Décision n° 666-C-A-2001
le 24 décembre 2001
RELATIVE à une plainte de Del Anderson contre Air Canada à l'égard de la politique de refus d'embarquement applicable au transport entre des points situés au Canada.
Référence no M4370/A74/00-625
PLAINTE
Le 9 octobre 2000, Del Anderson a déposé auprès du Commissaire aux plaintes relatives au transport aérien (ci-après le CPTA) la plainte énoncée dans l'intitulé. Toutefois, vu la nature réglementaire de la plainte, celle-ci a été transmise à l'Office des transports du Canada (ci-après l'Office).
Le 29 décembre 2000, le personnel de l'Office a demandé à Air Canada de donner suite à la plainte en vertu du paragraphe 67.2(1) de la Loi sur les transports au Canada, L.C. (1996), ch. 10 (ci-après la LTC).
Dans une lettre du 29 janvier 2001, Air Canada a demandé une prolongation jusqu'au 5 février 2001 pour déposer sa réponse à la plainte et, par la décision no LET-A-54-2001 du 8 février 2001, l'Office a acquiescé à cette demande. Le 5 février 2001, Air Canada a déposé sa réponse et le 14 février 2001, M. Anderson y a répliqué.
Aux termes du paragraphe 29(1) de la LTC, L'Office est tenu de rendre sa décision au plus tard 120 jours après la date de réception de la demande, sauf s'il y a accord entre les parties pour une prolongation du délai. Dans le cas présent, les parties ont convenu de prolonger le délai pour une période indéterminée.
QUESTION
L'Office doit déterminer si la politique de refus d'embarquement d'Air Canada applicable au transport entre des points situés au Canada est déraisonnable ou injustement discriminatoire au sens du paragraphe 67.2(1) de la LTC.
POSITIONS DES PARTIES
M. Anderson avance que la politique de refus d'embarquement d'Air Canada n'est pas équitable. Selon lui, il est nettement injuste d'accorder la même indemnité à tous les passagers, sans égard au tarif payé. Si la politique d'indemnisation était plus juste, il y aurait moins d'annulations. D'autre part, il maintient qu'Air Canada devrait élaborer une politique de refus d'embarquement qui prévoit l'évincement des passagers ayant payé le tarif le plus bas en premier.
Dans sa réponse du 24 octobre 2000 à la demande de commentaires du CPTA, Air Canada indique qu'il utilise un système informatique perfectionné pour faire le suivi des données sur les défections et que le nombre d'embarquements refusés est relativement petit. Air Canada ajoute que les normes de surréservation sont constamment revues et les systèmes de réservations modifiés en fonction de toutes nouvelles tendances constatées dans les réservations.
M. Anderson réplique que les procédures actuelles d'évincement des passagers d'Air Canada sont d'une injustice flagrante du fait qu'elles permettent aux passagers ayant payé un tarif très réduit de voyager alors que ceux ayant payé le plein tarif sont évincés. Selon lui, Air Canada doit élaborer une politique de refus d'embarquement qui accorde une priorité plus élevée aux passagers payant le plein tarif, et ces passagers devraient être évincés uniquement après le refus d'embarquement aux passagers ayant payé un tarif réduit. Il ajoute que l'actuelle indemnité forfaitaire est injuste.
Dans une lettre du 29 décembre 2000, le personnel de l'Office a demandé aux parties visées par la plainte de traiter celle-ci à la lumière du paragraphe 67.2(1) de la LTC.
Dans sa réponse, Air Canada mentionne que sa politique de refus d'embarquement n'est ni déraisonnable ni injustement discriminatoire au sens du paragraphe 67.2(1) de la LTC. La politique prévoit que si le nombre de passagers volontaires est insuffisant, le refus d'embarquement s'applique selon une priorité d'embarquement établie. Ainsi, les passagers de la première classe et de la classe économique ont une priorité plus élevée que tous les autres passagers, dans l'ordre où ils se sont présentés au comptoir d'enregistrement et à l'embarquement. Des exceptions à cet égard sont prévues dans le cas des passagers ayant une déficience ou des enfants non accompagnés âgés de moins de 12 ans.
En outre, Air Canada fait valoir qu'il accorde une indemnité équitable en cas de refus d'embarquement à tous les passagers, soit 100 $ en argent comptant ou un bordereau de voyage de 300 $. Le transporteur soutient qu'il est déraisonnable et irréalisable de donner suite à la demande du plaignant qui veut que le montant de l'indemnité soit proportionnel au tarif payé. Selon lui, si l'indemnité offerte aux passagers de la classe économique était supérieure à celle prévue pour les passagers ayant payé des tarifs réduits, cela engendrerait un conflit du fait que les deux catégories de passagers n'obtiendraient pas la même réparation pour le même inconvénient.
Pour ce qui concerne la question de savoir si la politique est injustement discriminatoire, Air Canada avance qu'en accordant à M. Anderson le même traitement qu'aux autres passagers qui ont essuyé un refus d'embarquement, elle n'a pas fait preuve de discrimination injuste.
Dans sa réplique, M. Anderson mentionne que la politique de refus d'embarquement d'Air Canada est contraire au paragraphe 67.2(1) de la LTC. Il maintient sa position, à savoir que la politique d'indemnisation d'Air Canada à cet égard n'est ni juste ni équitable et qu'une indemnité basée sur le pourcentage du tarif payé est raisonnable, réaliste et réalisable. Il ajoute que l'actuelle politique de refus d'embarquement est discriminatoire et que, comme les passagers ayant payé le plein tarif reçoivent la même indemnité forfaitaire que ceux ayant payé un tarif réduit, les passagers de la première catégorie obtiennent des avantages limités par rapport aux autres et leur indemnité n'est pas juste et rationnelle.
ANALYSE ET CONSTATATIONS
Pour en arriver à ses constatations, l'Office a attentivement examiné et tenu compte de tous les éléments de preuve soumis par les parties. Il s'est également penché sur la politique de refus d'embarquement d'Air Canada et, plus particulièrement, sur les politiques qui concernent la priorité en cas de refus d'embarquement et l'indemnité prévue à cet égard, aux termes de la règle 245 du tarif intérieur d'Air Canada.
La compétence de l'Office en ce qui concerne les plaintes portant sur les tarifs intérieurs est définie aux articles 67, 67.1 et 67.2 de la LTC. Aux termes du paragraphe 67.2(1) de la LTC, l'Office peut prendre certaines mesures correctives sur réception d'une plainte, lorsqu'il estime que le titulaire d'une licence intérieure a appliqué à son service intérieur des conditions de transport déraisonnables ou injustement discriminatoires. Plus explicitement, le paragraphe 67.2(1) prescrit ce qui suit :
S'il conclut, sur dépôt d'une plainte, que le titulaire d'une licence intérieure a appliqué pour un de ses services intérieurs des conditions de transport déraisonnables ou injustement discriminatoires, l'Office peut suspendre ou annuler ces conditions ou leur en substituer de nouvelles.
L'Office observe qu'aux termes de la politique de refus d'embarquement d'Air Canada, sous réserve de certaines exceptions, les passagers ayant payé le plein tarif doivent obtenir la priorité d'embarquement par rapport aux passagers qui ont payé des tarifs réduits, et que tous les passagers ayant essuyé un refus d'embarquement ont droit à la même indemnité, quel que soit le montant du tarif payé. Les règles 245(C)(1) et (2) du tarif intérieur d'Air Canada mentionnent plus précisément ce qui suit :
1. En cas de survente d'un vol, aucun passager ne peut se voir refuser involontairement l'embarquement si AC n'a pas au préalable demandé si des passagers étaient prêts à céder leur place sur une base volontaire.
2. Si le nombre de passagers volontaires est insuffisant, les autres passagers peuvent se voir involontairement refuser l'embarquement, en conformité avec la politique de priorité d'embarquement d'AC. Les passagers ayant des réservations confirmées et qui n'ont pas reçu de carte d'embarquement seront autorisés à monter à bord de l'aéronef dans l'ordre suivant, jusqu'à ce que tous les sièges disponibles soient occupés :
(A) Les passagers ayant une déficience physique, les enfants non accompagnés âgés de moins de 12 ans et les autres passagers à qui, de l'avis d'AC, le refus d'embarquement causerait de graves torts.
(B) Les passagers ayant payé les tarifs de la Première classe, de la classe Affaires et de la classe Économie.
(C) Tous les autres passagers, y compris les voyagistes qui accompagnent un groupe. Ces passagers seront traités dans l'ordre où ils se sont présentés à l'enregistrement et à l'embarquement. [Traduction]
La règle 245(E)(2) du tarif intérieur d'Air Canada prévoit en partie ce qui suit :
[...] AC accordera des dommages-intérêts de 100 $ en argent comptant ou sous la forme d'unbordereau de voyage (pour des vols futurs d'Air Canada) de 300 $. Si le passager l'accepte, cette offre constituera une indemnité en bonne et due forme pour tous les dommages réels ou prévus, subis ou à subir. [Traduction]
La politique de refus d'embarquement d'Air Canada, applicable au transport entre des points situés au Canada, est-elle « déraisonnable » au sens du paragraphe 67.2(1) de la LTC?
Selon les principes d'interprétation législative, les mots utilisés dans le libellé d'une loi doivent être lus dans leur contexte entier et selon leur sens usuel et leur acceptation courante en tenant compte du régime législatif, de l'objet de la loi et de l'intention du Parlement. Comme l'a mentionné le juge Rouleau de la Section de première instance de la Cour fédérale du Canada dans l'affaire ECG Canada Inc. v. M.N.R., [1987] 2 F.C. 415 :
Il ne fait aucun doute que l'approche littérale constitue une méthode reconnue dans le domaine de l'interprétation des lois. Néanmoins, la Cour peut toujours examiner l'objet d'une loi non pas pour modifier ce qui a été dit par le législateur, mais afin de comprendre et de déterminer ce qu'il a dit. L'objet de la loi et les circonstances qui entourent son adoption constituent des considérations pertinentes dont il faut tenir compte non seulement lorsqu'il y a un doute, mais dans tous les cas.
Le terme « déraisonnable » n'est pas défini dans la LTC ni dans le Règlement sur les transports aériens DORS/88-58, modifié (ci-après le RTA) et n'a pas été pris en considération par l'Office dans le contexte du tarif intérieur d'un transporteur aérien. Le Black's Law Dictionary définit le terme « déraisonnable » comme suit : « irrational; foolish; unwise; absurd; silly; preposterous; senseless; stupid » (« irrationnel, fou, imprudent, absurde, sot, contraire au bon sens, insensé, stupide ») [traduction].
Même si la portée du mot « déraisonnable », par rapport aux conditions de transport, n'a pas été considérée du point de vue juridique au Canada, les tribunaux se sont maintes fois penchés sur sa signification dans des contextes comme la révision judiciaire1 ou la révision d'une décision discrétionnaire basée sur un facteur non pertinent, un but illégitime ou la mauvaise foi2 . Alors qu'il est difficile d'extrapoler des principes distincts sur la signification du mot « déraisonnable » à partir de ces cas, les tribunaux ont toujours maintenu ce qui suit :
- La signification du mot ne peut pas être déterminée à partir d'un dictionnaire;
- Une signification fondée sur le contexte doit être donnée au mot;
- En général, le mot signifie « sans fondement rationnel ».
Le paragraphe 67.2(1) de la LTC fait partie de la section intitulée « Service intérieur », de la partie II de la LTC (Transport aérien). Cette section renferme 10 dispositions législatives qui prévoient des solutions précises pour les voyageurs tout en imposant des obligations aux titulaires de licence intérieure dans le but de redresser les situations où il est allégué qu'un prix, un taux, des frais ou d'autres conditions de transport établis de façon unilatérale par un transporteur aérien sont déraisonnables, injustement discriminatoires ou non appliqués par le transporteur. De l'avis de l'Office, le libellé du paragraphe 67.2(1) de la LTC tient compte du fait que le Parlement reconnaît la nécessité d'une réglementation pour atteindre l'objectif établi par la politique nationale des transports énoncée à l'article 5 de la LTC qui prévoit en partie ce qui suit :
[...] les liaisons assurées en provenance ou à destination d'un point du Canada par chaque transporteur ou mode de transport s'effectuent, dans la mesure du possible, à des prix et selon des modalités qui ne constituent pas :
(i) un désavantage injuste pour les autres liaisons de ce genre, mis à part le désavantage inhérent aux lieux desservis, à l'importance du trafic, à l'ampleur des activités connexes ou à la nature du trafic ou du service en cause,
Cette position correspond à l'article 12 de la Loi d'interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-21, qui prévoit que :
Tout texte est censé apporter une solution de droit et s'interprète de la manière la plus équitable et la plus large qui soit compatible avec la réalisation de son objet.
Pour déterminer si une condition de transport appliquée par un transporteur est « déraisonnable » au sens du paragraphe 67.2(1) de la LTC, l'Office doit donc s'assurer de ne pas interpréter la disposition de façon à compromettre la capacité des voyageurs d'utiliser avec efficience le recours instauré par le Parlement afin de les protéger contre l'établissement unilatéral de conditions de transport par les transporteurs aériens.
Inversement, l'Office doit également tenir compte de ce qui suit :
- les obligations opérationnelles et commerciales du transporteur aérien visées par la plainte;
- les autres dispositions de la partie II de la LTC visant la protection des consommateurs, qui obligent les transporteurs aériens à publier, afficher ou rendre disponibles des tarifs qui renferment les renseignements requis par le RTA et à n'appliquer que les conditions de transport énoncées dans ces tarifs;
- le fait que les transporteurs aériens sont tenus d'établir et d'appliquer des conditions de transport qui s'adressent à tous les passagers et non pas à un seul en particulier.
Par conséquent, l'Office est d'avis que pour déterminer si une condition de transport appliquée par un transporteur aérien intérieur est « déraisonnable » au sens du paragraphe 67.2(1) de la LTC, un équilibre doit être établi entre, d'une part, les droits des passagers d'être assujettis à des conditions de transport qui soient raisonnables et, d'autre part, les obligations statutaires, commerciales et opérationnelles du transporteur aérien concerné.
La politique de refus d'embarquement d'Air Canada a été élaborée et mise en oeuvre de façon à indemniser les passagers qui ont essuyé un refus d'embarquement par suite de survente. De telles dispositions se retrouvent dans divers types de contrats commerciaux dans lesquels l'indemnisation est prédéterminée et n'est pas basée sur le montant réel du contrat ou les dommages qu'une partie subit si l'autre partie ne respecte pas un certain nombre ou la totalité des modalités du contrat. Contrairement aux politiques d'un transporteur aérien sur les remboursements concernant les services achetés qui n'ont pas été utilisés, selon lesquelles le tarif payé par un passager est lié à la conception et à l'application de l'indemnité, le tarif payé par un passager n'a aucun rapport avec le montant de l'indemnisation à laquelle le passager a droit en cas de refus d'embarquement. D'autre part, tout passager essuyant un refus d'embarquement a droit à une indemnité; il n'est pas nécessaire de faire la preuve des dommages qui ont été subis.
Compte tenu de ce qui précède, l'Office conclut que les règles 245 (C)(1), (C)(2) et (E)(2) du tarif intérieur d'Air Canada ne sont pas « déraisonnables » dans le cas qui nous occupe, au sens du paragraphe 67.2(1) de la LTC.
La politique de refus d'embarquement d'Air Canada applicable au transport entre des points situés au Canada est-elle « injustement discriminatoire » au sens du paragraphe 67.2(1) de la LTC?
Comme pour le mot « déraisonnable », l'expression « injustement discriminatoire » n'est pas définie dans la LTC ou dans le RTA et n'a pas été considérée par l'Office dans le contexte du tarif intérieur d'un transporteur aérien.
En ce qui concerne la signification du mot « discriminatoire », la Cour suprême du Canada, dans l'affaire Andrews v. Law Society (British Columbia), [1989] 1 C.S.C. 143, a statué que : « (...) la discrimination peut se décrire comme une distinction, intentionnelle ou non, mais fondée sur des motifs relatifs à des caractéristiques personnelles d'un individu ou d'un groupe d'individus, qui a pour effet d'imposer à cet individu ou à ce groupe des fardeaux, des obligations ou des désavantages non imposés à d'autres ou d'empêcher ou de restreindre l'accès aux possibilités, aux bénéfices et aux avantages offerts à d'autres membres de la société. »
En outre, dans l'affaire O'Connell v. Canadian Broadcasting Corp. (1988), 88 C.L.L.C. 17, 017, le Tribunal canadien des droits de la personne a statué « qu'une ligne de conduite ou une règle peut être jugée discriminatoire, qu'elle comporte (...) une « discrimination directe » (une pratique ou une règle qui, à première vue, établit une distinction pour un motif prohibé), ou « une discrimination par suite d'un effet préjudiciable » (une règle ou une norme qui est neutre à première vue et qui s'applique également à tous les employés, mais qui a un effet discriminatoire pour un motif prohibé sur un seul employé ou un groupe d'employés). ».
Les interprétations judiciaires ci-dessus du mot « discrimination » sont bien reconnues au Canada et ont été utilisées par divers tribunaux et diverses cours3. Toutefois, l'Office observe que, contrairement aux contextes des droits de la personne et des relations de travail dans lesquels ces décisions ont été rendues et où le principe dominant est celui de l'intolérance à l'égard de la discrimination, la LTC prévoit que des conditions de transport « discriminatoires » peuvent être tolérées dans la mesure où elles ne sont pas « injustement discriminatoires ».
Par conséquent, le processus utilisé pour déterminer si une condition de transport appliquée par un transporteur sur une route intérieure est « injustement discriminatoire » comprend deux étapes. En premier lieu, il incombe à l'Office de déterminer si cette condition de transport est « discriminatoire ». S'il n'y a pas discrimination, l'Office peut mettre fin à son enquête. Toutefois, si l'Office conclut que la condition appliquée par le transporteur intérieur est « discriminatoire », il doit alors déterminer si elle l'est « injustement ».
La signification du mot « indu » a fait l'objet d'une analyse détaillée par la Cour fédérale d'appel dans l'affaire Via Rail Canada Inc. v. Office national des transports et Jean Lemonde, [2001] 2 F.C. 25. Ainsi, la Cour a statué comme suit :
Bien qu'« indu » soit un mot d'usage courant dénué d'un sens technique précis, la Cour suprême du Canada a défini de diverses façons ce terme comme signifiant « illégitime, immodéré, excessif ou oppressif » ou comme exprimant « la gravité ou l'importance ». À cette liste de synonymes, le Concise Oxford Dictionary of Current English ajoute « disproportionate » (disproportionné).
Ce qui ressort clairement de l'ensemble de ces termes, c'est que le caractère indu est une notion bien relative. Je souscris à l'avis exprimé par le juge Cartwright (plus tard juge en chef) dans l'extrait suivant :
[TRADUCTION] « Indu » et « indûment » ne sont pas des termes absolus dont le sens coule de source. Leur utilisation présuppose l'existence d'une règle ou norme définissant ce qui est « dû ». Il ne me semble pas que l'on facilite leur interprétation en leur substituant les adjectifs « illégitime », « immodéré », « excessif », « oppressif » ou « mauvais », ou les adverbes correspondants, en l'absence d'une détermination de ce qui, sous ce rapport est légitime, modéré, tolérable ou bon.
Ainsi donc la bonne façon d'établir si quelque chose est « indu » est d'examiner le contexte. Le caractère indu doit se définir en fonction de l'objet de la disposition législative pertinente. Il peut s'avérer utile d'évaluer les conséquences ou répercussions qu'entraîne l'omission de supprimer la chose indue.
La Cour suprême a également reconnu que ce terme implique la pondération des intérêts des diverses parties. Dans une affaire où il fallait décider si un employeur avait tenu compte du droit d'un employé de pratiquer sa religion sans qu'il en résulte de contrainte excessive, Mme le juge Wilson, se prononçant pour la majorité, a jugé utile de dresser une liste de certains facteurs applicables à une telle appréciation, puis a conclu : « Cette énumération ne se veut pas exhaustive et les résultats qu'on obtiendra en mesurant ces facteurs par rapport au droit de l'employé de ne pas faire l'objet de discrimination varieront nécessairement selon le cas ».
Par conséquent, l'Office est d'avis que, lorsqu'il s'agit de déterminer si une condition de transport appliquée par le transporteur intérieur est « injustement discriminatoire » au sens du paragraphe 67.2(1) de la LTC, il faut adopter une méthode contextuelle qui permet d'établir un équilibre entre, d'une part, le droit des voyageurs de ne pas être assujettis à des conditions de transport discriminatoires et, d'autre part, les obligations statutaires, opérationnelles et commerciales des transporteurs aériens exerçant leurs activités au Canada. Cette position est également conforme à la politique nationale des transports énoncée à l'article 5 de la LTC.
Ainsi, l'Office doit se demander en premier lieu, pour déterminer si une condition de transport appliquée par un transporteur aérien est « injustement discriminatoire » au sens du paragraphe 67.2(1) de la LTC, si la condition de transport est discriminatoire.
Après avoir examiné attentivement les plaidoiries du plaignant ainsi que les règles 245(C)(1), (C)(2) et (E)(2) du tarif intérieur d'Air Canada, l'Office estime que la politique de refus d'embarquement d'Air Canada n'est pas « discriminatoire » dans le cas qui nous occupe, au sens du paragraphe 67.2(1) de la LTC, pour les raisons ci-après. Tout d'abord, l'Office observe que les règles 245(C)(1), (C)(2) et (E)(2) du tarif intérieur d'Air Canada s'appliquent de façon égale à tous les passagers. L'Office reconnaît qu'une condition de transport applicable de façon égale à tous les passagers peut être la cause de discrimination mais, pour qu'il y ait discrimination, il faut démontrer que cela a eu pour effet d'imposer un fardeau, une obligation ou un désavantage à une personne ou à un groupe de personnes et non pas à d'autres. Par conséquent, on pourrait faire valoir que la politique de refus d'embarquement d'Air Canada est discriminatoire à l'endroit des passagers qui paient des tarifs plus élevés du fait que ces derniers ont droit à la même indemnité en cas de refus d'embarquement que les passagers payant les tarifs réduits pour le même service. Toutefois, l'Office est d'avis que le tarif payé par un passager n'a aucun lien avec un fardeau ou un désavantage quelconque qu'un passager est susceptible de se voir imposer en raison d'un refus d'embarquement. Par conséquent, l'Office estime que l'application d'une indemnité égale en cas de refus d'embarquement à tous les passagers ne constitue aucunement une discrimination à l'endroit des passagers qui paient les tarifs élevés.
Ayant déterminé que les règles 245(C)(1), (C)(2) et (E)(2) du tarif intérieur d'Air Canada ne sont pas « discriminatoires » dans le cas qui nous occupe, au sens du paragraphe 67.2(1) de la LTC, il n'est pas nécessaire pour l'Office d'examiner la question de savoir si la politique de refus d'embarquement d'Air Canada énoncée dans le tarif est « injustement » discriminatoire.
CONCLUSION
Compte tenu des constatations qui précèdent, l'Office rejette par les présentes la plainte.
- C.U.P.E. v. New Brunswick Liquor Corporation, [1979] 2 R.C.S. 227.↑
- Associated Provincial Picture Houses v. Wednesbury Corporation, [1948] 1 K.B. 233; Ville de Montréal v. Beauvais, (1909) 42 S.C.R. 211; décision no 445-R-2000 de l'Office des transports du Canada en date du 30 juin 2000↑
- Brooks v. Canada Safeway Ltd., [1989] 4 W.W.R. 193; Canada (Solliciteur général) v. George, [1991] 1 F.C. 344; Headley v. Canada (Commission de la fonction publique), [1987] 2 C.F. 235.↑
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