Décision n° 48-AT-A-2021
DEMANDE présentée par William Garrett McAllister (demandeur) contre Air Transat A.T. Inc. (Air Transat) en vertu du paragraphe 172(1) de la Loi sur les transports au Canada, LC 1996, c 10 (LTC).
RÉSUMÉ
[1] William Garrett McAllister a déposé une demande auprès de l’Office des transports du Canada (Office) contre Air Transat. Il avance que la politique d’Air Transat selon laquelle les personnes handicapées ne peuvent pas s’asseoir dans la rangée des issues de secours est discriminatoire.
[2] Le demandeur réclame que l’Office ordonne à Air Transat de modifier sa politique de manière à ne pas exclure les personnes handicapées de la rangée des issues de secours.
[3] L’Office a rendu la décision no LET-AT-A-11-2021 (décision) le 19 février 2021, dans laquelle il a conclu que le demandeur est une personne handicapée et qu’il a rencontré un obstacle en ne pouvant pas s’asseoir dans la rangée des issues de secours. L’Office a ensuite conclu à titre préliminaire que l’élimination de cet obstacle semblait déraisonnable, peu pratique ou impossible — et constituait une contrainte excessive pour Air Transat — parce qu’en modifiant sa politique pour permettre à toutes les personnes de s’asseoir dans la rangée des issues de secours, le transporteur enfreindrait les exigences réglementaires de sécurité. L’Office a donné au demandeur l’occasion de justifier pourquoi cette conclusion préliminaire ne devrait pas être rendue définitive.
[4] Dans la présente décision, l’Office déterminera s’il doit rendre définitive sa conclusion préliminaire selon laquelle l’obstacle n’est pas abusif.
[5] Pour les motifs énoncés ci-après, l’Office rend définitive sa conclusion préliminaire selon laquelle l’obstacle rencontré par M. McAllister n’est pas abusif et rejette la demande.
CONTEXTE
[6] Sara-Jane McAllister a acheté des billets aller-retour par l’entremise d’un agent de voyages auprès d’Air Transat le 3 juillet 2019 pour voyager avec son père et son fils, M. McAllister, de Toronto (Ontario) à Manchester, Royaume-Uni, le 3 septembre 2019 et en revenir le 15 septembre 2019.
[7] Le 6 juillet 2019, Mme McAllister a tenté de réserver, pour son groupe, des sièges avec de l’espace supplémentaire pour les jambes dans la rangée des issues de secours. Lorsque Mme McAllister et l’agent de voyages ont téléphoné à Air Transat, un représentant d’Air Transat leur a conseillé de ne pas réserver ces sièges parce que M. McAllister pourrait se faire dire à l’enregistrement qu’il n’est pas autorisé à s’asseoir dans la rangée des issues de secours. Mme McAllister a téléphoné de nouveau à Air Transat le 8 juillet 2019 pour discuter de sa politique relative aux sièges dans la rangée des issues de secours. Selon Mme McAllister, Air Transat a discuté avec elle de sa politique et lui a expliqué qu’elle était fondée sur l’article 4.4 de la Circulaire d’information no 700‑014 (Circulaire d’information) de Transports Canada. Le demandeur indique que Mme McAllister a décrit ses capacités en son nom à Air Transat au cours de leurs conversations.
[8] Le 4 octobre 2019, Mme McAllister a déposé une demande auprès de l’Office au nom de M. McAllister en vertu de l’article 16 des Règles de l’Office des transports du Canada (Instances de règlement des différends et certaines règles applicables à toutes les instances), DORS/2014-104, qui permet aux demandeurs d’autoriser un représentant dans le cadre des instances de l’Office. Le demandeur allègue qu’Air Transat a fait preuve de discrimination à l’égard de M. McAllister en lui interdisant de s’asseoir dans la rangée des issues de secours parce qu’il est atteint du syndrome de Down.
[9] Le 22 janvier 2020, l’Office a ouvert les actes de procédure pour déterminer si le demandeur est une personne handicapée et s’il a rencontré un obstacle. Après les actes de procédure sur les questions que l’Office a adressées aux deux parties le 6 juillet 2020, l’Office a émis la décision le 19 février 2021. Dans la décision, l’Office a conclu que le demandeur est une personne handicapée et qu’il a rencontré un obstacle en ne pouvant pas s’asseoir dans la rangée des issues de secours.
[10] L’Office a ensuite conclu de manière préliminaire que l’obstacle n’est pas abusif. L’Office a également conclu que l’élimination de cet obstacle constituerait une contrainte excessive pour Air Transat, principalement parce que, ce faisant, Air Transat enfreindrait les exigences réglementaires en matière de sécurité, notamment certains articles du Règlement de l’aviation canadien, DORS/96-433 (RAC).
[11] L’Office a donné au demandeur l’occasion de justifier pourquoi l’Office ne devrait pas rendre définitive sa conclusion préliminaire et il a ensuite donné à Air Transat l’occasion de répliquer. Le demandeur a déposé une réponse le 26 février 2021. Air Transat a refusé de déposer une réplique.
LA LOI
[12] La demande a été déposée en vertu du paragraphe 172(1) de la LTC, qui indique ce qui suit :
Même en l’absence de disposition réglementaire applicable, l’Office peut, sur demande, enquêter sur toute question relative à l’un des domaines visés au paragraphe 170(1) pour déterminer s’il existe un obstacle abusif aux possibilités de déplacement des personnes handicapées.
[13] Comme indiqué dans la lettre qui a ouvert les actes de procédure de cette demande, l’Office détermine s’il existe un obstacle abusif aux possibilités de déplacement d’une personne handicapée en utilisant une approche en deux parties :
Partie 1 : Il revient au demandeur de démontrer, selon la prépondérance des probabilités :
- qu’il a un handicap, c’est-à-dire toute déficience notamment physique, intellectuelle, cognitive, mentale ou sensorielle, tout trouble d’apprentissage ou de la communication (ou toute limitation fonctionnelle) de nature permanente, temporaire ou épisodique, manifeste ou non et dont l’interaction avec un obstacle nuit à la participation pleine et égale d’une personne dans la société;
et
- qu’il a rencontré un obstacle, c’est-à-dire tout élément — notamment un élément de nature physique ou architecturale, qui est relatif à l’information, aux communications, aux comportements ou à la technologie ou qui est le résultat d’une politique ou d’une pratique — qui nuit à la participation pleine et égale dans la société des personnes ayant des handicaps notamment physiques, intellectuels, cognitifs, mentaux ou sensoriels, des troubles d’apprentissage ou de la communication ou des limitations fonctionnelles. Il doit y avoir un certain lien entre le handicap et l’obstacle.
Partie 2 : Si l’Office détermine qu’un demandeur a un handicap et qu’il a rencontré un obstacle, il incombe alors à la défenderesse de prendre l’une ou l’autre des mesures suivantes :
- expliquer, en tenant compte des solutions proposées par la partie demanderesse, comment elle propose d’éliminer l’obstacle en apportant une modification générale à la règle, à la politique, à la pratique ou à la structure physique visée ou, si la modification générale n’est pas possible, en adoptant une mesure d’accommodement personnalisée;
ou
- démontrer, selon la prépondérance des probabilités, qu’elle ne peut pas éliminer l’obstacle sans se voir imposer une contrainte excessive.
POSITIONS DES PARTIES ET CONSTATATION DE FAITS
Position de M. McAllister
[14] En réponse à la directive de l’Office selon laquelle le demandeur doit justifier pourquoi l’Office ne devrait pas rendre définitive sa conclusion préliminaire sur la contrainte excessive, le demandeur soutient que, contrairement à la conclusion de l’Office dans cette décision, Air Transat n’a pas procédé à une évaluation de M. McAllister avant de lui refuser la possibilité de s’asseoir dans la rangée des issues de secours. Le demandeur fait également valoir qu’Air Transat n’aurait pas évalué Mme McAllister ou son père, qui voyageaient tous deux avec le demandeur, avant le voyage s’ils avaient réservé et payé des sièges dans la rangée des issues de secours. Le demandeur considère que la seule raison pour laquelle une personne se verrait refuser une place dans la rangée des issues de secours est qu’elle a un handicap, ce qui à son avis est dangereux.
Position d’Air Transat
[15] Dans sa décision, l’Office a noté qu’Air Transat avait déjà fait valoir que le fait de l’obliger à modifier sa politique constituerait une contrainte excessive parce qu’elle enfreindrait les obligations réglementaires énoncées dans le RAC et les éléments de sécurité décrits à l’article 4.4 de la Circulaire d’information de Transports Canada. Les observations d’Air Transat sont exposées plus en détail dans la décision.
[16] Air Transat n’a pas répliqué la réponse du demandeur à la décision.
Constatation de faits
[17] Dans la décision, l’Office a conclu comme étant un fait que, selon la prépondérance des probabilités, Air Transat a effectué une évaluation individuelle des capacités et des compétences de M. McAllister. Bien que le demandeur soutienne qu’Air Transat l’ait fait après lui avoir refusé un siège dans la rangée des issues de secours, il a déclaré dans des présentations antérieures qu’un agent d’Air Transat a passé en revue la liste des critères de la Circulaire d’information, qui est utilisée pour évaluer les capacités et les compétences individuelles, avec Mme McAllister en son nom lors d’une conversation téléphonique le 8 juillet 2019. L’affirmation du demandeur ne convainc donc pas l’Office que l’évaluation n’a pas eu lieu, mais plutôt qu’elle n’a pas abouti au résultat que le demandeur souhaitait.
[18] Selon Air Transat, tous les passagers qui réservent des sièges dans la rangée des issues de secours sont priés d’accepter les conditions attestant de leurs capacités, selon les critères de la Circulaire d’information, qu’ils réservent en ligne ou au téléphone. La communication de Mme McAllister avec Air Transat au nom de M. McAllister au sujet de ses capacités a fourni à Air Transat les renseignements nécessaires à l’évaluation. L’Office maintient donc sa conclusion que, selon la prépondérance des probabilités, Air Transat a effectué une évaluation individuelle des capacités et des compétences de M. McAllister.
ANALYSE ET DÉTERMINATION
[19] Comme indiqué dans la section sur les dispositions législatives applicables, ci-dessus, dans le cours normal des instances, après avoir conclu qu’un demandeur est une personne handicapée et qu’il a rencontré un obstacle, l’Office ouvre les actes de procédure pour donner au transporteur l’occasion de présenter des preuves et des observations relatives à l’élimination de l’obstacle ou à la contrainte excessive. Le demandeur a ensuite la possibilité de déposer une réplique. Toutefois, dans le cas présent, comme Air Transat avait déjà présenté des observations sur la contrainte excessive, l’Office a fourni son analyse préliminaire visant à déterminer si l’obstacle pouvait être éliminé sans contrainte excessive pour Air Transat, afin de permettre aux deux parties d’y répondre.
[20] Il reste maintenant à déterminer si l’Office doit rendre définitive sa conclusion préliminaire.
Critère juridique
[21] Comme l’Office l’a indiqué dans sa décision, la jurisprudence faisant autorité en matière d’évaluation des contraintes excessives est constituée de deux décisions de la Cour suprême du Canada : Colombie-Britannique (Public Service Employee Relations Commission) c BCGSEU, [1999] 3 RCS 3, et Colombie-Britannique (Superintendent of Motor Vehicles) c Colombie-Britannique (Council of Human Rights), [1999] 3 RCS 868. Ces décisions sont également reflétées dans des décisions antérieures de l’Office, comme la décision no LET-AT-A-19-2015 (Bavin c Air Canada). Dans l’affaire Bavin c Air Canada, l’Office a conclu que, pour justifier l’existence d’un obstacle, un fournisseur de services doit démontrer :
- que la source de l’obstacle est rationnellement liée à la fourniture du service de transport;
- que la source de l’obstacle a été adoptée selon la conviction honnête et de bonne foi qu’elle était nécessaire pour fournir le service de transport;
- qu’il y a des contraintes qui rendraient l’élimination de l’obstacle déraisonnable, peu pratique, ou impossible (contrainte excessive).
[22] Comme expliqué ci-dessous, l’Office confirme l’analyse préliminaire des trois facteurs énumérés ci-dessus, telle que présentée dans la décision.
La source de l’obstacle — c’est-à-dire la politique — est-elle rationnellement liée à la fourniture du service de transport?
[23] Dans sa décision, l’Office a conclu que M. McAllister a rencontré un obstacle en ce sens que, en raison de son handicap, il n’avait pas accès aux mêmes sièges que les autres passagers, ce qui entravait sa « participation pleine et égale dans la société ». L’Office confirme que la source de l’obstacle est la politique d’Air Transat concernant l’attribution de sièges aux passagers dans la rangée des issues de secours (politique). L’Office a reconnu dans la décision que la politique a un effet discriminatoire parce qu’elle affecte de façon disproportionnée les personnes handicapées, qui sont nombreuses à ne pas pouvoir répondre aux critères pour s’asseoir dans la rangée des issues de secours.
[24] Il existe toutefois un lien rationnel entre la politique d’Air Transat et la prestation de services de transport. La politique d’Air Transat est fondée sur le RAC et la Circulaire d’information. Air Transat est tenue par la loi d’appliquer correctement le RAC afin de fournir ses services de transport. La Circulaire d’information, sur laquelle se fonde la politique d’Air Transat, fournit des directives sur la façon dont les transporteurs doivent appliquer correctement le RAC. Comme les parties n’ont pas formulé de commentaires sur cette question et pour les raisons énoncées ci-dessus, l’Office conclut qu’il existe un lien rationnel entre la politique et la prestation de services de transport.
Air Transat a-t-elle appliqué sa politique à M. McAllister en se fondant sur une conviction honnête et de bonne foi que cela était nécessaire pour fournir le service de transport?
[25] Comme l’explique la décision, l’Office applique une approche fondée sur les capacités pour déterminer de quelle façon les normes de sécurité pour le transport public devraient s’appliquer aux personnes handicapées, comme établi dans Bavin c Air Canada. L’approche fondée sur les capacités signifie qu’une personne handicapée ne doit pas être évaluée en fonction de la nature de son handicap, mais plutôt en fonction de sa capacité à accomplir les tâches requises pour l’activité en question.
[26] Le demandeur soutient que la seule raison pour laquelle Air Transat refuserait à une personne de s’asseoir dans la rangée des issues de secours est qu’il s’agit d’une personne handicapée et que l’inverse est également vrai : toute personne non handicapée peut s’asseoir dans la rangée des issues de secours. Air Transat, en revanche, fait valoir que toute personne qui achète des billets dans la rangée des issues de secours est tenue d’accepter les conditions attestant de ses capacités lors de la réservation et de répondre éventuellement à la liste de questions fondée sur la Circulaire d’information lors de l’enregistrement et à bord de l’aéronef.
[27] Le demandeur affirme également que ni Mme McAllister ni son père n’auraient été évalués pour déterminer s’ils étaient capables de comprendre et d’exécuter des consignes en cas d’urgence. L’Office fait remarquer que cette allégation est à la fois hypothétique — parce qu’ils n’ont pas effectué la réservation des sièges dans la rangée des issues de secours — et contraire aux éléments de preuve fournis par Air Transat concernant ses procédures. De plus, tel que mentionné dans la décision, un transporteur peut également évaluer un passager assis dans la rangée des issues de secours le jour du vol, tant au comptoir d’enregistrement qu’à bord du vol, conformément à la politique d’Air Transat et au RAC. L’Office ne dispose d’aucun élément de preuve qui donne à penser qu’Air Transat n’applique pas sa politique de manière uniforme.
[28] L’Office confirme donc la conclusion à laquelle il en est venu dans la décision : l’évaluation à laquelle Air Transat soumet les passagers assis dans la rangée des issues de secours n’est pas fondée sur le statut de la personne en tant que personne handicapée, mais plutôt sur la capacité du passager à comprendre et à exécuter les consignes pendant une urgence. Comme il a été indiqué ci-dessus, l’Office a également conclu comme étant un fait qu’Air Transat a effectué une évaluation des capacités et des compétences de M. McAllister puisqu’elle a conseillé au demandeur de ne pas réserver de sièges dans la rangée des issues de secours. Cette conclusion est conforme à l’approche fondée sur les capacités exposée ci-dessus et dans l’affaire Bavin c Air Canada.
[29] À la lumière de ce qui précède, l’Office conclut qu’Air Transat a appliqué sa politique en se fondant sur une conviction honnête et de bonne foi que cela était nécessaire pour assurer la sécurité de ses services de transport.
Y a-t-il des contraintes qui rendraient l’élimination de l’obstacle déraisonnable, peu pratique ou impossible, ce qui constituerait une contrainte excessive pour Air Transat?
[30] L’Office conclut que l’élimination de l’obstacle serait déraisonnable, peu pratique ou impossible, et constituerait une contrainte excessive pour le transporteur. L’Office confirme la conclusion qu’il a tirée dans la décision, à savoir que le RAC et la Circulaire d’information, sur lesquels la politique d’Air Transat est fondée, fournissent les critères minimaux des capacités nécessaires pour faire fonctionner l’issue de secours. Ces critères sont raisonnablement nécessaires pour protéger la sécurité non seulement de la personne assise dans la rangée des issues de secours, mais aussi de toutes les autres personnes à bord de l’aéronef.
[31] De plus, le fait d’exiger qu’Air Transat modifie sa politique afin de permettre à toutes les personnes de s’asseoir dans la rangée des issues de secours, quelle que soit leur capacité, ferait en sorte qu’Air Transat ne respecte pas les exigences réglementaires en matière de sécurité. Puisque la conformité au RAC est obligatoire, si Air Transat modifiait sa politique, elle ne pourrait plus, en fin de compte, exploiter ses services de transport et subirait ainsi une contrainte excessive.
CONCLUSION
[32] En conclusion, l’Office conclut que le demandeur n’a pas présenté d’éléments de preuve nouveaux ou convaincants qui porteraient à croire que l’Office devrait modifier sa conclusion préliminaire selon laquelle Air Transat ne peut éliminer l’obstacle sans subir une contrainte excessive. À la lumière de ce qui précède, l’Office conclut que même si M. McAllister a rencontré un obstacle lorsqu’Air Transat ne lui a pas permis à de s’asseoir dans la rangée des issues de secours, cet obstacle n’est pas abusif. Par conséquent, l’Office rejette la demande.
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