Décision n° 449-AT-W-2005

le 12 juillet 2005

Suivi - décision no 207-AT-W-2006

le 12 juillet 2005

DEMANDE présentée par Elliott Richman en vertu du paragraphe 172(1) de la Loi sur les transports au Canada, L.C. (1996), ch. 10, concernant l'impossibilité d'accéder par ATS (appareil de télécommunication pour personnes sourdes ou malentendantes) au système de réservation canadien de Scotia Prince Cruises Ltd. (anciennement Prince of Fundy Cruises Limited).

Référence no U3570/00-1


DEMANDE

[1] Le 4 janvier 2000, Elliott Richman a déposé auprès de l'Office des transports du Canada (ci-après l'Office) la demande énoncée dans l'intitulé.

[2] Le 25 janvier 2000, Scotia Prince Cruises Ltd. (ci-après Scotia Prince) a déposé sa réponse à la demande. Le 27 janvier 2000, M. Richman a déposé sa réplique à la réponse de Scotia Prince.

CONTEXTE

[3] Conformément au paragraphe 172(1) de la Loi sur les transports au Canada (ci-après la LTC), l'Office peut, sur demande, enquêter sur toute question pour déterminer s'il existe un obstacle abusif aux possibilités de déplacement des personnes ayant une déficience. La décision de l'Office repose sur le bien-fondé de chaque cas dont il est saisi.

[4] À la suite d'un examen préliminaire de la présente demande, l'Office a déterminé que toute décision sur l'affaire visée par celle-ci pourrait avoir d'importantes répercussions pour les exploitants de traversiers étrangers qui assurent des services dans le réseau de transport canadien. L'Office a donc conclu, à la même époque, qu'avant de déterminer s'il y avait obstacle abusif aux possibilités de déplacement des personnes ayant une déficience relativement cette affaire, il se devait de considérer, dans l'ensemble, la conjoncture dans laquelle évoluent les exploitants de traversiers étrangers, y compris les répercussions de toute décision de l'Office sur ces derniers. Pour ce faire, l'Office a jugé nécessaire de mener des consultations auprès des transporteurs étrangers qui exploitent des services à destination ou en provenance du Canada afin de recueillir suffisamment de renseignements pour déterminer ce qui constitue pour les personnes ayant une déficience auditive un niveau de service approprié en matière de communication. C'est pourquoi l'Office, le 9 mars 2000, a suspendu la procédure relative à cette instance.

[5] Le 3 juin 2004, l'Office a publié un code de pratiques en matière de communication intitulé L'Élimination des entraves à la communication avec les voyageurs ayant une déficience (ci-après le code de pratiques). Ce code de pratiques se fonde sur les conclusions de vastes consultations qui ont porté sur les entraves à la communication auxquelles font face les voyageurs ayant une déficience; on y a notamment traité des systèmes de télécommunication qu'utilisent les fournisseurs de services de transport pour les réservations et les renseignements afférents. Au stade de l'élaboration du code de pratiques, l'Office a aussi tenu compte des commentaires des transporteurs étrangers qui avaient été consultés au moment où les actes de procédures relatifs à la présente demande, et d'autres, ont été suspendus. Bien que les dispositions du code de pratiques en matière de communication ne s'appliquent pas expressément aux transporteurs étrangers, elles reflètent les points de vue de l'Office quant à l'importance des ATS pour les personnes ayant une déficience sur le plan de l'accessibilité des services de transport et se fondent sur le principe voulant qu'on accorde aux personnes ayant une déficience un accès égal à tous les services de transport, y compris aux services à destination ou en provenance du Canada.

QUESTION

[6] L'Office doit déterminer si l'impossibilité d'accéder par ATS au système de réservation canadien de Scotia Prince a constitué pour M. Richman un obstacle abusif et, le cas échéant, quelles mesures correctives devraient être prises.

FAITS

[7] M. Richman est une personne sourde. Il utilise un ATS pour communiquer par téléphone. En consultant une carte de la Nouvelle-Écosse publiée par le gouvernement provincial, M. Richman a noté que celle-ci comportait une annonce faisant la promotion des services de Scotia Prince. Cette annonce fournissait un numéro de téléphone pour accéder au système de réservation canadien, mais aucun numéro d'ATS équivalent.

[8] Scotia Prince ne possède pas d'ATS et n'offre pas de service d'ATS. Les utilisateurs d'ATS peuvent communiquer avec Scotia Prince par le biais des centres de relais téléphoniques.

POSITIONS DES PARTIES

[9] M. Richman fait valoir qu'il peut communiquer par téléphone à l'aide d'un ATS. Il affirme donc qu'en publiant des numéros de téléphones à l'intention des personnes « qui entendent », mais aucun numéro d'ATS équivalent, Scotia Prince le soumet à un préjudice indu.

[10] Scotia Prince déclare avoir reçu des appels par le biais des centres de relais téléphoniques par le passé et que ces appels ont été traités de façon adéquate. Le transporteur ajoute que l'annonce en question fournit également son adresse Internet, et, ainsi, une autre façon de communiquer avec lui.

[11] Dans sa réplique, M. Richman n'approuve pas la position exprimée par Scotia Prince. Il fait valoir que le véritable litige réside dans le fait qu'il ne soit pas possible pour un passager qui est sourd de communiquer directement avec Scotia Prince au moyen d'un ATS partout et chaque fois qu'un numéro de téléphone est publié à l'intention des personnes « qui entendent » dans toute annonce publicitaire ou promotion. M. Richman estime que l'impossibilité de ce faire constitue pour les personnes sourdes ou malentendantes un obstacle abusif.

ANALYSE ET CONSTATATIONS

[12] Pour en arriver à ses constatations, l'Office a tenu compte de tous les éléments de preuve soumis par les parties au cours des plaidoiries.

[13] La demande doit être présentée par une personne ayant une déficience ou en son nom. Dans le cas présent, M. Richman est sourd. Il est donc une personne ayant une déficience aux fins de l'application des dispositions d'accessibilité de la LTC.

[14] Pour déterminer s'il existe un obstacle abusif aux possibilités de déplacement des personnes ayant une déficience au sens du paragraphe 172(1) de la LTC, l'Office doit d'abord déterminer si les possibilités de déplacement de la personne qui présente la demande ont été restreintes ou limitées par un obstacle. Le cas échéant, l'Office doit alors décider si l'obstacle était abusif. Pour répondre à ces questions, l'Office doit tenir compte des circonstances de l'affaire dont il est saisi.

Les possibilités de déplacement ont-elles été restreintes ou limitées par un obstacle ?

[15] L'expression « obstacle » n'est pas définie dans la LTC, ce qui donne à penser que le Parlement ne voulait pas limiter la compétence de l'Office compte tenu de son mandat d'éliminer les obstacles abusifs dans le réseau de transport de compétence fédérale. De plus, le terme « obstacle » a un sens large et s'entend habituellement d'une chose qui entrave le progrès ou la réalisation.

[16] Pour déterminer si une situation constitue ou non un « obstacle » aux possibilités de déplacement d'une personne ayant une déficience dans un cas donné, l'Office se penche sur les déplacements de cette personne qui sont relatés dans la demande. Dans le passé, l'Office a conclu qu'il y avait eu des obstacles dans plusieurs circonstances différentes. Par exemple, dans certains cas des personnes n'ont pas pu voyager, d'autres ont été blessées durant leurs déplacements (notamment quand l'absence d'installations convenables durant le déplacement affecte la condition physique du passager) et d'autres encore ont été privées de leurs aides à la mobilité endommagées pendant le transport. De plus, l'Office a identifié des obstacles dans les cas où des personnes ont finalement été en mesure de voyager, mais les circonstances découlant de l'expérience ont été telles qu'elles ont miné leur sentiment de confiance, de dignité, de sécurité, situation qui pourrait décourager ces personnes de voyager à l'avenir.

Le cas présent

[17] M. Richman a indiqué qu'il peut communiquer par téléphone à l'aide d'un ATS et que, par conséquent, en annonçant des numéros de téléphones à l'intention des personnes « qui entendent », mais aucun numéro d'ATS équivalent, Scotia Prince le soumet à un préjudice indu.

[18] L'Office est d'avis que la possibilité de communiquer directement par téléphone est essentielle pour tous les voyageurs, y compris les personnes sourdes ou malentendantes. Bien que Scotia Prince offre à ses clients la possibilité de communiquer directement avec elle par le biais d'autres modes de communication, entre autres par le biais de son site Web, l'Office estime que ces solutions ne sont pas nécessairement accessibles à toutes les personnes ayant une déficience et elles ne permettent pas l'échange d'information « en temps réel », comme l'offre l'utilisation des téléphones et des ATS. L'Office note également que, dans plusieurs cas, les personnes sourdes ou malentendantes considèrent l'ATS comme le moyen de communication le plus efficace. À cet égard, l'Office prend note que M. Richman utilise un ATS pour communiquer par téléphone.

[19] À la lumière de ce qui précède, l'Office estime que l'impossibilité d'accéder par ATS au système de réservation canadien de Scotia Prince a constitué un obstacle pour M. Richman en particulier et pour les personnes sourdes ou malentendantes en général.

L'obstacle était-il abusif ?

[20] À l'instar du terme « obstacle », l'expression « abusif » n'est pas définie dans la LTC, ce qui permet à l'Office d'exercer sa discrétion pour éliminer les obstacles abusifs dans le réseau de transport de compétence fédérale. Le mot « abusif » a également un sens large et signifie habituellement que quelque chose dépasse ou viole les convenances ou le bon usage (excessif, immodéré, exagéré). Comme une chose peut être jugée exagérée ou excessive dans un cas et non dans un autre, l'Office doit tenir compte du contexte de l'allégation d'obstacle abusif. Dans cette approche contextuelle, l'Office doit trouver un juste équilibre entre le droit des passagers ayant une déficience d'utiliser le réseau de transport de compétence fédérale sans rencontrer d'obstacles abusifs, et les considérations et responsabilités commerciales et opérationnelles des transporteurs. Cette interprétation est conforme à la politique nationale des transports établie à l'article 5 de la LTC et plus précisément au sous-alinéa 5g)(ii) de la LTC qui précise, entre autres, que les modalités en vertu desquelles les transporteurs ou modes de transport exercent leurs activités ne constituent pas, dans la mesure du possible, un obstacle abusif aux possibilités de déplacement des personnes ayant une déficience.

[21] L'industrie des transports élabore ses services pour répondre aux besoins des utilisateurs. Les dispositions d'accessibilité de la LTC exigent quant à elles que les fournisseurs de services de transport du réseau de transport de compétence fédérale adaptent leurs services dans la mesure du possible aux besoins des personnes ayant une déficience. Certains empêchements doivent toutefois être pris en considération, par exemple les mesures de sécurité que les transporteurs doivent adopter et appliquer, les horaires qu'ils doivent s'efforcer de respecter pour des raisons commerciales, la configuration du matériel et les incidences d'ordre économique qu'aura l'adaptation d'un service sur les transporteurs aériens. Ces empêchements peuvent avoir une incidence sur les personnes ayant une déficience. Ainsi, ces personnes ne pourront pas nécessairement embarquer avec leur propre fauteuil roulant, elles peuvent devoir arriver à l'aérogare plus tôt aux fins de l'embarquement et elles peuvent devoir attendre plus longtemps pour obtenir de l'assistance au débarquement que les personnes n'ayant pas de déficience. Il est impossible d'établir une liste exhaustive des obstacles qu'un passager ayant une déficience peut rencontrer et des empêchements que les fournisseurs de services de transport connaissent dans leurs efforts pour répondre aux besoins des personnes ayant une déficience. Il faut en arriver à un équilibre entre les diverses responsabilités des fournisseurs de services de transport et le droit des personnes ayant une déficience à voyager sans rencontrer d'obstacle, et c'est dans cette recherche d'équilibre que l'Office applique le concept d'obstacle abusif.

Le cas présent

[22] Ayant déterminé que l'impossibilité d'accéder par ATS au système de réservation canadien de Scotia Prince a constitué un obstacle pour M. Richman en particulier et pour les personnes sourdes ou malentendantes en général, l'Office doit maintenant déterminer si l'obstacle était abusif.

[23] L'Office constate que Scotia Prince a déclaré qu'elle avait su répondre adéquatement aux besoins de ses clients sourds ou malentendants par le passé par le biais des centres de relais téléphoniques. Ces centres fournissent aux utilisateurs de téléscripteurs et d'ATS et aux autres la possibilité de communiquer par téléphone avec l'aide de téléphonistes ayant reçu une formation spécifique.

[24] Même si les centres de relais téléphoniques constituent pour les personnes sourdes ou malentendantes un moyen de communication, l'Office fait observer que ces personnes ne peuvent communiquer entre elles ou avec d'autres sans intermédiaire. L'Office ajoute que comme le recours aux centres de relais téléphoniques fait intervenir une tierce partie, en l'occurrence le ou la téléphoniste, non seulement de tels services ne permettent pas une communication directe, de personne à personne, ils ne garantissent pas la confidentialité des conversations. Bien que les renseignements échangés au moment de prendre les arrangements de voyage ne soient pas considérés comme personnels pour la plupart des gens, les personnes ayant une déficience sont souvent appelées à divulguer des renseignements de nature personnelle et portant atteinte à la vie privée lors des réservations, et ce, pour s'assurer qu'on répondra à leurs besoins en matière d'accessibilité. L'Office reconnaît aussi que comme les téléphonistes des centres de relais téléphonique doivent, d'une part, transmettre verbalement l'information reçue par l'utilisateur de l'ATS à son interlocuteur puis, d'autre part, transmettre par ATS la réponse de l'interlocuteur à l'utilisateur de l'ATS, de tels échanges peuvent parfois être très longs compte tenu de la conversion requise de l'information d'un mode à l'autre.

[25] L'Office estime que les personnes ayant une déficience devraient pouvoir bénéficier des options qui sont offertes aux autres voyageurs; elles devraient donc, en l'espèce, pouvoir faire des réservations directement auprès du transporteur. Les personnes ayant déficience jouissent du même droit que tous les citoyens ont de participer pleinement à tous les aspects de la vie sociétale. Il est donc évident que l'équité en matière d'accès aux services de transport est essentielle si l'on doit permettre à ces personnes d'exercer ce droit. Les personnes ayant une déficience tendent au plus haut degré d'autonomie possible dans leurs activités quotidiennes et, il va de soi, dans leurs déplacements. En l'espèce, la fourniture du service par ATS aurait permis de respecter de tels principes.

[26] L'Office souligne que les principes énoncés ci-dessus rejoignent ceux du code de pratiques, lequel, à la rubrique « Systèmes de télécommunication », dispose ce qui suit :

Les fournisseurs de services de transport qui utilisent des lignes téléphoniques pour des réservations, des renseignements ou des services relatifs au succès du déplacement doivent fournir un niveau de service équivalent aux voyageurs ayant une déficience en mettant à leur disposition des systèmes de communication auxiliaires, comme une ligne ATS.

[27] L'Office est conscient que les dispositions du code de pratiques ne s'appliquent pas expressément aux transporteurs étrangers. Toutefois, le code de pratiques reflète la position de l'Office quant à l'importance des ATS pour les personnes ayant une déficience sur le plan de l'accessibilité des transports et le principe général voulant qu'on accorde aux personnes ayant une déficience un accès égal aux services de transport, y compris aux services à destination ou en provenance du Canada.

[28] Pour ce qui est des coûts, comme l'Office l'a constaté lors des recherches et des consultations qui ont mené à l'élaboration du code de pratiques, et dans le cadre de l'exploitation de son propre service d'ATS, les coûts liés à l'achat de l'équipement nécessaire et les frais d'exploitation mensuels ne sont pas exorbitants.

[29] Compte tenu de ce qui précède, et de la preuve soumise par Scotia Prince, l'Office n'est pas convaincu qu'il est impossible d'éliminer les obstacles que soulève le défaut de la part de Scotia Prince de fournir un accès à son système de réservation canadien par le biais d'un ATS. Ainsi, la conclusion préliminaire de l'Office est que ce défaut de la part de Scotia Prince a constitué un obstacle abusif pour M. Richman en particulier et pour les personnes sourdes ou malentendantes en général.

DEMANDE DE JUSTIFICATION

[30] L'Office reconnaît que Scotia Prince pourrait bien vouloir présenter des arguments concrets sur la conclusion préliminaire de l'Office à savoir que le défaut de fournir un accès direct par ATS constitue un obstacle abusif. Par conséquent, l'Office estime indiqué, en l'espèce, d'offrir à Scotia Prince l'occasion de formuler ses commentaires sur la conclusion préliminaire de l'Office et de fournir les raisons pour lesquelles Scotia Prince ne devrait pas être tenue de prendre les mesures suivantes dans les soixante (60) jours suivant la date de toute décision finale de l'Office :

  • installer un ATS, et fournir à l'Office une confirmation écrite que le service d'ATS est fonctionnel;
  • annoncer le numéro d'ATS sur son site Web, dans toute publicité, et dans toute future publication offrant au grand public des renseignements sur le fournisseur de services de transport.

[31] Après réception des renseignements qui lui seront soumis en réponse à la demande de justification susmentionnée, l'Office les examinera pour en tirer une conclusion finale. Toutefois, avant de rendre une décision définitive, l'Office se réserve le droit d'exiger d'autres renseignements de la part des parties. En plus des renseignements précités, Scotia Prince peut fournir à l'Office tout renseignement qu'elle juge pertinent.

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