Décision n° 47-AT-A-2020
DEMANDE présentée par John Liland et Jonathan Liland contre Air Canada en vertu des paragraphes 172(1) et 67(3) de la Loi sur les transports au Canada, LC 1996, c 10, concernant les besoins de John Liland liés à sa déficience.
RÉSUMÉ
[1] John Liland et Jonathan Liland (demandeurs) ont déposé une demande auprès de l’Office des transports du Canada (Office) contre Air Canada en vertu des paragraphes 172(1) et 67(3) de la Loi sur les transports au Canada, LC 1996, c 10 (CTA), concernant le refus d’Air Canada de transporter les demandeurs avec l’équipement d’oxygénothérapie de John Liland ainsi que l’incapacité des demandeurs à avoir accès aux médicaments qui se trouvaient dans leurs bagages enregistrés.
[2] Les demandeurs demandent ce qui suit :
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- une confirmation que l’équipement d’oxygénothérapie que John Liland a apporté à bord de l’aéronef figurait à la liste des modèles de concentrateurs d’oxygène personnels (COP) approuvés par Air Canada et que l’équipement n’était pas considéré comme un danger pour la sécurité du vol;
- une divulgation de tous les documents associés à l’enquête interne qu’Air Canada a menée sur cette question;
- un plan pour qu’Air Canada évite de porter atteinte à la dignité et au respect des passagers ayant une déficience dans des circonstances similaires, à l’avenir.
[3] Le 24 décembre 2019, l’Office a émis la décision no LET-AT-A-104-2019 (décision) dans laquelle il a conclu, en partie, que John Liland est une personne ayant une déficience qui a rencontré un obstacle lorsqu’il a voyagé avec Air Canada. Par la suite, Air Canada a eu l’occasion de prendre l’une ou l’autre de mesures suivantes :
-
- expliquer, en tenant compte des propositions du demandeur, la façon dont elle entend éliminer l’obstacle en apportant une modification générale à une règle, à une politique, à une pratique, aux technologies, ou à une structure physique ou, s’il ne lui est pas possible d’apporter une modification générale, en prenant une mesure d’accommodation individuelle;
- démontrer qu’il lui est impossible d’éliminer l’obstacle sans se voir imposer une contrainte excessive.
[4] Le 17 janvier 2020, Air Canada a déposé une réponse à la décision (réponse). Les demandeurs n’ont pas déposé de réplique.
[5] Étant donné que l’Office a examiné, dans sa décision, toutes les autres questions soulevées par les demandeurs, il se penchera dans la présente décision sur la question de savoir si Air Canada peut éliminer l’obstacle qu’a rencontré John Liland sans se voir imposer une contrainte excessive.
[6] Pour les motifs énoncés ci-après, l’Office conclut que l’obstacle peut être éliminé sans qu’Air Canada ne se voie imposer une contrainte excessive et ordonne à Air Canada de publier un bulletin à l’intention de ses employés du poste de pilotage pour leur rappeler la politique actuelle concernant le voyage avec des COP. Air Canada doit transmettre une copie du bulletin au dirigeant principal, Conformité, de l’Office, par l’intermédiaire du Secrétariat de l’Office, le plus tôt possible, mais au plus tard le 30 juillet 2020.
CONTEXTE
[7] John Liland a besoin d’oxygène supplémentaire en tout temps parce qu’il est atteint de bronchopneumopathie chronique obstructive. Il se déplace également en fauteuil roulant.
[8] John Liland et son fils, Jonathan Liland, avaient prévu un voyage aller-retour avec Air Canada de Calgary (Alberta) à Comox (Colombie-Britannique), via Vancouver (Colombie-Britannique). Le 22 août 2017, lors du premier segment de vol de retour (vol no AC8314 de Comox à Vancouver), le pilote a refusé que John Liland voyage avec son équipement d’oxygénothérapie. Le pilote et le premier officier ont interdit l’équipement parce qu’ils croyaient qu’il pouvait s’agir d’un générateur d’oxygène, lequel aurait représenté un danger. Air Canada a offert à John Liland le choix de débarquer de l’aéronef ou de voyager sans son équipement d’oxygénothérapie. Les demandeurs sont débarqués de l’aéronef.
[9] Dans sa décision, l’Office a conclu que :
-
- l’équipement d’oxygénothérapie avec lequel voyageait John Liland était un COP approuvé par Air Canada;
- John Liland est une personne ayant une déficience au sens de la partie V de la LTC;
- John Liland a rencontré un obstacle à ses possibilités de déplacement lorsqu’il s’est vu refuser le transport présumément pour des raisons de sécurité liées à son équipement d’oxygénothérapie;
- le fait que John Liland n’a pas été en mesure d’avoir accès à ses médicaments qui se trouvaient dans ses bagages enregistrés ne constitue pas un obstacle à ses possibilités de déplacement;
- Air Canada n’a pas correctement appliqué les conditions énoncées dans la règle 75(5)(d) de son tarif intérieur intitulé Domestic Tariff General Rules Applicable to the Transportation of Passangers and Baggage, CTA(A) No. 3 (tarif) lorsqu’elle a refusé de transporter John Liland avec son équipement d’oxygénothérapie;
- Air Canada a refusé le transport à Jonathan Liland;
- Air Canada est responsable des dépenses supportées par les demandeurs du fait qu’elle leur a refusé le transport, mais aucune autre mesure n’est requise puisque les parties sont parvenues à un accord à cet égard;
- l’Office ne se penchera pas sur la question de l’enquête interne qu’Air Canada a menée sur cet incident.
LA LOI
[10] La partie de la demande portant sur l’accessibilité a été déposée en vertu du paragraphe 172(1) de la LTC, qui, au moment de la demande, prévoyait ce qui suit:
Même en l’absence de disposition réglementaire applicable, l’Office peut, sur demande, enquêter sur toute question relative à l’un des domaines visés au paragraphe 170(1) pour déterminer s’il existe un obstacle abusif aux possibilités de déplacement des personnes ayant une déficience.
[11] Comme il est indiqué dans la lettre d’ouverture des actes de procédure, les premières étapes du traitement d’une demande sont de déterminer si le demandeur est une personne ayant une déficience au sens de la partie V de la LTC et, si c’est le cas, s’il a rencontré un obstacle.
[12] Si l’Office conclut que le demandeur est une personne ayant une déficience et qu’il a rencontré un obstacle, il ouvre les actes de procédure pour déterminer si et comment cet obstacle peut être éliminé sans que la défenderesse se voie imposer une contrainte excessive.
POSITION D'AIR CANADA
[13] Air Canada maintient sa position énoncée dans les présentations précédentes : bien que l’incident impliquant John Liland soit fâcheux, il est dû au fait que ce dernier connaissait mal son équipement d’oxygénothérapie, de sorte qu’Air Canada a dû décider, par souci de sécurité et de prudence, de refuser de transporter le COP. Air Canada affirme qu’au titre du Règlement de l’aviation canadien, DORS/96-433 (RAC) elle a l’obligation de prioriser la sécurité. Elle affirme de plus que le RAC et la Loi sur l’aéronautique, LRC 1985, c A-2 confèrent au commandant de bord le pouvoir ultime et l’entière responsabilité en ce qui concerne la sécurité du vol. Air Canada maintient que le pilote doit continuer de pouvoir exercer sa discrétion lorsqu’il a un doute concernant la sécurité d’un article transporté à bord d’un aéronef.
[14] Selon Air Canada, elle dispose déjà d’une politique et de procédures pour veiller à ce que les passagers nécessitant un COP puissent voyager. Air Canada affirme que des modifications à des politiques et à des procédures sont justifiées lorsqu’un événement est susceptible de se reproduire ou lorsqu’un problème est systémique. Elle fait valoir que la situation de John Liland est unique en son genre et qu’elle n’est pas susceptible de se reproduire, surtout compte tenu du fait que John Liland sait désormais que son équipement d’oxygénothérapie est un COP (et non un générateur d’oxygène) et qu’il sera en mesure de le confirmer à l’avenir.
[15] Air Canada propose, si l’Office n’est pas d’accord avec sa position, qu’elle soit autorisée à déposer une présentation sur la faisabilité des mesures d’accommodement que propose l’Office, puisqu’elle est d’avis que la question de savoir si un obstacle peut être éliminé sans se voir imposer une contrainte excessive dépend de ce qu’entend l’Office par élimination d’obstacle et de la manière dont il propose que cela soit fait.
ANALYSE ET DÉTERMINATIONS
[16] Il revient au transporteur d’expliquer comment il propose d’éliminer l’obstacle ou de démontrer qu’il ne peut pas éliminer l’obstacle sans se voir imposer une contrainte excessive.
[17] Air Canada fait valoir qu’aucune modification à sa politique ou à ses procédures ne devrait être apportée, puisque le pilote doit continuer de pouvoir exercer sa discrétion dans les enjeux de sécurité lorsqu’il y a un doute. L’Office est d’accord que les pilotes doivent continuer de pouvoir exercer leur discrétion pour ce qui est de la sécurité de l’aéronef. L’Office a toujours conclu, comme dans la décision no 61-C-A-2018 (Brighouse c Air Canada), que la sécurité est primordiale et que parfois, un pilote doit prendre les décisions qui s’imposent pour veiller à la sécurité, y compris la décision de refuser le transport à un passager. L’Office avait toutefois fait une mise en garde : « Cette décision ne devrait pas être prise à la légère ni s’appuyer sur des considérations non pertinentes ».
[18] Dans le cas présent, l’Office a conclu dans la décision que le pilote et le premier officier n’ont pas pris des mesures raisonnables pour vérifier si l’équipement d’oxygénothérapie que transportait John Liland était un modèle de COP approuvé. L’Office reconnaît qu’Air Canada a une politique et des procédures pour veiller au transport sécuritaire de COP de personnes qui nécessitent de l’oxygène pendant leur déplacement, mais une telle politique n’est efficace que si les employés la connaissent et y accordent l’importance qu’elle mérite. Ce n’était pas le cas dans la situation des demandeurs. Si le pilote et les autres membres d’équipage avaient consulté la politique d’Air Canada, ils auraient constaté que la marque et le modèle de l’équipement que transportait John Liland figuraient à la liste de COP autorisés. L’Office conclut qu’un bulletin à l’intention des employés permettrait de les sensibiliser et de veiller à ce que les passagers éventuels ne se voient pas refuser le transport parce qu’ils ont un COP.
[19] L’Office reconnaît qu’Air Canada a demandé la permission de déposer une présentation sur la faisabilité des mesures d’accommodement que proposera l’Office; toutefois, l’Office n’ordonne aucune modification à une politique ni à des procédures comme mesure d’accommodement. De plus, le fait d’obliger Air Canada de rappeler à ses employés une politique existante n’a aucune incidence sur l’autorité qu’exercent les pilotes d’Air Canada à l’endroit de leur aéronef et ne nuit pas non plus à leur capacité d’exercer leur discrétion lorsqu’une situation soulève des préoccupations de sécurité. La publication par Air Canada d’un bulletin rappelant sa politique et ses procédures concernant le transport de COP à ses employés n’est ni déraisonnable ni impraticable et ne mérite aucune autre présentation de la part d’Air Canada.
CONCLUSION
[20] L’Office conclut qu’Air Canada ne s’est pas acquittée de son fardeau d’expliquer que l’élimination de l’obstacle entraînerait une contrainte excessive, de sorte que l’obstacle subi par les demandeurs est abusif.
ORDONNANCE
[21] L’Office ordonne à Air Canada de publier un bulletin à l’intention des employés du poste de pilotage concernant sa politique et ses procédures concernant le transport de COP. Air Canada doit transmettre une note de service comprenant ce bulletin directement au pilote et au premier officier ainsi qu’à tous les membres d’équipage impliqués dans l’incident du 22 août 2017 décrit dans la demande. Air Canada doit fournir une copie du bulletin et de la note de service qu’elle aura envoyés à ses employés au dirigeant principal, Conformité, de l’Office, par l’intermédiaire du Secrétariat de l’Office, le plus tôt possible, mais au plus tard le 30 juillet 2020.
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