Décision n° 482-A-2012
PLAINTES déposées par l’Agence de la santé publique du Canada et l’Université Queen’s contre Air Canada.
INTRODUCTION
Révisions proposées aux tarifs d’Air Canada
[1] Le 22 novembre 2011, Air Canada a déposé auprès de l’Office des transports du Canada (Office) certaines révisions à la règle 109(C)(5) du Canadian Cargo International Rules and Rates Tariff NTA(A) no 246 et à la règle 19(A)(3)(e) du Air Freight Rules Tariff NTA(A) no 268 (tarif pour le transport international de marchandises) d’Air Canada, avec une date d’entrée en vigueur fixée au 10 janvier 2012.
[2] Après qu’Air Canada a déposé les modifications à son tarif pour le transport international de marchandises auprès de l’Office, l’Office a reçu des plaintes de Steven N. Liss, ph. D., vice‑recteur (recherche), Université Queen’s, et de l’Agence de la santé publique du Canada (ASPC), alléguant que les révisions tarifaires proposées par Air Canada relativement à son tarif intérieur et à son transport international de marchandises sont « déraisonnables ou injustement discriminatoires » aux termes du paragraphe 67.2(1) de la Loi sur les transports au Canada, L.C. 1996, ch.10, modifiée (LTC) et « injustes, déraisonnables et créent une distinction injuste », aux termes de l’article 111 du Règlement sur les transports aériens (RTA), DORS/8858, modifié.
[3] Dans la décision no LET-A-4-2012 du 9 janvier 2012, l’Office, en vertu de l’alinéa 113a) du RTA, a suspendu les révisions du tarif pour le transport international de marchandises d’Air Canada jusqu’à ce qu’il ait terminé son enquête dans cette affaire. Dans cette même décision, l’Office a aussi demandé à Air Canada de déposer de nouveau les dispositions du tarif pour le transport international de marchandises qui étaient en vigueur avant la date de dépôt du 22 novembre 2011. En ce qui a trait au tarif intérieur d’Air Canada, l’Office a noté qu’en attendant sa décision dans cette affaire, il n’a pas la compétence requise pour suspendre les conditions de transport s’appliquant au service intérieur.
[4] L’Office a également reçu de nombreuses présentations d’autres parties qui s’intéressaient à cette affaire et qui ont par la suite reçu le statut d’intervenant. Les intervenants sont British Union for the Abolition of Vivisection (BUAV), Humane Society International/Canada (HSIC) et Primate Research Centre and Wildlife Reserve of Barbados Inc. (PRCB). En tant qu’intervenants, ces organismes sont des parties au dossier dans cette affaire et ont donc l’occasion d’intervenir ou d’appuyer les arguments présentés. L’Office a également accordé le statut de personne intéressée à 24 autres personnes ou organismes ayant manifesté un intérêt dans cette affaire. Bien que les personnes intéressées n’aient pas les mêmes droits que les intervenants, leurs commentaires ont été versés au dossier et ont été fournis aux parties au dossier (Université Queen’s, ASPC, Air Canada, BUAV, HSIC et PRCB).
Contexte législatif
[5] Le paragraphe 67.2(1) de la LTC qui s’applique au transport intérieur prévoit que :
67.2 (1) S’il conclut, sur dépôt d’une plainte, que le titulaire d’une licence intérieure a appliqué pour un de ses services intérieurs des conditions de transport déraisonnables ou injustement discriminatoires, l’Office peut suspendre ou annuler ces conditions et leur en substituer de nouvelles.
[6] L’article 111 du RTA qui s’applique au transport international prévoit que :
(1) Les taxes et les conditions de transport établies par le transporteur aérien, y compris le transport à titre gratuit ou à taux réduit, doivent être justes et raisonnables et doivent, dans des circonstances et des conditions sensiblement analogues, être imposées uniformément pour tout le trafic du même genre.
(2) En ce qui concerne les taxes et les conditions de transport, il est interdit au transporteur aérien :
a) d’établir une distinction injuste à l’endroit de toute personne ou de tout autre transporteur aérien;
b) d’accorder une préférence ou un avantage indu ou déraisonnable, de quelque nature que ce soit, à l’égard ou en faveur d’une personne ou d’un autre transporteur aérien;
c) de soumettre une personne, un autre transporteur aérien ou un genre de trafic à un désavantage ou à un préjudice indu ou déraisonnable de quelque nature que ce soit.
[7] Comme l’indique la décision no LET-A-97-2012 du 3 juillet 2012, les plaignants allèguent que les révisions proposées aux tarifs d’Air Canada sont « déraisonnables ou injustement discriminatoires » en vertu du paragraphe 67.2(1) de la LTC, et « injustes, déraisonnables et créent une distinction injuste » en vertu de l’article 111 du RTA. L’Office note que même si la terminologie du paragraphe 67.2(1) de la LTC n’est pas identique à celle de l’article 111 du RTA, elle renvoie dans une large mesure aux questions de discrimination déraisonnable ou injuste. Donc, l’Office est d’avis que les mots « déraisonnable » et « distinction injuste » utilisés à l’article 111 du RTA englobent et illustrent bien la signification des termes utilisés au paragraphe 67.2(1) de la LTC.
[8] Afin de traiter cette affaire efficacement, l’Office la considérera conformément à l’article 111 du RTA. Toutefois, les conclusions de l’Office s’appliqueront au tarif pour le transport international de marchandises d’Air Canada et à son tarif intérieur.
QUESTIONS PRÉLIMINAIRES
Politique nationale des transports
[9] Dans leurs présentations, certaines parties ont fourni des commentaires pour déterminer s’il était pertinent que l’Office utilise la politique nationale des transports dans l’examen de cette affaire.
[10] ASPC soutient qu’en fonction de la jurisprudence et de l’importance que l’Office a attribuée à la politique nationale des transports dans ses décisions antérieures, la politique nationale des transports devrait être utilisée dans la présente affaire comme un outil pour « orienter et structurer » l’Office dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire. ASPC et l’Université Queen’s estiment que l’Office devrait considérer l’incidence possible des révisions proposées aux tarifs sur le bien‑être des Canadiens, la compétitivité et la croissance économique au moment de déterminer si les révisions proposées aux tarifs sont déraisonnables ou établissent une distinction injuste.
[11] HSIC et BUAV sont d’accord avec les déclarations de l’Office relatives à la politique nationale des transports dans la décision no LET-A-97-2012. BUAV fait valoir que, en ce qui a trait aux tarifs, le premier décideur est le transporteur et les tarifs appartiennent aux transporteurs. BUAV soutient que les transporteurs n’ont pas besoin de la permission de l’Office pour adopter un tarif en particulier; ils déposent un tarif auprès de l’Office qui, lors du dépôt d’une plainte, doit déterminer si le tarif est déraisonnable ou établit une distinction injuste ou est injustement discriminatoire. BUAV indique qu’en l’absence d’une plainte, un tarif entre en vigueur automatiquement. Finalement, BUAV soutient que, puisque l’Office n’a aucun pouvoir discrétionnaire relativement aux tarifs, il n’est pas question que la politique nationale des transports « oriente et structure » l’Office pendant l’exercice.
[12] L’Office doit tenir compte des révisions proposées aux tarifs d’Air Canada au sens du paragraphe 67.2(1) de la LTC et de l’article 111 du RTA. Pour exercer le pouvoir discrétionnaire que lui confèrent ces dispositions, l’Office considère les principes de la politique nationale des transports. En tant qu’énoncé de politique, la politique nationale des transports ne constitue pas une obligation légale en soi, mais elle définit l’objet de la loi qu’il faut considérer dans l’interprétation des dispositions de cette loi.
[13] Comme il est indiqué dans la décision no LET-A-97-2012, l’Office est d’avis que la politique nationale des transports ne confère pas le pouvoir général d’évaluer comment la santé générale et le bien-être des Canadiens pourraient être touchés par les révisions proposées aux tarifs d’Air Canada. L’Office note que la politique nationale des transports prévoit que : « Il est déclaré qu’un système de transport national compétitif et rentable qui respecte les plus hautes normes possible de sûreté et de sécurité, qui favorise un environnement durable et qui utilise tous les modes de transport au mieux et au coût le plus bas possible est essentiel à la satisfaction des besoins de ses usagers et au bien-être des Canadiens… ». La politique nationale des transports prévoit par ailleurs que les mesures publiques stratégiques sont utilisées seulement lorsque la concurrence et les forces du marché ne permettent pas d’atteindre de manière satisfaisante des résultats de nature économique, environnementale ou sociale ou dans le domaine de la sûreté et de la sécurité.
[14] L’Office a étudié la question de savoir si un tarif a une incidence sur les passagers et leurs bagages, puisque ce dont il est question est la capacité d’une personne de voyager. Comme il est mentionné dans les décisions nos 666-C-A-2001 (Anderson c. Air Canada), 320-C-A-2005 (Stutz c. Air Canada) et 746-C-A-2005 (Black c. Air Canada), entre autres, un des objectifs de l’évaluation de l’Office à savoir si le tarif d’un transporteur est déraisonnable est de protéger le public voyageur contre l’imposition unilatérale de conditions déraisonnables par des transporteurs aériens. Cet objectif plus vaste se retrouve dans la LTC, notamment dans la partie V qui porte sur le transport accessible. De plus, la Convention pour l'unification de certaines règles relatives au transport aérien international (Convention de Montréal) et la Convention pour l'unification de certaines règles relatives au transport aérien international, signée à Varsovie le 12 octobre 1929 renferment de nombreuses dispositions portant sur le transport des passagers et de leurs bagages.
[15] Toutefois, lorsqu’il considère les droits des expéditeurs et le transport des marchandises, l’Office est d’avis que la relation entre les expéditeurs et les transporteurs est surtout de nature commerciale et est, par conséquent, plus justement déterminée par la concurrence et les forces du marché.
Décision de la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Air Canada c. l’Office des transports du Canada
[16] ASPC soutient que, dans l’affaire Air Canada c. l’Office des transports du Canada, la Cour d’appel fédérale s’est penchée sur l’interprétation de l’Office du mot « déraisonnable », et a conclu que « tout particulièrement, il incombait à l’Office de prendre en considération et de soupeser les raisons de la révision des tarifs d’Air Canada en regard des inconvénients pour l’intimé ». ASPC ajoute que rien dans cette décision ne laisse entendre qu’une considération des inconvénients conséquents s’appliquerait seulement aux passagers et non à leurs marchandises.
[17] ASPC est donc d’avis que, lorsqu’il faut déterminer si les révisions proposées aux tarifs d’Air Canada sont déraisonnables, la considération des « droits d’un expéditeur » devrait comprendre les inconvénients que les révisions proposées aux tarifs causeraient aux expéditeurs de primates non humains destinés à des recherches en laboratoire ou à des fins expérimentales.
[18] Toutefois, l’Office note que le contexte portait sur les inconvénients pour les passagers. L’Office est d’avis que l’utilisation du mot « inconvénient » par la Cour d’appel fédérale ne visait pas à élargir les questions abordées dans le critère d’évaluation, et la Cour n’a pas non plus indiqué que le critère d’évaluation que l’Office a utilisé dans ce cas s’appliquait à une évaluation à savoir si un tarif touchant les expéditeurs et les marchandises était déraisonnable. Par ailleurs, la décision ne détermine pas la nature du critère d’évaluation qui doit être appliqué dans l’évaluation à savoir si le tarif d’un transporteur aérien lié au transport de marchandises est déraisonnable. Le critère d’évaluation doit aussi être appliqué dans le contexte des marchandises, comme il est indiqué dans la décision de l’Office no LET-A-97-2012, mais les éléments à soupeser sont différents de ceux qu’on utilise lors de plaintes concernant des passagers ou des bagages.
DÉCISION No LET-A-97-2012
Caractère raisonnable et distinction injuste
[19] Dans sa décision no LET-A-97-2012, l’Office s’est penché sur les présentations des parties relativement à la question à savoir si les transporteurs aériens ont l’obligation légale de transporter des marchandises. L’Office a conclu ce qui suit :
... l’Office est d’avis qu’une obligation du transporteur aérien de transporter des marchandises sera assujettie à des limites, notamment le refus de transporter des marchandises, conformément aux conditions qui sont clairement énoncées dans son tarif. Toutefois, le tarif d’un transporteur aérien doit se conformer aux exigences de la réglementation, entre autres il doit être raisonnable et ne doit pas établir une distinction injuste.
[20] En ce qui a trait à sa considération du caractère raisonnable d’un tarif aérien, l’Office a, dans des décisions antérieures, reconnu la nécessité de trouver un juste équilibre entre les intérêts des passagers et ceux des transporteurs et l’obligation de protéger le public voyageur contre des décisions unilatérales par un transporteur qui impose des conditions de transport déraisonnables dans son tarif. Toutefois, l’Office a conclu que la présente plainte a trait au transport de marchandises et ne vise donc ni les passagers ni les bagages.
[21] Dans la décision no LET-A-97-2012, l’Office a fait valoir que lorsqu’il évalue le « caractère raisonnable » d’un tarif visant le transport aérien de marchandises, ou détermine si le tarif établit une « distinction injuste », il doit considérer les raisons qui justifiant le tarif et la mesure dans laquelle il découle d’une décision opérationnelle prise par Air Canada. L’Office doit également tenir compte du milieu concurrentiel d’Air Canada, des pratiques de l’industrie et des autres options de service à la disposition des clients d’Air Canada. L’Office a reconnu qu’il y a des raisons opérationnelles et législatives qui peuvent amener un transporteur aérien à imposer des conditions de transport et des restrictions sur le transport aérien de marchandises, mais l’Office a aussi reconnu qu’il faut tenir compte des dispositions des ententes internationales liées au transport aérien de marchandises. En outre, l’Office a reconnu le fait que les expéditeurs ont le droit d’être protégés contre des décisions déraisonnables, à savoir des décisions prises sans fondement rationnel.
Caractère déraisonnable
[22] L’Office a également fat valoir, dans la décision no LET-A-97-2012, qu’au moment de déterminer si le tarif du transporteur visant le transport de marchandises est raisonnable, l’Office soupèsera les droits d’un expéditeur et les obligations statutaires, commerciales et opérationnelles d’un transporteur aérien. Il considérera notamment les raisons qui justifient les révisions proposées aux tarifs sur le transport aérien de marchandises, les pratiques de l’industrie en ce qui a trait à l’expédition du même type de marchandises dans des circonstances semblables, les dispositions applicables des instruments internationaux auxquels le Canada est partie, les exigences opérationnelles d’un transporteur aérien, ainsi que les dispositions législatives ou réglementaires applicables en matière de sécurité ou de sûreté. Dans une telle évaluation, il faut considérer les raisons qui justifient les révisions proposées aux tarifs, et la mesure dans laquelle elles découlent d’une décision opérationnelle.
Discrimination injuste
[23] Dans la décision no LET-A-97-2012, l’Office a affirmé ce qui suit :
Par conséquent, l’Office est d’avis que, lorsqu’il s’agit de déterminer si une condition de transport appliquée par le transporteur intérieur est « injustement discriminatoire » au sens du paragraphe 67.2(1) de la LTC, il faut adopter une méthode contextuelle qui permet d’établir un équilibre entre, d’une part, le droit des voyageurs de ne pas être assujettis à des conditions de transport discriminatoires et, d’autre part, les obligations statutaires, opérationnelles et commerciales des transporteurs aériens exerçant leurs activités au Canada. Cette position est également conforme à la politique nationale des transports énoncée à l’article 5 de la LTC.
Tout d’abord, l’Office doit déterminer si les conditions de transport appliquées établissent une « distinction ». Si l’Office conclut que les conditions de transport appliquées par le transporteur intérieur établissent une « distinction », l’Office doit ensuite déterminer si une telle distinction est « injuste » en examinant les raisons statutaires, commerciales et opérationnelles qui ont mené au tarif.
Lorsque l’Office évalue la question de savoir si le tarif d’Air Canada établit une « distinction injuste », il doit également examiner le contexte commercial du transport aérien de marchandises et le fait qu’un refus de transporter certaines marchandises peut être attribuable à une décision opérationnelle légitime.
Lorsqu’il soupèse les droits des expéditeurs et les obligations du transporteur, l’Office doit prendre en considération tous les éléments de preuve et les présentations déposés par les deux parties et trancher la question de savoir si les conditions de transport sont raisonnables ou déraisonnables, ou si le tarif établit une « distinction injuste », en fonction de la partie qui a présenté les preuves les plus convaincantes et persuasives.
Préjudice indu/déraisonnable
[24] Dans leur réponse à la décision no LET-A-97-2012, ASPC, PRCB et l’Université Queen’s font valoir que l’Office devrait également se pencher sur la question de savoir si les révisions proposées aux tarifs d’Air Canada sont désavantageuses ou causent un préjudice indu en ce qui a trait au transport de marchandises, ce qui est contraire au paragraphe 111(2) du RTA. Même si elles n’ont pas soulevé cette question dans leur plainte initiale, ASPC et l’Université Queen’s l’ont soulevée plus tard dans la présente instance et elles sont d’avis que l’Office doit l’examiner. Ainsi, l’Office se penchera sur cette question dans le contexte du transport de marchandises en plus de la question du caractère déraisonnable et de la discrimination injuste.
QUESTIONS
[25] Les questions à régler sont les suivantes :
- Les révisions proposées aux tarifs d’Air Canada sont-elles déraisonnables, au sens du paragraphe 111(1) du RTA?
- Les révisions proposées aux tarifs d’Air Canada établissent-elles une distinction injuste, au sens de l’alinéa 111(2)a) du RTA?
- Les révisions proposées aux tarifs d’Air Canada soumettent-elles une personne, un autre transporteur aérien ou tout genre de trafic à un désavantage ou à un préjudice indu ou déraisonnable de quelque nature que ce soit, contrairement à ce que prévoit l’alinéa 111(2)c) du RTA?
QUESTION 1 - LES RÉVISIONS PROPOSÉES AUX TARIFS D’AIR CANADA SONT‑ELLES DÉRAISONNABLES, AU SENS DU PARAGRAPHE 111(1) DU RTA?
Positions des parties : Commentaires généraux concernant le caractère raisonnable des révisions proposées aux tarifs
Air Canada
[26] Air Canada soutient que ses intérêts commerciaux, comparativement aux intérêts énoncés, mais non étayés des laboratoires qui reçoivent occasionnellement des cargaisons de primates non humains destinés à la recherche devraient être soupesés, et que le droit d’Air Canada de refuser le transport de primates non humains destinés à la recherche ou à des expériences devrait être confirmé.
ASPC
[27] ASPC fait remarquer d’une part que rien dans l’article 67.2 de la LTC ni dans l’article 111 du RTA n’indique que les protections offertes dans ces dispositions seraient limitées aux passagers, et d’autre part que rien n’indique dans les décisions antérieures de l’Office qu’une telle interprétation limitée s’appliquerait. ASPC fait remarquer que l’alinéa 5c) de la LTC énonce des conditions qui « ne constituent pas un obstacle abusif au trafic […] ». ASPC fait valoir que le terme « trafic » a une signification plus large que le public voyageur, et que la LTC et le RTA devraient être interprétés, en entier, dans ce contexte élargi.
[28] ASPC soutient que l’établissement par l’Office de considérations particulières ne semble pas figurer dans la jurisprudence de l’Office. Elle fait valoir que ces considérations fournissent à Air Canada une orientation considérable relativement à sa possibilité de défendre le libellé proposé du tarif, mais aucune orientation pour les plaignants à savoir ce que signifient les droits des expéditeurs.
[29] ASPC soutient également que la déclaration de l’Office, dans sa décision no LET-A-97-2012, à savoir que « les expéditeurs ont le droit d’être protégés contre des décisions déraisonnables prises sans fondement rationnel », semble impliquer que, si Air Canada réussit à démontrer que l’interdiction proposée repose sur un fondement rationnel, l’Office ne la considérera pas comme étant déraisonnable. ASPC ajoute que cette manœuvre semble établir un seuil en deçà du critère établi dans la jurisprudence de l’Office, et qu’elle ne cadre pas avec sa position de longue date selon laquelle les intérêts concurrentiels des parties doivent être soupesés.
Université Queen’s
[30] L’Université Queen’s soutient que, selon les révisions proposées aux tarifs d’Air Canada, les animaux, y compris les primates non humains, continueront d’être transportés par Air Canada; seuls les primates non humains destinés à la recherche seront interdits. L’Université Queen’s affirme que cette restriction arbitraire, qui ne vise le traitement négatif que d’un très petit secteur de la population animale, va à l’encontre des exigences quant au traitement juste, égal, non préjudiciable et non désavantageux du trafic dont il est question à l’article 111 et est, en conséquence, déraisonnable.
BUAV
[31] BUAV indique qu’il s’agit du droit principal du transporteur aérien, et non de l’Office, d’établir un juste équilibre relativement aux tarifs. BUAV est d’avis que le transporteur est le principal décideur et que le rôle de l’Office à l’égard des tarifs est celui d’un examinateur, comme il l’a démontré dans la décision no 666-C-A-2001en dressant une analogie avec l’examen judiciaire.
[32] BUAV renvoie à l’affaire Ferroequus Railway c. la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada où la Cour d’appel fédérale a indiqué que, en tant qu’examinateur, elle devait conférer un degré considérable de déférence à l’Office (le principal décideur dans le contexte de ce cas).
[33] BUAV soutient que, par souci de cohérence, l’Office, l’examinateur dans le présent contexte, devrait accorder une déférence considérable aux transporteurs, les principaux décideurs à l’égard des tarifs, et les laisser décider de l’importance qu’ils accordent aux différents facteurs pertinents.
[34] BUAV souligne qu’Air Canada a fait preuve d’un jugement raisonné, à savoir qu’il était mieux pour elle, en termes commerciaux, de refuser de transporter des primates non humains destinés à la recherche plutôt que d’accepter de le faire, même si cela signifie inévitablement de perdre les revenus qu’elle recevrait d’un tel transport. BUAV soutient que dans le cas présent, le transporteur aérien a étayé sa décision de justifications claires et de preuves abondantes. BUAV ajoute que le transporteur n’exprime pas seulement une préférence, mais rend plutôt un jugement calculé à propos de ses intérêts commerciaux et de l’intérêt de ses intervenants.
Justification commerciale des révisions proposées aux tarifs
HSIC
[35] HSIC soutient que les affaires et la réputation d’Air Canada seraient probablement affectées si elle devait continuer de transporter des primates non humains destinés à la recherche. HSIC affirme qu’Air Canada a imposé les révisions proposées aux tarifs en réponse à des préoccupations publiques très répandues concernant le transport de primates non humains destinés à la recherche et à des tests, ce qui menace sa réputation commerciale et sa base de clients. HSIC ajoute que l’opposition à cette pratique découle du fait que de nombreuses personnes estiment que la recherche et les tests sur des primates non humains destinés à la recherche et aux tests sont inacceptables d’un point de vue éthique.
[36] HSIC explique que de nombreuses personnes et de nombreux groupes sont préoccupés par la politique d’Air Canada de transporter des primates non humains destinés à la recherche, et ont appelé au boycottage des services d’Air Canada jusqu’à ce qu’elle cesse le transport des primates non humains destinés à la recherche. HSIC conclut donc que la position d’Air Canada à propos de cette question controversée menaçait de nuire à ses affaires et de porter un préjudice à sa réputation nationale et internationale.
Air Canada
[37] Air Canada fait valoir que sa principale activité est le transport de passagers, qui comprend 32 millions de personnes vers plus de 170 destinations à travers le monde chaque année. Elle indique que, même si elle a un vaste réseau pour le transport des marchandises, elle n’exploite pas d’aéronefs tout-cargo et, ainsi, les marchandises sont toujours transportées à bord d’aéronefs de passagers. Air Canada souligne que le transport de primates non humains destinés à la recherche est minimal, tant en termes absolus de valeur que représentent ces expéditions qu’en comparaison avec la masse totale des marchandises qu’elle transporte[1].
[38] Air Canada soutient que depuis le 5 décembre 2011, elle a reçu plus de 47 000 lettres du public, protestant contre cette pratique de transport de primates non humains destinés à la recherche. Elle ajoute que, compte tenu du volume considérable de lettres, il est fort probable que les auteurs soient des passagers actuels ou potentiels, et que certains auteurs ont clairement indiqué avoir voyagé avec Air Canada avant, mais qu’ils ne le feraient plus en raison de sa décision d’accepter de transporter des primates non humains destinés à la recherche. Selon Air Canada, des auteurs d’autres lettres ont fait valoir qu’ils ne voyageront pas avec Air Canada pour cette raison. Air Canada indique ne pas pouvoir ignorer une telle quantité de lettres de personnes s’opposant au transport de primates non humains destinés à la recherche, ni écarter la possibilité que ces lettres proviennent de sa base de passagers.
PRCB
[39] PRCB soutient que du point de vue du transport aérien, l’établissement de différentes règles de transport fondées sur la question de savoir si des primates non humains sont destinés ou non à la recherche n’a aucun fondement rationnel.
[40] PRCB affirme que rien ne prouve dans la présente affaire que le transport de primates non humains destinés à la recherche entrave les activités d’Air Canada. Compte tenu de cela, PRCB argue que la seule justification motivant les révisions proposées aux tarifs serait qu’Air Canada n’ait pas à subir des pressions des activistes qui manifestent pour les droits des animaux.
[41] PRCB renvoie à la position d’Air Canada selon laquelle le transport de primates non humains destinés à la recherche représente pour elle seulement une petite portion de l’ensemble de son trafic de marchandises, et soutient que ce fait ne justifie pas les révisions proposées aux tarifs d’Air Canada. PRCB fait valoir qu’une portion si minime démontre le caractère déraisonnable des dispositions des tarifs proposés d’Air Canada, car cette démarche instaure une mesure draconienne qui risque d’avoir d’immenses répercussions sur la recherche médicale au Canada.
[42] PRCB souligne également que si Air Canada compte se fier aux 47 000 lettres de protestation, elle devrait les mettre à la disposition des autres parties.
ASPC
[43] ASPC soutient que BUAV et HSIC n’ont pas fourni de preuve pour démontrer l’opinion publique vastement répandue contre les examens médicaux sur des primates non humains. ASPC affirme par ailleurs que rien ne prouve qu’il s’agit de la position des clients d’Air Canada, ni que cela affecte les intérêts commerciaux d’Air Canada.
[44] ASPC est d’avis que l’opinion publique concernant le recours à des primates non humains destinés à la recherche est, en général, assez favorable, et ne peut pas servir à justifier les révisions proposées aux tarifs d’Air Canada. ASPC conclut donc que les intérêts commerciaux d’Air Canada ne l’emporteraient pas sur l’impact négatif qu’aurait sur la recherche médicale au Canada une interdiction de transporter des primates non humains destinés à la recherche.
Université Queen’s
[45] L’Université Queen’s soutient que si Air Canada est autorisée à cesser le transport de primates non humains destinés à la recherche, il y aura un impact direct sur les programmes de recherche de l’Université Queen’s. Selon cette dernière, on pourrait certainement s’attendre à une augmentation de 10 à 15 pour cent du coût d’achat de chaque animal en raison du réacheminement des animaux soit en Chine, soit en Amérique du Nord. En outre, l’Université Queen’s soutient qu’avec la baisse des fonds disponibles pour la recherche au Canada, cette hausse de coût nuirait aux importantes recherches en cours qui pourraient s’avérer avantageuses pour la communauté de recherche de l’Université Queen’s et les Canadiens en général. L’Université Queen’s fait également remarquer que les animaux auraient à être transportés sur des distances de plusieurs milliers de kilomètres par camion à travers les États‑Unis et le Canada, leur causant ainsi un stress inutile.
[46] L’Université Queen’s renvoie à la présentation d’Air Canada dans laquelle elle affirme avoir reçu 47 000 lettres de protestation concernant le transport de primates non humains destinés à la recherche et que ces lettres sont ce sur quoi elle s’appuie pour affirmer que les révisions proposées à ses tarifs sont nécessaires, parce que le transport continu de destinés à la recherche non humains nuira à ses activités commerciales. L’Université Queen’s soutient que sans analyser les lettres de protestation, rien ne permet de savoir si ces lettres ont été écrites par une ou 47 000 personnes, ni de savoir si elles provenaient de Canadiens ou encore de passagers potentiels ou actuels d’Air Canada. L’Université Queen’s ajoute qu’Air Canada demande à l’Office d’accepter son hypothèse qui n’est pas encore soutenue par des preuves objectives.
[47] L’Université Queen’s fait valoir que, même si les 47 000 lettres étaient écrites par différentes personnes toutes clientes potentielles ou passées d’Air Canada, elles ne représentent que 0,001 pour cent de sa base de clientèle (l’Université Queen’s arrive à ce chiffre en se fondant sur la présentation d’Air Canada selon laquelle 32 millions de personnes se prévalent de son service chaque année, ce qui équivaut à 24 millions de personnes en neuf mois. Air Canada a recueilli des lettres de protestation pendant neuf mois. Donc, 47 000 représente 0,001 pour cent de 24 millions). L’université Queen’s soutient que ce faible pourcentage devrait être comparé au nombre de personnes qui soutiennent la recherche effectuée sur des animaux.
[48] L’Université Queen’s est d’avis qu’il est déraisonnable pour Air Canada de changer ses conditions de transport en réponse à des plaintes de telles personnes.
BUAV
[49] BUAV fait remarquer qu’Air Canada a clairement établi les raisons justifiant les révisions proposées aux tarifs, à savoir d’harmoniser ses politiques avec celles de nombreux autres grands transporteurs internationaux et de répondre à une préoccupation publique très répandue, qui représentent exclusivement des raisons commerciales. BUAV indique qu’Air Canada a jugé qu’il était dans les meilleurs intérêts de ses activités commerciales de refuser de transporter des primates non humains destinés à la recherche, malgré la perte de revenus immédiats qu’elle subirait.
[50] BUAV indique qu’il est tout à fait compréhensible, d’un point de vue commercial, qu’Air Canada, une entreprise privée, souhaite tenir compte de l’opinion de sa clientèle actuelle ou potentielle.
[51] BUAV soutient que si les révisions proposées aux tarifs d’Air Canada correspondent au caractère raisonnable et juste ou encore à « une distinction juste » (en présumant qu’il y a distinction), il ne revient pas à l’Office de substituer son propre point de vue de ce que les tarifs d’Air Canada devraient contenir.
Pratique courante de l’industrie
HSIC
[52] Selon HSIC, compte tenu du grand nombre de compétiteurs d’Air Canada qui ont déjà une politique visant le refus de transporter des primates non humains destinés à la recherche et vu l’opposition publique à laquelle Air Canada a fait face avant de changer ses politiques, il aurait été déraisonnable pour Air Canada de ne pas envisager de changer ses politiques à la lumière de ce contexte de concurrence au sein de l’industrie. HSIC renvoie à la preuve tirée du site Web de BUAV qui montre qu’un grand nombre de transporteurs ont cessé de transporter des primates non humains destinés à la recherche.
Air Canada
[53] Selon Air Canada, de nombreux transporteurs aériens de partout dans le monde n’acceptent pas de transporter des primates non humains destinés à la recherche. Pour illustrer ce point, Air Canada a fourni une liste des transporteurs, qui comprenait Emirates, Delta Airlines, Inc. et American Airlines, Inc.
PRCB
[54] PRCB soutient que les affirmations d’Air Canada selon lesquelles elle ne fait que suivre les autres transporteurs aériens qui n’acceptent pas de transporter des primates non humains destinés à la recherche ne constituent aucunement une justification suffisante pour les révisions proposées aux tarifs. PRCB est d’avis que les pratiques suivies par les autres transporteurs aériens ne sont pas pertinentes à la présente affaire, puisque ces transporteurs peuvent être assujettis à des cadres réglementaires différents, ce qu’Air Canada n’a pas démontré. Selon PRCB, il semblerait néanmoins qu’Air China ait récemment cessé de transporter des primates non humains destinés à la recherche. PRCB fait également remarquer que les transporteurs qu’a cités Air Canada ne desservent pas des routes ou des destinations utilisées par des expéditeurs de primates non humains, que ce soit à l’échelon international ou national, vers la Barbade.
ASPC
[55] ASPC reconnaît que la plupart des grands transporteurs aériens ne transportent pas de primates non humains destinés à la recherche médicale. Elle fait toutefois remarquer que la plupart des transporteurs aériens internationaux qui ont refusé de transporter des primates non humains destinés à la recherche et à des laboratoires ne sont pas assujettis à des lois qui interdisent des conditions de transport déraisonnables ou établissant une distinction injuste.
BUAV
[56] BUAV fait remarquer qu’Air Canada a indiqué clairement qu’elle déposait des révisions proposées à ses tarifs pour harmoniser ses pratiques avec celles de nombreux autres grands transporteurs internationaux. BUAV soutient que la décision d’Air Canada de se passer de tels revenus, sans doute dans l’espoir de gagner des activités commerciales ailleurs par l’amélioration de son image de marque, est parfaitement rationnelle. BUAV fait valoir qu’il s’agit d’une décision rationnelle prise en fonction de ce qui se passe en ce moment dans une industrie à forte concurrence et qu’en prenant cette mesure, Air Canada croit sans doute mieux s’outiller pour concurrencer dans ce contexte difficile pour les compagnies aériennes. BUAV indique qu’il est bien connu que les compagnies aériennes se livrent une concurrence à divers niveaux, dans le but d’améliorer leur image de marque et qu’elles tentent de le faire en essayant de changer les pratiques qui leur sont nuisibles.
[57] Selon BUAV, en conséquence des protestations du public, 73 transporteurs aériens ont décidé d’arrêter de transporter des primates non humains destinés à la recherche.
[58] BUAV soutient que, avec le grand nombre de transporteurs aériens qui modifient leurs tarifs pour les harmoniser avec ceux de leurs compétiteurs, il est clair que le refus de transporter des primates non humains destinés à la recherche est une pratique commune de l’industrie. BUAV ajoute que même si un certain nombre de transporteurs continuent de transporter des primates non humains destinés à la recherche, y compris au Canada, Air Canada a tout à fait le droit d’harmoniser ses pratiques avec la majorité des transporteurs aériens internationaux qui refusent désormais ce type de transport.
Le contexte du transport aérien de marchandises
HSIC
[59] HSIC soutient que, compte tenu du grand nombre de compétiteurs d’Air Canada qui ont déjà une politique visant le refus de transporter des primates non humains destinés à la recherche en tant que marchandises, et de l’opposition publique à laquelle Air Canada a fait face avant de changer ses politiques, il aurait été déraisonnable pour Air Canada de ne pas envisager de changer sa politique à la lumière de ce contexte de concurrence au sein de l’industrie.
BUAV
[60] BUAV fait valoir qu’il est bien connu que l’industrie moderne des transporteurs aériens est extrêmement concurrentielle. BUAV fait remarquer que les transporteurs aériens doivent composer avec des crises économiques difficiles comme toutes les autres industries et que, devant une grande portion du public qui se déplace en avion pour le travail et les loisirs, il ne suffit pas de se concentrer sur le prix. BUAV ajoute que les transporteurs modifient constamment leur approche pour conserver leurs clients et en attirer de nouveaux, mais aussi pour se distinguer de leurs compétiteurs.
[61] BUAV affirme que, devant les nombreux transporteurs aériens qui ont décidé de ne pas transporter de primates non humains destinés à la recherche, Air Canada a le droit de conclure que son image de marque, et par le fait même sa rentabilité, souffrirait si elle devait continuer de le faire. BUAV est d’avis qu’Air Canada a aussi le droit de conclure que de nombreux passagers nationaux et internationaux ne voudront pas partager un vol avec des primates non humains destinés à des laboratoires, ni même prendre un vol d’un transporteur qui transporte de tels primates non humains à bord de ses autres vols.
[62] BUAV ajoute que, d’un autre côté, Air Canada a le droit de conclure qu’elle pourrait gagner des clients qui souhaitent voyager avec des transporteurs aériens qu’ils considèrent comme ayant une bonne éthique et ainsi compenser la perte de revenu causée par le refus de transports des primates humains destinés à la recherche.
Instruments internationaux auxquels le Canada est partie
ASPC
[63] ASPC fait remarquer que le Canada est un pays membre de l’Organisation mondiale de la santé animale (OIE), ce qui signifie que, comme il est noté dans la présentation d’une partie intéressée, soit l’Agence canadienne d’inspection des aliments, le Canada souscrit au principe selon lequel l’utilisation d’animaux vient avec une responsabilité éthique visant à assurer le bien-être de tels animaux dans la mesure du possible, et qu’il faut réduire au minimum le temps que les animaux passent en déplacement. ASPC soutient que ces principes sont établis dans le Code sanitaire pour les animaux terrestres de OIE et que, pour répondre à ces obligations, ASPC devrait être en mesure de continuer de transporter des primates non humains vers Winnipeg par avion, plutôt que par camion.
[64] ASPC renvoie également à la Réglementation du transport des animaux vivants (RTAV) de l’Association du transport aérien international (IATA), qui constitue la norme mondiale pour le transport des animaux vivants par des transporteurs aériens commerciaux. ASPC fait valoir que, même si le Canada n’est pas une « partie » à l’IATA, Air Canada est visée par la RTAV. ASPC ajoute que rien dans la RTAV n’empêche Air Canada de transporter des primates non humains destinés à la recherche en laboratoire ou à des fins expérimentales.
Université Queen’s
[65] L’Université Queen’s soutient qu’une instance fédérale, le Conseil canadien de protection des animaux, existe pour réglementer l’utilisation d’animaux destinés à la recherche et qu’à l’échelon national, les procédures et les normes régissant l’importation des animaux sont prévues dans la Loi sur la santé des animaux (L.C. 1990) ch. 21 et le Règlement sur la santé des animaux (C.R.C.), ch. 296. L’Université Queen’s fait aussi remarquer qu’à l’échelon international, le transport des animaux est régi par la RTAV de l’IATA, que tous les transporteurs aériens appliquent.
BUAV
[66] BUAV affirme qu’aucune entente internationale à laquelle le Canada est partie n’oblige Air Canada à transporter des primates non humains destinés à la recherche.
[67] En ce qui a trait à la présentation d’ASPC concernant la responsabilité du Canada de veiller à ce que le temps que les animaux passent en déplacement soit gardé au minimum, BUAV soutient que les dispositions de OIE signifient simplement que ceux qui s’adonnent au commerce des animaux devraient garder au minimum le temps de transport dans le contexte des options disponibles. Selon BUAV, il n’est pas possible que la disposition soit interprétée comme obligeant tel transporteur à transporter telles espèces sur telles routes pour telles fins. BUAV soutient que OIE n’a aucune compétence sur les transporteurs ni sur les instances de réglementation des transports.
[68] Selon BUAV, la plupart des primates non humains destinés à la recherche arrivent au Canada par camion et les plaignants ne remettent pas ce point en question. BUAV fait remarquer que selon la logique de l’argument d’ASPC, le Canada ne respecte pas ses obligations en tant que membre de OIE s’il accepte que des primates non humains destinés à la recherche arrivent au Canada par camion.
Exigences opérationnelles d’Air Canada
ASPC
[69] Selon ASPC, comme les primates non humains destinés à la recherche expédiés pour aider à la recherche médicale nécessaire sont traités conformément à la même réglementation et expédiés de la même manière que ceux destinés à être amenés dans les zoos, Air Canada ne peut pas soutenir que les révisions proposées à ses tarifs sont attribuables à ses exigences opérationnelles.
Université Queen’s
[70] L’Université Queen’s soutient que les obligations opérationnelles ont trait à des paramètres qualitatifs et quantitatifs d’un système, et que, à son avis, Air Canada ne peut pas invoquer de raisons opérationnelles pour faire la distinction entre certains animaux en fonction des raisons pour lesquelles ils sont transportés.
BUAV
[71] BUAV soutient que les exigences opérationnelles ne constituent pas un facteur pertinent (si les « exigences opérationnelles » sont abordées dans leur sens normal). BUAV fait valoir que d’un point de vue opérationnel, Air Canada pourrait sans aucun doute continuer de transporter des primates non humains destinés à la recherche, mais que d’un autre côté, aucun motif opérationnel ne l’oblige à le faire.
Autres options de service
HSIC
[72] HSIC soutient que les révisions proposées aux tarifs n’affectent pas la disponibilité du transport terrestre intérieur et régional de primates non humains destinés à la recherche, et que d’autres transporteurs aériens restent disponibles pour le transport des primates non humains destinés à la recherche et à des tests, directement au Canada depuis l’étranger.
[73] HSIC fait valoir que China Eastern Airlines Corporation Limited exerçant son activité sous le nom de China Eastern Airlines et China Eastern et China Southern Airlines Company Limited exerçant son activité sous le nom de China Southern Airlines et China Southern fournissent des vols directs vers une variété de destinations canadiennes, notamment l’aéroport international Pearson, ainsi que le transport primates non humains destinés à la recherche et à des tests. HSIC fait aussi remarquer que Société Air France exerçant son activité sous le nom d’Air France (Air France), Philippine Airlines, Inc. et Vietnam Airlines permettent le transport de ces animaux. HSIC est donc d’avis que les révisions proposées aux tarifs d’Air Canada n’empêcheront ni le transport de primates non humains destinés à la recherche à destination ou à l’intérieur du Canada ni, à terme, la recherche biomédicale qu’on y pratique.
Air Canada
[74] Selon Air Canada, ASPC n’indique pas pourquoi elle doit aller chercher ces primates non humains destinés à la recherche dans d’autres pays, au lieu de les faire se reproduire au Canada, ni comment un autre transporteur aérien qui accepte le transport de primates non humains destinés à la recherche, comme Air France ou Air China, ne pourrait pas transporter ces animaux aux laboratoires auxquels ils sont destinés, ni pourquoi un autre mode de transport ne serait pas possible. Air Canada indique que, même si ASPC affirme que d’autres moyens de transport rendraient le voyage beaucoup plus long et accroîtraient l’inconfort des primates, ASPC n’amène aucune preuve à l’appui de son affirmation.
[75] Selon Air Canada, aucune donnée ne soutient l’affirmation de l’Université Queen’s selon laquelle les révisions proposées aux tarifs imposeraient un réacheminement non nécessaire de primates reproduits exclusivement pour la recherche, résultant en un stress, à de la détresse et à un inconfort inutiles pour les animaux pendant le transport, voire des conditions pouvant menacer leur vie.
[76] En ce qui a trait à l’allégation de PRCB que le refus d’Air Canada de transporter des primates non humains destinés à la recherche viendrait limiter de façon injuste l’accès de PRCB au marché canadien. Air Canada fait remarquer que PRCB n’affirme pas qu’elle utilise les services d’Air Canada pour transporter des primates non humains destinés à la recherche. Selon Air Canada, un examen de ses documents montre qu’aucun primate non humain vivant n’est arrivé de la Barbade depuis au moins 2009. Par ailleurs, Air Canada souligne que toutes les expéditions par PCRB semblent être des « tissus ou des échantillons de singe ».
PRCB
[77] PRCB soutient que, même si elle n’a pas transporté de primates non humains vivants destinés à la recherche récemment, cela ne signifie pas qu’elle ne le fera pas à l’avenir. Elle ajoute qu’Air Canada est la seule à offrir une route aérienne directe pour le transport de marchandises de la Barbade vers le Canada et que, lorsqu’il faut transporter des primates non humains destinés à la recherche, le transport doit être rapide et efficace.
ASPC
[78] Selon ASPC, Santé Canada ne tient pas en ce moment à Ottawa de colonie de primates non humains destinés à la reproduction pour répondre à la demande du pays. Elle fait remarquer que cette colonie a été fermée le 31 mars 2011 et qu’elle ne sait pas si d’autres installations de reproduction de primates non humains existent ailleurs au Canada.
[79] ASPC fait aussi remarquer que si l’interdiction proposée sur le transport de primates non humains destinés à la recherche est admise, la seule option pour ASPC de transporter des primates non humains destinés à la recherche d’un fournisseur canadien est par la route. ASPC indique que le temps de conduite serait d’environ 25 heures, sans compter les pauses que doit prendre le conducteur. ASPC ajoute que l’accès routier depuis Montréal vers le laboratoire national de microbiologie de Winnipeg peut être problématique, particulièrement durant les mois d’hiver. ASPC argue que les périodes prolongées du transport par camion pourraient causer plus de stress aux primates non humains destinés à la recherche, et risqueraient plus de nuire à leur bien-être que s’ils étaient transportés par avion. ASPC fait valoir qu’aucun transporteur aérien ne transporte vers Winnipeg des primates non humains destinés à la recherche et que, même si on les amenait à Toronto ou à Vancouver, le transport par route serait encore très long. ASPC soutient que les options de vol des fournisseurs aux États-Unis seraient également plus limitées sans les services d’Air Canada.
Université Queen’s
[80] Selon l’Université Queen’s, si les primates non humains destinés à la recherche ne peuvent pas être transportés directement au Canada par voie aérienne, il y aura un réacheminement non nécessaire des primates non humains destinés à la recherche en Chine, où les conditions peuvent être moins favorables pour leur bien‑être. Par ailleurs, l’Université Queen’s fait remarquer que les animaux devront peut‑être être transportés sur plusieurs milliers de kilomètres par camion à travers les États‑Unis et le Canada, ce qui pourrait leur causer un stress inutile et entraîner des conditions risquant de menacer leur vie.
BUAV
[81] BUAV est d’avis qu’en raison de l’existence d’autres options, aucun plaignant n’a démontré d’inconvénient majeur subi en raison des tarifs proposés. BUAV indique que les entreprises doivent être autorisées à évoluer afin de tenir compte des circonstances changeantes, ce qui comprend l’évolution de l’opinion publique relativement à l’acceptabilité de certains services.
[82] BUAV fait valoir qu’Air Canada n’est pas l’unique transporteur de primates non humains destinés à la recherche au Canada en provenance de l’étranger; d’autres transporteurs aériens internationaux offrant des vols réguliers au Canada continuent de transporter des primates non humains destinés à la recherche. BUAV fait également valoir que certaines entreprises transportent des primates non humains destinés à la recherche par camion des États-Unis vers le Canada. BUAV affirme que selon les données de la Convention de 2010 sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction, les instituts de recherche canadiens importent déjà près de 60 pour cent des primates non humains destinés à la recherche via les États-Unis.
[83] Selon BUAV, Air Canada a cessé de transporter des beagles destinés à la recherche, mais cela n’a pas arrêté le commerce canadien de beagles destinés à la recherche.
[84] BUAV cite l’argument d’ASPC selon lequel il y a un centre de surveillance à Montréal à partir duquel ASPC prend des primates non humains destinés à la recherche et souligne que lorsque ASPC et d’autres établissements ont besoin de primates non humains destinés à la recherche, ils n’ont pas besoin d’attendre un nouvel arrivage de Chine, de Maurice ou d’autres pays sources. BUAV fait valoir qu’il est ainsi beaucoup plus facile de gérer l’offre et la demande.
[85] BUAV affirme qu’il est donc évident que les plaignants seront en mesure de continuer de s’approvisionner en primates non humains destinés à la recherche si les révisions proposées aux tarifs d’Air Canada sont approuvés. BUAV indique que même si l’absence d’autres options était pertinente, la situation factuelle est bien différente.
[86] BUAV réfère à l’affirmation de l’Université Queen’s selon laquelle une augmentation du coût d’achat de chaque animal de l’ordre de 10 à 15 pour cent serait assurément prévue en raison du détournement des animaux soit en Chine ou en Amérique du Nord, et affirme qu’il n’y a aucune raison de supposer que la proportion de primates non humains destinés à la recherche transportés par avion directement au Canada serait réduite, augmentant ainsi les coûts. À ce titre, BUAV précise que l’augmentation des coûts prévue par l’Université Queen’s n’est pas fondée et que le besoin présumé de détourner le transport est inexpliqué.
Analyse et constatations
Justification commerciale des révisions proposées aux tarifs
[87] Dans sa présentation du 4 septembre 2012 relativement à la présente affaire, Air Canada affirme que depuis qu’elle a commencé à conserver les lettres de protestation le 5 décembre 2011, elle a reçu 47 000 lettres de ce genre concernant son service de transport de primates non humains destinés à la recherche. Air Canada est d’avis que, puisque les lettres contiennent des renseignements privés, elles ne peuvent pas être envoyées aux plaignants ou aux intervenants. Air Canada a joint à sa présentation à titre d’exemple une version épurée d’une des lettres de protestation.
[88] L’Université Queen’s a répondu que sans analyser les lettres de protestation, il est impossible de déterminer si elles ont été écrites par une ou 47 000 personnes ou si elles ont été écrites par des Canadiens ou par des passagers réels ou potentiels d’Air Canada. L’Université Queen’s fait valoir qu’Air Canada demande à l’Office d’accepter une hypothèse qui n’est pas encore appuyée par des éléments de preuve objectifs. PRCB soutient qu’Air Canada ne peut pas se fier aux 47 000 lettres de protestation si elles ne sont pas soumises aux autres parties, et que si Air Canada veut se fier à ces lettres, elle devrait retirer l’information nominative et les rendre disponibles aux autres parties.
[89] L’Office est d’avis qu’il est plausible qu’il y ait un important groupe de passagers potentiels d’Air Canada qui s’opposent au transport de primates non humains destinés à la recherche et qu’ils envisageraient de ne pas voyager avec Air Canada si elle poursuivait cette pratique. Air Canada a fourni dans sa présentation une des pièces de correspondance en question, qui exprime clairement cette opinion. Des rétroactions semblables de la part d’un nombre important d’intervenants et de parties intéressées qui sont en faveur des révisions proposées aux tarifs d’Air Canada confirment à l’Office qu’une importante population réelle s’oppose au transport par Air Canada de primates non humains destinés à la recherche.
[90] En fait, aucune partie n’a suggéré une raison pour laquelle Air Canada a adopté ces révisions proposées aux tarifs autre que ce qu’avait mentionné Air Canada elle-même, c’est-à-dire d’éviter de choquer sa clientèle et le grand public, ce qui pourrait comprendre d’éventuels passagers. L’Office accepte qu’Air Canada a déposé les révisions proposées à ces tarifs après examen des conséquences négatives que pourrait avoir la poursuite de cette pratique sur ses activités et sa réputation, par rapport à la perte de ce qui constitue une très petite partie de ses activités de transport de marchandises.
[91] L’Office accepte qu’Air Canada a établi les révisions proposées à ses tarifs à titre de décision opérationnelle résultant d’un effet négatif perçu qu’entraîne et qu’entraînera la poursuite du transport de primates non humains destinés à la recherche sur sa réputation et sur les ventes aux passagers. L’Office note qu’en général, les transporteurs aériens vendent un produit à des prix semblables sur la même route. À ce titre, l’image de marque, la réputation et la perception des consommateurs pourraient être des facteurs importants dans le choix d’un transporteur plutôt qu’un autre, fournissant ainsi un avantage concurrentiel pour un transporteur.
[92] L’Office est d’avis qu’en général, les transporteurs doivent avoir la souplesse voulue pour utiliser des stratégies comme bon leur semble qui répondent à leurs besoins commerciaux sous réserve de certaines limites législatives ou réglementaires. L’Office accepte la présentation d’Air Canada selon laquelle elle ne peut pas ignorer les effets négatifs potentiels sur les niveaux de trafic en fonction de ses propres connaissances de ses clients si elle poursuivait le transport de primates non humains destinés à la recherche, et que le transport de marchandises représente un petit pourcentage de ses affaires. En outre, l’Office est d’avis que les révisions proposées aux tarifs d’Air Canada pour cesser le transport de primates non humains destinés à la recherche constituent une décision opérationnelle légitime, en raison des effets négatifs possibles que pourrait avoir la poursuite de cette pratique sur ses activités de transport de passagers.
Pratiques actuelles de l’industrie
[93] L’Office note que les plaignants ne remettent pas en question les présentations d’Air Canada, de BUAV et de HSIC selon lesquelles plusieurs transporteurs du monde entier, dont certains des plus grands transporteurs du monde comme il est indiqué dans la liste des 73 transporteurs fournie par BUAV, n’acceptent pas le transport de primates non humains destinés à la recherche. L’Office accepte donc que ces transporteurs, dont plusieurs des principaux concurrents étrangers d’Air Canada, ont choisi de ne plus transporter de primates non humains destinés à la recherche médicale. En outre, l’Office accepte la présentation d’Air Canada selon laquelle une des raisons qui motivent les révisions proposées aux tarifs est d’harmoniser les pratiques commerciales d’Air Canada avec celle de plusieurs autres grands transporteurs internationaux.
Autres options de service
[94] L’Office note que même si la majorité des transporteurs aériens ont cessé le transport de primates non humains destinés à la recherche, d’autres transporteurs continuent d’offrir le service de transport de primates non humains destinés à la recherche au Canada. En outre, l’Office accepte que les primates non humains destinés à la recherche pourraient être transportés par avion aux États-Unis, puis par camion au Canada. Comme l’a fait valoir BUAV, en 2010, 60 pour cent des primates non humains destinés à la recherche importés au Canada sont arrivés par route, en provenance des États-Unis.[2] Compte tenu de ce fait, l’Office accepte les arguments d’Air Canada, de BUAV et de HSIC à cet égard. L’Office est d’avis que des options de service sont disponibles pour l’expédition de primates non humains destinés à la recherche.
[95] L’Office accepte les arguments d’Air Canada et de BUAV selon lesquels l’Université Queen’s ne fournit aucun élément de preuve pour appuyer sa position voulant que les révisions proposées aux tarifs entraîneraient une augmentation des coûts ou que les coûts atteindraient des niveaux qui rendraient le transport de primates non humains destinés à la recherche non viable sur le plan économique.
Instruments internationaux auxquels le Canada est partie
[96] En réponse aux présentations des parties, l’Office accepte que les transporteurs aériens tentent de fournir un milieu sécuritaire pour le transport de primates non humains destinés à la recherche conformément aux exigences réglementaires applicables. Cependant, l’Office note également que le Canada n’est partie à aucun accord international exigeant qu’Air Canada transporte des primates non humains destinés à la recherche. L’Office note de plus que le fait que la Convention de Montréal contienne comparativement peu de dispositions relatives au transport aérien de marchandises appuie la position de l’Office selon lequel le transport aérien de marchandises n’est pas assujetti au même contrôle réglementaire que le service de transport de passagers.
Exigences opérationnelles
[97] L’Office accepte qu’aucune exigence opérationnelle n’empêche Air Canada de transporter des primates non humains destinés à la recherche.
Conclusion
[98] L’Office a examiné les éléments de preuve et les arguments de toutes les parties et conclut qu’il existe d’importantes raisons statuaires, commerciales et opérationnelles à l’appui des révisions proposées aux tarifs d’Air Canada.
[99] En termes d’exigences commerciales et de pratiques de l’industrie, l’Office conclut que les arguments présentés par Air Canada démontrent que ses révisions proposées aux tarifs reflètent une décision opérationnelle légitime. L’Office estime que la décision d’Air Canada de cesser de transporter des primates non humains destinés à la recherche est représentative de décisions opérationnelles en cours où les éléments sont pondérés par rapport aux forces conflictuelles sur le marché ayant une incidence sur sa position financière. L’Office est convaincu qu’Air Canada, au moment de prendre sa décision, a pondéré le compromis entre la perte de revenus en transport de marchandises découlant du transport de primates non humains destinés à la recherche et l’incidence potentielle sur ses revenus si elle perdait des passagers. L’Office conclut également que la décision d’Air Canada de cesser de transporter des primates non humains destinés à la recherche suit la pratique générale de l’industrie à l’échelon international. L’Office accepte qu’une des raisons des révisions proposées aux tarifs est l’harmonisation des pratiques commerciales d’Air Canada avec celles de plusieurs autres grands transporteurs internationaux.
[100] L’Office a examiné les arguments de l’expéditeur contestant les révisions proposées aux tarifs. Comme il a été mentionné précédemment, l’Office est d’avis que d’autres options de service sont disponibles pour le transport de primates non humains destinés à la recherche et qu’aucune preuve n’a été fournie à l’appui de l’argument voulant que les coûts de transport augmenteraient ou atteindraient des niveaux qui rendraient le transport de primates non humains destinés à la recherche non viable sur le plan économique.
[101] L’Office ne prétend pas que les révisions proposées aux tarifs d’Air Canada n’entraîneront pas d’inconvénients pour les plaignants. En soupesant les répercussions qu’auront les révisions proposées aux tarifs sur les plaignants et les raisons à l’appui des révisions proposées aux tarifs, l’Office conclut que les révisions proposées aux tarifs ne sont pas déraisonnables.
QUESTION 2 - LES RÉVISIONS PROPOSÉES AUX TARIFS D’AIR CANADA ÉTABLISSENT-ELLES UNE DISTINCTION INJUSTE, AU SENS DE L’ALINÉA 111(2)a) DU RTA?
Positions des parties
HSIC
[102] HSIC reconnaît que l’Office doit d’abord déterminer si les révisions proposées aux tarifs sont discriminatoires, avant de déterminer s’ils sont injustes. HSIC reconnaît également que l’Office a examiné cette question dans des cas antérieurs et qu’il a indiqué qu’il y a « discrimination » lorsqu’une distinction est faite en se fondant sur des motifs relatifs à des caractéristiques personnelles d’une personne ou d’un groupe de personnes, qui a pour effet d’imposer un fardeau, une obligation ou un désavantage à cette personne ou à ce groupe non imposé à d’autres. HSIC affirme que dans le cas présent, le groupe pertinent serait les expéditeurs, plutôt que les passagers et qu’aucune distinction n’est fondée sur des motifs relatifs à des caractéristiques personnelles des expéditeurs. HSIC soutient que tous les primates non humains destinés à la recherche et aux tests sont traités également aux termes des révisions proposées aux tarifs, c.‑à‑d., leur transport par Air Canada est interdit, peut importe l’expéditeur.
[103] HSIC indique que les instituts de recherche qui sont propriétaires des primates non humains destinés à la recherche et qui réalisent les expériences, réalisent également des expériences sur un vaste éventail d’autres animaux qui ne sont pas visés par les révisions proposées aux tarifs. HSIC affirme qu’en conséquence, tous ces instituts de recherche sont traités également aux termes des révisions proposées aux tarifs et aucun institut ne se voit imposer un fardeau, une obligation ou un désavantage qui n’est pas imposé à d’autres. HSIC fait valoir que le fait de cibler étroitement un tarif ne le rend pas discriminatoire.
[104] HSIC est d’avis que même s’il était déterminé qu’il existe une discrimination, cette discrimination ne satisfait pas au critère « indu/déraisonnable » établi par l’Office.
[105] HSIC soutient que les révisions proposées aux tarifs d’Air Canada sont le résultat d’une décision opérationnelle légitime pour protéger sa réputation et conserver sa clientèle et que les révisions proposées aux tarifs ont été mis en œuvre pour respecter les pratiques de l’industrie et protéger la réputation d’Air Canada auprès de ses clients.
[106] HSIC fait valoir qu’en pratique, le fardeau imposé par les révisions proposées aux tarifs est vraisemblablement minime ou non existant, puisque d’autres transporteurs aériens continueront de transporter des primates non humains destinés à la recherche et d’autres solutions que le transport aérien continuent d’exister. HSIC indique que le principal mode de transport des primates non humains destinés à la recherche et aux tests au Canada est le transport terrestre en provenance d’Ottawa ou des États-Unis.
[107] HSIC est d’avis que les révisions proposées aux tarifs ne sont pas discriminatoires. Toutefois, selon elle, même si l’Office arrive à une conclusion différente, il n’est pas question de discrimination indue ou déraisonnable parce que les révisions proposées aux tarifs sont le résultat d’une décision opérationnelle légitime et de préoccupations éthiques bien établies; les révisions proposées aux tarifs n’empêchent pas les expéditeurs de choisir d’autres transporteurs qui accepteraient ce genre de marchandise; et les révisions proposées aux tarifs sont étroitement ciblées afin d’avoir une incidence seulement sur la pratique qui nuit à l’exploitation d’Air Canada.
Air Canada
[108] Air Canada allègue qu’elle fait également d’autres affaires avec les expéditeurs qui ont expédié des primates non humains destinés à la recherche. Par conséquent, elle indique que cela n’introduit pas de discrimination à l’égard des expéditeurs.
[109] Air Canada indique que le transport de primates non humains destinés à la recherche par d’autres moyens peuvent prolonger les trajets ou les correspondances mais cela ne rend pas les révisions proposées aux tarifs d’Air Canada déraisonnables ou injustement discriminatoires. Air Canada ajoute que depuis 2010, une forte majorité d’expéditions de primates non humains destinés à la recherche, même en utilisant les services d’Air Canada, comprennent une correspondance entre elle-même et un autre transporteur. Air Canada indique que, dans la même veine, les passagers en provenance du Canada parcourant le monde et les passagers en provenance de l’étranger visitant le Canada font régulièrement une myriade de correspondances.
PRCB
[110] PRCB fait valoir que [traduction] « toute condition externe pour exclure le transport de primates non humains destinés à des recherches en laboratoire ou à des expériences, qui n’est pas fondée sur un inconvénient objectif et opérationnel pour un transporteur aérien et, par surcroît, qui n’est pas liée à une question de transport aérien, comme une considération idéologique ou les caprices de groupes minoritaires et d’activistes, est injuste et discriminatoire et ne peut mener qu’à la discrimination et à l’injustice, à un avantage indu à des groupes d’activistes au détriment du public canadien, qui pourrait souffrir d’un désavantage ou d’un préjudice indu ou déraisonnable ».
ASPC
[111] ASPC indique que les révisions proposées aux tarifs d’Air Canada imposent un fardeau ou un désavantage à un groupe – les personnes transportant des primates non humains destinés à des recherches en laboratoire ou à des expériences – qui n’est pas imposé à d’autres. ASPC indique que les personnes qui effectuent des expéditions de primates non humains avec Air Canada pour d’autres raisons, comme la production de films ou des expositions zoologiques, auraient encore le droit de le faire. ASPC indique que cela est clairement discriminatoire. ASPC ajoute que l’interdiction proposée ne s’applique pas aux expéditeurs d’autres animaux destinés à des expériences en laboratoires ou à des recherches.
[112] ASPC indique que la jurisprudence de la Charte canadienne des droits et libertés pourrait être un bon point de départ pour définir la discrimination; cependant, ASPC soutient qu’elle ne peut pas être l’unique source dans le présent cas, puisque la LTC et le RTA ne constituent pas des mesures législatives sur les droits de la personne. En général, la législation canadienne sur les droits de la personne vise à protéger les personnes et les groupes vulnérables de la discrimination, et ces groupes sont souvent définis par leurs caractéristiques personnelles. ASPC fait valoir que l’objet de l’article 67.2 de la LTC et de l’article 111 du RTA dépasse la protection des personnes et des groupes vulnérables, et que l’analyse de la discrimination dans le cas présent ne devrait pas être limitée à la différence de traitement fondée sur des « caractéristiques personnelles ».
[113] ASPC soutient que le terme « discrimination » peut être interprété en dehors du contexte des droits de la personne, et peut s’appliquer au défaut de traiter toutes les personnes également, peu importe si ce traitement est le résultat de caractéristiques personnelles. Par conséquent, ASPC soutient que le traitement différent des expéditeurs de primates non humains destinés à des recherches en laboratoire ou à des expériences où il n’y a pas de distinction raisonnable entre ces expéditeurs et d’autres expéditeurs de primates non humains est discriminatoire.
[114] ASPC fait valoir que si l’Office détermine que les révisions proposées aux tarifs sont discriminatoires, afin de déterminer si cette discrimination est « injuste », il devrait évaluer les conséquences ou les effets de l’interdiction et soupeser les intérêts des diverses parties.
[115] Tout en reconnaissant que l’Office est d’avis qu’il n’a pas le mandat de décider entre les avantages et les incidences négatives de l’expérimentation animale, ASPC soutient que pour évaluer si les révisions proposées aux tarifs sont déraisonnables ou injustement discriminatoires, l’Office doit respecter sa jurisprudence et soupeser les intérêts des parties. ASPC ajoute que pour ce faire, l’Office devra évaluer les conséquences qu’auront les révisions proposées aux tarifs sur le programme de recherche médical d’ASPC.
Université Queen’s
[116] L’Université Queen’s indique que la définition de « discrimination » citée dans la décision no 666-C-A-2001 a été élaborée dans le contexte des droits de la personne et des relations de travail et pourrait être appliquée de manière limitée au transport de marchandises. L’Université Queen’s soutient que la discrimination dans le contexte du transport de marchandises, où aucune caractéristique personnelle n’est en jeu, devrait avoir une définition plus large. L’Université Queen’s est d’avis que cette définition devrait aller plus loin que les motifs personnels énoncés du « Code » et comprendre tout différent traitement de marchandises.
[117] L’Université Queen’s soutient que la définition de discrimination dans le contexte de le transport de marchandises pourrait s’inspirer de la définition énoncée dans l’Affaire Andrews c. Law Society of British Columbia, [1984] 1 S.C.R. 143 sans le mot « personnelles ». C’est-à-dire que la discrimination pourrait être définie comme [traduction] « une distinction fondée sur des motifs relatifs à des caractéristiques d’une personne ou d’un groupe de personnes, qui a pour effet d’imposer à ces personnes ou à ces groupes de personnes un fardeau, une obligation ou des désavantages non imposés à d’autres, ou d’empêcher ou de restreindre l’accès aux opportunités ou aux avantages offerts à d’autres membres de la société ».
[118] L’Université Queen’s indique que les révisions proposées aux tarifs d’Air Canada introduisent une discrimination parce qu’elles traiteront les expéditeurs de primates non humains destinés à la recherche différemment de tous les autres expéditeurs, leur imposant des désavantages que les autres expéditeurs n’ont pas à gérer.
[119] L’Université Queen’s soutient qu’il incombe à Air Canada de justifier toutes les conditions de transport qui sont discriminatoires.
BUAV
[120] BUAV soutient qu’il ne peut y avoir de discrimination illicite dans l’article 67.2 de la LTC ou l’article 111 du RTA à moins i) que le plaignant subisse en pratique un désavantage matériel par suite d’un tarif; ii) qu’il y ait une différence de traitement entre les groupes et les personnes pertinentes; iii) que la différence de traitement constitue une discrimination sur le plan juridique; et iv) que dans toutes les circonstances la discrimination est injuste ou indue.
[121] BUAV indique que les révisions proposées aux tarifs ne poseraient aucun désavantage pour les plaignants parce qu’un certain nombre de transporteurs aériens et routiers continuent de transporter des primates non humains destinés à la recherche au Canada (et il y a un fournisseur intérieur de primates non humains). BUAV affirme qu’environ 60 pour cent des primates non humains destinés à la recherche arrivent au Canada par la route; et il y a un certain nombre d’autres transporteurs aériens ayant des vols directs au Canada qui continuent de transporter des primates non humains destinés à la recherche. BUAV indique également qu’il importe peu aux plaignants la manière dont les primates non humains destinés à la recherche arrivent à leurs laboratoires, pourvu qu’ils arrivent dans la même condition générale.
[122] BUAV indique que les plaignants invoquent la discrimination à deux égards : a) les instituts de recherche qui utilisent d’autres espèces pour les recherches ne sont pas touchés par les révisions proposées aux tarifs; et b) les importateurs de primates non humains pour des fins autres que la recherche ne sont également pas touchés par les révisions proposées aux tarifs. Par rapport au volet a), BUAV soutient qu’il n’y a pas de différence de traitement parce que les plaignants utilisent aussi d’autres espèces pour la recherche (un plaignant victime de discrimination ne peut pas être un membre du groupe avantagé et du groupe désavantagé). Selon BUAV, en ce qui a trait au volet b) seule la différence de traitement peut avoir une pertinence concevable.
[123] BUAV fait référence à la définition de « discrimination » citée dans la décision no 666‑C‑A‑2001 et soutient qu’il n’y a pas de caractéristiques personnelles en jeu ici, puisque les instituts tout comme les plaignants ne présentent pas de caractéristiques personnelles dans le contexte d’allégation de discrimination. BUAV soutient que l’Université Queen’s fait valoir que les caractéristiques personnelles ne devraient pas régir la discrimination dans le cas présent. Cependant, BUAV souligne que la jurisprudence de l’Office est claire et que le fait que les marchandises constituent la question en litige dans le cas présent ne fait aucune différence. BUAV indique que la potentielle discrimination illicite est contre un expéditeur de marchandises, pas les marchandises elles-mêmes, et il n’y a aucune raison pour laquelle un expéditeur, en principe, ne devrait pas posséder de caractéristiques personnelles. BUAV indique par exemple que si un transporteur refusait de transporter les marchandises d’un expéditeur en particulier simplement en raison de son origine ethnique ou de son sexe, cela serait de la discrimination fondée sur une caractéristique personnelle. BUAV affirme que les plaignants ne sont pas en mesure de démontrer une discrimination de ce genre.
[124] BUAV affirme qu’en définitive, il n’est pas pertinent de déterminer s’il est nécessaire de démontrer une caractéristique personnelle parce que même si les révisions proposées aux tarifs sont discriminatoires en fait et en droit, ils ne sont pas indûment ou injustement discriminatoires. BUAV conteste l’allégation d’ASPC selon laquelle le critère des caractéristiques personnelles établi par l’Office dans des cas antérieurs ne s’applique pas dans le contexte du transport de marchandises.
[125] BUAV accepte qu’en principe, les expéditeurs peuvent se plaindre de discrimination injuste. Cependant, BUAV soutient qu’il n’y a aucune raison pour laquelle ils ne devraient pas avoir à démontrer une caractéristique personnelle pertinente, comme doivent le faire les passagers.
Analyse et constatations
[126] Comme il a été indiqué précédemment, l’évaluation en vue de savoir si un tarif est « injustement discriminatoire » comporte deux étapes. Tout d’abord, l’Office doit déterminer si une condition de transport appliquée est « discriminatoire ». Si l’Office conclut que la condition de transport appliquée par les transporteurs est « discriminatoire », l’Office doit ensuite déterminer si une telle discrimination est « injuste » en examinant les raisons statuaires, commerciales et opérationnelles qui ont mené au tarif. L’Office doit également tenir compte du contexte commercial du transport aérien de marchandises et du fait qu’un refus de transporter certaines marchandises peut être attribuable à une décision opérationnelle légitime.
[127] L’Office note que HSIC et BUAV font valoir que dans le cas présent, le groupe pertinent serait les expéditeurs, plutôt que les passagers, et que les révisions proposées aux tarifs ne font aucune distinction en fonction des caractéristiques personnelles des expéditeurs. Par ailleurs, HSIC et BUAV soutiennent que tous les primates non humains destinés à la recherche et aux tests sont traités également dans le cadre des révisions proposées aux tarifs, en ce sens que leur transport par Air Canada est interdit, peu importe l’expéditeur.
[128] L’Office est d’accord avec les présentations de HSIC et de BUAV. L’alinéa 111(2)a) du RTA indique qu’aucun transporteur ne peut, en respectant les taxes et les conditions de transport, établir une distinction injuste à l’endroit de toute personne ou de tout autre transporteur aérien. Afin de prouver la discrimination, les plaignants (ASPC et l’Université Queen’s) doivent fournir la preuve qu’un fardeau, une obligation ou un désavantage a été imposé à un groupe en particulier d’expéditeurs. L’Office est d’avis que les révisions proposées aux tarifs d’Air Canada traitent tous les expéditeurs de manière égale. Aucun expéditeur en particulier n’a été désigné pour recevoir un traitement différent en fonction d’une caractéristique spécifique. À cet égard, l’élément clé à considérer est la question de savoir si un expéditeur est traité différemment, pas les marchandises elles-mêmes. Dans le cas présent, l’Office conclut que les révisions proposées aux tarifs s’appliquent également à tous les expéditeurs et elles ne sont donc pas discriminatoires.
[129] Il est reconnu que la discrimination contre un expéditeur pourrait être introduite de façon indirecte en imposant un tarif pour un certain type de marchandises pour un seul expéditeur ou un groupe d’expéditeurs en fonction de leurs caractéristiques. Cependant, l’Office a conclu qu’il existe un fondement rationnel pour les révisions proposées aux tarifs; elles ne visent pas indirectement à exercer une discrimination entre les expéditeurs, mais elles représentent une décision opérationnelle de cesser le transport de primates non humains destinés à la recherche compte tenu de l’effet que pourrait avoir sur la réputation d’Air Canada et ses intérêts commerciaux le fait de le poursuivre. L’Office est d’avis que les transporteurs aériens devraient jouir de la souplesse opérationnelle de décider du type de marchandises qu’ils souhaitent transporter. D’elle-même, la décision d’un transporteur aérien de cesser de transporter un certain type de marchandises pour des raisons logiquement liées à une décision opérationnelle ne constitue pas une discrimination.
[130] La conclusion de l’Office selon laquelle les révisions proposées aux tarifs ne constituent pas une discrimination est suffisante pour régler ce motif de plainte. Toutefois, même si l’Office avait conclu que les révisions proposées aux tarifs étaient discriminatoires, en soupesant les arguments de l’expéditeur relatifs aux révisions proposées aux tarifs et les obligations statutaires, opérationnelles et commerciales d’Air Canada, l’Office est d’avis que les révisions proposées aux tarifs ne peuvent pas être considérées comme étant « injustes ».
Conclusion
[131] L’Office a tenu compte des positions des plaignants relativement à la présente question, et conclut que les révisions proposées aux tarifs d’Air Canada ne sont pas discriminatoires. Ils ne font pas de distinction entre les expéditeurs en fonction d’une caractéristique particulière d’un expéditeur ou un autre et les révisions proposées aux tarifs ne sont donc pas discriminatoires.
QUESTION 3 - LES RÉVISIONS PROPOSÉES AUX TARIFS D’AIR CANADA SOUMETTENT-ELLES UNE PERSONNE, UN AUTRE TRANSPORTEUR AÉRIEN OU TOUT GENRE DE TRAFIC À UN DÉSAVANTAGE OU À UN PRÉJUDICE INDU OU DÉRAISONNABLE DE QUELQUE MANIÈRE QUE CE SOIT, CONTRAIREMENT À CE QUE PRÉVOIT LE PARAGRAPHE 111(2) DU RTA?
Positions des parties
Air Canada
[132] Air Canada allègue que ses révisions proposées aux tarifs ne dénotent aucun désavantage ou préjudice indu ou déraisonnable à l’intention de l’expéditeur ou du destinataire. Air Canada indique que le libellé de l’article 111 du RTA permet aux transporteurs d’imposer des tarifs entraînant un préjudice ou un désavantage, l’interdiction porte sur un « préjudice indu ou déraisonnable » ou sur un « désavantage indu ou déraisonnable ». Air Canada souligne que ni le terme « préjudice », ni le terme « désavantage » n’ont été définis dans la LTC.
PRCB
[133] PRCB soutient que l’Office doit décider si les révisions proposées aux tarifs d’Air Canada accordent un avantage indu ou déraisonnable à une personne de quelque nature que ce soit ou si elle fait subir à une personne un désavantage ou un préjudice indu ou déraisonnable, conformément aux alinéas 111(2)b) et c) du RTA.
[134] PRCB soutient qu’Air Canada doit démontrer que dans le contexte du transport aérien de marchandises, les conditions de ses révisions proposées aux tarifs sont non seulement raisonnables, mais également qu’ils n’accordent pas de préférence indue ou déraisonnable à une personne, ni n’imposent à une personne un préjudice ou un désavantage indu ou déraisonnable.
ASPC
[135] ASPC soutient que l’Office doit déterminer si les révisions proposées aux tarifs d’Air Canada soumettent ASPC « ou tout trafic à un désavantage ou à un préjudice indu ou déraisonnable de quelque nature que ce soit », conformément à l’alinéa 111(2)c) du RTA.
Université Queen’s
[136] L’Université Queen’s est d’avis que les révisions proposées aux tarifs imposeront à la marchandise composée de primates non humains destinés à la recherche un traitement préjudiciable ou désavantageux. L’Université Queen’s soutient que puisque le transport de ce type de marchandises sera refusé, les révisions proposées aux tarifs imposeront à ce type de marchandises des fardeaux et des désavantages (et par conséquent aux expéditeurs des marchandises) qui ne sont pas imposés à d’autres marchandises ou à d’autres expéditeurs.
[137] L’Université Queen’s reconnaît que certaines circonstances pourraient justifier un traitement préjudiciable ou désavantageux et mener à la prochaine étape du critère qui consiste à déterminer si les conditions sont indûment ou déraisonnablement préjudiciables ou désavantageuses. L’Université Queen’s soutient que l’article 111 du RTA a pour objet un traitement équitable; les termes « indu » et « déraisonnable » doivent être interprétés à la lumière de ce contexte. L’Université Queen’s ajoute que ce qui est particulièrement pertinent dans cette analyse contextuelle est que l’alinéa 111(2)c) du RTA prévoit qu’il ne peut y avoir de préjudice ou de désavantage indu ou déraisonnable « de quelque nature que ce soit ». L’Université Queen’s indique qu’une telle directive sans équivoque doit être prise en compte lors de l’évaluation du caractère « indu » des révisions proposées aux tarifs et elle est d’avis que ces termes forts imposent un fardeau supplémentaire à Air Canada pour justifier les révisions proposées aux tarifs.
[138] L’Université Queen’s indique qu’en l’absence d’obligations opérationnelles ou commerciales convaincantes justifiant les révisions proposées aux tarifs, l’Office doit conclure qu’il s’agit d’un préjudice ou d’un désavantage indu ou déraisonnable.
BUAV
[139] BUAV est d’avis que l’alinéa 111(2)c) du RTA n’ajoute rien de nouveau aux alinéas a) ou b). BUAV fait valoir que l’expression « préjudice ou désavantage » énoncée à l’alinéa 111(2)c) constitue simplement l’envers de l’expression « préférence ou avantage » énoncée à l’alinéa 111(2)b). BUAV soutient que les deux alinéas élucident ce qu’on entend par « discrimination » à l’alinéa 111(2)a). BUAV soutient que la discrimination, par définition, signifie qu’un groupe est avantagé (ou préféré) et qu’un autre est désavantagé (ou préjudiciable). BUAV soutient également que les mots « de quelque nature que ce soit » à l’alinéa 111(2)c) du RTA signifient simplement que tous les types de préjudices et de désavantages doivent être évités lorsqu’ils sont indus ou déraisonnables. Selon BUAV, ces mots ne précisent pas si un préjudice ou un désavantage est indu ou déraisonnable, ce qui, selon elle, est la question examinée par l’Office.
Analyse et constatations
[140] ASPC, PRCB et l’Université Queen’s ont déposé des présentations selon lesquelles les révisions proposées aux tarifs d’Air Canada présentent également un préjudice et un désavantage indus ou déraisonnables, ce qui est contraire à l’alinéa 111(2)c) du RTA. L’alinéa 111(2)c) prévoit :
(2) En ce qui concerne les taxes et les conditions de transport, il est interdit au transporteur aérien :
c) de soumettre une personne, un autre transporteur aérien ou un genre de trafic à un désavantage ou à un préjudice indu ou déraisonnable de quelque nature que ce soit.
[141] L’Université Queen’s soutient que cet alinéa oblige les transporteurs aériens à traiter toutes les marchandises semblables de façon égale et que, en prévoyant qu’un transporteur aérien ne peut pas soumettre tout trafic à un désavantage ou à un préjudice indu ou déraisonnable de quelque nature que ce soit, l’alinéa 111(2)c) du RTA impose des restrictions supplémentaires quant au droit du transporteur aérien de refuser des marchandises.
[142] L’Office n’a pas traité spécifiquement des exigences de l’alinéa 111(2)(c) auparavant dans le contexte d’une plainte portant sur un tarif aérien.
[143] Le mot « trafic » est défini dans le RTA comme « les personnes ou les marchandises transportées par la voie aérienne ». L’Office reconnaît qu’en interdisant à un transporteur de soumettre « une personne, un autre transporteur aérien ou tout genre de trafic » à un désavantage ou à un préjudice indu ou déraisonnable, l’Office doit évaluer les effets du tarif sur les personnes, les transporteurs aériens et les marchandises.
[144] Comme l’a souligné BUAV, les concepts « de préjudice et de désavantages » énoncés à l’alinéa 111(2)c) sont semblables et très étroitement liés aux concepts « de préférence et d’avantage » de l’alinéa 111(2)b) qui, en retour, sont liés au concept de discrimination.
[145] Au sens général, les révisions proposées aux tarifs d’Air Canada peuvent être perçues comme causant au minimum certains désavantages aux plaignants et à l’expédition de primates non humains destinés à la recherche. Toutefois, l’Office a déjà conclu que d’autres options de service sont disponibles pour le transport de primates non humains destinés à la recherche. L’Office a également conclu qu’aucune preuve n’appuie l’argument selon lequel les coûts de transport augmenteraient ou atteindraient des niveaux qui rendraient le transport de primates non humains destinés à la recherche non viable sur le plan économique.
[146] L’Office a conclu que la décision d’Air Canada de cesser de transporter des primates non humains destinés à la recherche est représentative d’une décision opérationnelle. Les décisions découlant d’intérêts opérationnels ne seront pas nécessairement avantageuses pour toutes les parties concernées puisqu’elles impliquent souvent des compromis. En fait, toutes les conditions commerciales comme les prix, les conditions d’expédition et la décision d’un transporteur de refuser de transporter les marchandises d’un expéditeur pourraient être caractérisées par l’expéditeur ou le transporteur comme étant pour eux un désavantage ou un préjudice à un certain niveau. L’Office est d’avis que cela en soit ne rend pas révisions proposées aux tarifs non conformes à l’alinéa 111(2)c) du RTA. L’Office doit soupeser les conséquences qu’auront les tarifs sur les expéditeurs d’une part, et les raisons à l’appui des révisions proposées aux tarifs. Sur ce fondement, l’Office est d’avis que les révisions proposées aux tarifs ne constituent pas un préjudice ou un désavantage indu ou déraisonnable pour l’application de l’alinéa 111(2)c) du RTA.
Conclusion
[147] L’Office a tenu compte des positions des plaignants au sujet de cette question, et conclut que les révisions proposées aux tarifs d’Air Canada relativement au transport de primates non humains destinés à la recherche ne soumettent pas de marchandise à un préjudice ou à un désavantage quelconque « indu ou déraisonnable » au sens de l’alinéa 111(2)c) du RTA.
CONCLUSION GÉNÉRALE
[148] À la lumière de ce qui précède, l’Office rejette les plaintes et annule la suspension des révisions proposées aux tarifs relativement à la cessation du transport par Air Canada de primates non humains destinés à la recherche, tel qu’il est énoncé dans la décision no LET-A-4-2012. Air Canada peut déposer de nouveau, rétablissant ainsi les révisions proposées aux tarifs suspendues sur avis d’au moins un jour. Jusqu’à ce que les révisions proposées aux tarifs soient en vigueur, Air Canada est tenue d’appliquer les tarifs au dossier qui, dans le cas présent, prévoient le transport des primates non humains destinés à la recherche.
[1] Par exemple, Air Canada indique avoir transporté 182 cargaisons de primates non humains depuis la Chine vers le Canada en 2010, pour un total de 1 828 primates non humains, ce qui représente 0,01 % du poids total de marchandises provenant de partout dans le monde. Air Canada ajoute qu’en 2011, seulement 33 cargaisons ont été suivies, pour un total de 258 primates non humains, ce qui représente 0,001 % du poids total de marchandises provenant de partout dans le monde. Elle fait également valoir qu’en 2012, à ce jour, elle a transporté seulement six cargaisons pour un total de 354 primates non humains. Air Canada fait remarquer que, au mieux de sa connaissance, depuis le début de 2010, elle a transporté en tant que marchandises seulement quatre cargaisons de primates non humains pour des fins autres que la recherche ou des expériences, pour un total de sept primates non humains.
Membre(s)
- Date de modification :