Décision n° 435-AT-A-2002

le 5 août 2002

le 5 août 2002

DEMANDE présentée par Michael Sinnott en vertu du paragraphe 172(1) de la Loi sur les transports au Canada, L.C. (1996), ch. 10, relativement au fait qu'Air Transat n'ait pas fourni de dispositif de levage à son arrivée à l'aéroport de Gander à Terre-Neuve, le 30 octobre 2000.

Référence no U3570/00-76


DEMANDE

Le 20 novembre 2000, Michael Sinnott a déposé auprès de l'Office des transports du Canada (ci-après l'Office) la demande énoncée dans l'intitulé.

Le 8 décembre 2000, Air Transat A.T. Inc. exerçant son activité sous le nom d'Air Transat (ci-après Air Transat) a déposé sa réponse à la demande, y compris une copie d'un message standard écrit renfermant la liste des noms des passagers qui ont besoin d'assistance. Le 3 janvier 2001, M. Sinnott a avisé verbalement le personnel de l'Office qu'il n'avait aucun autre commentaire à formuler. Le personnel de l'Office a communiqué ce fait aux deux parties par lettre le 12 janvier 2001. Le 8 juillet 2002, en réponse à une demande de renseignements additionnels, Air Transat a soumis les renseignements demandés. Le 17 juillet 2002, on a remis une copie des renseignements supplémentaires à M. Sinnott.

Aux termes du paragraphe 29(1) de la Loi sur les transports au Canada (ci-après la LTC), l'Office est tenu de rendre sa décision au plus tard 120 jours après la date de réception de la demande, sauf s'il y a accord entre les parties pour une prolongation du délai. Dans le cas présent, les parties ont convenu de prolonger le délai pour une période indéterminée.

QUESTION

L'Office doit déterminer si le fait qu'Air Transat n'ait pas fourni de dispositif de levage pour aider M. Sinnott à descendre de l'aéronef à l'aéroport de Gander a constitué un obstacle abusif à ses possibilités de déplacement et, le cas échéant, les mesures correctives qui s'imposent.

FAITS

M. Sinnott, qui a une paralysie du côté gauche, a demandé un dispositif de levage pour monter et descendre de l'aéronef. Il a voyagé à bord d'Air Transat de Gander à destination de Toronto le 25 septembre 2000, la date prévue de retour étant le 30 octobre 2000.

Lorsqu'il a quitté Gander le 25 septembre 2000, M. Sinnott a reçu, à sa demande, de l'assistance à l'embarquement par le personnel d'Air Transat, qui a utilisé un dispositif de levage pour l'aider à monter à bord de l'aéronef. Pour le voyage de retour de Toronto à Gander le 30 octobre 2000, le dispositif de levage n'était pas disponible et M. Sinnott a dû descendre l'escalier de l'aéronef.

POSITIONS DES PARTIES

M. Sinnott soutient que sa femme s'est enquise auprès du personnel d'Air Transat à l'aéroport de Toronto quant à la disponibilité du dispositif de levage à son arrivée à Gander. Le personnel du transporteur l'a informée que ce besoin d'assistance était inscrit à l'ordinateur. Même si on a informé la femme de M. Sinnott à l'aéroport de Toronto que le dispositif serait disponible à l'arrivée de son mari à Gander, il n'en a toutefois pas été ainsi. À son arrivée à l'aéroport de Gander, on a indiqué à M. Sinnott qu'il devait descendre de l'aéronef en utilisant l'escalier. M. Sinnott précise qu'il s'agissait d'une journée pluvieuse et que l'escalier était glissant.

M. Sinnott affirme qu'il voyagera à nouveau en partance de Gander et espère que cette situation ne se reproduira pas. Il ne croit pas avoir été bien traité.

Air Transat explique qu'en raison de l'absence de passerelles d'embarquement à l'aéroport de Gander, des escaliers mobiles d'aéronef sont utilisés pour l'embarquement et le débarquement. Le transporteur ajoute que son personnel de cabine ou les préposés au service à la clientèle affectés au sol fournissent de l'assistance aux personnes ayant une déficience physique pour monter ou descendre les escaliers. Un autre moyen de fournir de l'assistance à l'embarquement et au débarquement demeure l'utilisation d'un dispositif de levage qui, selon Air Transat, est habituellement disponible.

Air Transat déclare qu'une demande a effectivement été faite par son personnel à Toronto afin de fournir une aide spéciale à M. Sinnott à son arrivée à destination. Un message standard écrit à cet égard a été transmis à son personnel à l'aéroport de Gander. Air Transat a déposé une copie du message qui contient une liste des noms des passagers qui ont besoin d'aide, dont celui de M. Sinnott suivi du code WCHR. Air Transat souligne toutefois que, dans le cas de M. Sinnott, il ne s'agissait pas du bon code.

Le code WCHR renvoie à un passager ambulatoire ayant besoin d'assistance en fauteuil roulant pour se rendre de l'aérogare principale à la porte d'embarquement et inversement. Air Transat indique que le code approprié dans le cas de M. Sinnott aurait été WCHC, qui renvoie à une personne non ambulatoire qui, en plus de recevoir l'assistance nécessaire à un passager auquel s'applique le code WCHR, nécessite également de l'assistance à l'embarquement et au débarquement.

À cause de cette erreur, Air Transat fait valoir que son personnel à Gander n'était pas au courant qu'un dispositif de levage serait nécessaire à l'arrivée de M. Sinnott. Dans des commentaires supplémentaires qu'Air Transat a fournis en réponse à une demande du personnel, elle indique qu'il n'y a qu'un dispositif de levage à l'aéroport de Gander et qu'un avis doit être donné afin d'assurer la disponibilité de l'appareil à l'arrivée ou au départ de l'aéronef. Le transporteur fait remarquer que, même si un avis de 72 heures est idéal, un avis minimum de 6 heures est tout de même requis afin d'assurer la disponibilité de l'appareil. Air Transat soutient que même si le dispositif de levage n'était pas disponible et que M. Sinnott a dû descendre l'escalier de l'aéronef, celui-ci a été aidé par l'équipage du transporteur au sol.

Air Transat dit regretter cet incident qui, à son avis, a été la conséquence directe d'une erreur dans le codage utilisé dans le message d'assistance spéciale. Air Transat déclare qu'il s'agit d'un incident isolé qui n'est pas représentatif d'un problème systémique ou de négligence grave.

ANALYSE ET CONSTATATIONS

Pour en arriver à ses constatations, l'Office a tenu compte de tous les éléments de preuve soumis par les parties au cours des plaidoiries.

La demande doit être présentée par une personne ayant une déficience ou en son nom. M. Sinnott a une paralysie du côté gauche. Il est donc une personne ayant une déficience aux fins de l'application des dispositions d'accessibilité de la LTC.

Pour déterminer s'il existe un obstacle abusif aux possibilités de déplacement des personnes ayant une déficience au sens du paragraphe 172(1) de la LTC, l'Office doit d'abord déterminer si les possibilités de déplacement de la personne qui présente la demande ont été restreintes ou limitées par un obstacle. Le cas échéant, l'Office doit alors décider si l'obstacle était abusif. Pour répondre à ces questions, l'Office doit tenir compte des circonstances de l'affaire dont il est saisi.

Les possibilités de déplacement ont-elles été restreintes ou limitées par un obstacle ?

L'expression « obstacle » n'est pas définie dans la LTC, ce qui donne à penser que le Parlement ne voulait pas limiter la compétence de l'Office compte tenu de son mandat d'éliminer les obstacles abusifs dans le réseau de transport de compétence fédérale. De plus, le terme « obstacle » a un sens large et s'entend habituellement d'une chose qui entrave le progrès ou la réalisation.

Pour déterminer si une situation constitue ou non un « obstacle » aux possibilités de déplacement d'une personne ayant une déficience dans un cas donné, l'Office se penche sur les déplacements de cette personne qui sont relatés dans la demande. Dans le passé, l'Office a conclu qu'il y avait eu des obstacles dans plusieurs circonstances différentes. Par exemple, dans certains cas des personnes n'ont pas pu voyager, d'autres ont été blessées durant leurs déplacements (notamment quand l'absence d'installations convenables durant le déplacement affecte la condition physique du passager) et d'autres encore ont été privées de leurs aides à la mobilité endommagées pendant le transport. De plus, l'Office a identifié des obstacles dans les cas où des personnes ont finalement été en mesure de voyager, mais les circonstances découlant de l'expérience ont été telles qu'elles ont miné leur sentiment de confiance, de dignité, de sécurité, situation qui pourrait décourager ces personnes de voyager à l'avenir.

L'obstacle était-il abusif ?

À l'instar du terme « obstacle », l'expression « abusif » n'est pas définie dans la LTC, ce qui permet à l'Office d'exercer sa discrétion pour éliminer les obstacles abusifs dans le réseau de transport de compétence fédérale. Le mot « abusif » a également un sens large et signifie habituellement que quelque chose dépasse ou viole les convenances ou le bon usage (excessif, immodéré, exagéré). Comme une chose peut être jugée exagérée ou excessive dans un cas et non dans un autre, l'Office doit tenir compte du contexte de l'allégation d'obstacle abusif. Dans cette approche contextuelle, l'Office doit trouver un juste équilibre entre le droit des passagers ayant une déficience d'utiliser le réseau de transport de compétence fédérale sans rencontrer d'obstacles abusifs, et les considérations et responsabilités commerciales et opérationnelles des transporteurs. Cette interprétation est conforme à la politique nationale des transports établie à l'article 5 de la LTC et plus précisément au sous-alinéa 5g)(ii) de la LTC qui précise, entre autres, que les modalités en vertu desquelles les transporteurs ou modes de transport exercent leurs activités ne constituent pas, dans la mesure du possible, un obstacle abusif aux possibilités de déplacement des personnes ayant une déficience.

L'industrie des transports élabore ses services pour répondre aux besoins des utilisateurs. Les dispositions d'accessibilité de la LTC exigent quant à elles que les fournisseurs de services de transport du réseau de transport de compétence fédérale adaptent leurs services dans la mesure du possible aux besoins des personnes ayant une déficience. Certains empêchements doivent toutefois être pris en considération, par exemple les mesures de sécurité que les transporteurs doivent adopter et appliquer, les horaires qu'ils doivent s'efforcer de respecter pour des raisons commerciales, la configuration du matériel et les incidences d'ordre économique qu'aura l'instauration d'un service sur les transporteurs aériens. Ces empêchements peuvent avoir une incidence sur les personnes ayant une déficience. Ainsi, ces personnes ne pourront pas nécessairement embarquer dans l'aéronef avec leur propre fauteuil roulant, elles peuvent devoir arriver à l'aérogare plus tôt aux fins de l'embarquement et elles peuvent devoir attendre plus longtemps pour obtenir de l'assistance au débarquement que les personnes n'ayant pas de déficience. Il est impossible d'établir une liste exhaustive des obstacles qu'un passager ayant une déficience peut rencontrer et des empêchements que les fournisseurs de services de transport connaissent dans leurs efforts pour répondre aux besoins des personnes ayant une déficience. Il faut en arriver à un équilibre entre les responsabilités des fournisseurs de services de transport et le droit des personnes ayant une déficience à voyager sans rencontrer d'obstacle, et c'est dans cette recherche d'équilibre que l'Office applique le concept d'obstacle abusif.

Le cas présent

D'après son dossier, M. Sinnott est une personne à mobilité réduite puisqu'il est paralysé du côté gauche. Au moment du départ de Toronto le 30 octobre 2000, la femme de M. Sinnott a demandé qu'on fournisse un dispositif de levage à son mari en vue de l'aider à descendre de l'aéronef à Gander, ce qui lui a été confirmé. Toutefois, à l'arrivée, on a demandé à M. Sinnott de descendre l'escalier de l'aéronef qui était très glissant en raison de la pluie.

Compte tenu de ce qui précède, l'Office conclut que le fait qu'Air Transat n'ait pas fourni à M. Sinnott le dispositif de levage nécessaire afin de débarquer de l'aéronef lui a causé un problème et a constitué un obstacle à ses possibilités de déplacement.

Malgré le fait que le transporteur a été informé de ce besoin d'assistance, le dispositif de levage n'était pas à la disposition de M. Sinnott, comme il l'avait demandé. L'Office note qu'Air Transat a reconnu qu'une demande d'assistance a été faite par M. Sinnott avant son départ de Toronto, mais que le code entré sur la liste d'information des passagers était incorrect puisqu'il indiquait WCHR, ce qui renvoie à un passager ambulatoire qui exige de l'assistance pour se déplacer de l'aérogare principale à la porte d'embarquement, et inversement, au lieu du code WCHC qui renvoie à un passager non ambulatoire qui, en plus de l'assistance précitée, nécessite également de l'assistance à l'embarquement et au débarquement.

L'Office est préoccupé par des situations comme celle-ci où les procédures mises en place par les transporteurs afin de s'assurer qu'ils répondent aux besoins des personnes ayant une déficience (comme la liste d'information des passagers) ne sont pas appliquées comme il se doit. Ces procédures, si elles sont appliquées comme il se doit, permettent aux passagers ayant une déficience comme M. Sinnott d'obtenir un niveau d'assistance qui leur permet d'effectuer un voyage exempt de tout obstacle. Dans ce cas, si le code approprié avait été entré dans la liste d'information des passagers, M. Sinnott n'aurait pas eu à descendre un escalier glissant lorsque l'aéronef est arrivé à Gander.

En conséquence, l'Office conclut qu'Air Transat a manqué à son engagement de fournir un dispositif de levage à M. Sinnott à son arrivée à Gander et que la situation en découlant a constitué un obstacle abusif à ses possibilités de déplacement.

CONCLUSION

L'Office conclut qu'Air Transat a manqué à son engagement de fournir un dispositif de levage à M. Sinnott pour l'aider à descendre de l'aéronef à l'aéroport de Gander et que cela a constitué un obstacle abusif à ses possibilités de déplacement.

Compte tenu de ce qui précède, l'Office ordonne, par la présente, à Air Transat de prendre les mesures suivantes dans les trente (30) jours suivant la date de la présente décision :

Publier un bulletin d'information à l'intention de ses employés à l'aéroport de Toronto, soulignant l'incident et l'importance d'inscrire les codes de service appropriés pour les personnes ayant une déficience. Le bulletin doit également comprendre la liste de ces codes et leurs définitions afin de servir de rappel au personnel d'Air Transat à Toronto. Enfin, une copie de ce bulletin doit être déposée auprès de l'Office.

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