Décision n° 48-C-A-2020
DEMANDE présentée par Omar Zahraoui (partie demanderesse) contre Air Canada au titre du paragraphe 110(4) du Règlement sur les transports aériens (DORS/88-58) concernant un retard de bagage.
RÉSUMÉ
[1] La partie demanderesse a déposé une demande auprès de l’Office des transports du Canada (Office) contre Air Canada relativement au retard de sa pièce de bagage enregistrée et d’articles manquants à la suite d’un vol de Toronto (Ontario) à Casablanca, Maroc, via Montréal (Québec). La partie demanderesse cherche aussi à obtenir une explication à propos de l’annulation de son vol pour Montréal à l’aéroport Billy Bishop de Toronto (aéroport Billy Bishop). La partie demanderesse allègue qu’elle a subi une fouille abusive à l’aéroport de Montréal, en contravention de son droit prévu à l’article 8 (protection contre les fouilles et saisies abusives) de la Charte canadienne des droits et libertés (partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R-U), 1982, c 11) (Charte) [droit prévu à l’article 8 de la Charte].
[2] Au titre l’article 22, paragraphe 2 de la Convention pour l’unification de certaines règles relatives au transport aérien international – Convention de Montréal (Convention de Montréal), la partie demanderesse réclame une indemnité de 2 100 CAD, ventilée comme suit :
- articles manquants dans la pièce de bagage enregistrée retardée :
chemise Lacoste – prix d’achat : 120 CAD;
veste Levi’s – prix d’achat : 180 CAD;
- taxi pour se rendre à l’aéroport Fez Saiss (aéroport de Fez) : 100 CAD;
- kilométrage (distance de 12 km de la maison de ses parents à l’aéroport de Fez) : 14 CAD;
- communications téléphoniques : 17 CAD;
- temps perdu et désagréments : 500 CAD.
[3] L’Office se penchera sur les questions suivantes :
- Air Canada a-t-elle correctement appliqué les conditions énoncées dans son tarif intitulé International Passenger Rules and Fares Tariff No. AC-2 Containing Local and Joint Rules, Regulations, Fares and Charges on Behalf of Air Canada applicable to the Transportation of Passengers and Baggage Between Points in Canada/USA Areas 1/2/3 and between the USA and Canada, NTA(A) No. 458 (tarif) en ce qui a trait à la responsabilité des transporteurs relativement aux bagages retardés et endommagés, comme l’exige le paragraphe 110(4) du Règlement sur les transports aériens (DORS/88-58) (RTA)?
- Si Air Canada n’a pas correctement appliqué les conditions énoncées dans son tarif, quelle mesure corrective, le cas échéant, l’Office devrait-il ordonner?
[4] Pour les motifs énoncés ci-après, l’Office conclut qu’Air Canada n’a pas correctement appliqué les conditions énoncées dans la règle 105(B)(5) de son tarif lorsqu’elle a refusé d’indemniser la partie demanderesse des dépenses supportées en raison du retard dans la livraison de sa pièce de bagage. Par conséquent, l’Office ordonne à Air Canada de verser au demandeur une indemnité de 117 CAD. Ce montant doit être versé le plus tôt possible, mais au plus tard le 13 août 2020.
CONTEXTE
[5] La partie demanderesse a réservé un vol aller-retour exploité par Air Canada, de Toronto à Casablanca, via Montréal, dont le départ était prévu le 24 février 2019 et le retour le 4 mars 2019. À son arrivée à Casablanca, le 25 février 2019, la partie demanderesse n’a pas trouvé sa pièce de bagage et a rempli un rapport de perte matérielle. Le bagage a été livré à la partie demanderesse le 1er mars 2019, à l’aéroport de Fez, car la partie demanderesse visitait ses parents à Fez, Maroc. La partie demanderesse a remarqué que des vêtements (une chemise Lacoste et une veste Levi’s) manquaient dans la pièce de bagage retardée. Le demandeur a alors communiqué avec Air Canada afin de demander une indemnisation pour les articles manquants, mais pour lesquels il n’avait pas de reçu.
[6] Le 18 mars 2019, Air Canada a avisé la partie demanderesse qu’elle ne pouvait pas accorder une indemnité, faute de reçu.
OBSERVATIONS PRÉLIMINAIRES
Droit de protection contre les fouilles et les saisies abusives, article 8 de la Charte
[7] L’Office est restreint aux pouvoirs que lui confère la Loi sur les transports au Canada, LC 1996, c 10. Il n’a pas compétence pour rendre une décision à savoir si le droit du demandeur prévu à l’article 8 de la Charte a été violé. L’Office n’examinera donc pas cette question.
Questions et demande de production de documents
[8] Aux termes du paragraphe 24(1) des Règles de l’Office des transports du Canada (Instances de règlement des différends et certaines règles applicables à toutes les instances) (DORS/2014-104) (Règles pour le règlement des différends), toute partie peut demander à une partie qui a des intérêts opposés aux siens de répondre à des questions écrites ou de produire des documents qui sont pertinents à l’affaire. Selon le paragraphe 24(3), la partie qui souhaite s’opposer à une demande dépose une opposition exposant de manière claire et concise les motifs de l’opposition. Selon l’article 32, une partie peut déposer une requête pour demander une réponse complète de la partie à qui l’avis a été donné.
[9] Dans le cas présent, la partie demanderesse a déposé plusieurs questions ainsi qu’une demande de production de documents à Air Canada. Les questions portent sur la livraison de la pièce de bagage à Casablanca et l’annulation d’un vol de Toronto à Montréal en provenance de l’aéroport Billy Bishop. La partie demanderesse demande également qu’Air Canada lui fournisse toutes les réclamations déposées contre Air Canada, par des clients sur des vols intérieurs et internationaux, en raison de bagages retardés et autre insatisfaction, au cours des six dernières années.
[10] Air Canada s’oppose à la demande de production de documents ainsi qu’aux questions écrites. Air Canada fait valoir que la demande contrevient à l’article 4 des Règles pour le règlement des différendsqui prévoit que « L’Office mène ses instances de manière qui soit proportionnée à l’importance et la complexité des questions en jeu et à la réparation demandée ». Le principe de proportionnalité énoncé dans cet article guide les décisions de l’Office sur les enjeux découlant des instances. L’objectif est de tenir des instances justes, rapides et faisant un bon emploi des ressources. Dans ce cas, toutefois, les documents relatifs à six années de plaintes de clients à propos de bagages retardés ou manquants ne sont pas pertinents à l’affaire. L’Office rejette par conséquent la requête de la partie demanderesse d’exiger qu’Air Canada les produise.
[11] La question concernant l’annulation du vol n’était pas explicitement posée dans la demande et Air Canada n’y a donc pas répondu. En outre, la partie demanderesse a effectué son voyage au Maroc et ne réclame pas de réparation relativement au vol annulé. L’Office n’examinera donc pas cette question.
Temps perdu et désagréments
[12] La partie demanderesse réclame une indemnité pour le temps perdu et les désagréments subis. L’Office n’a pas compétence pour ordonner une indemnité pour douleur et souffrance dans les affaires traitant d’infractions alléguées, par des transporteurs, à leurs obligations tarifaires.
LA LOI ET LES DISPOSITIONS TARIFAIRES PERTINENTES
[13] Les dispositions pertinentes du tarif d’Air Canada sont énoncées à l’annexe.
[14] Le paragraphe 110(4) du RTA prévoit ce qui suit :
Lorsqu’un tarif déposé porte une date de publication et une date d’entrée en vigueur et qu’il est conforme au présent règlement et aux arrêtés de l’Office, les taxes et les conditions de transport qu’il contient, sous réserve de leur rejet, de leur refus ou de leur suspension par l’Office, ou de leur remplacement par un nouveau tarif, prennent effet à la date indiquée dans le tarif, et le transporteur aérien doit les appliquer à compter de cette date.
[15] L’article 113.1 du RTA prévoit ce qui suit :
Si un transporteur aérien n’applique pas les prix, taux, frais ou conditions de transport applicables au service international qu’il offre et figurant à son tarif, l’Office peut lui enjoindre :
a) de prendre les mesures correctives qu’il estime indiquées;
b) de verser des indemnités à quiconque pour toutes dépenses qu’il a supportées en raison de la non-application de ces prix, taux, frais ou
conditions de transport.
[16] L’article 19 de la Convention de Montréalétablit la responsabilité relative au dommage résultant d’un retard des bagages :
Le transporteur est responsable du dommage résultant d’un retard dans le transport aérien de passagers, de bagages ou de marchandises. Cependant, le transporteur n’est pas responsable du dommage causé par un retard s’il prouve que lui, ses préposés et mandataires ont pris toutes les mesures qui pouvaient raisonnablement s’imposer pour éviter le dommage, ou qu’il leur était impossible de les prendre.
[17] L’article 22, paragraphe 2, de la Convention de Montréal prévoit ce qui suit :
Dans le transport de bagages, la responsabilité du transporteur en cas de destruction, perte, avarie ou retard est limitée à la somme de 1 131 droits de tirage spéciaux par passager, sauf déclaration spéciale d’intérêt à la livraison faite par le passager au moment de la remise des bagages enregistrés au transporteur et moyennant le paiement éventuel d’une somme supplémentaire. Dans ce cas, le transporteur sera tenu de payer jusqu’à concurrence de la somme déclarée, à moins qu’il prouve qu’elle est supérieure à l’intérêt réel du passager à la livraison.
POSITIONS DES PARTIES
La partie demanderesse
[18] La partie demanderesse affirme que, comme elle n’a pu trouver sa pièce de bagage enregistrée à son arrivée à Casablanca, elle a rempli un rapport de perte matérielle et a continué sa route jusqu’à Fez. Lorsqu’on a retrouvé le bagage, cinq jours plus tard, la partie demanderesse a dû aller le récupérer à 23 h 55 à l’aéroport de Fez. La partie demanderesse réclame le remboursement des frais de communication téléphonique avec Air Canada afin d’organiser le ramassage, ainsi que les frais de taxi et de kilométrage à destination et en provenance de l’aéroport.
[19] En outre, la partie demanderesse affirme qu’une chemise et une veste manquaient lorsqu’elle a récupéré le bagage retardé. La partie demanderesse n’a pas les reçus des articles manquants et affirme que les reçus étaient dans la poche de la veste manquante, de sorte qu’elle est incapable de les produire. La partie demanderesse précise aussi qu’elle avait acheté la chemise et la veste pour en faire cadeau. Elle n’a pas de reçu pour les autres dépenses dont elle réclame le remboursement.
Air Canada
[20] Air Canada affirme que la partie demanderesse n’a pas prouvé avoir subi des dommages, car elle n’a pas produit de reçu pour la chemise et la veste qui, selon lelle, avaient disparu de sa pièce de bagage, ni de reçu pour le taxi, les communications téléphoniques, le temps perdu ou les désagréments.
[21] Air Canada soutient que les allégations de la partie demanderesse sont douteuses à plusieurs titres. En premier lieu, la partie demanderesse a fourni des renseignements contradictoires sur les articles manquants dans la pièce de bagage retardée et la valeur de ces articles. Air Canada affirme que la partie demanderesse a mentionné trois chemises dans sa demande d’indemnisation initiale et une seule dans sa demande auprès de l’Office. En second lieu, la partie demanderesse affirme qu’elle n’a pu produire les reçus de la chemise et de la veste parce qu’ils étaient dans la poche de la veste manquante. Air Canada affirme que c’est improbable parce que la partie demanderesse allègue qu’elle a acheté la veste en 2016 et qu’il serait déraisonnable que quelqu’un garde un reçu dans sa poche pendant trois ans, surtout si la veste a été nettoyée.
[22] Air Canada soulève une autre contradiction de la partie demanderesse qui réclame le remboursement des frais de taxi (100 CAD) pour se rendre à l’aéroport de Fez, mais aussi des frais de kilométrage vers la même destination.
[23] Enfin, Air Canada soutient que la plainte de la partie demanderesse est exagérée pour les raisons suivantes : la partie demanderesse réclame le montant maximum de droits de tirage spéciaux fixé dans la Convention de Montréal sans présenter de preuve étayant sa demande d’indemnisation; la somme des dépenses détaillées équivaut à moins de la moitié du montant réclamé; et les dommages non compensatoires, comme le temps perdu et les désagréments, ne sont pas couverts aux termes de la Convention de Montréal. Air Canada affirme par conséquent que tout remboursement de ces montants enrichirait indument la partie demanderesse.
ANALYSE ET DÉTERMINATIONS
[24] Le fardeau de la preuve repose sur le demandeur, qui doit établir, selon la prépondérance des probabilités, que le transporteur n’a pas appliqué les conditions de transport énoncées dans son tarif.
Bagages retardés
[25] La règle 105(B)(5) du tarif prévoit que, aux fins du transport international, l’article 19 de la Convention de Montréalétablit la responsabilité du dommage résultant d’un retard de bagages. L’article 19 de la Convention de Montréal énonce que le transporteur est responsable du dommage résultant d’un retard dans le transport aérien de passagers, de bagages ou de marchandises. La partie demanderesse a reçu sa pièce de bagage après un retard de cinq jours. Afin de récupérer sa pièce de bagage retardée, la partie demanderesse a dû communiquer avec Air Canada pour prendre des dispositions, puis se rendre à l’aéroport de Fez. Par conséquent, les frais des communications téléphoniques et du transport en taxi de la partie demanderesse à l’aéroport constituent des dépenses résultant du retard du bagage. la partie demanderesse réclame à la fois les frais de kilométrage et de taxi pour récupérer la pièce de bagage. Comme la partie demanderesse ne peut être remboursée qu’une fois pour les frais de transport à destination et en provenance de l’aéroport de Fez afin de récupérer sa pièce de bagage, l’Office conclut qu’il est raisonnable de défrayer la partie demanderesse de ses frais de taxi, mais pas du kilométrage. Comme Air Canada n’a pas remboursé à la partie demanderesse les frais des appels téléphoniques et du transport à l’aéroport de Fez, l’Office conclut qu’Air Canada n’a pas correctement appliqué la règle 105(B)(5) de son tarif.
Articles manquants
[26] Bien que des reçus ne soient pas obligatoires pour les articles manquants dans des bagages, les questions soulevées par Air Canada à propos des incohérences d’avec la demande d’indemnisation initiale, ainsi que de l’absence de reçus, remettent en cause la crédibilité de la partie demanderesse.
[27] Lorsqu’il examine les éléments de preuve, l’Office doit déterminer laquelle des versions est la plus probable, selon la prépondérance des probabilités.
[28] Dans le cas présent, il y a des incohérences à la fois quant au nombre d’articles manquants, aux dires de la partie demanderesse, dans le bagage retardé, et quant à la valeur de ces articles. Par exemple, la partie demanderesse mentionne trois chemises dans sa communication initiale avec Air Canada, le 27 février 2019. Or, elle ne mentionne qu’une chemise dans sa demande du 4 juillet 2019 déposée auprès de l’Office. En outre, le dossier indique qu’en réponse à la demande d’Air Canada réclamant des reçus, la partie demanderesse a joint des liens vers une veste et une chemise sur un site Web qui ne correspondent pas à la description des articles ni à la valeur réclamée.
[29] Bien que l’Office puisse accepter des demandes d’indemnisation pour des articles manquants même sans reçus, les incohérences relatives au nombre et à la valeur des articles pour lesquels la partie demanderesse réclame une indemnisation amènent l’Office à conclure que la partie demanderesse n’a pas démontré, selon la prépondérance des probabilités, que ces articles avaient disparu de la pièce de bagage.
[30] L’Office conclut par conséquent qu’Air Canada a correctement appliqué la règle 105(B)(5) de son tarif en n’indemnisant pas la partie demanderesse pour les articles manquants.
CONCLUSION
[31] À la lumière de ce qui précède, l’Office conclut qu’Air Canada n’a pas correctement appliqué les conditions énoncées dans la règle 105(B)(5) de son tarif lorsqu’elle a refusé de rembourser au demandeur les frais supportés en raison du retard de son bagage.
ORDONNANCE
[32] En vertu de l’article 113.1 du RTA, l’Office ordonne à Air Canada de verser au demandeur une indemnité de 117 CAD correspondant aux dépenses suivantes :
- taxi pour se rendre à l’aéroport de Fez : 100 CAD;
- communications téléphoniques : 17 CAD.
[33] Ce montant doit être versé le plus tôt possible, mais au plus tard le 13 août 2020.
ANNEXE À LA DÉCISION No 48-C-A-2020
International Passenger Rules and Fares Tariff No. AC-2 Containing Local and Joint Rules, Regulations, Fares and Charges on Behalf of Air Canada applicable to the Transportation of Passengers and Baggage Between Points in Canada/USA Areas 1/2/3 and between the USA and Canada, NTA(A) No. 458 (tarif)
Remarque : Le tarif d’Air Canada a été déposé en anglais seulement.
La règle 105(B)(5) du tarif prévoit ce qui suit :
For the purpose of international carriage governed by the Montreal Convention, the liability rules set out in the Montreal Convention are fully incorporated herein and shall supersede and prevail over any provisions of this tariff which may be inconsistent with those rules.
La règle 105(C)(1) du tarif prévoit ce qui suit en ce qui concerne les limites de responsabilité :
(1) Where the Montreal Convention applies, the limits of liability are as follows:
….
(b) In respect of destruction, loss of, or damage or delay to baggage, 1,131 Special Drawing Rights (approximately EUR 1,357; US $1,663) per passenger in most cases.
….
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