomoteur et roulant, est exploité et entretenu conformément aux normes de l’industrie, ce qui assure, entre autres choses, un minimum de bruit de passage causé par l’énergie nécessaire au transport, le contact entre les roues et les rails et les chocs aux joints, aux aiguillages et aux branchements des rails.
[22] CP ajoute que la vitesse, la longueur, la force locomotrice et la taille de ses groupes de locomotives reflètent les activités normales de transport de marchandises d’une ligne principale, et que toutes les activités auxiliaires, comme la marche au ralenti, la mise en attente, le stationnement des trains, ainsi que les activités liées aux changements d’équipes, aux essais de charge et aux réparations des freins à air et des génératrices au diesel, ont lieu ailleurs qu’à cet endroit.
[23] CP soutient que cette plainte n’est pas en lien avec les vibrations et le bruit causés par le sifflement, ou par une manœuvre d’aiguillage ou de triage. CP prétend qu’elle ne procède à aucun attelage ou dételage de wagons, triage « à butte », ni à aucune autre manœuvre de triage à cet endroit, ou près de cet endroit. CP ajoute que les activités d’aiguillage menées à la gare de Lambton sont effectuées au moyen de groupes de locomotives réduits se déplaçant à très basse vitesse. En outre, CP n’est pas au courant de dommages dus aux vibrations causés à la plaignante.
[24] Étant donné que la résidence de la plaignante est située dans un milieu urbain très fréquenté, CP ne peut savoir si les problèmes de bruit et de vibrations sont attribuables à CP, ou s’ils proviennent des multiples sources de bruit près de cet endroit.
[25] Ces sources de bruit incluent les suivantes :
- Le chemin St. Alban – une artère à quatre voies située entre la copropriété de la plaignante et les lignes principales de CP;
- La station de métro Kipling de TTC – une station extérieure dotée d’un passage à niveau, en exploitation sept jours sur sept, située à 80 mètres de la copropriété;
- une station d’autobus – également située à la station de métro Kipling de TTC, desservie de 4 h 30 à 1 h 50 quotidiennement;
- un aéroport – situé à environ 4 miles de la copropriété;
- une gare de GO Transit – située à l’extrémité de la station Kipling de TTC – qui fournit des services ferroviaires voyageurs sur les lignes principales de CP entre Milton et le centre-ville de Toronto toutes les deux à trois minutes durant les heures de pointe et toutes les quatre à cinq minutes durant les périodes moins achalandées;
- une aire de stationnement public extérieure située à 200 mètres de la copropriété;
- le pont de l’avenue Kipling – une route publique principale qui enjambe les lignes principales de CP ainsi que la ligne de métro, situé à 110 mètres de la copropriété.
Analyse et constatations
[26] La première étape de l’analyse des plaintes concernant le bruit et les vibrations consiste à établir l’existence du bruit ou des vibrations et à déterminer s’ils constituent une perturbation importante au confort ou aux commodités ordinaires de l’existence, selon des normes qui s’appliquent à une personne moyenne.
[27] Pour être en mesure de déterminer l’existence de bruit ou de vibrations qui pourraient constituer une perturbation importante pour les plaignants, l’Office tiendra compte des éléments énoncés ci-dessous. Ces éléments sont soulignés dans les Lignes directrices de l’Office et dans la décision no 35‑R‑2012.
[28] Ces éléments comprennent ce qui suit :
- les caractéristiques et l’importance du bruit ou des vibrations (comme le niveau et les types de bruit [ponctuel ou continu], l’heure, la durée et la fréquence);
- les mesures ou études pertinentes sur le bruit et les vibrations effectuées dans le lieu touché;
- la présence de bruits environnants autres que ceux émanant de l’exploitation ferroviaire, tels que le bruit d’une autoroute;
- les répercussions, sur les personnes touchées, des perturbations causées par le bruit ou les vibrations;
- les normes pertinentes pour évaluer l’importance des effets du niveau de bruit et de vibrations.
[29] Si l’Office conclut que le bruit et les vibrations n’entraînent pas une perturbation importante, il n’y a pas lieu de poursuivre l’analyse.
[30] Cependant, si l’Office conclut que le bruit et les vibrations entraînent une perturbation importante, il passe à l’étape suivante de l’analyse, qui consiste à soupeser les différents facteurs liés au bruit et aux vibrations en fonction des critères énoncés dans l’article 95.1 de la LTC pour déterminer si le bruit et les vibrations sont raisonnables.
Perturbation importante
Manœuvres d’aiguillage ou de triage des wagons
[31] La plaignante allègue que les manœuvres d’aiguillage et de triage des wagons contribuent aux problèmes de bruit et de vibrations. D’autre part, CP prétend qu’elle ne procède à aucun attelage de wagons ou de triage « à butte », ni à aucune autre manœuvre de triage à cet endroit, ou près de cet endroit.
[32] CP précise que les manœuvres d’aiguillage ont lieu à la gare de Lambton, à environ 700 mètres de la copropriété, au moyen de groupes de locomotives réduits se déplaçant à basse vitesse.
[33] L’Office conclut que les niveaux de bruit causés par ces manœuvres d’aiguillage à cette distance sont probablement peu importants et ne risquent pas de causer des perturbations du sommeil, plus particulièrement lorsqu’on compare ce bruit à celui qui est causé par les activités menées sur les lignes principales des environs. Étant donné que l’Office conclut que les manœuvres d’aiguillage et de triage ne constituent pas une perturbation importante, il n’y a pas lieu de poursuivre l’analyse de cet élément.
Sifflement
[34] Bien que la plaignante prétende que le sifflement représente également une source de bruit, elle ne fournit aucune information pour soutenir cette affirmation. CP soutient que le sifflement ne représente pas une source de bruit.
[35] Les sifflets des trains sont utilisés pour des raisons de sécurité, soit pour avertir les gens du passage d’un train, ce qui constitue une exigence prévue par le Règlement d’exploitation ferroviaire du Canada, TC O-0-93 administré par Transports Canada. L’Office peut tenir compte de ce type de plaintes lorsque, par exemple, on juge que les sifflements sont excessifs ou abusifs et ne sont pas émis à des fins de sécurité. Cependant, la plaignante n’a pas déposé suffisamment de preuves, dans le cas présent, pour que l’Office conclue que les sifflements émis par les trains de CP causent des perturbations importantes. Par conséquent, il n’y a pas lieu de poursuivre l’analyse.
Bruit causé par le passage des trains et le contact entre les roues et les rails lors du passage des trains
[36] La plaignante a indiqué dans sa plainte que le problème principal était le bruit et les vibrations causés par le passage des trains et le contact entre les roues et les rails. Le bruit produit par le contact entre les roues et les rails lors du passage des trains est un élément du bruit causé par le passage des trains.
[37] La plaignante a fourni certaines données sur les heures auxquelles elle entend du bruit et sur l’incidence que celui-ci exerce sur son sommeil. CP ne conteste pas l’existence de bruit à cet endroit. Une observation faite par la plaignante, soit que les niveaux de bruit ont chuté durant la récente grève entreprise chez CP qui, selon cette dernière, a eu lieu entre le 23 mai et le 1er juin 2012, est également venue confirmer la présence de bruit ferroviaire.
[38] En ce qui a trait à l’atténuation du bruit, aucune des parties n’a obtenu de l’information ou des preuves concernant la prise de mesures d’atténuation durant la construction de l’immeuble d’habitation en copropriété. En outre, les deux parties s’entendent pour dire qu’aucune mesure d’atténuation physique, comme la construction de bermes ou de barrières acoustiques entre l’immeuble d’habitation en copropriété et les lignes de chemin de fer, n’a été prise.
[39] La proximité des lignes de chemin de fer constitue un autre facteur qui exerce une incidence sur les niveaux de bruit et, dans le cas présent, la résidence de la plaignante est située à environ 100 mètres des lignes principales de CP.
[40] Bien que CP affirme que de 14 à 16 trains de ligne principale traversent cette zone chaque jour, les actes de procédure ne renferment aucune information permettant d’établir quel pourcentage des déplacements de ces trains a lieu durant la nuit. Cependant, la plaignante soutient (et CP le reconnaît) que les activités ferroviaires ont lieu 24 heures par jour, 7 jours par semaine. Puisque les préoccupations de la plaignante sont en lien avec les interruptions de sommeil, on peut déduire que les problèmes de bruit auxquels elle est confrontée se rapportent aux heures de la nuit.
[41] Le bruit associé au passage des trains est beaucoup plus perceptible durant la nuit, lorsque les niveaux de bruit de fond sont généralement réduits, plus particulièrement dans les zones urbaines très fréquentées. Par conséquent, l’Office est d’avis que les activités liées au passage des trains de CP constituent la cause la plus probable des perturbations liées au bruit vécues par la plaignante durant la nuit.
[42] L’Office estime que le bruit est généralement moins acceptable la nuit que durant la période du jour et a reconnu, en tant que principe, que le bruit émis durant la nuit peut nuire davantage que celui émis durant le jour. Cette conclusion est conforme aux décisions nos 220-R-2012 et 35‑R‑2012.
[43] Compte tenu de l’incidence du bruit sur la plaignante, de la proximité de la copropriété aux lignes de chemin de fer, du manque de mesures d’atténuation du bruit et des heures auxquelles le bruit est entendu, l’Office estime que les preuves fournies sont suffisantes pour soutenir la constatation que le bruit causé par le passage des trains entraîne des perturbations importantes chez la plaignante.
[44] En outre, cette constatation est conforme aux résultats que l’on pourrait obtenir en appliquant la Méthodologie de mesure et de présentation d’un rapport sur le bruit ferroviaire (Méthodologie). Cette méthodologie a été élaborée par l’Office en consultation avec les principaux intervenants de l’industrie, y compris des représentants de CP, afin d’orienter les compagnies de chemin de fer, les citoyens et les municipalités dans la détermination des niveaux de bruit aux fins des instances de l’Office. La Méthodologie est accessible au public sur le site Web de l’Office à http://www.otc-cta.gc.ca/fra/mesure_bruit_ferroviaire. La méthode A de la Méthodologie établit les principes de base devant être utilisés pour effectuer un calcul rapide et facile afin d’établir des estimations sur les incidences possibles du bruit.
[45] En utilisant le tableau présenté à l’annexe A de la Méthodologie pour un seul passage de train qui circule généralement à une vitesse de 50 mi/h (80 km/h), a trois locomotives diesel et mesure environ 8 000 pieds, on estime que le niveau de bruit durant la nuit, à une distance de 30 mètres des récepteurs, est de 62 dBA. En supposant qu’il passe environ 0,8 train par heure, en considérant que le bruit diminue sur une distance de 30 à 100 mètres et en estimant, à l’aide de la procédure présentée dans la Méthodologie, la perte de transmission du bruit de l’extérieur à l’intérieur lorsque les fenêtres sont fermées, le niveau de bruit estimé excéderait le seuil de perturbation du sommeil établi par l’Organisation mondiale de la Santé.
[46] Comme il est indiqué dans la Méthodologie, les niveaux de bruit estimés ne comprennent aucun facteur correctif particulier pour tenir compte des effets de basse fréquence possibles ou de la résonnance du bâtiment qui peuvent causer une plus grande perturbation. Les facteurs correctifs pour les caractéristiques du son, s’il y a lieu et selon les indications contenues dans la Méthodologie, peuvent s’ajouter au niveau de bruit total pour représenter une plus grande perturbation causée par un son unique.
Caractère raisonnable
[47] Ayant déterminé que le bruit causé par le passage des trains sur les lignes de CP est suffisant pour causer une perturbation importante, l’Office doit déterminer si ce bruit est raisonnable.
[48] L’article 95.1 de la LTC oblige les compagnies de chemin de fer à limiter le bruit produit à un niveau raisonnable, compte tenu de leurs obligations en matière de niveau de services (comme il est indiqué dans les articles 113 et 114 de la LTC), de leurs besoins en matière d’exploitation et du lieu d’exploitation.
[49] Les Lignes directrices indiquent : « Le caractère raisonnable d’un élément doit être déterminé de façon ponctuelle, afin de déterminer ce qui est juste et convenable dans un cas particulier. Ce qui est raisonnable dans certaines circonstances peut ne pas l’être dans d’autres. Le défi réside dans l’atteinte d’un équilibre entre les préoccupations des collectivités et le besoin d’une compagnie de chemin de fer de maintenir une exploitation ferroviaire efficiente et économiquement viable. De manière générale, cet équilibre est inhérent à l’exigence réglementaire de limiter le bruit ou les vibrations produites à un niveau raisonnable. »
[50] En raison de leur nature, les activités ferroviaires génèrent du bruit, et les compagnies de chemin de fer doivent exploiter leurs activités jour et nuit. L’Office convient que cette ligne principale fait partie intégrante des activités ferroviaires de CP étant donné qu’elle assure un haut volume de circulation interurbaine et locale de marchandises et elle sert également aux activités des trains de banlieue de GO Transit. De plus, l’Office reconnaît que les activités de ligne principale se déroulent à cet endroit depuis plus de 100 ans et que les caractéristiques des activités et la fréquence des passages ont très peu changé au cours des 20 dernières années.
[51] D’autre part, la construction de l’immeuble d’habitation en copropriété où demeure la plaignante s’est terminée en 2009, et la plaignante y vit depuis deux ans et demi. Le secteur où se trouve la copropriété est relativement densément peuplé et entouré d’artères achalandées et de lignes de chemin de fer. En plus de la circulation automobile, les métros de la TTC, les autobus et les trains de GO Transit sont tous exploités dans le secteur et contribuent également aux niveaux de bruit.
[52] L’Office doit prendre en considération le fait que les lignes de chemin de fer se trouvaient à cet endroit avant la construction de la copropriété et que le bruit et les vibrations causés par le passage des trains existaient avant la construction de la copropriété et l’achat des logements. De plus, l’Office doit prendre en considération le fait que les activités de CP n’ont pas changé depuis que la plaignante a fait l’acquisition de son logement en copropriété.
[53] L’Office note que la plaignante fait référence à une suggestion de l’Association des chemins de fer du Canada et de la Fédération canadienne des municipalités selon laquelle un corridor ferroviaire principal doit se trouver à une distance de 300 mètres de l’immeuble. Selon les Lignes directrices et meilleures pratiques réimprimées en août 2007 (Lignes directrices et meilleures pratiques), la zone d’influence sonore minimale à prendre en considération dans les études sur les niveaux de bruit pour les corridors ferroviaires en ligne principale est de 300 mètres. Les projets d’ensemble résidentiel à l’intérieur de ces zones d’influence devraient comporter des études du bruit et des vibrations pour évaluer la convenance de l’usage proposé et recommander des exigences en matière d’atténuation. Les Lignes directrices et meilleures pratiques ont été élaborées pour fournir des lignes directrices, des politiques et des règlements portant sur le développement d’un modèle, ainsi que des pratiques exemplaires de gestion pour les projets de nouvelles constructions. Dans le cas présent, bien que la copropriété ait été construite à 100 mètres des lignes principales, aucune preuve ne démontre que des mesures d’atténuation pour ce secteur ont été envisagées ou incorporées lors de la construction de la copropriété.
[54] L’Office est d’accord avec la plaignante que les niveaux de bruit générés peuvent entraîner des perturbations importantes durant la nuit. Cependant, l’Office, évaluant la question du bruit dans le contexte de l’article 95.1 de la LTC, estime que, dans le cas présent, ce point doit être concédé à CP, en raison de ses obligations en matière de niveau de services et de ses besoins en matière d’exploitation. En outre, l’Office conclut que, dans le cas présent, on doit accorder une valeur importante au fait que les activités sur les lignes principales étaient effectuées à cet endroit avant que la copropriété soit construite, que les vibrations et le bruit causés par les activités liées au passage des trains sur les lignes de chemin de fer existaient avant que la copropriété soit construite et que les caractéristiques et fréquences des activités ont peu changé au cours des 20 dernières années.
[55] En tenant compte de l’ensemble des facteurs énoncés ci-dessus, l’Office conclut que la plaignante n’a pas réussi à démontrer que CP ne respecte pas son obligation en vertu de l’article 95.1 de la LTC.
Conclusion
[56] Puisque l’Office conclut que la plaignante n’a pas réussi à démontrer que CP n’a pas respecté son obligation en vertu de l’article 95.1 de la LTC de limiter les vibrations et le bruit produits à un niveau raisonnable en ce qui a trait aux activités ferroviaires de CP près de la copropriété de la plaignante, laquelle est située au 25, Viking Lane, à Toronto, la plainte est rejetée.
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