Lettre-décision n° LET-AT-A-19-2015

le 7 avril 2015

Demande présentée par Carrie Bavin contre Air Canada.

Numéro de cas : 
14-01614

[1] Carrie Bavin a déposé une demande en vertu du paragraphe 172(1) de la Loi sur les transports au Canada, L.C. (1996), ch. 10, modifiée (LTC) contre Air Canada concernant les questions ci-après :

Les politiques et les procédures d’Air Canada concernant la détermination d’autonomie des personnes complètement ou partiellement sourdes et aveugles constituent-elles un obstacle abusif à leurs possibilités de déplacement, y compris à celles de Mme Bavin? Dans l’affirmative, quelles mesures correctives devraient être prises?

[2] Dans la présente décision, l’expression « personnes sourdes et aveugles » désigne les personnes partiellement ou complètement sourdes et aveugles.

LA LOI

[3] Lorsqu’il doit statuer sur une demande en vertu du paragraphe 172(1) de la LTC, l’Office applique une procédure particulière en trois temps pour déterminer s’il y a eu obstacle abusif aux possibilités de déplacement d’une personne ayant une déficience. L’Office doit déterminer :

  1. si la personne qui est l’auteur de la demande a une déficience aux fins de la LTC;
  2. si la personne a rencontré un obstacle du fait qu’on ne lui a pas fourni un accommodement approprié pour répondre aux besoins liés à sa déficience;
  3. si l’obstacle est « abusif » parce que le fournisseur de services de transport n’a pas justifié l’existence de l’obstacle en prouvant :

(i) qu’il est rationnellement lié à la fourniture des services de transport;

(ii) qu’il a été adopté selon la conviction honnête et de bonne foi qu’elle était nécessaire pour fournir le service de transport;

(iii) qu’il y a des contraintes qui rendraient l’élimination de l’obstacle déraisonnable, peu pratique, ou impossible (« contrainte excessive »)

MME BAVIN EST-ELLE UNE PERSONNE AYANT UNE DÉFICIENCE AUX TERMES DE LA PARTIE V DE LA LTC?

[4] Mme Bavin est aveugle au sens de la loi, mais lit des documents imprimés. Elle a une perte auditive bilatérale modérée à grave attribuable au syndrome de Usher, et elle porte des prothèses auditives pour pouvoir communiquer de vive voix.

[5] Air Canada ne conteste pas que Mme Bavin a une déficience aux termes de la partie V de la LTC.

Constatation

[6] L’Office conclut que Mme Bavin est une personne ayant une déficience aux termes de la partie V de la LTC.

LES POLITIQUES ET LES PROCÉDURES D’AIR CANADA CONCERNANT LA DÉTERMINATION D’AUTONOMIE DES PERSONNES SOURDES ET AVEUGLES CONSTITUENT-ELLES UN OBSTACLE À LEURS POSSIBILITÉS DE DÉPLACEMENT, Y COMPRIS À CELLES DE MME BAVIN?

Démarche de l’Office pour conclure à l’existence d’un obstacle

[7] Un obstacle est une règle, une politique, une pratique, un obstacle physique, etc. qui est :

  • soit direct, c’est-à-dire qu’il s’applique à une personne ayant une déficience;
  • soit indirect, c’est-à-dire que, bien qu’il soit le même pour tous, il a pour effet de priver une personne ayant une déficience d’un avantage;
  • et qui prive une personne ayant une déficience de l’égalité d’accès aux services accessibles aux autres voyageurs de sorte que le fournisseur de services doit fournir un accommodement.

[8] Il incombe à la personne ayant une déficience de prouver, selon la prépondérance des probabilités, qu’elle avait besoin d’un accommodement approprié qui répond aux besoins liés à sa déficience et que ces besoins n’ont pas été satisfaits.

Besoins liés à la déficience

[9] Comme toutes les personnes ayant une déficience, les personnes sourdes et aveugles ont le droit à l’égalité d’accès aux services disponibles à d’autres passagers dans le réseau de transport fédéral.

[10] Ce droit se reflète par deux principes fondamentaux interdépendants :

  1. indépendance
  2. autodétermination

[11] En ce qui a trait au principe d’indépendance, l’Office a établi ce qui suit dans la décision no 175-AT-R-2003, Conseil des Canadiens avec déficiences contre VIA Rail Canada Inc. :

La notion d’indépendance est indissociable du concept d’accessibilité. Les personnes ayant une déficience veulent autant d’indépendance que possible dans leur vie et leur utilisation des services de transports ne fait pas exception; un accès équivalent au réseau de transport implique l’aptitude des personnes ayant une déficience de se déplacer dans ce réseau avec autant d’indépendance que possible.

Les conséquences de l’absence d’accès indépendant sont importantes en ce que les personnes ayant une déficience doivent être dépendantes d’autres personnes qui les assistent dans leurs déplacements, que ce soit des travailleurs du secteur des transports ou, dans certains cas, leurs propres accompagnateurs. De plus, divers problèmes peuvent être associés à l’accès assisté, y compris l’erreur humaine, les inconvénients, les retards, les atteintes à la dignité humaine et à la fierté, les coûts, l’incertitude et l’absence d’un sentiment de confiance ou de sécurité dans l’aptitude d’une personne à se déplacer dans le réseau.

[12] En ce qui a trait au principe de l’autodétermination, l’article 154 du Règlement sur les transports aériens, DORS/88-58, modifié (RTA) prévoit que :

Le transporteur aérien doit accepter la décision, prise par la personne ou en son nom, qu’elle n’aura pas besoin de services inhabituels durant le vol.

[13] Par conséquent, comme tout le monde (y compris les personnes ayant un autre type de déficience et les personnes sans déficience), les personnes sourdes et aveugles ont le droit de voyager de manière indépendante et de s’autodéterminer capables de le faire.

[14] Ce droit n’est toutefois pas absolu pour n’importe qui. Dans ce cas particulier, Air Canada a le droit de justifier pourquoi elle n’accepte pas l’autodétermination d’autonomie des personnes sourdes et aveugles, et pourquoi elle exige que ces personnes voyagent avec un accompagnateur. Toutefois, la justification n’est prise en compte qu’à l’étape finale de l’analyse, à savoir la détermination du caractère abusif d’un obstacle.

Politiques et procédures d’Air Canada

[15] La disposition 33AC(B)(3) du tarif intérieur d’Air Canada indique que, contrairement à la plupart des personnes ayant une déficience, les personnes sourdes et aveugles doivent voyager avec un accompagnateur, même si elles sont autonomes. Cette disposition est résumée dans le tableau ci-après :

Déficience Accompagnateur requis
Personne aveugle Non
Personne sourde Non
Personne sourde et aveugle Oui
Personne ayant une déficience mentale ou cognitive et autonome Non
Personne ayant une déficience mentale ou cognitive et non autonome Oui
Personne ambulatoire et autonome Non
Personne ambulatoire et non autonome Oui

[16] Si une personne sourde et aveugle souhaite voyager sans accompagnateur, la politique d’Air Canada exige que la personne prouve qu’elle a une « certaine vision ou une ouïe résiduelle » en obtenant une autorisation médicale.

[17] Par conséquent, il est clair, d’après le tarif et la politique que, de prime abord, Air Canada ne respecte pas le droit des personnes sourdes et aveugles de voyager de manière indépendante et de déterminer par elles-mêmes si elles sont capables de le faire.

[18] La disposition tarifaire 33AC(B)(3) d’Air Canada est discriminatoire à trois égards :

  1. Elle fait une discrimination entre les personnes ayant une déficience et les personnes qui n’en ont pas. Elle particularise les personnes ayant certaines déficiences (y compris toutes les personnes sourdes et aveugles) comme ayant besoin d’un accompagnateur pour voyager. Par conséquent, la disposition tarifaire 33AC(B)(3) discrimine directement les personnes ayant une déficience.
  2. Elle fait une discrimination entre les déficiences. Les personnes sourdes et les personnes aveugles ne sont pas obligées de voyager avec un accompagnateur. De même, les personnes ayant une déficience mentale ou cognitive et les personnes ambulatoires sont obligées de voyager avec un accompagnateur seulement si elles sont non autonomes. En revanche, toutes les personnes sourdes et aveugles sont tenues de voyager avec un accompagnateur. Dans la disposition tarifaire 33AC(B)(3), on ne fait aucune distinction entre les personnes sourdes et aveugles autonomes et les personnes sourdes et aveugles non autonomes. Autrement dit, la disposition tarifaire 33AC(B)(3) présume que toutes les personnes sourdes et aveugles sont non autonomes et par conséquent nécessitent un accompagnateur pour voyager.
  3. Elle fait une discrimination parmi les personnes sourdes et aveugles. Dans la catégorie générale des personnes sourdes et aveugles, il y a un éventail de déficiences auditives et visuelles. Par exemple, Mme Bavin est sourde et aveugle, mais elle peut lire des documents imprimés et communiquer par téléphone. Néanmoins, la disposition tarifaire 33AC(B)(3) traite toutes les personnes sourdes et aveugles de façon identique, sans égard à la gravité de leur déficience, et présume qu’elles sont toutes non autonomes.

[19] Contrairement à la disposition tarifaire 33AC(B)(3), la politique d’Air Canada permet à certaines personnes sourdes et aveugles de voyager de façon indépendante, mais à condition qu’elles obtiennent une autorisation médicale officielle. En revanche, les personnes ayant un autre type de déficience (et les personnes sans déficience) ne sont pas automatiquement et universellement tenues d’obtenir une autorisation médicale officielle avant d’avoir l’autorisation de voyager de manière indépendante.

[20] Par conséquent, les politiques et les procédures d’Air Canada, y compris la disposition tarifaire 33AC, entraînent la nécessité d’offrir un accommodement approprié qui répond convenablement aux besoins des personnes sourdes et aveugles liés à leur déficience (indépendance et autodétermination), y compris à ceux de Mme Bavin.

Approche de l’Office pour déterminer l’accommodement approprié qui répond aux besoins liés à une déficience

[21] Les fournisseurs de services ont l’obligation de fournir un accommodement aux personnes ayant une déficience. Si une variété de mesures d’accommodement peuvent répondre aux besoins liés à la déficience d’une personne, il n’est pas obligatoire que la mesure d’accommodement corresponde exactement à ce que la personne demande, mais elle doit être efficace (c.-à-d. pour répondre de manière appropriée aux besoins liés à la déficience de la personne). L’accommodement doit être fourni de manière digne; par conséquent, cette personne ayant une déficience a l’occasion d’obtenir le même niveau de services de transport que celui offert aux autres passagers dans le réseau de transport fédéral.

[22] Si la personne a obtenu un accommodement approprié aux besoins liés à sa déficience, alors elle n’a pas rencontré d’obstacle.

[23] Il revient au fournisseur de services, dans le cadre de son obligation d’offrir un accommodement, de déterminer et de fournir la mesure qui sera nécessaire pour répondre aux besoins d’une personne ayant une déficience. Cela reflète l’orientation de la Cour suprême du Canada dans Central Okanagan School District No. 23 c. Renaud, [1992] 2 R.C.S. 970, qui a conclu que l’employeur est celui qui est le mieux placé pour déterminer la façon dont il est possible d’accommoder le plaignant sans s’ingérer indûment dans l’exploitation de son entreprise. De la même façon, il revient au fournisseur de services de prouver, selon la prépondérance des probabilités, qu’il a déterminé et fourni un accommodement appropriée qui répond aux besoins liés à la déficience d’une personne.

[24] L’Office évaluera et déterminera si la mesure déterminée par le fournisseur de services répond de manière appropriée aux besoins d’une personne liés à sa déficience. Si le fournisseur de services n’établit pas une mesure d’accommodement, ou si l’Office détermine que la mesure que le fournisseur a établie ne répond pas de manière appropriée aux besoins liés à la déficience de la personne, alors l’Office se fondera sur les présentations des parties et ses propres connaissances spécialisées et son expertise pour déterminer l’accommodement approprié qui répondra aux besoins liés à la déficience d’une personne.

[25] Toute contrainte (comme des préoccupations relatives à la sécurité) susceptible d’avoir une incidence sur la capacité du fournisseur de services de fournir l’accommodement n’est évaluée qu’à l’étape de la détermination du caractère abusif d’un obstacle (voir la section intitulée Détermination du caractère abusif d’un obstacle qui commence à la page 12).

Accommodement approprié qui répond aux besoins liés à la déficience des personnes sourdes et aveugles

Faits, preuve et présentations

Air Canada

[26] Même si la disposition tarifaire 33AC exige que toutes les personnes sourdes et aveugles voyagent avec un accompagnateur, Air Canada offre actuellement, par l’intermédiaire de sa politique et de ses procédures, l’accommodement indiqué ci-après aux personnes sourdes et aveugles qui veulent voyager de manière indépendante.

[27] D’abord, le passager doit communiquer avec le service Meda d’Air Canada 48 heures avant son vol pour demander à voyager sans accompagnateur.

[28] Un agent du service Meda pose des questions au passager. Si le passager soutient qu’il peut comprendre et assimiler des instructions visuelles ou verbales en matière de sécurité et d’urgence, le service Meda informe par la suite le passager que son voyage sans accompagnateur sera confirmé par le service de santé et de sécurité d’Air Canada, qui doit d’abord examiner le formulaire État de santé des personnes désirant voyager.

[29] Le passager doit faire remplir un formulaire État de santé des personnes désirant voyager par son médecin.

[30] Le service Meda examinera le dossier avec le service de santé et de sécurité et l’informera que le passager a confirmé qu’il peut voyager sans accompagnateur.

[31] En cas de doute, le service de santé et de sécurité d’Air Canada communiquera avec le médecin du passager qui a rempli le formulaire État de santé des personnes désirant voyager afin de discuter de la capacité du passager à comprendre et à assimiler des instructions de sécurité.

[32] En se fondant sur ce processus, Air Canada fait valoir qu’aucune exclusion générale ne s’applique aux passagers sourds et aveugles. Plutôt, un passager sourd et aveugle est évalué afin qu’on détermine si sa vision et son ouïe sont suffisantes pour comprendre et assimiler des directives de sécurité données par l’équipage. Dans l’affirmative, il est considéré comme étant autonome et a l’autorisation de voyager sans accompagnateur.

Mme Bavin

[33] Mme Bavin fait valoir que la politique et les procédures d’Air Canada imposent une exigence générale selon laquelle toutes les personnes sourdes et aveugles doivent voyager avec un accompagnateur ou obtenir une autorisation médicale pour voyager de manière indépendante. Mme Bavin affirme qu’il s’agit d’un écart marqué par rapport à l’approche qu’Air Canada utilise pour les passagers ayant un autre type de déficience, comme une mobilité réduite ou encore une déficience découlant d’une obésité morbide.

[34] Mme Bavin demande que la disposition tarifaire 33AC d’Air Canada, ainsi que sa politique et ses procédures concernant les personnes sourdes et aveugles, s’harmonisent avec les politiques et les procédures applicables à d’autres passagers ayant une déficience. Mme Bavin fait valoir que l’accommodement approprié pour les personnes sourdes et aveugles devrait être discuté entre la personne sourde et aveugle et Air Canada, afin de tenir compte des points suivants :

  • l’autodétermination d’autonomie par la personne,
  • tous les moyens dont la personne dispose pour compenser sa déficience,
  • toute mesure d’atténuation des risques qu’Air Canada peut employer.

[35] Mme Bavin ajoute que les personnes sourdes et aveugles ne devraient pas être tenues d’obtenir une autorisation médicale, à moins que la discussion amène le transporteur à croire que le voyageur ne peut effectuer le vol de façon sécuritaire sans une assistance médicale inhabituelle.

[36] Mme Bavin fait valoir que I.M.P. Group Limited, exerçant son activité sous le nom de CanJet Airlines, a division d’I.M.P. Group Limited (CanJet) et Air Transat A.T. Inc., exerçant son activité sous le nom d’Air Transat (Air Transat), permettent déjà aux personnes sourdes et aveugles de s’autodéterminer autonomes et exigent seulement des voyageurs non autonomes qu’ils voyagent avec un accompagnateur.

Analyse et constatations

[37] Dans l’affaire Colombie-Britannique (Superintendent of Motor Vehicles) c. Colombie-Britannique (Council of Human Rights), [1999] 3 R.C.S. 868 (décision Grismer), la Cour Suprême du Canada s’est penchée sur la relation entre les personnes ayant une déficience et les exigences relatives aux normes de sécurité requises au sein du transport public. Le tribunal a conclu qu’une personne ayant une déficience ne devrait pas être évaluée en fonction de l’ampleur ou de la nature de sa déficience, mais plutôt de sa capacité d’effectuer toute activité nécessaire. Par conséquent, dans la décision Grismer, un homme ayant une vision périphérique affaiblie a eu droit à une évaluation de sa capacité de conduire (activité nécessaire) et non de sa déficience visuelle (sa déficience). Cette approche n’est que logique, car la sécurité publique est touchée non pas par l’ampleur de la déficience d’une personne, mais plutôt par sa capacité d’effectuer de façon sécuritaire toute activité nécessaire. Autrement dit, la déficience en soi n’est pas non sécuritaire; c’est seulement l’exécution d’une activité nécessaire qui peut être non sécuritaire. Par conséquent, la déficience n’est pertinente que dans la mesure où elle a une incidence sur la réelle exécution de l’activité nécessaire; il ne sert donc à rien d’évaluer la déficience sans tenir compte de l’activité nécessaire.

[38] En se fondant sur la décision Grismer, l’Office ne peut pas accepter le processus d’évaluation actuel d’Air Canada comme étant une mesure appropriée pour répondre aux besoins liés à la déficience d’une personne sourde et aveugle. Même si Air Canada applique un processus d’évaluation individuel, comme l’exige la décision Grismer, elle évalue l’ampleur de la déficience, et non l’exécution des activités nécessaires. Cela va à l’encontre de la décision Grismer. De plus, le processus est déraisonnable, car l’ampleur de la déficience d’une personne peut avoir ou ne pas avoir une incidence sur l’exécution d’une activité nécessaire; seulement l’exécution affecte la sécurité. Par conséquent, l’Office conclut qu’Air Canada ne s’est pas acquittée de son fardeau de déterminer et de fournir un accommodement approprié qui répond aux besoins liés à la déficience des personnes sourdes et aveugles, y compris à ceux de Mme Bavin.

[39] Compte tenu de ce qui précède, l’Office procédera à la détermination de l’accommodement approprié dans le cas présent, en se fondant sur le principe voulant que l’accommodement approprié qui répond aux besoins liées à la déficience des personnes sourdes et aveugles (c.-à-d. le droit de voyager de manière indépendante qui se fonde sur l’autodétermination), y compris à ceux de Mme Bavin, soit évalué selon leur capacité d’exécuter les activités nécessaires, et non selon l’ampleur de leur déficience.

[40] L’accommodement approprié qui répond aux besoins liés à la déficience des personnes sourdes et aveugles, y compris à ceux de Mme Bavin, compte deux éléments.

[41] Le premier élément est la reconnaissance explicite dans la disposition tarifaire 33AC d’Air Canada selon laquelle certaines personnes sourdes et aveugles peuvent être autonomes. Cela reflète le simple fait qu’il y a un large éventail de déficiences auditives et visuelles, mais qui sont toutes saisies sous le terme général de personnes sourdes et aveugles. En reconnaissant la possibilité d’une autonomie dans son tarif, un transporteur permet aux personnes sourdes et aveugles d’autodéterminer leur autonomie afin de pouvoir voyager de manière indépendante dans des cas appropriés (c.-à-d. lorsque la personne est autonome).

[42] Le deuxième élément est un processus d’évaluation qui permet aux personnes sourdes et aveugles de démontrer leur autonomie avant d’être automatiquement tenues d’obtenir une autorisation médicale. Une telle autorisation médicale peut être onéreuse et invasive à plusieurs égards :

  • elle prévoit la communication de renseignements personnels de nature délicate.
  • elle comporte un inconvénient, car la personne ayant une déficience doit rencontrer son médecin.
  • elle peut être onéreuse, car la personne ayant une déficience pourrait avoir à payer pour que son médecin remplisse le formulaire État de santé des personnes désirant voyager.
  • elle peut s’avérer inutile si la personne ayant une déficience arrive à démontrer qu’elle peut voyager de manière sécuritaire et indépendante sans avoir besoin d’une autorisation médicale.

[43] Un processus d’évaluation adéquat est essentiel pour veiller à ce que la politique et les procédures d’Air Canada ne reflètent pas des hypothèses discriminatoires à propos des personnes sourdes et aveugles en imposant un processus d’évaluation plus rigoureux que celui utilisé pour les personnes ayant un autre type de déficience, mais qui ne sont pas tenues d’entrée de jeu d’obtenir une autorisation médicale. Une telle évaluation veille aussi à ce que des personnes sourdes et aveugles puissent voyager de manière indépendante, de façon autonome s’il y a lieu (c.-à-d. si elles sont autonomes).

[44] Par conséquent, ce processus d’évaluation doit compter au moins trois caractéristiques. Ces trois caractéristiques sont fondées sur le principe fondamental voulant que ce qui est essentiel pour atteindre la norme de sécurité non discriminatoire et raisonnable exigée par la loi, comme l’indique la décision Grismer, n’est pas que les passagers soient capables de recevoir des instructions de l’équipage comme tel, mais plutôt qu’ils soient capables d’exécuter les tâches de sécurité nécessaires au moment opportun.

[45] D’abord, un processus d’évaluation adéquat doit prévoir l’évaluation individuelle d’une personne sourde et aveugle pour déterminer si elle a besoin de voyager avec un accompagnateur, en commençant par lui donner l’occasion de s’autodéterminer autonome.

[46] Si cette autodétermination est acceptée par le transporteur, alors le processus d’évaluation est terminé.

[47] Si le transporteur a des motifs raisonnables pour remettre en question l’autodétermination, alors le processus d’évaluation ci-après est enclenché par étape :

  1. L’évaluation prend d’abord en compte la capacité de chaque personne de compenser sa déficience.
    Si la compensation par la personne sourde et aveugle suffit pour dissiper les motifs raisonnables du transporteur pour remettre en question l’autonomie de la personne, alors le processus d’évaluation se termine. Si les motifs raisonnables pour remettre en question l’autonomie demeurent, alors le processus d’évaluation continue à la prochaine étape.
  2. L’évaluation, en deuxième lieu, exige que le transporteur envisage des mesures d’atténuation des risques qu’il pourrait prendre. Comme le fait valoir Mme Bavin, voici des exemples de mesures d’atténuation des risques pertinentes qui pourraient être envisagées :
    • faire asseoir une personne dans un siège (p. ex., un siège côté hublot) dans lequel elle risquerait moins d’entraver la sortie des autres passagers pendant une évacuation d’urgence;
    • lui offrir de toucher l’équipement de sécurité comme les issues de secours, les masques à oxygène et les dispositifs de flottaison.

Si l’atténuation de risque mise en place par le transporteur dissipe les motifs raisonnables pour remettre en question l’autonomie de la personne, alors le processus d’évaluation se termine. Si les motifs raisonnables pour remettre en question l’autonomie demeurent, alors le processus d’évaluation continue à la prochaine étape.

  1. Finalement, l’évaluation peut exiger de mener à bien toutes les autres procédures, comme l’autorisation médicale, jusqu’à ce que les motifs raisonnables du transporteur pour remettre en question l’autonomie de la personne soient dissipés; à défaut de quoi, il pourrait exiger qu’elle voyage avec un accompagnateur.

[48] La seconde caractéristique d’un processus d’évaluation adéquat est qu’il doit être fondé sur une norme de sécurité raisonnable et non discriminatoire, et non sur une norme de sécurité absolue. Dans la décision Grismer, la Cour suprême a reconnu que dans le contexte du transport public, une norme de « sécurité absolue » (c.-à-d. qui ne tolère aucun risque) est impossible :

La preuve indique que le Surintendant a établi un objectif de sécurité raisonnable. Il lui aurait été impossible de fixer un objectif de sécurité routière absolue étant donné que le conducteur parfait n’existe pas. La capacité de conduire varie même chez les conducteurs dont la vision, l’ouïe et les réflexes sont excellents. De plus, bien des gens obtiennent un permis même si leurs caractéristiques physiques sont susceptibles d’en faire des conducteurs plus à risque que la moyenne. Les consultants médicaux de la Direction des véhicules automobiles, qui évaluent le risque que comporte la délivrance de permis aux conducteurs atteints de diverses déficiences, semblaient conscients des contraintes qui peuvent résulter de la perte du permis de conduire. Ces consultants ont soupesé le besoin des gens d’obtenir un permis en fonction de la nécessité d’assurer une sécurité raisonnable sur les routes. […]

[49] Les transporteurs aériens exploitent déjà selon une norme de sécurité raisonnable pour les passagers qui ne sont ni sourds ni aveugles. Les transporteurs tiennent pour acquis certains risques en n’évaluant pas l’aptitude à voyager de chaque passager, malgré la possibilité que certains puissent ne pas être en mesure de réagir de façon appropriée ni de procéder à l’évacuation en temps opportun durant une urgence. Parmi ces passagers, on compte les personnes âgées, les passagers ayant une déficience non apparente (comme une déficience cognitive ou de santé mentale), et les passagers qui ne comprennent ni l’anglais ni le français, et qui ne seraient donc pas en mesure de recevoir des instructions précises de l’équipage s’il y avait de la fumée dans la cabine. Les personnes sourdes et aveugles ne devraient pas avoir à atteindre une norme de sécurité absolue lorsqu’aucun autre passager n’est tenu à cette norme impossible.

[50] À la lumière de ce qui précède, l’Office est d’avis que, dans le contexte du transport de passagers, une norme de sécurité doit être :

  1. raisonnable,
  2. non discriminatoire (c.-à-d. tolère le même niveau de risque pour toutes les personnes ayant une déficience).

[51] Troisièmement, pour veiller à ce qu’il soit objectif, un processus d’évaluation adéquat doit permettre d’évaluer l’autonomie d’une personne sourde et aveugle en se fondant sur sa capacité de répondre à des critères précis. Par exemple, comme il est décrit dans la détermination du caractère abusif d’un obstacle (voir la section intitulée Détermination du caractère abusif d’un obstacle qui commence à la page 12), Air Canada prescrit une liste de tâches de sécurité que les passagers devraient être en mesure d’exécuter. Ces tâches pourraient former la base objective d’un processus d’évaluation adéquat fondé sur une norme de sécurité raisonnable et non discriminatoire. Cela reflète le principe selon lequel ce n’est pas la capacité du passager de recevoir des instructions de la part de l’équipage qui est essentielle pour atteindre une norme de sécurité raisonnable, mais plutôt sa capacité d’exécuter des tâches de sécurité au moment opportun.

Constatations

[52] L’Office conclut qu’un accommodement approprié qui répond aux besoins liés à la déficience d’une personne sourde et aveugle, y compris à ceux de Mme Bavin (c.-à-d. son droit à voyager de manière indépendante qui se fonde sur son autodétermination) prend la forme suivante :

  1. des tarifs qui incluent la catégorie « PERSONNE SOURDE ET AVEUGLE AUTONOME »;
  2. des politiques et des procédures qui permettent d’appliquer la même norme de sécurité raisonnable et non discriminatoire à l’égard des personnes sourdes et aveugles et qui donnent à ces personnes l’occasion de s’autodéterminer autonomes;
  3. lorsqu’Air Canada a des motifs raisonnables de refuser l’autodétermination d’autonomie d’une personne sourde et aveugle, l’application du processus d’évaluation par étape ci-après, fondé sur une norme de sécurité raisonnable et non discriminatoire :

(i) la possibilité pour la personne sourde et aveugle de démontrer, par un dialogue ou une interaction en personne, comment elle peut compenser sa déficience;

(ii) la considération des mesures qu’Air Canada peut prendre pour atténuer tout risque de sécurité résiduel de la même façon que pour les personnes ayant un autre type de déficience, si Air Canada a des raisons de croire qu’une norme de sécurité raisonnable n’a pas encore été démontrée;

(iii) une évaluation accrue, notamment en effectuant une évaluation médicale, si Air Canada a toujours des raisons de croire qu’une norme de sécurité raisonnable n’a pas encore été démontrée.

[53] L’Office conclut que ce qui précède constitue l’« accommodement approprié » dans le cas présent.

L’accommodement approprié a-t-il été fourni à Mme Bavin?

[54] Même si Air Canada prévoit déjà l’évaluation individuelle d’une personne sourde et aveugle, sa politique et ses procédures ne renferment pas les caractéristiques nécessaires d’un accommodement approprié qui répond aux besoins liés à la déficience d’une personne sourde et aveugle, y compris à ceux de Mme Bavin, comme l’accommodement approprié susmentionné.

[55] En ce qui a trait à la disposition tarifaire 33AC d’Air Canada,

  1. elle n’inclut pas de catégorie « personne sourde et aveugle autonome ». Par conséquent, il s’agit d’une hypothèse discriminatoire selon laquelle toutes les personnes sourdes et aveugles sont non autonomes donc tenues de voyager avec un accompagnateur.

[56] En ce qui a trait à la politique et aux procédures d’Air Canada pour déterminer l’autonomie de Mme Bavin et d’autres personnes sourdes et aveugles :

  1. Air Canada n’applique pas une norme de sécurité raisonnable et non discriminatoire à l’égard des personnes sourdes et aveugles qui leur donnerait la possibilité de s’autodéterminer autonomes;
  2. lorsqu’Air Canada refuse l’autodétermination d’autonomie par une personne sourde et aveugle, Air Canada n’applique pas un processus d’évaluation par étape qui tient d’abord compte de la compensation par une personne ayant une déficience; deuxièmement, considère l’atténuation du risque par le transporteur; et finalement, utilise d’autres procédures, comme l’autorisation médicale.
Constatations

[57] À la lumière de ce qui précède, l’Office conclut que la disposition tarifaire 33AC d’Air Canada, ainsi que sa politique et ses procédures concernant la détermination d’autonomie des personnes sourdes et aveugles, ne fournissent pas un accommodement approprié qui répond aux besoins liés à la déficience d’une personne sourde et aveugle, y compris à ceux de Mme Bavin, et constituent donc un obstacle pour Mme Bavin et pour d’autres personnes sourdes et aveugles.

DÉTERMINATION DU CARACTÈRE ABUSIF D’UN OBSTACLE

Démarche de l’Office pour conclure à l’existence d’un obstacle abusif

[58] Après que l’Office a déterminé qu’une personne ayant une déficience a rencontré un obstacle, il  détermine si le fournisseur de services a justifié, selon la prépondérance des probabilités, son incapacité de fournir l’accommodement que l’Office a jugé approprié ou toute autre forme d’accommodement.

[59] Si le fournisseur de services n’a pas justifié l’obstacle, alors l’Office conclura que l’obstacle est abusif et déterminera les mesures correctives nécessaires pour éliminer l’obstacle abusif.

[60] Si le fournisseur de services a justifié l’obstacle, alors l’Office conclura que l’obstacle n’est pas abusif, et n’ordonnera donc aucune mesure corrective.

Critère de justification

[61] Le critère que doit respecter un fournisseur de services pour justifier l’existence d’un obstacle comporte trois étapes. Le fournisseur de services doit prouver :

Étape 1 : que la source de l’obstacle est rationnellement liée à la fourniture du service de transport;

Étape 2 : que la source de l’obstacle a été adoptée selon la conviction honnête et de bonne foi qu’elle était nécessaire pour fournir le service de transport;

Étape 3 : qu’il ne peut fournir aucun accommodement sans se voir imposer une contrainte excessive.

Analyse

Étape 1 : Lien rationnel

[62] Premièrement, les exigences minimales permettant à un répondant de s’acquitter du fardeau qui lui incombe à cette étape du critère de justification ne sont pas élevées.

[63] Deuxièmement, Mme Bavin ne conteste pas le fait que la politique et les procédures d’Air Canada pour déterminer l’autonomie d’un passager sourd et aveugle sont rationnellement liées à la fourniture des services de transport du transporteur.

[64] Troisièmement, comme Air Canada le fait valoir, un objectif sous-jacent à la disposition tarifaire 33AC, ainsi qu’à sa politique et à ses procédures concernant la détermination de l’autonomie d’une personne sourde et aveugle, est de veiller à ce qu’Air Canada transporte des passagers sourds et aveugles de manière sécuritaire.

Constatation

[65] Par conséquent, l’Office conclut qu’il existe un lien rationnel entre les services de transport aérien d’Air Canada et la disposition 33AC de son tarif intérieur, sa politique et ses procédures concernant la détermination d’autonomie des personnes sourdes et aveugles.

Étape 2 : Conviction honnête et de bonne foi

[66] Premièrement, les exigences minimales permettant à un répondant de s’acquitter du fardeau qui lui incombe à cette étape du critère de justification ne sont pas élevées.

[67] Deuxièmement, Mme Bavin ne conteste pas que l’adoption de la politique et des procédures d’Air Canada est fondée sur la conviction honnête et de bonne foi qu’elles sont nécessaires pour fournir le service de transport du transporteur.

[68] Troisièmement, il n’y a pas de preuve indiquant que l’adoption de la disposition tarifaire 33AC d’Air Canada et de sa politique et ses procédures relativement à la détermination d’autonomie des personnes sourdes et aveugles n’est pas fondée sur la conviction honnête et de bonne foi qu’elles sont nécessaires pour fournir son service de transport aérien.

Constatation

[69] Par conséquent, l’Office conclut que l’adoption de la disposition 33AC du tarif intérieur d’Air Canada et sa politique et ses procédures est fondée sur la conviction honnête et de bonne foi qu’elles étaient nécessaires pour fournir le service de transport du transporteur.

Étape 3 : Contrainte excessive

[70] Les parties ont fourni des présentations sur la contrainte excessive relative à l’accommodement demandé par la demanderesse et sur la politique et les procédures actuelles d’Air Canada.

[71] Toutefois, comme Air Canada ne s’est pas acquittée de son fardeau de déterminer ni de fournir l’accommodement approprié qui répond aux besoins liés à la déficience des personnes sourdes et aveugles, y compris à ceux de Mme Bavin, l’Office a déterminé l’accommodement approprié en se fondant sur les présentations des parties ainsi que sur sa connaissance spécialisée et son expertise. Par conséquent, les présentations des parties sur la contrainte excessive n’étaient pas totalement dans la ligne de l’accommodement approprié déterminé par l’Office.

[72] À la lumière de ce qui précède, l’Office :

  • fera une constatation préliminaire sur la contrainte excessive pour chacun des éléments de l’accommodement approprié, en se fondant sur les présentations des parties qui concernent la contrainte excessive;
  • donnera aux parties une autre occasion de déposer des présentations en réponse à une demande de justification, comme il est établi ci-après.

ÉLÉMENTS DE L’ACCOMMODEMENT APPROPRIÉ

1. Tarifs qui incluent comme « catégorie » de personnes ayant une déficience, « PERSONNE SOURDE ET AVEUGLE AUTONOME »

Faits, preuves et présentations

Air Canada

[73] Air Canada fait valoir que le Règlement de l’aviation canadien, DORS/96-433 (RAC) et les Normes de service aérien commercial (normes) exigent que l’équipage donne des séances d’information verbales ou visuelles sur les mesures de sécurité. Air Canada est d’avis que, si un passager ne peut pas recevoir, assimiler et comprendre de telles directives de sécurité, alors le transporteur violerait ses obligations juridiques.

Mme Bavin

[74] Mme Bavin fait valoir que d’autres transporteurs, comme CanJet et Air Transat, permettent déjà aux personnes sourdes et aveugles de s’autodéterminer autonomes, et exigent seulement que les voyageurs qui sont non autonomes voyagent avec un accompagnateur. Mme Bavin affirme que le fait que Transports Canada ait accepté les tarifs de CanJet et d’Air Transat démontre qu’Air Canada ne renoncerait pas à exercer ses responsabilités en matière de sécurité en permettant aux personnes sourdes et aveugles d’autodéterminer leur autonomie.

Analyse

[75] Comme l’a fait valoir Mme Bavin, les tarifs de CanJet et d’Air Transat admettent la possibilité que des personnes sourdes et aveugles puissent être autonomes, et donc voyagent sans un accompagnateur.

[76] Air Canada ne conteste pas ce fait. De plus, sa politique permet aux personnes sourdes et aveugles de voyager de manière indépendante dans certaines circonstances. Par conséquent, le tarif d’Air Canada va à l’encontre de sa propre pratique et de celle d’autres transporteurs.

Constatation

[77] Par conséquent, l’Office conclut de façon préliminaire qu’Air Canada n’a pas démontré qu’elle se verrait imposer une contrainte excessive si elle modifiait ses tarifs pour inclure, comme catégorie de personnes ayant une déficience « Personne sourde et aveugle autonome ».

2. Politique et procédures qui prévoient l’application d’une norme de sécurité raisonnable et non discriminatoire à l’égard des personnes sourdes et aveugles, qui leur donnent la possibilité de s’autodéterminer autonomes

Faits, preuve et présentations

Air Canada

[78] Air Canada affirme que les passagers complètement sourds et aveugles doivent voyager avec un accompagnateur, car ils ne seront jamais en mesure de répondre à l’objectif souhaité de sécurité raisonnable. Elle se fonde sur la décision Grismer dans laquelle la Cour suprême a reconnu qu’aucun accommodement n’était nécessaire si personne parmi les gens ayant une déficience particulière ne pourra jamais satisfaire à l’objectif souhaité de sécurité raisonnable (p. ex., une personne totalement aveugle ne pourrait pas conduire un véhicule motorisé).

[79] Air Canada affirme que dans des situations d’urgence, les passagers doivent avoir la capacité de recevoir des instructions de l’équipage (des directives criées) ou des commandes visuelles (des signaux manuels) et effectuer différentes tâches (y compris se mettre en position de protection pour atterrissage; détacher sa ceinture de sécurité, et débarquer de l’aéronef dans un laps de temps raisonnable en utilisant le trajet indiqué par l’équipage).

[80] Air Canada cite un rapport de 1997 décrivant une étude effectuée par le Civil Aeromedical Institute des États-Unis qui a démontré que des personnes ayant une déficience prenaient plus de temps à évacuer la cabine que les personnes sans déficience. Air Canada fait valoir que lorsqu’elles avaient de l’aide, les personnes ayant une déficience se déplaçaient beaucoup plus vite; par exemple, une personne sourde était capable de se déplacer plus de deux fois plus rapidement avec de l’assistance.

[81] Air Canada fait référence à l’article 705.40 du RAC et à l’article 725.40 des normes relatives aux procédures requises pour la sécurité des passagers et de la cabine, y compris la façon dont l’information de sécurité doit être communiquée aux passagers, p. ex. des annonces aux passagers pour les alerter de tout danger potentiel qui, selon Air Canada, sont transmises verbalement ou visuellement. Air Canada fait valoir qu’elle a l’obligation de transmettre de façon claire et efficace les directives de sécurité (visuellement et verbalement) à toutes les étapes critiques d’un vol, ainsi que tout changement. Elle fait également valoir que si un passager ne peut pas recevoir, assimiler et comprendre de telles directives de sécurité, elle violerait ses obligations juridiques.

[82] Air Canada ajoute que son manuel pour les agents de bord doit renfermer les renseignements établis dans la Norme relative au Manuel des agents de bord de Transports Canada, qui dresse une liste des commandes et des signaux requis, particulièrement en cas de procédures d’urgence, et fait valoir que la Norme de formation des agents de bord (TP 12296) démontre clairement que la communication par les membres de l’équipage et l’utilisation de commandes et de signaux verbaux est omniprésente dans les exigences.

[83] Air Canada renvoie également à la décision no 435-AT-A-2005 (Morten c. Air Canada), à la décision de la Cour fédérale dans OTC c. Morten, 2010 CF 1008, et à la décision de la Cour d’appel fédérale dans CCDP c. OTC, 2011 CAF 332 dans lesquelles, fait valoir Air Canada, on a déjà examiné et jugé acceptable la détermination d’Air Canada concernant l’autonomie des personnes sourdes et aveugles.

Mme Bavin

[84] Mme Bavin renvoie à la décision Grismer dans laquelle on a conclu que la preuve qu’un groupe en particulier (dans le cas présent, les personnes sourdes et aveugles) est traité plus sévèrement que d’autres (dans le cas présent, les personnes ayant un autre type de déficience) sans justification apparente pourrait indiquer que la norme appliquée à ce groupe n’est pas nécessairement raisonnable.

[85] Mme Bavin indique que l’hypothèse selon laquelle les personnes sourdes et aveugles sont non autonomes est fondée sur des stéréotypes et des préjudices de longue date. Elle explique qu’il y a un éventail de déficiences auditives et visuelles et que la plupart des personnes ayant une déficience auditive et visuelle ont encore une certaine capacité de vision et d’ouïe.

[86] Mme Bavin fait valoir que la liste de tâches liées à la sécurité établie par Air Canada s’applique uniformément à tous les passagers, mais que les personnes sourdes et aveugles font partie des quelques groupes qu’on présume non autonomes et incapables d’effectuer ces tâches. Mme Bavin fait valoir qu’à titre de condition pour pouvoir voyager de manière indépendante, les personnes sourdes et aveugles doivent réfuter l’hypothèse qu’elles sont non autonomes en fournissant une évaluation médicale.

[87] Mme Bavin fait valoir que de nombreux voyageurs à qui on permet l’autodétermination risquent de faire face à des difficultés avec les tâches de sécurité décrites par Air Canada, comme une personne âgée ou un passager ayant une obésité morbide qui pourrait avoir de la difficulté à s’installer dans un radeau ou encore de s’éloigner à la nage; un passager ayant une mobilité réduite grave qui pourrait avoir de la difficulté à débarquer de l’aéronef en un temps raisonnable; et un passager ayant une déficience visuelle grave qui ne parle pas l’anglais et qui aurait donc de la difficulté à comprendre les instructions de l’équipage et à voir les commandes visuelles. Mme Bavin fait valoir que dans tous ces cas, toutefois, le passager aura la permission d’Air Canada de s’autodéterminer autonome sans obtenir une autorisation médicale.

[88] Mme Bavin fait valoir qu’Air Canada n’a pas expliqué en quoi le risque que posent les personnes sourdes et aveugles de réagir en retard à une situation d’urgence est plus grand que le risque accepté que posent les voyageurs à mobilité réduite ou ayant une obésité morbide et qui ont besoin d’assistance pour débarquer de l’aéronef, ou que le risque que posent les voyageurs ayant une déficience visuelle qui ne parlent ni l’anglais ni le français.

[89] Mme Bavin renvoie au paragraphe ci-après dans la décision du département des Transports des États-Unis, SouthWest Airlines Co. Enforcement Proceeding, dossier no 42425, arrêté no 87-11-16 (décision SouthWest) et ajoute que le département des Transports des États-Unis a conclu que même les passagers sans déficience pouvaient poser des risques pour eux-mêmes et pour les autres en situation d’urgence :

[traduction]

Les circonstances entourant les évacuations d’urgence pourraient diminuer la capacité d’un passager de voir ou d’entendre les instructions d’un agent de bord. Les passagers valides pourraient être rendus sourds et aveugles en raison des conditions d’un accident. La fumée, l’obscurité et les émanations irritantes pourraient troubler la vue. De plus, il est souvent impossible de prédire si les instructions d’un agent de bord en cas d’urgence seront respectées. De nombreux passagers ont des réactions inappropriées : ils peuvent paniquer, paralyser, hésiter et même ouvrir la mauvaise porte de sortie […]

[90] Mme Bavin fait valoir que, comme dans la décision SouthWest, Air Canada n’a fourni aucun élément de preuve voulant que les personnes sourdes et aveugles poseront un risque plus important que d’autres catégories de passagers qui ont habituellement le droit de voyager par avion sans accompagnateur, comme les personnes dans les exemples susmentionnés.

[91] Mme Bavin n’est pas d’accord avec l’affirmation d’Air Canada selon laquelle l’Office a déjà examiné et jugé acceptable le processus d’Air Canada pour déterminer l’autonomie des personnes sourdes et aveugles. Mme Bavin fait valoir que la décision de l’Office dans Morten a été rendue avant que la Cour suprême du Canada confirme, dans l’affaire Conseil des Canadiens ayant une déficience c. VIA Rail Canada Inc., [2007] 1 R.C.S. 650 (CCD-VIA), que les dispositions relatives au transport accessible de la LTC constituent une législation sur les droits de la personne et que les fournisseurs de services doivent prouver qu’ils sont incapables de fournir l’accommodement demandé sans se voir imposer une contrainte excessive.

[92] En ce qui a trait à l’étude déposée par Air Canada, Mme Bavin fait valoir que la vraie question n’est pas de savoir si les personnes ayant une déficience évacuent plus lentement les lieux que les personnes sans déficience, mais bien si les personnes sourdes et aveugles posent un risque plus substantiel que les passagers ayant un autre type de déficience à qui on permet de s’autodéterminer autonomes.

[93] De plus, Mme Bavin fait valoir qu’Air Canada n’a fourni aucun fondement juridique pour affirmer que seules des communications verbales et visuelles répondent à ses obligations juridiques. Mme Bavin fait valoir que le paragraphe 725.43[2] du RAC prévoit que la séance d’information individuelle sur les mesures de sécurité pourrait inclure la description détaillée et la reconnaissance tactile de l’équipement que le passager pourrait avoir à utiliser; le nombre de rangées de sièges entre son siège et l’issue la plus proche et une autre issue; aider à toucher l’issue pour mieux la reconnaître; ou la communication de renseignements précis par l’intermédiaire d’un interprète ou de l’accompagnateur.

[94] Mme Bavin ajoute que dans la définition que donne Air Canada d’une personne autonome, un passager ayant une mobilité réduite peut être considéré comme étant autonome et capable de voyager sans accompagnateur même si une assistance à l’embarquement ou au débarquement est nécessaire. Mme Bavin fait valoir que les normes prévoient la fourniture d’aide à un passager ayant une mobilité réduite afin de l’aider à se rendre rapidement vers une issue en cas d’urgence. Mme Bavin fait valoir que, contrairement à une personne sourde et aveugle, un passager ayant une mobilité réduite qui requiert de l’assistance en cas d’urgence pourrait s’autodéterminer autonome et voyager sans accompagnateur. Mme Bavin fait valoir qu’Air Canada n’a pas fourni de justification relativement à ce traitement différent.

Analyse

[95] L’Office reconnaît depuis longtemps que les personnes ayant une déficience ont différents degrés de capacités et d’incapacités fonctionnelles, et un transporteur ne devrait pas faire d’hypothèses à cet égard.

[96] La disposition 33AC du tarif intérieur d’Air Canada reflète l’hypothèse selon laquelle les personnes sourdes et aveugles sont non autonomes. Cette hypothèse est également à la base de la politique et des procédures d’Air Canada qui exigent que les personnes sourdes et aveugles réfutent cette hypothèse en fournissant une évaluation médicale. Toutefois, Air Canada permet aux personnes ayant un autre type de déficience de déterminer leur autonomie sans obtenir d’autorisation médicale.

[97] Air Canada fait valoir que sa politique et ses procédures concernant la détermination d’autonomie des personnes sourdes et aveugles ont déjà été examinées et jugées acceptables par l’Office. Air Canada renvoie à la décision Morten de 2005, qui portait également sur le voyage en toute indépendance d’une personne sourde et aveugle. Toutefois, la décision Morten peut se distinguer du cas présent. Les affaires portant sur l’accessibilité sont inévitablement fondés sur des faits : leurs conclusions sont fondées sur la preuve fournie par les parties à l’affaire, et les mesures d’accommodement évolueront au fil du temps en fonction des circonstances changeantes, comme la nouvelle technologie. Par conséquent, les décisions antérieures de l’Office relatives à l’accessibilité ne sont pas déterminantes.

[98] Dans la décision Grismer, la Cour suprême a conclu que même si l’absence de vision périphérique peut réduire la capacité d’une personne d’anticiper des urgences et de réagir, cela ne soutient pas la conclusion voulant que ces personnes ne pourront jamais satisfaire à la norme de sécurité routière raisonnable pour deux raisons :

En premier lieu, cela présuppose l’existence d’une norme de perfection qui, comme nous l’avons vu, n’est pas la norme générale que la Direction des véhicules automobiles applique aux gens qui tentent d’obtenir un permis de conduire. Chaque jour, des permis sont délivrés à de nombreuses personnes dont la capacité de conduire varie. En deuxième lieu, l’idée qu’il est impossible de composer avec les personnes atteintes de H.H. sans trop compromettre la sécurité est contredite par le fait que certains conducteurs qui n’ont qu’une vision périphérique partielle paraissent conduire de façon sécuritaire et que d’autres organismes étatiques de délivrance de permis les autorisent à conduire. [Décision Grismer, paragraphe 35]

[99] Air Canada est d’avis que sa politique qui exige que les personnes complètement sourdes et aveugles voyagent avec un accompagnateur cadre avec l’orientation de la Cour suprême dans la décision Grismer; plus particulièrement qu’aucun accommodement n’est raisonnablement nécessaire si personne parmi les gens ayant une déficience particulière ne pourra jamais satisfaire à l’objectif souhaité de sécurité raisonnable. Toutefois, Air Canada n’a fourni aucune preuve pour démontrer que toutes les personnes sourdes et aveugles sont incapables de réagir en situation d’urgence – c.-à-d. effectuer des tâches de sécurité comme enfiler un masque à oxygène, prendre une position de protection, se déplacer vers une issue de secours au moment approprié – si elles n’entendent pas et ne voient pas les instructions du personnel de cabine.

[100] L’Office est d’accord avec Mme Bavin qu’il est concevable que de nombreux passagers autorisés à s’autodéterminer autonomes auraient de la difficulté à effectuer des tâches de sécurité déterminées par Air Canada et qu’Air Canada n’a pas expliqué en quoi le risque que posent les personnes sourdes et aveugles de retarder l’évacuation d’un aéronef est plus grand que le risque accepté que posent d’autres passagers, notamment les personnes ayant une mobilité réduite ou celles ayant une obésité morbide.

[101] La Cour suprême a également précisé dans la décision Grismer qu’il est inapproprié d’appliquer une norme de perfection. L’Office est d’avis que l’hypothèse de non-autonomie qui est à la base de la politique d’Air Canada reflète une norme de perfection à l’égard des personnes sourdes et aveugles, donc ne cadre pas avec l’orientation de la Cour suprême. Air Canada n’est pas prête à admettre pour les personnes sourdes et aveugles le même niveau de risque qu’elle accepte pour les personnes ayant un autre type de déficience qui sont jugées autonomes. Au contraire, Air Canada estime qu’elles sont non autonomes et leur permet de voyager seulement si elles subissent une évaluation médicale prouvant leur autonomie ou si elles sont accompagnées d’un préposé. Plutôt que de présumer que des passagers sourds et aveugles ne peuvent pas effectuer des tâches de sécurité s’ils n’ont pas entendu ni vu les instructions du personnel de cabine, Air Canada doit déterminer ce fait pour chaque passager au moyen d’une évaluation adéquate.

[102] En ce qui concerne la préoccupation d’Air Canada selon laquelle, si un passager ne peut pas recevoir, assimiler et comprendre des directives de sécurité, elle violerait ses obligations juridiques, rien dans le RAC n’exige qu’un transporteur s’assure que tous ses passagers peuvent entendre ou voir les instructions du personnel de cabine. En fait, aucun moyen ne permet à Air Canada de s’en assurer, particulièrement parce qu’elle ne prescrit pas l’endroit où les passagers ayant une déficience auditive ou visuelle sont assis par rapport au personnel de cabine, et compte tenu du fait que dans des situations d’urgence, il y a souvent beaucoup de bruit et la visibilité est réduite, ce qui réduit effectivement les capacités auditives et visuelles de tous les passagers. De plus, rien dans le RAC n’empêche Air Canada de communiquer également les directives de sécurité par des moyens autres que visuels ou verbaux; par exemple, en fournissant des signaux tactiles pour indiquer le besoin d’enfiler un masque à oxygène, de prendre la position de protection, et ainsi de suite. En effet, le RAC prévoit même la fourniture d’assistance à un passager ayant une mobilité réduite pour se rendre rapidement vers une issue en cas d’urgence.

[103] Compte tenu de ce qui précède, l’Office est d’avis qu’il n’y a rien d’explicite ni d’implicite dans le RAC pour empêcher Air Canada de modifier sa politique et ses procédures concernant l’autonomie des personnes sourdes et aveugles afin de refléter une norme de sécurité raisonnable et non discriminatoire, et de fournir à ces personnes l’occasion de s’autodéterminer autonomes.

Constatations

[104] Par conséquent, l’Office conclut de façon préliminaire qu’Air Canada n’a pas prouvé qu’elle se verrait imposer une contrainte excessive si elle modifiait sa politique et ses procédures pour appliquer une norme de sécurité raisonnable et non discriminatoire à l’égard des personnes sourdes et aveugles et qui leur donnerait la possibilité de s’autodéterminer autonomes.

3. (i)  la possibilité pour la personne sourde et aveugle de démontrer, par un dialogue ou une interaction en personne, comment elle peut compenser sa déficience

Faits, preuve et présentations

Air Canada

[105] Air Canada affirme que la compensation du risque associé au transport de passagers sourds et aveugles est de déterminer s’ils peuvent comprendre et assimiler des instructions visuelles ou verbales données par l’équipage. Air Canada ajoute que, d’un autre côté, les passagers complètement sourds et aveugles doivent voyager avec un accompagnateur.

[106] Air Canada fait valoir qu’elle comprend que les passagers sourds et aveugles développent des aptitudes à communiquer. Toutefois, Air Canada fait valoir que ces méthodes, comme de dessiner un X sur le dos d’une personne, ne permettent pas de transmettre les détails qui doivent être communiqués aux passagers en situation d’urgence. Elle fait également valoir que ces méthodes ne peuvent pas être utilisées dans des situations d’urgence où l’équipage a des fonctions précises à exécuter et doit communiquer les instructions d’urgence par des moyens verbaux ou visuels.

[107] Air Canada affirme que, dans des situations d’urgence, les passagers doivent avoir la capacité de faire ce qui suit :

  • recevoir des instructions de l’équipage (directives criées) ou encore des commandes visuelles (signaux avec les mains);
  • prendre la position de protection;
  • détacher la ceinture de sécurité (en entendant l’instruction de l’équipage ou en voyant la signalisation à cet effet);
  • débarquer de l’aéronef dans un laps de temps raisonnable en utilisant les trajets indiqués par l’équipage;
  • se rendre à l’issue la plus près (toutes les autres situations d’urgence) indiquée par l’équipage;
  • extraire le gilet de sauvetage sous les sièges; retirer le gilet de sauvetage du sac; enfiler le gilet de sauvetage; attacher le gilet de sauvetage à l’aide des courroies; et gonfler le gilet de sauvetage;
  • remarquer, situer et enfiler les masques à oxygène à partir du panneau abaissable;
  • embarquer dans un radeau;
  • sauter dans l’eau (si l’aéronef est équipé de glissades) et s’éloigner à la nage.
Mme Bavin

[108] Mme Bavin fait valoir qu’Air Canada n’a pas expliqué en quoi le fait d’accepter l’autodétermination d’une personne sourde et aveugle serait plus risqué que d’accepter l’autodétermination d’une personne ayant un autre type de déficience, comme un voyageur ayant une obésité morbide ou une mobilité réduite. Compte tenu du large éventail de déficiences visuelles et auditives et du grand nombre de mesures de compensation et d’atténuation possibles, Mme Bavin fait valoir que l’exigence générale d’Air Canada selon laquelle toutes les personnes sourdes et aveugles doivent prouver par un moyen médical leur capacité de voyager sans accompagnateur ne se justifie pas. Mme Bavin ajoute que la politique d’Air Canada n’explique pas quelle considération devrait être donnée, sur le plan de la compensation, aux prothèses auditives, aux implants cochléaires ou autres.

[109] Mme Bavin fait valoir que les passagers sourds et aveugles peuvent être en mesure de bien exécuter des tâches liées à la sécurité sans avoir d’instructions de l’équipage. Ils peuvent :

  • utiliser l’odorat et le toucher pour confirmer les mouvements et les actions autour d’eux, comme une foulée vers les issues de secours;
  • utiliser une canne ou un chien-guide pour s’orienter;
  • ressentir, par les vibrations dans l’aéronef, le besoin d’adopter la position de protection en cas d’atterrissage ou d’arrêt d’urgence;
  • ressentir les effets de la décompression, donc savoir qu’il faut enfiler le masque à oxygène.

[110] Mme Bavin fait valoir que l’affirmation d’Air Canada concernant d’autres formes de communication ne reconnaît pas que les personnes sourdes et aveugles communiquent souvent de la même façon que les personnes sans déficience auditive et visuelle. Mme Bavin clarifie que, par exemple, les personnes sourdes et aveugles peuvent communiquer en utilisant :

  • le langage des signes, la lecture sur les lèvres, des prothèses auditives ou encore des implants cochléaires;
  • la parole pour confirmer les instructions;
  • la vision résiduelle pour voir les objets, les signaux et les gens;
  • des dispositifs électroniques, comme des téléphones, pour transmettre des renseignements oraux et visuels;
  • des verres pour lire des imprimés ou voir au loin.

Analyse

[111] Conformément à la décision Grismer, l’Office est d’avis que si, pour des raisons de sécurité, un transporteur remet en question le souhait d’une personne ayant une déficience de voyager sans accompagnateur, le transporteur doit évaluer de manière adéquate la capacité de la personne à compenser sa déficience. Plus particulièrement, les transporteurs doivent tenir compte des capacités uniques de la personne et de la mesure dans laquelle cette personne a développé des mécanismes de compensation pour accroître son niveau d’autonomie.

[112] Air Canada limite sa considération de la capacité d’une personne à compenser la perte d’audition et de vision à déterminer si ces personnes ont une ouïe ou une vision résiduelle suffisante.

[113] L’Office reconnaît que la vision ou l’ouïe résiduelles pourraient s’avérer une mesure de compensation, surtout si elles ont été prises en compte en fonction du lieu où se trouve le siège de la personne par rapport à l’endroit d’où le personnel de cabine fournirait les directives visuelles ou verbales de sécurité. Toutefois, l’Office est d’avis que c’est la capacité d’un passager d’effectuer en fait des tâches liées à la sécurité au moment opportun qui est pertinente à la sécurité, et non l’ampleur de sa déficience (p. ex., à savoir si le passager a une ouïe ou une vision résiduelles).

[114] À la lumière de ce qui précède, l’Office est d’avis qu’Air Canada n’a soulevé aucune contrainte qui l’empêcherait de fournir à une personne sourde et aveugle la possibilité de démontrer, par un dialogue ou une interaction en personne, la façon dont elle peut compenser sa déficience. Plus particulièrement, l’Office est d’avis qu’Air Canada n’a pas démontré qu’elle ne peut pas évaluer la capacité d’une personne sourde et aveugle de compenser sa déficience selon sa capacité d’effectuer les tâches nécessaires liées à la sécurité sans s’appuyer sur les directives visuelles ou verbales de sécurité fournies par le personnel de cabine.

Constatation

[115] L’Office conclut de façon préliminaire qu’Air Canada n’a pas démontré qu’elle se verrait imposer une contrainte excessive si elle donnait l’occasion à une personne sourde et aveugle de démontrer, par un dialogue ou une interaction en personne, comment elle peut compenser sa déficience.

3.(ii) Considération des mesures qu’Air Canada peut prendre pour atténuer tout risque de sécurité résiduel de la même façon qu’elle le fait pour les personnes ayant une autre type de déficience

Faits, preuve et présentations

Air Canada

[116] Air Canada affirme que la seule mesure possible d’atténuation des risques est (1) de permettre à des passagers ayant une vision ou une ouïe résiduelles suffisantes pour réagir aux directives de sécurité de l’équipage de voyager sans accompagnateur, ou (2) de transporter les passagers complètement sourds et aveugles avec un accompagnateur.

Mme Bavin

[117] Mme Bavin indique qu’Air Canada n’a fourni aucune autre mesure d’atténuation des risques, par exemple attribuer dans l’aéronef un siège à une personne ayant une déficience de manière à ce qu’elle ne gêne pas l’évacuation des autres passagers.

[118] Mme Bavin fait valoir que l’outil de l’Office intitulé « Voyager avec un accompagnateur dans le réseau de transport fédéral : Outil d’information pour les personnes ayant une déficience et les transporteurs » décrit les mesures d’atténuation des risques qui peuvent être utilisées avec des mesures de compensation afin de minimiser tout risque pour la sécurité.

Analyse

[119] Comme le fait valoir Mme Bavin, Air Canada n’a déterminé aucune mesure possible d’atténuation des risques qu’elle pourrait employer pour atténuer tout risque de sécurité résiduel que poseraient des passagers sourds et aveugles sans accompagnateur de la même façon qu’elle le fait pour les personnes ayant un autre type de déficience, comme les personnes ayant une mobilité réduite, les personnes âgées ou les personnes ayant une déficience en raison d’une obésité morbide.

Constatation

[120] L’Office conclut de façon préliminaire qu’Air Canada n’a pas démontré qu’elle se verrait imposer une contrainte excessive si elle considérait des mesures possibles d’atténuation des risques qu’elle pourrait employer pour atténuer tout risque de sécurité résiduel que poseraient des passagers sourds et aveugles non accompagnés de la même façon qu’elle le fait pour les personnes ayant un autre type de déficience.

3.(iii) régler toute préoccupation restante concernant l’autonomie d’une personne au moyen d’une évaluation accrue, notamment en effectuant une évaluation médicale

Faits, preuve et présentations

Air Canada

[121] Air Canada n’a fait aucune présentation qui porte sur la contrainte excessive relativement à cet aspect de l’accommodement approprié.

Mme Bavin

[122] Mme Bavin fait valoir qu’une personne sourde et aveugle ne devrait pas être tenue de remplir un formulaire État de santé des personnes désirant voyager à moins qu’un dialogue avec le voyageur amène le transporteur à croire qu’il ne peut pas effectuer le vol en toute sécurité sans une assistance médicale inhabituelle.

Analyse

[123] Air Canada n’a soulevé aucune contrainte portant sur une évaluation accrue de l’autonomie d’une personne sourde et aveugle, notamment en effectuant une évaluation médicale, seulement après avoir étudié des mesures de compensation et d’atténuation des risques.

Constatation

[124] Par conséquent, l’Office conclut de façon préliminaire qu’Air Canada n’a pas démontré qu’elle se verrait imposer une contrainte excessive si son processus d’évaluation prend d’abord en compte des mesures de compensation et d’atténuation et n’effectue qu’ensuite une évaluation accrue, par exemple une évaluation médicale, s’il lui reste un doute raisonnable à propos de l’autonomie de la personne, dans le contexte de l’atteinte d’une norme de sécurité raisonnable.

Conclusion

[125] L’Office conclut de façon préliminaire qu’Air Canada n’a pas justifié qu’elle ne pouvait pas fournir l’accommodement approprié déterminé par l’Office. Par conséquent, l’Office conclut de façon préliminaire que la disposition tarifaire 33AC d’Air Canada et sa politique et ses procédures concernant la détermination d’autonomie des personnes sourdes et aveugles, y compris de Mme Bavin, constituent un obstacle abusif à leur possibilité de déplacement.

DEMANDE DE JUSTIFICATION

[126] À la lumière de la conclusion préliminaire de l’Office sur la contrainte excessive, il donne à Air Canada l’occasion :

  • de fournir des arguments sur la contrainte excessive relativement à l’accommodement approprié déterminé par l’Office et de justifier pourquoi l’Office ne devrait pas rendre définitive sa conclusion préliminaire sur la contrainte excessive et sur l’obstacle abusif;
  • de proposer une mesure équivalente, y compris d’expliquer en détail :
    • en quoi la mesure permettra de répondre efficacement aux besoins des personnes sourdes et aveugles, y compris à ceux de Mme Bavin;
    • la façon dont Air Canada mettra en œuvre sa proposition;
  • d’accepter de mettre en œuvre l’accommodement approprié déterminé par l’Office.

AUTRE QUESTION

[127] Air Canada fait valoir que l’Office lui demande d’effectuer une analyse de l’évaluation des risques qui va à l’encontre des exigences de conformité relatives à la réglementation et aux normes de sécurité. Air Canada fait valoir que le RAC et les normes établissent clairement les obligations de sécurité et de sûreté des transporteurs, y compris dans le contexte des séances d’information sur les mesures de sécurité et de sûreté.

[128] Mme Bavin interprète la position d’Air Canada comme étant une allégation selon laquelle l’Office excède sa compétence en demandant à Air Canada d’effectuer une évaluation des risques pour les personnes sourdes et aveugles qui voyagent sans accompagnateur et les passagers ayant un autre type de déficience. Mme Bavin fait valoir que, contrairement à ce qu’Air Canada laisse entendre, l’Office a compétence pour entendre cette plainte, car elle ne conteste aucune exigence législative. Elle explique que sa plainte remet en question la politique et les procédures d’Air Canada et que si l’Office conclut qu’elles imposent des obstacles abusifs aux possibilités de déplacement des personnes sourdes et aveugles, l’Office a compétence pour exiger qu’Air Canada les modifie en conséquence.

Analyse et constatations

[129] Il est clair que le RAC et les normes que gère Transports Canada établissent les obligations des transporteurs en matière de sécurité et de sûreté, y compris dans le contexte des séances d’information sur les mesures de sécurité et de sûreté. Même si Transports Canada est responsable d’établir des règles et des règlements en matière de sécurité, l’Office considère néanmoins les questions de sécurité dans l’exercice de son mandat sur l’accessibilité. Par exemple, l’Office se penche sur la question de savoir si les politiques des transporteurs relatives à la sécurité créent par inadvertance et inutilement des obstacles abusifs aux possibilités de déplacement des personnes ayant une déficience. Par conséquent, l’Office a compétence pour étudier la demande de Mme Bavin en vertu de l’article 172 de la LTC.

[130] L’Office reconnaît la préoccupation d’Air Canada à propos d’un conflit possible avec des exigences réglementaires. Toutefois, l’Office est d’avis, à titre préliminaire, que l’argument d’Air Canada est sans fondement, parce que l’Office ne fait qu’exiger d’Air Canada qu’elle applique un processus d’évaluation non discriminatoire; l’Office ne lui dicte pas un résultat particulier pour ce processus. L’Office n’exige pas qu’on donne à une personne sourde et aveugle en particulier, non plus à toutes les personnes sourdes et aveugles, la permission de voyager par avion de manière indépendance.

[131] Quoi qu’il en soit, par la demande de justification, l’Office donne à Air Canada, l’occasion de présenter toute preuve, y compris de la part de Transports Canada, à l’appui de sa position.

DIRECTIVES PROCÉDURALES

[132] Par conséquent, Air Canada a jusqu’au 5 mai 2015 pour déposer ses présentations auprès de l’Office et en fournir une copie à Mme Bavin. Lorsque les présentations d’Air Canada auront été reçues, Mme Bavin aura dix jours ouvrables pour déposer auprès de l’Office ses commentaires sur les présentations d’Air Canada, et en fournir une copie à Air Canada. Lorsque les présentations de Mme Bavin auront été reçues, Air Canada disposera de cinq jours ouvrables pour répliquer aux commentaires de Mme Bavin, et en fournir une copie à Mme Bavin.

[133] Chaque partie doit s’assurer que ses présentations se limitent aux questions énoncées dans la demande de justification.

[134] Il revient aux parties de veiller à ce que leurs présentations soient déposées dans les délais consentis et envoyées à toutes les parties à l’instance.

[135] Pour veiller à ce que les instances de l’Office soient efficaces, l’Office accepte de prolonger les délais seulement dans des circonstances exceptionnelles. Les facteurs que l’Office prend en compte dans toute requête de prolongation se trouvent en ligne à l’adresse http://www.otc-cta.gc.ca/fra/prolongation. Les parties doivent accompagner une telle requête d’éléments de preuve clairs et convaincants.

Membre(s)

Sam Barone
P. Paul Fitzgerald
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