Décision n° 445-R-2000
Modification à la décision no 445-R-2000
le 30 juin 2000
RELATIVE à l'article 145 de la Loi sur les transports au Canada, L.C. (1996), ch. 10, et à une décision de l'Office des transports du Canada au sujet de l'impact des règlements municipaux de remise en état sur la valeur nette de récupération des terrains et d'autres actifs ou intérêts de la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada dans sa subdivision Cudworth, dans la province de Saskatchewan, qui ont été offerts en vente aux gouvernements.
Dossier n° T 6338/394
CONTEXTE
En réponse à l'« Avis de cessation d'exploitation d'une ligne de chemin de fer » publié par la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (ci-après le CN) le 6 mai 1998, les gouvernements des municipalités rurales de Bayne n° 371, de Hoodoo n° 401, de Fish Creek n° 402 et de St. Louis n° 431, les Villes de Wakaw et de Cudworth et le Village de Domremy (ci-après les intimés) ont accepté d'acheter une partie de la subdivision Cudworth du CN (ci-après la ligne de chemin de fer) dans la province de Saskatchewan.
Les intimés et le CN n'ont pu s'entendre sur la valeur nette de récupération de la ligne de chemin de fer. Par la suite, le CN a déposé une demande auprès de l'Office des transports du Canada (ci-après l'Office) aux termes du paragraphe 145(5) de la Loi sur les transports au Canada (ci-après la LTC) le 22 juin 1999 en vue de déterminer la valeur nette de récupération de la ligne de chemin de fer.
Dans sa réponse préliminaire du 18 août 1999 à la demande du CN visant à déterminer la valeur nette de récupération de la ligne de chemin de fer, les intimés affirment que la valeur nette de récupération des terrains du CN doit tenir compte du coût de tous les travaux de remise en état nécessaires, comme le nivellement des bermes et l'enlèvement du ballast de la voie ferrée. Les intimés précisent qu'un règlement adopté par la Municipalité rurale de Fish Creek, que traverse la ligne de chemin de fer, stipule expressément qu'une emprise de voie ferrée abandonnée doit être remise en état, l'objectif de ce règlement étant de rendre les terrains touchés utilisables après l'abandon de l'exploitation de la ligne de chemin de fer.
Les intimés affirment qu'en l'occurrence, le coût des travaux à réaliser pour rendre les terrains du CN utilisables, et, par conséquent, leur donner une certaine valeur, est d'environ 23 000 $ le mille. Étant donné que ce montant dépasse la valeur totale des terrains et qu'une valeur nette de récupération négative serait déraisonnable, les intimés demandent à l'Office d'évaluer l'emprise du CN à 1 $.
Après plus ample enquête, les intimés soutiennent que des règlements analogues ont été adoptés par d'autres municipalités, notamment par le Village de Domremy (23 juillet 1998), la Ville de Wakaw (20 octobre 1998), la Ville de Cudworth (3 février 2000), la Municipalité rurale de Hoodoo (8 février 2000) et la Municipalité rurale de Bayne (10 février 2000).
Au cours des plaidoiries, la Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique (ci-après le CP) a déclaré à l'Office que plusieurs de ses lignes de chemin de fer étaient assujetties à des règlements de ce type et a demandé l'autorisation de formuler des commentaires sur la question à savoir si ces règlements ont un impact sur le calcul de la valeur nette de récupération. L'Office a acquiescé à cette demande le 13 octobre 1999 dans sa décision n° LET-R-249-1999.
Suite au débat relatif à ces règlements et vu qu'une décision prise par l'Office au sujet de leur application au calcul de la valeur nette de récupération risque d'avoir des conséquences dépassant le cadre de la présente affaire, l'Office a rendu la décision n° LET-R-269-1999 le 26 octobre 1999, sous forme d'un avis adressé à 90 personnes, compagnies de chemin de fer et gouvernements intéressés afin de connaître leurs commentaires.
POSITIONS DES PARTIES
Intimés
Les intimés soutiennent que la Rural Municipalities Act, 1989, S.S., 1989, ch. R-26.1, prévoit l'autorité législative nécessaire à l'adoption de ces règlements et, qu'en tant que tribunal fédéral quasi judiciaire, l'Office n'est pas habilité à déterminer si un règlement municipal est valide ou non. Les intimés affirment que l'Office doit accepter les règlements comme tels et de penser qu'ils pourraient être annulés par les tribunaux dans une affaire quelconque est purement hypothétique.
En ce qui concerne la portée constitutionnelle des règlements, les intimés affirment qu'ils ont une incidence sur une compagnie de chemin de fer de compétence fédérale uniquement après que celle-ci a décidé d'abandonner l'exploitation d'une ligne de chemin de fer. Par conséquent, les règlements ne portent pas atteinte aux opérations fédérales. Après l'abandon d'une ligne de chemin de fer, l'intérêt d'une compagnie de chemin de fer dans les actifs touchés est donc assujetti aux lois provinciales et municipales en vigueur. Les intimés reconnaissent par ailleurs qu'il n'existe pas de compétence légale pour établir des règlements dans le but exprès de faire face à l'abandon ou à la cessation d'exploitation d'une ligne de chemin de fer, qui sont des questions dont la compétence législative relève du gouvernement fédéral.
En ce qui concerne le fondement juridique des règlements, les intimés soutiennent qu'en vertu de la Rural Municipalities Act, 1989, ils sont habilités à établir des règlements à toutes les fins que la province leur a déléguées, ce qui englobe l'octroi d'un pouvoir particulier pour faire traiter des questions comme des lieux insalubres et négligés situés dans une municipalité. Les municipalités se sont également vu déléguer des pouvoirs généraux pour établir des règlements afin d'assurer la paix, l'ordre et le bon gouvernement, et de promouvoir la santé, la sécurité, la moralité et le bien-être de ses résidents.
Les intimés déclarent également que les règlements sont validement adoptés comme lois environnementales. À cet égard, les intimés soutiennent que la remise en état de l'emprise de la voie ferrée pour en permettre l'utilisation productive et l'élimination des emprises abandonnées et improductives auront des retombées écologiques et économiques favorables. Ils ajoutent que les règlements sont également valides dans la mesure où ils entraîneront une amélioration de la sécurité, du bien-être des propriétaires attenants et une réduction des poursuites en dommages-intérêts des intrus qui pénètrent sur les lieux abandonnés.
En ce qui concerne l'objectif de l'adoption de ces règlements, les intimés affirment que l'état dans lequel on a laissé les emprises ferroviaires abandonnées par le passé n'est plus acceptable aujourd'hui par les gouvernements locaux. Contrairement à l'expérience qu'ils ont de la mise hors service d'un service public ou d'un pipeline, qui n'a jamais soulevé le moindre problème, les abandons de lignes de chemins de fer se sont révélés problématiques. L'expérience démontre que les emprises ferroviaires abandonnées posent des problèmes de sécurité à cause des ponceaux et des ponts restants et de certains matériels de voie comme des traverses, de l'acier, des pièces et des clôtures qui ne sont pas entièrement enlevés. Les motoneiges qui circulent souvent le long des emprises courent également des dangers et, étant donné que les municipalités ont conscience de tous ces dangers, elles risquent d'être tenues légalement responsables de leur inaction.
Les municipalités se préoccupent également des mauvaises herbes nuisibles qui poussent sur les terrains qui ne sont pas utilisés de manière productive, et, lorsqu'une emprise ferroviaire n'est pas nivelée, il devient difficile et coûteux de pulvériser des produits pour lutter contre les mauvaises herbes et les broussailles. De plus, les intimés affirment que les propriétés ferroviaires abandonnées finissent généralement par appartenir à la municipalité, de sorte que les coûts d'assainissement deviennent une dépense municipale.
Les intimés reconnaissent que les règlements réduiront la valeur nette de récupération des lignes de chemin de fer, mais que même si ces règlements causent un préjudice aux compagnies de chemin de fer, les avantages qui en découlent pour le public l'emportent sur les inconvénients.
Les intimés justifient par ailleurs la légitimité de l'objectif de ces règlements en citant d'autres règlements adoptés à des fins comparables. C'est ainsi que la Municipalité rurale de Fish Creek a adopté deux règlements traitant de situations qui risquent de porter préjudice au public : le règlement n° 39, qui traite de l'enlèvement de la terre, des pierres ou des ordures des lieux publics; et le règlement n° 40, qui traite du labourage, de l'encombrement et de l'obstruction des chemins.
En ce qui concerne le moment de l'adoption de ces règlements, les intimés déclarent que les gouvernements locaux hésitent à adopter des règlements prématurés qui risquent d'être redondants. Cela veut dire qu'avant le commencement du processus d'abandon, ces règlements sont parfaitement inutiles étant donné que la compagnie de chemin de fer existe toujours et qu'il se peut qu'elle continue d'exister comme entité exploitante. Même lorsqu'une ligne de chemin de fer est inscrite dans le plan triennal d'une compagnie de chemin de fer, ces règlements sont inutiles étant donné que le plan peut être modifié à n'importe quel moment par la compagnie de chemin de fer et que l'exploitation de la ligne de chemin de fer figurant dans le plan peut se poursuivre, quoi qu'il arrive.
CN
Le CN soutient essentiellement que les règlements de remise en état n'ont aucune valeur étant donné qu'ils ont été adoptés dans un but illégitime ou collatéral. Le CN affirme qu'une municipalité rurale ne peut pas légalement adopter un règlement afin de s'octroyer un avantage financier direct ou indirect. Le CN soutient qu'en adoptant des règlements de ce type, les municipalités rurales peuvent faire baisser le coût d'achat des actifs ferroviaires de la subdivision Cudworth du CN et, du même coup, créer un conflit au niveau de leurs rôles. Pour étayer cet objectif illégitime, le CN a présenté une copie d'une déclaration publique d'un fonctionnaire municipal dans la province du Manitoba dans une autre affaire. Cette déclaration, selon le CN, équivaut à une déclaration selon laquelle l'objectif véritable de ces règlements est de tenter d'entraver le processus de détermination de la valeur nette de récupération.
Le CN affirme par ailleurs que ces règlements ne sont justifiables en vertu d'aucune loi provinciale, municipale ou environnementale. À cette fin, le CN a présenté des arguments juridiques affirmant que les intimés n'ont pas le pouvoir général ou particulier, en vertu de la Rural Municipalities Act, 1989, d'adopter ces règlements.
Pour ce qui est du moment de l'adoption de ces règlements, le CN affirme que ces règlements, notamment celui de la Municipalité rurale de Fish Creek, ont été adoptés seulement après que le CN eut amorcé le processus réglementaire d'abandon de tronçons de la subdivision Cudworth.
Dans l'ensemble, le CN estime que les règlements porteront préjudice aux exploitants de compagnies de chemins de fer secondaires. Le CN déclare qu'à moins que les règlements ne soient sélectivement imposés de manière à ne pas s'appliquer aux exploitants de compagnies de chemins de fer secondaires, personne ne créera un chemin de fer secondaire en sachant qu'advenant son abandon, l'exploitant de ladite compagnie sera tenu d'en régler les coûts de remise en état. Le CN ajoute que et le CP et le CN n'auront aucun intérêt à abandonner l'exploitation de lignes de chemin de fer si les coûts de remise en état sont déduits des produits de leur vente.
Le CN affirme également que ces règlements sont déraisonnables parce qu'ils sont inutiles et, qu'à ce titre, tous les coûts de conformité qui en découlent sont eux aussi inutiles. Selon le CN, si ces règlements étaient véritablement nécessaires, en supposant même qu'ils soient intra vires, cette nécessité ressortirait clairement. Le sort et l'état des emprises ferroviaires après l'abandon d'une ligne de chemin de fer ont toujours été réglés à l'amiable et avec succès grâce à des négociations entre la compagnie de chemin et fer et la municipalité touchée.
L'approche négociée à l'égard des emprises ferroviaires abandonnées cadre avec la position adoptée par la Commission des chemins de fer, l'un des prédécesseurs de l'Office, selon laquelle le pouvoir de la Commission sur l'exploitation d'une ligne de chemin de fer n'englobe pas le sort ou l'état des infrastructures ferroviaires matérielles et des emprises après l'abandon de son exploitation.
Le CN affirme que la Commission a également déterminé que ses pouvoirs sur l'abandon de l'exploitation d'une ligne de chemin de fer ne lui conféraient pas le droit d'octroyer ou d'adjuger une indemnité aux parties qui s'estimaient lésées par l'abandon. À cet égard, le CN affirme que l'objectif visé par les intimés en adoptant de tels règlements est d'inciter l'Office à leur attribuer une indemnité en tant qu'acheteurs de l'ancienne emprise ferroviaire.
CP
Le CP déclare que, si l'Office n'est pas habilité à déclarer les règlements invalides, il doit néanmoins déterminer si lesdits règlements ont une incidence sur la valeur des actifs faisant l'objet d'une détermination de la valeur nette de récupération. C'est ainsi que l'Office doit tenir compte des possibilités que les règlements en question soient déclarés invalides comme étant ultra vires des pouvoirs des municipalités ou du moins qu'ils fassent l'objet d'une interprétation atténuée.
À cet égard et conformément aux arguments avancés par le CN, le CP soutient que les règlements ne sont pas justifiables par la Rural Municipalities Act, 1989 ou par des lois environnementales provinciales et qu'ils ont été adoptés à des fins illégitimes.
À propos de l'objectif en question, le CP affirme que les règlements sont en fait un moyen indirect et illégitime de réduire le prix d'achat de la ligne de chemin de fer quand la municipalité est légalement habilitée à l'acheter. De plus, étant donné que les municipalités ont le pouvoir discrétionnaire d'appliquer ou non les règlements, le CP affirme que les règlements ne sont pas applicables compte tenu de l'incertitude qui entoure leur application.
Le CP soutient que les règlements sont inconstitutionnels car ils touchent les ouvrages d'une compagnie de chemin de fer de compétence fédérale. En particulier, les règlements obligent le CP à démolir tous les ouvrages ferroviaires dans les 12 mois suivant l'abandon d'une ligne de chemin de fer alors que, dans certains cas, le CP utilise les voies ferrées abandonnées pour y garer des wagons. L'application de ces règlements interdira désormais ce genre d'utilisation commerciale. Selon le CP, cela constitue une ingérence illégitime dans les opérations d'une compagnie de chemin de fer de compétence fédérale.
Le CP en conclut que les règlements imposent des obligations financières onéreuses aux propriétaires de lignes de chemin de fer abandonnées, ce qui constitue une ingérence abusive et gratuite dans les droits de propriété d'une compagnie de chemin de fer. De plus, les règlements sont discriminatoires étant donné qu'il n'existe aucune preuve selon laquelle les lignes de chemin de fer sont dangereuses en soi ou moins sécuritaires, propres ou saines que les terrains utilisés à d'autres fins, comme les terrains agricoles ou d'autres exploitations commerciales.
Autres mémoires
Suite à la publication de l'« Avis de cessation d'exploitation d'une ligne de chemin de fer » par l'Office, sollicitant la participation de tierces parties, l'Office a reçu des commentaires d'un certain nombre de personnes et gouvernements.
Le Gravelbourg Hodgeville Rail Line Transportation Committee déclare que la Ville de Gravelbourg, en Saskatchewan, a adopté un règlement en octobre 1999 qui a obligé le CP, lors de l'abandon d'une ligne de chemin de fer, à procéder à l'enlèvement en toute sécurité de la ligne de chemin de fer et d'autres éléments connexes. Le Comité soutient qu'un tel règlement est valide et qu'il n'est pas déraisonnable dans la mesure où il n'entrave pas ou ne cherche pas à entraver l'exploitation effective de la ligne de chemin de fer.
Le maire du Village de Wood Mountain, en Saskatchewan, affirme que les règlements de remise en état sont nécessaires pour protéger les contribuables municipaux en s'assurant qu'ils ne seront pas un jour tenus responsables des coûts à cause d'une compagnie de chemin de fer qui n'a pas nettoyé une propriété négligée et/ou dangereuse. C'est ainsi que les coûts de nettoyage de l'emprise ferroviaire doivent entrer dans le calcul de la valeur nette de récupération d'une ligne de chemin de fer.
La Ville de Prince Albert, en Saskatchewan, affirme que la législation provinciale en matière de planification prévoit que toutes les municipalités doivent adopter et faire appliquer des règlements sur l'affectation des terrains afin d'assurer leur utilisation la plus fructueuse et la plus rationnelle. Les règlements, en particulier les règlements de remise en état qui visent la construction ou la démolition de lignes de chemin de fer, peuvent légitimement imposer l'obligation de délimiter les terrains touchés et d'éliminer les caractéristiques physiques comme les voies ferrées, le ballast et la signalisation. Tous les coûts nécessaires au respect de ces exigences sont légitimes et doivent être pris en charge par les parties responsables du changement d'affectation des terrains.
La Municipalité rurale de Victory n° 226 affirme que l'exploitation d'une ligne de chemin de fer peut entraîner des déversements d'hydrocarbures, des fuites de grains, la stérilisation du sol et d'autres situations préjudiciables. Selon la Municipalité, à défaut d'être assainis, les terrains touchés sont inutilisables pour l'agriculture, l'élevage, les loisirs ou d'autres fins commerciales. C'est pourquoi les compagnies de chemin de fer, les compagnies de silos-élévateurs et autres entreprises doivent être tenues de remettre leurs propriétés dans leur état d'origine.
QUESTION
Aux termes du paragraphe 145(5) de la LTC, l'Office doit déterminer la valeur nette de récupération des intérêts d'une compagnie de chemin de fer dans une ligne de chemin de fer dont le transfert a été offert aux gouvernements en vertu du paragraphe 145(1) lorsque les parties ne peuvent s'entendre sur la valeur de ladite ligne. Ce mandat englobe entre autres choses une évaluation des éléments d'actif de la compagnie de chemin de fer dont il faut tenir compte, de la valeur individuelle de chaque élément d'actif et des facteurs dont il faut tenir compte pour déterminer les coûts qu'il faudra engager pour remettre ces éléments dans un état récupérable. En vertu de ces déterminations, la valeur brute d'un actif sera diminuée des coûts de récupération, ce qui donnera la « valeur nette de récupération ».
L'Office reconnaît la décision rendue par la Cour provinciale de la Saskatchewan en date du 19 mai 2000 dans l'affaire Her Majesty the Queen v. Railroad Ventures & Salvage Company. Dans cette affaire, la Cour a analysé l'application d'un règlement de remise en état au propriétaire d'une ligne de chemin de fer abandonnée. Le règlement en question est comparable sur le fond à ceux qui font l'objet de la présente étude et il a été adopté par l'une des municipalités que traverse la ligne de chemin de fer.
La Cour a conclu en partie que la Municipalité rurale d'Excel n° 71, en Saskatchewan, était investie du pouvoir de réglementer la remise en état de la ligne de chemin de fer, et que le règlement en question n'était pas ultra vires.
Alors que la Cour a confirmé la validité du règlement à l'égard d'une ligne de chemin de fer qui avait déjà été abandonnée, elle n'a pas analysé l'application générale ou particulière de règlements de remise en état dans le cadre d'une procédure réglementaire de détermination de la valeur nette de récupération amorcée avant l'abandon d'une ligne de chemin de fer. Telles sont les questions sur lesquelles l'Office est appelé à statuer dans la présente affaire.
La question à laquelle l'Office doit répondre dans le cas en l'espèce est de savoir si ces règlements constituent un facteur dont l'Office doit tenir compte pour déterminer les coûts qu'il faudra engager pour récupérer les éléments d'actif et, en définitive, pour calculer la valeur nette de récupération des intérêts du CN dans sa subdivision Cudworth dont le transfert a été offert aux administrations municipales. Jusqu'ici, il n'y a pas eu d'évaluation détaillée de ces coûts de remise en état. Or, cette tâche sera nécessaire si l'Office estime que les règlements sont un facteur dont il faut tenir compte dans le calcul de la valeur nette de récupération.
ANALYSE ET CONSTATATIONS
Les règlements ont été adoptés par la Municipalité rurale de Fish Creek le 2 juillet 1998, par le Village de Domremy le 23 juillet 1998, par la Ville de Wakaw le 20 octobre 1998, par la Ville de Cudworth le 3 février 2000, par la Municipalité rurale de Hoodoo le 8 février 2000 et par la Municipalité rurale de Bayne le 10 février 2000. Un septième règlement, dans la Municipalité rurale de St. Louis, a fait l'objet d'une première lecture le 2 juillet 1998 et d'une deuxième lecture le 2 février 2000. D'après le procès-verbal qui a été remis à l'Office, le projet de règlement n'a pas encore été adopté.
Le CN a officiellement amorcé le processus d'abandon de la ligne de chemin de fer en annonçant, les 6, 7 et 14 mai 1998, qu'elle était disponible. Cela constitue la première étape du processus d'abandon tel que le prévoient les articles 142 et 143 de la LTC.
Les règlements auxquels les intimés font allusion en l'occurrence sont essentiellement identiques sur le fond. Il existe des variations minimes qui sont toutefois sans importance pour les besoins de la présente étude. Comme leur titre l'indique, les règlements ont été adoptés pour faire face aux préoccupations soulevées par la situation sanitaire, la sécurité et la propreté des lignes de chemin de fer abandonnées.
Les dispositions habilitantes de ces règlements englobent les articles 248, 249, 250 et 251.1 de la Rural Municipalities Act, 1989. Ces dispositions se trouvent dans les articles de la loi qui visent les nuisances, les lieux dangereux, négligés ou insalubres.
L'article 248 autorise un conseil municipal à déclarer qu'un bâtiment est une nuisance; l'article 249 autorise le conseil à déclarer que tout déblai, drain, fossé, etc. constitue une nuisance et un danger pour la sécurité ou la santé du public et à obliger le propriétaire à prendre certaines mesures d'assainissement. L'article 250 autorise lui aussi un conseil à déclarer que des lieux situés dans la municipalité sont négligés et insalubres et à obliger le propriétaire desdits lieux à remédier à la situation. Enfin, l'article 251.1 autorise le conseil à prendre les mesures d'urgence lorsqu'un bâtiment non occupé est endommagé et que, de l'avis du conseil, il constitue un danger imminent pour la sécurité du public.
Les règlements obligent le propriétaire d'une ligne de chemin de fer abandonnée à demander à la municipalité un permis de démolition dans un délai maximum de six mois après l'abandon de l'exploitation de la ligne de chemin de fer.
Après la délivrance du permis de démolition et dans un délai d'au plus 12 mois après l'abandon de l'exploitation de la ligne de chemin de fer, le propriétaire de la ligne doit effectuer une série de travaux de démolition ou de remise en état comme : a) l'enlèvement des bâtiments, des panneaux, des ponts et autres ouvrages ferroviaires connexes; b) la remise en état de toutes les plates-formes et des passages; c) l'enlèvement de toutes les ordures et des matériaux non récupérables; d) l'enlèvement de tous les polluants qui constituent un risque pour la santé ou la sécurité; e) la remise en état des déblais, des talus, des monticules ou autres structures ou caractéristiques analogues; f) l'élimination de toute situation dangereuse sur l'emprise de la ligne de chemin de fer abandonnée; et g) l'ensemencement de l'emprise.
Selon les règlements, les terrains ferroviaires englobent les emprises et les terrains attenants aux emprises qui appartiennent ou appartenaient au propriétaire de l'emprise avant son abandon. Les règlements peuvent également imposer la remise en état des installations fixes et des biens meubles situés sur les terrains.
L'application de ces règlements est discrétionnaire sous au moins un rapport. La municipalité a l'unique discrétion de préciser les bâtiments, les panneaux, les ponts et autres ouvrages ferroviaires connexes qui doivent être enlevés. Cette discrétion est subordonnée au constat fait par la municipalité que l'enlèvement de ces structures est nécessaire, ce qui revient à dire que leur non-enlèvement aurait pour effet de laisser la ligne de chemin de fer abandonnée dans un état « insalubre, négligé ou dangereux ».
Chacune des dispositions de la Rural Municipalities Act, 1989 mentionnées à l'appui des règlements prévoit que les conseils municipaux doivent se faire une opinion sur l'état, par exemple, d'un sous-sol, d'un déblai, d'un lieu ou d'un bâtiment et émettre une déclaration selon laquelle cela constitue une nuisance, en plus de constituer un danger pour la sécurité ou la santé du public, ou que l'élément est négligé, insalubre, ou dangereux, selon la disposition de la Rural Municipalities Act, 1989 sur laquelle ils s'appuient.
D'après les renseignements fournis à l'Office dans la présente affaire, les intimés ont adopté un règlement de remise en état uniquement à l'égard des lignes de chemin de fer abandonnées. Rien ne semble indiquer que des règlements analogues aient été adoptés à l'égard d'autres infrastructures matérielles comme des pipelines ou d'autres infrastructures d'un service public abandonné. Même si l'on a certaines preuves que la mise hors service des silos-élévateurs à grains a fait l'objet d'un traitement particulier, celle-ci n'est traitée qu'au moyen de lignes directrices et non de déclarations ou de règlements de remise en état.
Si l'on présume que ces règlements constituent les déclarations visées par les dispositions mentionnées plus haut de la Rural Municipalities Act, 1989, selon leurs propres conditions, ils ne s'appliqueront aux terrains ferroviaires ou aux éléments d'actif touchés que lorsque la compagnie de chemin de fer aura abandonné l'exploitation de la ligne de chemin de fer. Ainsi, les intimés reconnaissent que ces règlements sont inapplicables tant que la ligne de chemin de fer est encore exploitée par une compagnie de chemin de fer étant donné qu'une municipalité n'est pas habilitée à adopter des règlements susceptibles de compromettre l'exploitation d'une compagnie de chemin de fer de compétence fédérale. C'est pourquoi les intimés insistent en répliquant à l'argumentation du CP que : « [...] le règlement n'a aucune incidence sur l'exploitation des autres voies ferrées du CPR car celles-ci sont de compétence fédérale. Ce n'est que si le CPR décide d'abandonner l'exploitation d'une ligne de chemin de fer que le règlement aura un impact sur sa valeur nette de récupération [...] ce règlement n'a aucune incidence sur les autres ouvrages ferroviaires du CPR ni sur son aptitude à poursuivre l'exploitation d'une ligne de chemin de fer. Il n'entre en ligne de compte que si le CPR décide d'abandonner l'exploitation d'une ligne. » (traduction)
Par l'adoption de ces règlements, les conseils municipaux se sont fait une opinion sur la question avant que cette dernière ne relève de leur compétence et se sont prévalus de leur pouvoir déclaratoire à l'égard des actifs et des infrastructures ferroviaires. Toutefois, compte tenu du fait qu'ils ne peuvent pas adopter de règlements susceptibles d'entraver l'exploitation d'une compagnie de chemin de fer de compétence fédérale, ils ont en fait suspendu l'application des règlements tant que la ligne de chemin de fer continue d'être exploitée. De plus, étant donné que l'exploitation d'une ligne de chemin de fer de compétence fédérale ou provinciale peut se poursuivre sur ces infrastructures pendant un délai indéterminé, ces règlements présupposent que certains terrains, bâtiments, biens meubles ou autres intérêts constituent un problème pour la santé, la sécurité ou la propreté et ce, peut-être des années avant que la question ne relève du champ de compétence de la municipalité.
Une détermination ainsi anticipée risque d'aller à l'encontre de l'état effectif ou de l'utilisation des actifs qui existe au moment où ils finissent par relever de la compétence des gouvernements locaux. À cet égard, on doit se demander pourquoi ces règlements ont été adoptés à l'avance. Si les conseils sont d'avis qu'une ligne de chemin de fer, une fois abandonnée, constitue une nuisance ou qu'elle est dangereuse, négligée ou insalubre, ils peuvent alors adopter une déclaration à tout moment après un tel constat. En d'autres termes, pour atteindre l'objectif des règlements, une déclaration de remise en état peut être émise dès lors qu'un actif ferroviaire abandonné est identifiable. Il n'est nullement nécessaire de faire une telle déclaration avant l'abandon effectif de l'exploitation d'une ligne de chemin de fer.
Tout en déclarant que l'objectif primordial des règlements est de remédier aux problèmes posés par les lignes de chemin de fer abandonnées qui constituent des nuisances, sont dangereuses, insalubres ou négligées, les intimés ajoutent que les règlements auront un effet accessoire, qui sera de majorer les coûts de récupération et, conséquemment, d'abaisser la valeur nette de récupération pour la compagnie de chemin de fer. Comme il a été mentionné plus haut, selon les intimés, cet effet accessoire sera d'abaisser de 23 000 $ le mille la valeur des terrains de la compagnie de chemin de fer. Essentiellement, les municipalités demandent à l'Office de reconnaître immédiatement l'effet accessoire des règlements alors que l'objectif primordial ou la raison d'être de ces mêmes règlements ne pourra se faire sentir qu'à l'avenir.
La difficulté que pose cette approche est exacerbée en l'espèce lorsque l'on considère que ce sont ces mêmes municipalités qui se portent acquéreurs de la ligne de chemin de fer. Advenant que ces règlements entrent en ligne de compte dans le calcul de la valeur nette de récupération, le coût d'achat des actifs par les municipalités sera nettement moindre. Les municipalités en tireront donc un avantage immédiat. Elles auront donc bénéficié du moment de l'adoption de leurs règlements, et ce même si le respect effectif de ces règlements et les coûts qui en résultent ne se feront pas sentir avant que ne cesse l'exploitation de la ligne de chemin de fer.
Le moment de l'adoption de ces règlements est également considéré comme problématique par rapport au moment de la publication, par le CN, de l'avis d'abandon de la ligne de chemin de fer.
À cet égard, l'Office reconnaît que, le 3 juillet 1996, aux termes du paragraphe 141(1) de la LTC, le CN a indiqué dans son plan triennal son intention d'abandonner la subdivision Cudworth. Par la suite, les 6, 7 et 14 mai 1998, aux termes du paragraphe 143(1) de la LTC, le CN a annoncé qu'elle entendait vendre, louer ou transférer ses intérêts dans la subdivision Cudworth.
Aucun accord de transfert n'a été conclu à l'issue de la publication de cet avis et, à l'expiration du délai fixé au paragraphe 144(4) de la LTC (c.-à-d. quatre mois à compter de l'expiration du délai prévu par l'annonce), le CN a offert de transférer sa ligne de chemin de fer aux gouvernements. Cette offre, faite conformément à l'article 145 de la LTC, a été annoncée par le CN le 14 décembre 1998.
L'Office constate que les règlements ont été adoptés après que le CN eut fait paraître son annonce dans les journaux de la région sur la disponibilité de la subdivision Cudworth.
L'Office constate également que le CN a pris des mesures concrètes pour abandonner cette ligne de chemin de fer à compter de la date de publication des annonces, soit les 6, 7 et 14 mai 1998. À cette époque, l'Office estime que le CN a dû, entre autres choses, procéder à une évaluation des éventuelles recettes et charges d'exploitation ainsi que des textes législatifs applicables susceptibles d'avoir une incidence sur l'abandon de cette ligne de chemin de fer, notamment les coûts de récupération.
Il existe donc un élément d'iniquité à l'égard du CN dans le moment de l'adoption de ces règlements. Advenant que l'Office doive considérer ces règlements, cela signifierait que l'une des parties au calcul de la valeur nette de récupération pourrait radicalement modifier les règles de la procédure à son avantage après que le processus a été amorcé.
Outre les problèmes qui sont liés au moment de l'adoption de ces règlements, l'Office est préoccupé par l'incertitude qui entoure leur portée. En particulier, aux termes de ces règlements, le propriétaire d'une ligne de chemin de fer abandonnée peut être tenu d'enlever tous les bâtiments, panneaux, ponts et autres ouvrages ferroviaires connexes qui font que la ligne de chemin de fer abandonnée est insalubre, négligée ou dangereuse. Or, cette imposition relève des seuls pouvoirs discrétionnaires de la municipalité.
Ainsi, une municipalité pourra décider à un moment quelconque que des actifs ferroviaires ne constituent pas une menace pour la santé, la sécurité et la propreté de la municipalité et qu'il n'est donc pas nécessaire de les enlever de la voie ou de l'emprise abandonnée.
Par contre, si l'argument des intimés était accepté, l'impact économique des règlements serait déjà entré en ligne de compte dans le calcul de la valeur nette de récupération par l'Office, créant ainsi un gain fortuit pour les intimés.
CONCLUSION
Compte tenu de ce qui précède, l'Office conclut que les règlements de remise en état auxquels font allusion les intimés dans la présente affaire ne doivent pas entrer en ligne de compte dans la détermination par l'Office de la valeur nette de récupération de la subdivision Cudworth.
Opinion dissidente de Keith Penner et de Mary-Jane Bennett
Nous avons eu la chance de lire la décision de la majorité et nous sommes malheureusement en désaccord avec leur opinion. Voici un résumé des motifs de notre dissidence. Nous entendons publier prochainement l'exposé complet de nos motifs.
Dans le mandat qui lui échoit de calculer la valeur nette de récupération des intérêts d'une compagnie de chemin de fer dans une ligne de chemin de fer aux termes du paragraphe 145(5) de la LTC, l'Office doit déterminer ce qui entrera dans le calcul de la valeur nette de récupération et ce qui en sera exclu. Dans une décision antérieure de l'Office, à savoir la décision n° 530-R-1998 (St. Lawrence & Hudson Railway Company Limited v. The City of Guelph), l'Office a déclaré ceci :
Aux fins de ces procédures, l'expression «valeur nette de récupération» signifie la juste valeur marchande du matériel de voie et du terrain, déduction faite des frais démantèlement et d'élimination, ainsi que des autres frais connexes. Ceux-ci peuvent comprendre, sans en exclure d'autres, les commissions de vente, les frais d'excavation, les frais d'élimination, et les frais de remise en état de l'environnement.
Étant donné que les coûts résultant du respect des règlements de remise en état sont des coûts réels qui seront engagés par le propriétaire d'une ligne de chemin de fer dans ces municipalités lorsque la ligne sera abandonnée, ils sont pertinents et doivent entrer dans le calcul de la valeur nette de récupération par l'Office.
L'Office a déjà déterminé dans des décisions antérieures que la valeur nette de récupération d'une ligne de chemin de fer pouvait être influencée par des lois provinciales ou municipales. Par exemple, l'Office, dans la décision n° 545-R-1999, a appliqué les lois provinciales environnementales lorsqu'il a décidé d'inclure les coûts se rattachant à l'incinération des traverses de rebut. En l'espèce, nous sommes d'avis que les règlements municipaux de remise en état ont un impact similaire et doivent être pris en considération.
Nous sommes d'avis que les règlements adoptés par la Municipalité rurale de Fish Creek et la Ville de Wakaw, de même que le règlement adopté par le Village de Domremy, qui l'ont été avant la demande déposée par le CN à l'Office aux termes du paragraphe 145(5) de la LTC, sont intra vires de la Loi constitutionnelle de 1867, U.K., 30 et 31, Victoria, ch. 3, et de la Rural Municipalities Act, 1989. Par ailleurs, il n'y a pas suffisamment de preuves pour affirmer que lesdits règlements sont déraisonnables ou ont été adoptés à des fins illégitimes.
Étant donné que les règlements municipaux de remise en état sont pertinents au calcul de la valeur nette de récupération et que les règlements de la Municipalité rurale de Fish Creek, de la Ville de Wakaw et du Village de Domremy sont valides, nous sommes d'avis qu'ils doivent être pris en considération dans la détermination par l'Office de la valeur nette de récupération de la subdivision Cudworth.
Modification à la décision no 445-R-2000
le 12 juillet 2000
RELATIVE à l'article 145 de la Loi sur les transports au Canada, L.C. (1996), ch. 10, et à une décision de l'Office des transports du Canada au sujet de l'impact des règlements municipaux de remise en état sur la valeur nette de récupération des terrains et d'autres actifs ou intérêts de la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada dans sa subdivision Cudworth, dans la province de Saskatchewan, qui ont été offerts en vente aux gouvernements.
File No. T 6338/394
La décision no 445-R-2000 du 30 juin 2000 est par les présentes modifiée en ajoutant à la fin de ladite décision les motifs ci-joints de la dissension des membres Keith Penner et Mary-Jane Bennett.
OPINION DISSIDENTE À LA DÉCISION No 445-R-2000
Le 12 juillet 2000
DISSIDENCE DE KEITH PENNER ET MARY-JANE BENNETT
Nous avons eu l'occasion de lire la décision de la majorité. Notre dissidence porte principalement sur la conclusion de la majorité excluant du coût admissible l'impact des règlements de remise en état adoptés par les intimés. La majorité a conclu que ces règlements municipaux de remise en état devaient être exclus du calcul de la valeur nette de récupération. Notre examen des éléments de preuve et des arguments nous amène à une conclusion différente.
À notre avis, deux questions se posent présentement devant l'Office des transports du Canada (ci-après l'Office) relativement aux règlements de remise en état. La première question est de savoir si ces règlements sont pertinents et applicables au calcul de la valeur nette de récupération conformément au paragraphe 145(5) de la Loi sur les transports au Canada, L.C., 1996, ch. 10 (ci-après la LTC). Dans un deuxième temps, et dans la mesure où les règlements sont effectivement pertinents et applicables, la deuxième question consiste à déterminer s'ils représentent un exercice valide de la compétence des municipalités. Si la réponse à ces deux questions est affirmative, les règlements devraient être inclus dans le calcul de la valeur nette de récupération. Dans les paragraphes qui suivent, nous expliquerons les motifs qui nous poussent à répondre à ces deux questions par l'affirmative. Cependant, à notre avis, trois règlements devraient être exclus du calcul pour les motifs énoncés ci-après.
Les règlements sont-ils pertinents et applicables au calcul de la valeur nette de récupération ?
Dans l'exercice de son mandat de déterminer la valeur nette de récupération d'une ligne de chemin de fer, l'Office possède la compétence, aux termes du paragraphe 145(5) de la LTC, de déterminer ce qui sera inclus ou exclu de ce calcul.
Dans la décision no 530-R-1998 du 30 octobre 1998, l'Office écrivait ce qui suit :
Aux fins de ces procédures, l'expression « valeur nette de récupération » signifie la juste valeur marchande du matériel de voie et du terrain, déduction faite des frais de démantèlement et d'élimination, ainsi que des autres frais connexes. Ceux-ci peuvent comprendre, sans en exclure d'autres, les commissions de vente, les frais d'excavation, les frais d'élimination, et les frais de remise en état de l'environnement.
Afin de déterminer si ces règlements s'appliquent au calcul de la valeur nette de récupération, il faut, dans un premier temps, déterminer s'ils cadrent avec la définition de la valeur nette de récupération. La définition de la valeur nette de récupération contenue dans la décision précitée a été utilisée par l'Office dans chacune de ses décisions antérieures. Comme cette définition prévoit expressément que les frais de restauration environnementale doivent être inclus dans le calcul, il s'ensuit donc que les frais de remise en état doivent également être inclus. Même si l'on pourrait faire valoir que la remise en état diffère substantiellement des coûts de réparation des dommages causés à l'environnement, les frais associés aux règlements sur la remise en état sont néanmoins pertinents. Ils représentent un coût réel que le propriétaire de toute ligne de chemin de fer dans ces municipalités devra payer lorsque la ligne sera abandonnée. Les règlements mentionnent expressément les travaux à exécuter pour satisfaire à leurs exigences et, conséquemment, sont des coûts pertinents à une procédure de valeur nette de récupération.
Étant donné que la nature même des coûts les rend pertinents au calcul de la valeur nette de récupération, nous devons également examiner si les règlements en question devraient faire partie ou non du calcul de la valeur nette de récupération que doit faire l'Office. Nous reconnaissons que les lois provinciales ou municipales peuvent avoir une incidence sur le mandat législatif de l'Office de déterminer la valeur nette de récupération. En effet, l'Office, dans la décision no 545-R-1999, a tenu compte de divers règlements provinciaux comme le Clean Air Regulation, c. C-12.1 Reg 1, adopté en vertu de la Clean Air Act, S.S. 1986-87-88, c. C-12.1, et le Municipal Refuse Management Regulation, c. E-10.2 Reg 4, adopté en vertu de la Environmental Management and Protection Act, S.S. 1983-84, c. E-10.2 dans le calcul de la valeur de la valeur nette de récupération d'une ligne de chemin de fer. Dans cette décision, l'Office a conclu que l'élimination des traverses de rebut devait se faire en conformité avec les règlements provinciaux et, conséquemment, qu'il fallait calculer le coût de l'élimination des traverses de manière conforme à ces mêmes règlements. L'Office a alors reconnu que les lois provinciales pertinentes avaient un impact sur le calcul de la valeur nette de récupération. De la même manière, les règlements présentement à l'étude ont eux aussi un impact sur les coûts de récupération et, par conséquent, sur tout calcul de la valeur nette de récupération.
Les motifs ci-dessus donnent un aperçu du contexte dans lequel s'inscrit notre opinion dissidente. Nous notons que la majorité a notamment refusé de tenir compte des règlements de remise en état dans le calcul de la valeur nette de récupération pour les raisons suivantes : le chemin de fer pourrait être acquis en vue de la poursuite de son exploitation comme chemin de fer; la nature spéculative des règlements; le moment d'adoption des règlements; et l'incertitude quant à la quantification de l'impact des règlements. Voici une analyse de notre position sur ces différents points et les motifs de notre dissidence.
Poursuite d'exploitation
Dans ses conclusions, la majorité a déterminé que les règlements municipaux devaient être exclus puisque l'exploitation ferroviaire, qu'elle soit fédérale ou provinciale, pourrait se poursuivre sur ces installations pour une période indéterminée. La majorité soutient que, comme l'exploitation ferroviaire pourrait se poursuivre, la question de la remise en état ne tomberait pas sous la compétance des municipalités avant un certain temps. Cependant, le mandat que le Parlement a confié à l'Office est de déterminer la valeur nette de récupération d'une ligne de chemin de fer, indépendamment de l'utilisation qui en sera fait. Le fait que l'exploitation ferroviaire se poursuive pour une période indéterminée n'a aucun lien avec le calcul de la valeur nette de récupération, étant même contraire aux principes établis en matière de détermination de la valeur nette de récupération. Dans la décision no 530-R-1998, l'Office concluait que la valeur d'une ligne de chemin de fer ne devait pas être établie en fonction du fait que cette ligne continuera d'être exploitée comme chemin de fer.
Le paragraphe 145(1) de la LTC porte que le transfert d'une ligne de chemin de fer au gouvernement doit s'effectuer à raison d'un montant ne dépassant pas sa valeur nette de récupération sans préciser à quelle fin elle sera utilisée. La version anglaise de ce paragraphe précise que celle-ci pourra être utilisée à n'importe quelle fin. (c'est nous qui soulignons). Cela suppose que le gouvernement auquel cette ligne est cédée n'est pas obligé de l'utiliser d'une façon précise, contrairement au paragraphe 143(1) de la LTC, qui dispose que la compagnie de chemin de fer peut vendre, louer ou transférer une ligne pour que se poursuive son exploitation.[...]
L'Office juge que le contraste entre ces deux articles, clairement exposé dans la version anglaise, indique que la ligne ne doit pas être évaluée en fonction de son utilisation continue comme chemin de fer. [...]
Ainsi, les coûts de récupération et la méthode d'évaluation des baux sont tous basés sur l'hypothèse que l'exploitation ferroviaire cessera. Le calcul de la valeur se fait toujours à un moment précis et se fonde sur la supposition que la ligne sera abandonnée et démantelée. L'inclusion même des coûts de récupération présuppose la cessation de l'exploitation de la ligne de chemin de fer. Ces frais sont inclus parce que l'Office reconnaît qu'il s'agit là de travaux qui seront nécessaires à un certain moment dans le futur. Lorsqu'il calcule les coûts de remise en état associés à l'élimination des traverses de rebut, l'Office ne tient pas compte du nombre de traverses qui pourraient être considérées comme du matériel de rebut lorsque la ligne sera démantelée. Au contraire, il détermine les coûts au moment où la demande est déposée, en sachant fort bien que le nombre de traverses de rebut risque d'augmenter avec le temps. De la même façon, il doit déterminer la valeur des éléments d'actif à un moment précis, en sachant fort bien que cette valeur risque de fluctuer plus tard. Lorsque l'Office considère la valeur des baux, il tient compte uniquement des baux qui demeureront en vigueur après la récupération des éléments d'actif, et donc, la cessation d'exploitation de la ligne de chemin de fer. Le calcul de la valeur part du principe que la ligne ne sera plus exploitée, et même qu'elle sera démantelée.
Par conséquent, prétendre que les coûts de remise en état ne devraient pas être inclus parce que l'exploitation de la ligne n'a pas cessé est tout à fait contraire aux précédents établis par l'Office. Le fait que les règlements puissent s'appliquer à l'avenir n'a aucun lien avec leur applicabilité au calcul de la valeur nette de récupération. Compte tenu de l'hypothèse voulant que l'exploitation ferroviaire ait cessé, les règlements sont pertinents dans le calcul de la valeur nette de récupération, puisque c'est à ce moment-là qu'ils prennent effet.
Nature spéculative des règlements municipaux
La majorité a également conclu que les règlements municipaux renferment un élément spéculatif, puisqu'il serait difficile de savoir à l'avance quels éléments d'actif, structures ou terrains seraient touchés par les règlements de remise en état. À notre avis, cette conclusion ne peut pas à elle seule justifier l'applicabilité ou non des règlements au calcul de la valeur nette de récupération. Le fait de déterminer une valeur nette de récupération est en soi un exercice spéculatif. Ainsi, ces coûts dépendent d'événements spéculatifs, comme c'est d'ailleurs le cas des frais de récupération ou des frais associés à l'élimination des traverses de rebut. En fait, ces coûts sont établis en supposant que la ligne de chemin de fer ne sera plus exploitée, tout comme le sont les frais de remise en état. Lorsque l'Office évalue un bail, il part du principe que le locataire renouvellera son bail. L'évaluation des recettes tirées du bail est conséquemment basée sur un événement spéculatif, c'est-à-dire le renouvellement du bail. L'Office ne peut pas inclure certains événements spéculatifs et en exclure d'autres.
Lorsqu'il calcule les frais de récupération, l'Office part essentiellement du principe que la ligne sera complètement éliminée. Toutefois, il est possible que seulement certains tronçons de la ligne soient récupérés et que les autres tronçons demeurent intacts. Cette constatation ne suffit cependant pas pour justifier l'exclusion des coûts de récupération du calcul de la valeur nette de récupération. Lorsque l'Office évalue l'impact des baux et des ententes, il spécule à savoir lesquels de ces contrats seront renouvelés et pour combien de temps. Dans la décision no 545-R-1999 du 17 septembre 1999 (en ce qui a trait à la question de la période à retenir pour calculer la valeur des contrats), l'Office a conclu qu'il devait « tenir compte des chances raisonnables de résiliation ou de maintien d'un contrat. [...] » C'est donc dire que, dans l'exercice de son mandat législatif, l'Office fait des calculs spéculatifs à partir d'hypothèses raisonnables. Malgré l'incertitude entourant le type de baux à inclure dans les calculs et leur durée, l'Office n'a pas exclu ces éléments de son calcul de la valeur nette de récupération.
Dans la décision no 175-R-1999 du 16 avril 1999, on demandait à l'Office d'inclure les frais de démantèlement d'un pont sur la subdivision Tisdale du CN. L'Office a pu déterminer à l'avance que ce pont ne serait pas démantelé en raison de son état et, aussi, parce qu'une municipalité pourrait s'en servir à des fins ferroviaires ou autres. Dans cette affaire, l'Office a pu déterminer que certaines structures ne seraient pas éliminées parce qu'elles étaient avantageuses pour les municipalités. Lorsque l'Office évalue les frais de remise en état susceptibles de découler des règlements municipaux en vigueur, il peut se servir de son jugement et de son expertise pour déterminer les coûts qui devraient être engagés selon une décision raisonnable des élus municipaux.
La majorité suggère que les municipalités profiteraient sur-le-champ de frais d'acquisition réduits et qu'elles réaliseraient un gain fortuit si jamais elles décidaient de ne pas appliquer les règlements contre elles-mêmes. Cette constatation se fonde sur l'hypothèse que les municipalités agiraient de façon à favoriser leurs propres intérêts. Or, on ne doit pas présumer que les municipalités agiraient de cette façon. Par le passé, l'Office n'a jamais posé une telle hypothèse. Lors de chacune de ses déterminations de la valeur nette de récupération, l'Office a toujours inclus les loyers payés par la municipalité dans son évaluation des baux. Il pourrait être soutenu qu'une municipalité ne continuerait pas à se payer un loyer, mais l'Office a néanmoins toujours inclus la valeur de ces ententes. Ce faisant, l'Office a essentiellement conclu qu'une municipalité s'imposerait des coûts à elle-même et continuerait à le faire pour une période prolongée. Dans ses décisions, l'Office a retenu comme principe que les municipalités, même si elles avaient le pouvoir de le faire, n'agiraient pas de manière à réduire la valeur nette de récupération.
Moment de l'adoption
La majorité a déterminé que les règlements municipaux ont été adoptés avant que la question ne tombe sous la compétence des municipalités. La majorité a également déterminé que la raison pour laquelle les règlements ont été adoptés au moment où ils l'ont été, c'est pour permettre aux municipalités de demander à l'Office de reconnaître immédiatement l'impact accessoire des règlements. À notre avis, en adoptant un pareil raisonnement, la majorité semble sous-entendre que les règlements ont été adoptés dans un but illégitime. Ainsi, dans la mesure où les règlements ont été adoptés avant l'abandon de la ligne de chemin de fer afin que les municipalités puissent bénéficier immédiatement de l'effet accessoire des règlements, le but principal poursuivi lors de l'adoption de ces règlements est la réduction de la valeur nette de récupération et non la protection de la santé, la sécurité et la salubrité au sein des municipalités. Cependant, et comme nous le démontrerons plus loin, l'Office ne dispose pas de preuves suffisantes pour conclure à un but illégitime. Lorsque les compagnies de chemin de fer prennent des mesures pour cesser l'exploitation d'une ligne, il est raisonnable que les gouvernements ou administrations préparent leurs communautés à cette éventualité en adoptant des règlements comme ceux en l'espèce. Étant donné l'insuffisance de preuves démontrant que les règlements ont été adoptés dans un but illégitime, nous sommes d'avis que le fait que les règlements aient été adoptés avant que la question ne tombe sous la compétence des municipalités ne suffit pas en soi pour justifier l'exclusion de ces règlements du calcul de la valeur nette de récupération.
La majorité a également conclu qu'en tenant compte des règlements adoptés après l'avis visé au paragraphe 143(1) de la LTC, l'Office permettrait à un des participants de changer considérablement les règles après que le processus a été enclenché. À notre avis, le fait de fixer une date antérieure à la date de la demande déposée à l'Office, ne cadre pas avec les décisions antérieures de l'Office. Dans sa décision no 530-R-1998 du 30 octobre 1998, l'Office avait permis à la St. Lawrence & Hudson Railway Company Limited de modifier son intérêt dans son offre aux gouvernements au moment de la demande. Dans cette même décision, et dans d'autres calculs de la valeur nette de récupération, l'Office a permis à des compagnies de chemin de fer de changer considérablement la valeur nette de récupération établie dans leurs offres de transfert aux gouvernements. Le fait que les règles et circonstances du processus aient été considérablement modifiées n'a pas suffi pour que l'Office les exclue de son calcul. On retrouve au contraire dans les décisions nos 530-R-1998 et 545-R-1999 des précisions sur la façon d'aborder ces changements. Ainsi, l'Office a déterminé que les ajouts ne devaient pas être significatifs et que les compagnies de chemin de fer devaient pouvoir modifier, sans aucune justification, la valeur nette de récupération établie dans leurs offres.
La majorité a également déterminé qu'au moment de la cessation d'exploitation, le CN aurait fait une évaluation des lois susceptibles d'avoir un impact sur l'abandon, notamment au niveau des frais de récupération. Également, la majorité a conclu qu'il faudrait que le CN soit dans une certaine mesure assuré que les conditions entourant sa décision demeurent constantes tout au long du processus. Cependant, l'élément de certitude n'a pas été accordé aux gouvernements par le passé, puisque la révision des frais compris dans ces demandes déposées auprès de l'Office a été permise. Dans certains cas, la révision des demandes au stade de la demande a eu pour résultat de faire doubler la valeur nette de récupération par rapport à celle établie au moment de la détermination. L'Office ne peut pas d'une part stipuler que les conditions entourant la cessation d'exploitation devraient être certaines pour une partie alors que cette considération n'a jamais été accordée à l'autre partie. Si l'incertitude créée par l'ajout de tronçons de voie, la modification de la méthode initiale de calcul de la valeur nette de récupération au moment de l'offre ou l'apport de révisions importantes à la valeur contenue dans l'offre ne constitue pas un élément suffisamment onéreux pour que l'Office empêche cette incertitude d'exister, alors le fait d'inclure les règlements de remise en état adoptés dans un but légitime ne constitue pas, à notre avis, un élément suffisamment onéreux pour justifier leur exclusion du calcul de la valeur nette de récupération.
Quantification de l'impact
Dans ses conclusions, la majorité nous renvoie aux plaidoiries où les intimés soutiennent que l'impact des règlements sur la remise en état serait d'environ 23 000 $ ou, en tout état de cause, qu'il serait suffisant pour produire une valeur nette de récupération négative. Nous croyons que cet argument n'aurait pas dû entrer en ligne de compte pour deux raisons. Premièrement, l'impact du coût ou de la valeur d'un élément d'actif ne devrait avoir aucun lien avec son inclusion dans le calcul de la valeur nette de récupération. Si la valeur ou le coût est « pertinent », il doit être inclus dans le calcul. Par ailleurs, rien ne prouve que les coûts rattachés aux règlements sur la remise en état mèneraient à une valeur nette de récupération négative pour la ligne de chemin de fer. Ainsi, aucune preuve n'appuie l'estimation de 23 000 $ soumise par les intimés pour cette subdivision particulière.
Deuxièmement, il n'est pas certain qu'un coût uniforme par mille puisse s'appliquer. Dans d'autres cas où il devait calculer la valeur nette de récupération, l'Office a évalué la probabilité que les éléments d'actif soient enlevés ou que des coûts soient imposés. De la même façon, dans son estimation des coûts de remise en état, l'Office peut évaluer les cas où des travaux d'assainissement seraient nécessaires et les cas où ils ne le seraient pas.
Comme nous l'avons affirmé à maintes reprises dans cette opinion dissidente, ne pas tenir compte de l'impact des règlements de remise en état dans le calcul de la valeur nette de récupération va à l'encontre des principes et conclusions retrouvés dans des décisions antérieures de l'Office concernant le calcul de la valeur nette de récupération. Il est vrai que l'Office n'est pas lié par ses précédents, mais il devrait néanmoins se montrer cohérent d'une affaire à l'autre lorsqu'il détermine la valeur nette de récupération.
Conclusion quant à l'applicabilité et la pertinence des règlements de remise en état
Nous sommes donc d'avis que les règlements municipaux sont pertinents au calcul de la valeur nette de récupération que doit effectuer l'Office. Le fait que ces règlements renferment des éléments spéculatifs ne suffit pas pour que l'Office ignore les coûts qu'ils imposent. Le fait que ces règlements aient été adoptés avant que la question ne tombe sous la compétence des municipalités ou après avis fait en vertu de l'article 143 de la LTC n'a aucune importance lorsqu'il s'agit de calculer la valeur nette de récupération.
À notre avis, il est important de se rappeler le contexte dans lequel l'Office est appelé à déterminer la valeur nette de récupération. Cette tâche constitue une étape critique du processus de transfert des lignes de chemin de fer aux gouvernements ou administrations. L'exercice d'évaluation n'est pas une opération isolée; il repose plutôt sur le fait qu'une ligne de chemin de fer sera transférée et que les parties n'arrivent pas à s'entendre sur le prix. Lorsque l'Office calcule la valeur nette de récupération d'une ligne, indépendamment de l'utilisation qui en sera fait, il détermine le prix auquel la ligne sera transférée. Les parties ne devraient pas se retrouver dans une pire situation par suite du prix de transfert déterminé par l'Office. Autrement dit, lorsque l'Office détermine la valeur nette de récupération d'une ligne de chemin de fer, l'acheteur devrait pouvoir recevoir immédiatement l'équivalent de cette valeur pour les éléments d'actif qu'il achète. De son côté, le vendeur devrait pouvoir procéder à la récupération de la ligne et toucher un montant équivalent à la valeur déterminée par l'Office. En n'incluant pas les coûts associés aux règlements de remise en état, l'Office a placé les acheteurs dans une pire situation s'ils cherchaient à réaliser la valeur déterminée par l'Office. En fait, les acheteurs auraient à assumer les coûts des travaux imposés par les règlements de remise en état. Les vendeurs, eux, se retrouveraient dans une situation plus avantageuse puisque la valeur déterminée par l'Office n'inclut pas les travaux qu'ils auraient eu à effectuer. Par conséquent, en ne tenant pas compte de l'impact de ces règlements, l'Office a favorisé une des parties au détriment de l'autre, ce qui va à l'encontre de l'intention même de l'exercice d'évaluation prévu par le paragraphe 145(5) de la LTC.
Règlements municipaux adoptés après le dépôt de la demande du CN
Ayant conclu que les règlements sont pertinents au calcul de la valeur nette de récupération, nous notons cependant que la preuve démontre que les réglements de la Municipalité rurale de Hoodoo no 401, la Municipalité rurale de Bayne no 371 et la Ville de Cudworth ont été adoptés après que le CN a déposé sa demande auprès de l'Office. À notre avis, le continuum temporel ayant mené à l'adoption de ces règlements est problématique. Ainsi, afin de préserver l'efficacité et l'intégrité de son mandat législatif, l'Office ne doit en aucun cas laisser une circonstance qui est contrôlable par l'une ou l'autre des parties et qui se présente après la date d'une demande influencer sa détermination de la valeur nette de récupération d'une ligne de chemin de fer.
Cependant, tel que mentionné dans la décision no 530-R-1998 en date du 30 octobre 1998, cette conclusion n'empêche pas l'Office d'examiner tout changement de circonstances qui, à son avis, ne cause pas de préjudices indus aux parties à l'instance. Ainsi, les règlements adoptés par la Ville de Cudworth, la Municipalité rurale de Hoodoo no 401 et la Municipalité rurale de Bayne no 371 devraient être exclus du calcul de la valeur nette de récupération de la subdivison Cudworth à moins qu'ils ne causent aucun préjudice indu au CN.
Les règlements municipaux de remise en état ont pour but d'obliger le propriétaire d'une ligne de chemin de fer abandonnée à demander un permis de démolition au plus tard six mois après avoir cessé l'exploitation de la ligne. Lorsqu'il obtient son permis de démolition, le propriétaire doit, au plus tard douze mois après avoir cessé l'exploitation de la ligne, procéder à une série de travaux de manière appropriée, en temps utile et selon les règles de l'art, par exemple : a) enlever tous les bâtiments, signaux, ponts et structures ferroviaires connexes qui, à la discrétion exclusive de la Municipalité, font de la ligne de chemin de fer abandonnée un endroit peu esthétique, malpropre ou dangereux; b) remettre en état toutes les routes d'accès et tous les passages; c) enlever tous les matériaux de rebut non récupérables; d) retirer tous les polluants qui risquent de compromettre la santé ou la sécurité; e) remettre en état les sites d'excavation ou d'endiguement, les buttes ou toute autre structure similaire; f) laisser la ligne de chemin de fer abandonnée dans un état sécuritaire; g) ensemencer l'emprise.
À notre avis, le fait que ces règlements aient été adoptés après le dépôt de la demande auprès de l'Office causerait un préjudice indu au CN, puisqu'une partie serait en mesure de modifier considérablement la valeur nette de récupération de la ligne après que l'affaire ait été portée en bonne et due forme devant l'Office. Par conséquent, nous croyons que les règlements adoptés par la Ville de Cudworth, la Municipalité rurale de Bayne no 371 et la Municipalité rurale de Hoodoo no 401 ne devraient pas faire partie du calcul de la valeur nette de récupération de la subdivision Cudworth. Nous constatons par ailleurs que les règlements de la Municipalité rurale de Fish Creek no 402, de la Ville de Wakaw et du Village de Domremy ont été adoptés avant que le CN dépose sa demande auprès de l'Office afin de faire déterminer la valeur nette de récupération de la subdivision Cudworth. Par conséquent, ils devraient être inclus dans le calcul de la valeur nette de récupération s'ils sont valides.
Ayant conclu que les règlements municipaux sont pertinents au calcul de la valeur nette de récupération et que les règlements de la Municipalité rurale de Fish Creek no 402, de la Ville de Wakaw et du Village de Domremy devraient être inclus dans le calcul de la valeur nette de récupération de la subdivision Cudworth, il nous faut maintenant nous pencher sur la validité de ces règlements.
Les règlements municipaux sont-ils valides ?
Plusieurs arguments ont été présentés relativement à la validité des règlements de remise en état. Nous nous pencherons sur chacun des points soulevés dans l'ordre suivant :
- L'Office a-t-il compétence pour examiner la validité des règlements ?
- Dans l'affirmative, les règlements sont-ils :
- intra vires de la Loi constitutionnelle de 1867 ?
- intra vires de la Rural Municipality Act, 1989 ?
- adoptés à des fins légitimes ?
- raisonnables ?
1- Compétence
Les intimés soutiennent que l'Office, en tant que tribunal fédéral, excéderait sa compétence en statuant sur la légalité des règlements municipaux de remise en état puisqu'il s'agit là d'une question de droit provincial relevant du ressort exclusif des provinces. Les intimés avancent également qu'en vertu de la Loi constitutionnelle de 1867, l'Office n'a pas compétence pour déterminer si un règlement municipal est valide et qu'il doit les accepter comme légaux à leur face même.
Les compagnies de chemin de fer croient que l'Office n'est peut-être pas habilité à casser ou à entraver l'application d'un règlement adopté par une municipalité. Cependant, elles conviennent que pour pouvoir calculer la valeur nette de récupération, l'Office doit déterminer si les règlements municipaux ont un impact sur la valeur nette de récupération et, par implication, si les règlements sont exécutoires ou légaux.
À la lumière des décisions de la Cour suprême du Canada dans les arrêts Cuddy Chicks Ltd. c. CRTO[1991] 2 R.C.S. 5 et CBC c. Canada (LRB), [1995] 1 R.C.S. 157, nous concluons que l'Office a compétence pour examiner les règlements municipaux et se prononcer sur leur validité. Ainsi, l'Office a la compétence sur les parties (demandeur et intimés) sur la question traitée (procédures reliées à la VNR) et sur le remède recherché (calcul de la VNR). Cela ne permet peut-être pas à l'Office de casser les règlements, mais nous croyons néanmoins que l'Office a compétence pour interpréter et évaluer la légalité des règlements à l'intérieur de son mandat législatif de déterminer la valeur nette de récupération.
2- Validité des règlements municipaux
a) La Loi constitutionnelle de 1867
Les articles 91 et 92 de la Loi constitutionnelle de 1867, U.K. 30 & 31 Victoria, c. 3, répartissent les pouvoirs entre le Parlement et les législatures provinciales. Les paragraphes 92(10), (13) et (16) prévoient ce qui suit :
92. Dans chaque province, la législature pourra exclusivement légiférer relativement aux matières entrant dans les catégories de sujets ci-dessous énumérés, à savoir :
(10) les ouvrages et entreprises d'une nature locale, autres que ceux qui sont énumérés dans les catégories suivantes [c'est nous qui soulignons] :
a) les lignes de bateaux à vapeur ou autres navires, chemins de fer, canaux, télégraphes et autres ouvrages et entreprises reliant la province à une autre ou à d'autres provinces, ou s'étendant au-delà des limites de la province;
b) les lignes de transport par bateaux à vapeur entre la province et un territoire britannique ou étranger;
(c) les ouvrages qui, bien qu'entièrement situés dans la province, sont, avant ou après leur réalisation, déclarés par le Parlement du Canada d'intérêt général pour le pays ou d'intérêt multiprovincial;
(13) la propriété et les droits civils dans la province;
(16) d'une façon générale, toutes les matières à caractère purement local ou privé dans la province.
Pour pouvoir déclarer les règlements municipaux invalides aux motifs qu'ils sont contraires à la Constitutions, il nous faudrait déterminer que la véritable intention des règlements est de réglementer les compagnies de chemin de fer fédérales plutôt que la santé publique, la sécurité et la propreté dans les municipalités.
La Cour suprême du Canada, dans l'affaire T.U.T. c. Central Western RY., [1990] 3 R.C.S. 1112, déclarait qu'il y a deux façons dont une compagnie de chemin de fer peut être considérée comme relevant de la compétence fédérale. Premièrement, il peut s'agir d'un chemin de fer interprovincial qui tombe dans le champ d'application de l'alinéa 92(10)a) de la Loi constitutionnelle de 1867 à titre d'ouvrage ou d'entreprise de compétence fédérale. Deuxièmement, si l'on peut à bon droit voir la compagnie comme faisant partie intégrante d'un ouvrage ou d'une entreprise à caractère fédéral qui existe déjà, elle relève de la compétence fédérale suivant l'alinéa 92(10)a). Par ailleurs, une compagnie de chemin de fer qui est entièrement située dans une même province peut relever de la compétence fédérale si elle est déclarée par le Parlement comme étant un ouvrage à l'avantage général du Canada.
Cependant, dans le contexte du paragraphe 92(10), la compétence du Parlement vis-à-vis un chemin de fer n'est pas permanente. Ainsi, dès qu'un ouvrage à caractère fédéral cesse d'être exploité, la compétence du Parlement vis-à-vis de cet ouvrage cesse également. Dans le cas en l'espèce, comme les règlements municipaux ne s'appliquent qu'au moment de la cessation d'exploitation de toutes les opérations ferroviaires, il est impossible de faire droit à l'argument du CN et du CP voulant que les règlements cherchent à réglementer ledit ouvrage fédéral. Dans la mesure où les règlements municipaux s'appliquent seulement après que l'ouvrage soit hors service et, par conséquent, qu'il cesse de relever de la compétence fédérale, on ne peut prétendre que les règlements municipaux cherchent à réglementer ledit ouvrage.
Le CN et le CP soutiennent également que les règlements sont nuls et sans effet parce qu'ils les privent de la possibilité d'utiliser les lignes abandonnées à des fins ferroviaires. Il est bien établi en droit qu'une province ne peut porter atteinte au statut et aux pouvoirs essentiels d'une entreprise fédérale. Par conséquent, si une province adopte une loi qui demeure dans les limites de ses attributions mais qui aurait pour effet de porter atteinte au statut ou aux pouvoirs essentiels d'une entreprise fédérale, cette loi serait considérée comme non applicable à toute entreprise fédérale. Dans le cas à l'étude, on pourrait dire que même si les activités ferroviaires s'arrêtent, l'infrastructure et l'emprise ferroviaires, elles, continuent à faire partie intégrante de la compétence fédérale et, par conséquent, qu'elles sont toujours assujetties aux lois fédérales. Or, cette constatation n'aurait aucun impact sur la validité constitutionnelle des règlements municipaux qui, par conséquent, seraient toujours exécutoires au moment du transfert de l'emprise à un propriétaire ou un exploitant provincial.
Pour ces motifs, nous sommes d'avis que les règlements municipaux demeurent dans les limites des pouvoirs conférés par la Loi constitutionnelle de 1867.
b) La Rural Municipality Act
Le pouvoir d'établir des règlements est conféré aux municipalités par la Rural Municipality Act, 1989, S.S. 1989-90, c. R-26.1. Plusieurs dispositions de cette loi sont pertinentes dans le cas à l'étude :
Le paragraphe 215.2 (1) dispose de ce qui suit :
[TRADUCTION]
215.2(1) Sous réserve de la Environmental Management and Protection Act et de ses règlements d'application, le conseil d'une municipalité peut, par règlement, veiller à la collecte, au retrait ou à l'élimination des déchets solides et autres ordures.
Le paragraphe 248 (1) prévoit ce qui suit :
248(1) Le conseil d'une municipalité peut déclarer tout bâtiment comme étant une nuisance si, en raison de l'état délabré du bâtiment ou de sa construction défectueuse, ou pour toute autre raison, le conseil est d'avis que le bâtiment :
a) représente un danger pour la santé publique;
b) réduit considérablement la valeur des autres terres ou améliorations dans les environs ;
c) nuit considérablement aux attraits du voisinage .
Le paragraphe 249(1) est rédigé comme suit :
249(1) Le conseil d'une municipalité peut :
a) déclarer un soubassement, une excavation, un drain, un fossé, un cours d'eau, un étang, des eaux de surface ou toute autre chose située sur un terrain privé ou aux alentours d'une amélioration comme étant une nuisance représentant un danger pour la sécurité et la santé du public;
b) en vertu d'un règlement municipal ou d'une résolution, ordonner que le soubassement, l'excavation, le drain, le fossé, le cours d'eau, l'étang, les eaux de surface ou toute autre chose soit, selon le cas, retiré, éliminé, remblayé ou autrement traité par le propriétaire, le mandataire, le preneur à bail ou l'occupant du terrain dans le délai spécifié dans l'ordre signifié par la municipalité.
Le paragraphe 250(1) prévoit ce qui suit :
250(1) Le conseil d'une municipalité peut déclarer tous lieux de la municipalité comme étant malpropres et inesthétiques, auquel cas le conseil prépare un avis énonçant ce qui suit :
a) que les lieux spécifiés dans l'avis ont été déclarés malpropres et inesthétiques;
b) que le propriétaire ou l'occupant des lieux doit corriger les problèmes de propreté et d'esthétique avant la date de la prochaine réunion ordinaire du conseil;
c) que si le propriétaire ou l'occupant ne corrige pas les problèmes de propreté et d'esthétique ou qu'il ne se présente pas à la prochaine réunion ordinaire du conseil pour démontrer à la satisfaction du conseil que les travaux ne devraient pas être exécutés, le conseil pourra prendre les mesures nécessaires pour corriger les problèmes de propreté et d'esthétique, et ensuite soit récupérer les coûts de ces travaux par poursuite ou saisie ou les ajouter aux taxes foncières applicables aux lieux visés.
Enfin, l'article 168.1 est libellé comme suit :
168.1 Sous réserve des autres dispositions de la présente loi et des dispositions de toute autre loi, le conseil d'une municipalité peut adopter tout règlement qu'il considère nécessaire pour maintenir :
a) la paix, l'ordre et le bon gouvernement;
b) la santé, la sécurité, les valeurs morales et le bien-être des habitants de la municipalité.
La Rural Municipality Act, 1989 habilite donc les municipalités à réglementer la collecte, l'enlèvement ou l'élimination des déchets solides. Elle leur confère également le pouvoir d'établir des règlements concernant les lieux insalubres, dangereux, malpropres ou inesthétiques. Enfin, la Rural Municipality Act,1989 confère aux municipalités un pouvoir général de réglementation.
En l'espèce, les compagnies de chemin de fer soutiennent que les règlements de remise en état sont incompatibles avec la Environmental Management and Protection Act, S.S. 1983-84, c. E-10.2 adoptée par la législature de la Province de la Saskatchewan. De plus, le CN et le CP estiment que les municipalités ont excédé les pouvoirs de réglementation que leur confère la Rural Municipality Act, 1989. La validité d'un règlement identique a été examinée par la Cour provinciale de la Saskatchewan dans l'affaire R. v.Railroad Ventures & Salvage Company. La compagnie Railroad Venture & Salvage Company avait été accusé sous deux chefs d'accusation d'avoir enfreint le règlement 98-3 de la Municipalité rurale d'Excel. Dans sa défense, la compagnie de chemin de fer soutenait, entre autres, que le règlement était nul et sans effet parce qu'il était incompatible avec la législation provinciale, notamment la Railway Act, laEnvironmental Management and Protection Act et la Rural Municipality Act. Dans sa décision orale rendue le 19 mai 2000, le juge Orr de la Cour provinciale déclarait en partie ce qui suit :
[TRADUCTION] Le règlement va-t-il à l'encontre de la Environmental Management and Protection Act de cette Province, ou cherche-t-il à réglementer des domaines qui relèvent exclusivement de cette loi ? Je crois que la Couronne a raison en répondant « non » à cette question.
La loi provinciale est complexe, mais nous pouvons conclure, à partir d'une interprétation raisonnable du texte, que la loi réglemente des domaines différents de ceux abordés par le règlement et qu'il y a amplement de place pour que les deux textes de loi coexistent.
La loi provinciale vise d'abord et avant tout à empêcher le rejet de polluants et de déchets dangereux et les déversements industriels, à réglementer la qualité de l'eau, les réseaux d'aqueduc et d'égout, l'utilisation des terres de réservoir, etc. À mon avis, le règlement a pour but de réglementer un domaine substantiellement différent, et c'est précisément ce qu'il fait. Il n'y a pas de conflit. Je ne pense pas non plus que le règlement dépasse le niveau de réglementation prévu par la loi provinciale.
Avec respect pour les arguments du CN et du CP, nous devons nous rallier à la conclusion de la Cour provinciale de la Saskatchewan. À notre avis, les règlements de remise en état réglementent un domaine substantiellement différent de celui régit par la Environmental Management and Protection Act. À ce sujet, nous sommes d'accord avec les commentaires suivants formulés par le juge Orr dans l'affaire R. v. Railroad Ventures & Salvage Company :
[TRADUCTION] Je crois également que la Couronne soulève une question fort valable en soulignant que la Rural Municipality Act, 1989 de cette Province, dans plusieurs de ses dispositions, confère aux municipalités le pouvoir de réglementer les soi-disant déchets à l'intérieur des limites municipales. Voilà qui contredit l'argument voulant que la Environmental Management and Protection Act de la Saskatchewan a pour but de complètement occuper le champ. Qu'il suffise pour s'en convaincre de lire l'article 168.1 de la Rural Municipality Act, 1989, qui autorise les municipalités à établir des règlements pour promouvoir la santé et le bien-être des habitants de la municipalité.
Ayant conclu que les règlements de remise en état ne sont pas incompatibles avec la Environmental Management and Protection Act, nous devons néanmoins déterminer si leur adoption relève véritablement de la compétence des municipalités. À notre avis, la Rural Municipality Act, 1989 a une portée suffisamment vaste pour permettre aux municipalités d'établir des règlements sur la salubrité, la sécurité et la propreté des lignes de chemin de fer abandonnées. Nous croyons par ailleurs qu'il existe des motifs rationnels et objectifs permettant de soutenir qu'une ligne de chemin de fer abandonnée risque de nuire à la santé, la sécurité et la propreté d'une municipalité.
En réponse à la demande de renseignements envoyée par l'Office le 31 mars 2000, les intimés ont affirmé que l'état dans lequel les emprises ferroviaires abandonnées se sont retrouvées par le passé n'est pas acceptable aux yeux des administrations locales. Les intimés ont ajouté qu'une ligne de chemin de fer abandonnée soulève des préoccupations par rapport à la sécurité comme le risque lié à l'enlèvement de ponceaux et des ponts, ou encore celui occasionné par les matériaux de voie comme les traverses, les pièces d'acier et les clôtures qui n'ont pas été enlevés complètement. Également, les motoneigistes circulent souvent sur les emprises ferroviaires à leurs propres risques. Or, comme les municipalités sont conscientes de ces dangers, les intimés soutiennent qu'elles pourraient être tenues responsables de leur inaction.
Compte tenu de ce qui précède, nous sommes d'avis que les règlements de remise en état ont été adoptés dans les limites des pouvoirs conférés par la Rural Municipality Act, 1989.
c) But illégitime
Le CN et le CP sont d'avis qu'il faudrait casser les règlements municipaux puisqu'ils ont été adoptés dans un but illégitime. Il est accepté en droit qu'une municipalité ne peut exercer ses pouvoirs législatifs dans un but illégitime. Dans l'affaire Columbia Estate Company Ltd v. Corporation of the District of Burnaby, [1974] 5 W.W.R. 735 (C.S.C.B.), le juge Bouck décrit ce principe aux pages 740 et 741 :
[TRADUCTION] Contrairement à une loi du Parlement ou de la Législature, les tribunaux peuvent, dans le cas d'un règlement municipal, l'examiner à fond pour en connaître le but véritable. Si ce genre d'enquête est permis, c'est qu'un conseil municipal constitue une forme subordonnée de gouvernement représentatif qui tire ses pouvoirs d'une loi de la Législature plutôt que d'un précédent historique. Ces enquêtes se font généralement lorsqu'un tribunal est appelé à casser un règlement jugé déraisonnable, discriminatoire, déguisé ou de mauvaise foi. Elles découlent du concept voulant que la Législature avait l'intention de conférer au conseil municipal les pouvoirs spécifiés dans la loi municipale à condition que ces pouvoirs soient exercés de façon raisonnable, juste et non discriminatoire.
Cependant, il semblerait que si une cour peut examiner les circonstances entourant les allégations formulées sur ces questions, elle peut en principe considérer aussi les faits ayant trait au but ou à l'intention du règlement de zonage pour vérifier si ce règlement n'excède pas les pouvoirs conférés par la loi habilitante.
Ainsi, dans Re District of North Vancouver Zoning By-law 4277, [1973] 2 W.W.R. 260 (C.S.C.B.) approuvé dans l'affaire Hauff v. City of Vancouver (1981) 15 M.P.L.R. 8 (C.A.C.B.), la cour avait qualifié d'illégitime un rezonage effectué dans le but de réduire la valeur d'une propriété qu'une municipalité a l'intention d'acquérir pour des fins publiques. Cependant, comme l'a déclaré la Cour suprême de la Colombie-Britannique dans l'affaire Hall v. Maple Ridge (District), (1993) 15 M.P.L.R. 165, on ne peut se contenter de démontrer qu'un règlement aura un effet économique néfaste pour en conclure que la municipalité a agi de mauvaise foi. Dans l'affaire Shull v. The Powell River Regional Board (15 mai 1985), Power River : 58/85 (C.S.C.B.) [non publié], le juge McLachlin affirmait ce qui suit :
[TRADUCTION] Mais cette cour a maintenu à maintes reprises que le fait qu'un règlement ait un effet économique néfaste sur un requérant cherchant à le faire casser ne suffit pas pour conclure à un geste de mauvaise foi. En fait, il est de la nature même des règlements municipaux, et aussi des plans régionaux une fois mis en oeuvre, d'avoir un effet néfaste sur certaines personnes et un effet bénéfique sur d'autres. Si l'effet néfaste n'est qu'un simple incident, et non pas le principal motif d'adoption du règlement, celui-ci ne peut être cassé pour des motifs de mauvaise foi.
Il incombe à la partie alléguant l'illégitimité du règlement de prouver que le règlement a été adopté dans un but illégitime.
Compte tenu de ce qui précède, pour déterminer que les règlements sont invalides aux motifs qu'ils ont été adoptés dans un but illégitime, il faut démontrer, selon la balance des probabilités, que l'intention première des conseils municipaux au moment de l'adoption des règlements était d'influencer la valeur nette de récupération de la ligne et/ou d'empêcher la cessation d'exploitation de la ligne, plutôt que de réglementer la santé, la sécurité et la propreté au sein de la municipalité.
Dans le cas à l'étude, la preuve suggère et les intimés admettent que l'adoption des règlements a été déclenchée par le processus de cessation d'exploitation prévu par la LTC. Le 3 juillet 1996, en vertu du paragraphe 141(1) de la LTC, le CN inscrivait dans son plan triennal qu'il avait l'intention de cesser l'exploitation de la subdivision Cudworth dans la province de la Saskatchewan. Les 6, 7 et 14 mai 1998, en application du paragraphe 143(1) de la LTC, le CN annonçait dans les journaux la disponibilité de la subdivision Cudworth.
Les règlements de remise en état ont été adoptés par la Municipalité rurale de Fish Creek no 402 le 2 juillet 1998, par le Village de Domremy le 23 juillet 1998, et par la Ville de Wakaw le 20 octobre 1998.
Par conséquent, les trois règlements ont été adoptés avant que l'offre aux gouvernements et administrations soit faite en vertu de l'article 145 de la LTC. La section V de la LTC établit le processus que doit suivre toute compagnie de chemin de fer qui désire cesser l'exploitation d'une ligne. Avant d'offrir la ligne aux gouvernements et administrations, la compagnie de chemin de fer doit annoncer aux investisseurs privés la disponibilité de la ligne de chemin de fer. La LTC prévoit qu'une compagnie de chemin de fer dispose de quatre mois pour en arriver à une entente avec une partie intéressée. Si aucune entente n'est conclue à l'expiration du délai de quatre mois, la compagnie de chemin de fer peut décider de poursuivre l'exploitation de la ligne. Le cas échéant, il n'est pas nécessaire de recourir à l'article 145. Par conséquent, tant que la compagnie de chemin de fer n'offre pas sa ligne aux gouvernements ou administrations conformément à l'article 145 de la LTC, il est impossible pour une municipalité de savoir si oui ou non la ligne lui sera offerte. À cet égard, la date d'adoption des règlements de la Municipalité rurale de Fish Creek no 402, du Village de Domremy et de la Ville de Wakaw ne soulève aucune préoccupation. Les intimés ont d'ailleurs soutenu que les règlements avaient été adoptés à une date raisonnable dans le but d'éviter l'établissement de lois redondantes et prématurées.
Le CN et le CP ont fourni à l'Office des copies d'une coupure de presse faisant état des commentaires du maire de la Municipalité rurale de Bifrost au Manitoba. La Municipalité rurale de Bifrost a adopté une résolution voulant que si le CP cessait un jour l'exploitation de sa ligne, il serait alors non seulement tenu de ramener les emprises ferroviaires à un état raisonnable, mais également au niveau initial. Selon le maire Harold Foster, tous espèrent que si le règlement a suffisamment de poids, le CP n'estimera peut-être pas très rentable d'évacuer tous les matériaux qu'il avait utilisés pour construire les emprises. La compagnie aurait donc moins de chance de tirer des profits de la récupération des matériaux. Elle se montrerait peut-être davantage intéressée à baisser le prix de la ligne et à attirer les exploitants de lignes secondaires. La déclaration du maire de la Municipalité rurale de Bifrost indique peut-être qu'un des buts de la résolution adoptée par sa Municipalité était de réduire la valeur de la ligne de chemin de fer, mais on ne peut supposer que c'était là le but principal. Même si des éléments de preuve indiquaient que le but principal de la résolution adoptée par la Municipalité rurale de Bifrost était d'influencer la valeur d'une ligne de chemin de fer, il demeurerait néanmoins impossible d'inférer de cette preuve un motif illégitime de la part des conseils de la Municipalité rurale de Fish Creek no 402, du Village de Domremy et de la Ville de Wakaw.
La preuve dont nous disposons témoigne d'une ferme intention de protéger la santé, la sécurité et la propreté des territoires municipaux. Au moins 47 autres municipalités de la Saskatchewan ont adopté des règlements concernant l'élimination et la restauration des propriétés ferroviaires abandonnées. La première municipalité de la Saskatchewan à avoir adopté un règlement de ce genre semble être la Municipalité rurale de Stonehenge, le 11 mai 1998. Au congrès de mi-mandat de la SARM (Association des municipalités rurales de la Saskatchewan), les membres ont adopté la résolution no 32 voulant que la Province de la Saskatchewan soit encouragée à établir une loi semblable à celle de la Province de l'Alberta au sujet de la remise en état des terres. Dans cette même résolution, les membres soulignaient que le règlement adopté par la Municipalité rurale de Stonehenge représentait un moyen d'obtenir les résultats de la loi albertaine sur l'environnement et de s'assurer que les emprises, les assises et les bâtiments ferroviaires demeurent écologiquement sains et non d'empêcher la cessation d'exploitation des lignes de chemin de fer ou d'en réduire la valeur nette de récupération. Cette résolution a sans doute été l'élément déclencheur des nombreux règlements identiques adoptés par la suite par d'autres municipalités rurales en Saskatchewan.
À son congrès annuel de 1999, la SARM a adopté la résolution no 27 voulant que des pressions soient exercées à l'endroit des gouvernements et organismes responsables pour qu'ils établissent une loi qui obligerait tout propriétaire d'une ligne de chemin de fer à s'assurer, au moment de la cession d'exploitation, que l'emprise, les assises et les bâtiments ferroviaires sont remis dans un état qui ne présente aucun danger et qui, au contraire, permettrait d'utiliser la ligne à d'autres fins économiques. Par le passé, lorsqu'une ligne de chemin de fer était abandonnée, l'emprise, les assises et les bâtiments ferroviaires étaient délaissés pendant de longues périodes et devenaient de véritables paradis pour les mauvaises herbes, les déchets et les rongeurs, constituant ainsi un danger public.
Par ailleurs, en réponse à une demande de renseignements de l'Office concernant le but des règlements municipaux, les intimés ont affirmé ce qui suit :
[TRADUCTION] Les administrations locales refusent d'accepter aujourd'hui que les emprises ferroviaires soient abandonnées comme elles l'ont été par le passé. C'est le cas, par exemple, de la ligne Alvena-Wakaw qui a été abandonnée au début des années 80 dans la M.R. de Fish Creek. Ou encore des subdivisions Meskanaw du CN (1980) et Prince Albert du CP (1986) dans la M.R. de Hoodoo.
À certains endroits, l'emprise a été nivelée, mais pas partout. Et ce sont précisément les endroits qui n'ont pas été nivelés qui préoccupent les municipalités.
Les motoneigistes circulent souvent sur les emprises ferroviaires abandonnées, supposément à leurs propres risques. Les conducteurs ne sont parfois pas en âge de conduire. Les endroits où un ponceau ou un pont a été éliminé sont dangereux, puisqu'il reste souvent des matériaux de voie qui traînent un peu partout (traverses, acier, pièces, clôtures). Les municipalités se préoccupent également des mauvaises pratiques de drainage pendant les travaux de démolition. Comme les municipalités sont conscientes des dangers latents, elles pourraient être tenues responsables de leur inaction. Le nivelage des emprises élimine les dangers et les risques de responsabilité, en plus d'assurer une utilisation utile et productive de la vaste majorité des terres ferroviaires libérées.
L'observation rigoureuse des règlements municipaux permet d'assurer que les terres ferroviaires demeureront sécuritaires et propres.
Les municipalités s'inquiètent également des mauvaises herbes nuisibles qui poussent sur les terres qui ne sont pas utilisées à des fins productives. Si les emprises ferroviaires ne sont pas nivelées, il devient très difficile et coûteux d'y épandre des herbicides.
Lorsqu'on démantèle une maison et toute autre structure, on s'assure toujours que le soubassement est complètement remblayé et que tout le béton est enlevé. Or, les municipalités déplorent le fait que les sites abandonnés finissent par revenir à leur charge et qu'elles soient obligées d'assumer le coût des travaux de nettoyage.
Enfin, en réponse aux demandes de renseignements envoyées par l'Office le 31 mars 2000, les intimés ont indiqué que les petites administrations locales comme les villes, les villages et les municipalités rurales ne tiennent aucun registre des débats, discussions, évaluations ou documents d'information lorsqu'elles adoptent un règlement. Les intimés ont aussi déclaré ne pas avoir discuté des règlements de remise en état aux réunions de la SARM ou de la SUMA (Association des municipalités urbaines de la Saskatchewan) avant de les adopter. Par conséquent, comme il n'existe aucune preuve écrite faisant état du mobile de l'adoption des règlements, il nous est impossible de reprocher aux divers conseils municipaux d'avoir adopté ces règlements dans un but illégitime.
En l'absence de preuves supplémentaires pouvant démontrer que les règlements de remise en état de la Municipalité rurale de Fish Creek no 402, de la Ville de Wakaw et du Village de Domremy ont été clairement ou principalement adoptés à des fins illégitimes, nous en concluons que ces règlements ont été adoptés pour les fins spécifiées par les Municipalités, c'est-à-dire pour assurer que les terres soient abandonnées de façon propre et sécuritaire.
d) Caractère raisonnable
Un tribunal peut écarter un règlement municipal qu'il juge déraisonnable. Dans l'affaire Associated Provincial Picture Houses v. Wednesbury Corporation, [1948] 1 K.B. 233, le juge Green déclarait ce qui suit :
[TRADUCTION] La cour peut enquêter sur l'action de l'autorité locale pour vérifier si l'autorité a tenu compte de tous les éléments dont elle aurait dû tenir compte. Si la cour constate que l'autorité locale a effectivement tenu compte de tous les éléments pertinents, elle peut quand même déterminer que l'autorité locale est arrivée à une conclusion à ce point déraisonnable qu'il serait impossible de penser qu'une autorité raisonnable puisse arriver à une telle conclusion. En pareil cas, je crois que la cour peut intervenir. [...]
La chose peut être tellement absurde qu'aucune personne sensée ne pourrait jamais imaginer qu'elle puisse relever du pouvoir de l'autorité.
En outre, dans l'affaire Sharp v. Wakefield, [1891] A.C. 173, la cour a déclaré ce qui suit :
[TRADUCTION] Lorsqu'il est dit qu'une chose peut être effectuée à la discrétion des autorités, on entend alors que cette chose doit être effectuée conformément aux règles de la raison et de la justice et non pas d'après une opinion personnelle [...], conformément à la loi et non à l'humeur du moment.
Pour déclarer les règlements de remise en état invalides aux motifs qu'ils sont déraisonnables, l'Office doit arriver à la conclusion que, même si l'adoption de tels règlements relève du pouvoir législatif du gouvernement local en Saskatchewan, l'effet des règlements est à ce point absurde et abusif qu'aucune personne raisonnable ne pourrait jamais penser que ce pouvoir relève effectivement de la Municipalité.
Dans le cas en l'espèce, aucune preuve ne permet de déclarer les règlements municipaux ultra vires aux motifs qu'ils sont déraisonnables. Même si les compagnies de chemin de fer soutiennent que les règlements municipaux constituent une ingérence abusive dans leurs droits et que le fait de devoir s'y conformer pourrait leur coûter des milliers de dollars par mille de voie ferrée, il reste que nous ne pouvons tirer clairement de ces déclarations la conclusion que les règlements sont déraisonnables. Au contraire, il est raisonnable de conclure en l'occurrence que les Municipalités se préoccupaient des pratiques d'abandon des lignes de chemin de fer et qu'elles ont pris des mesures pour essayer d'atténuer raisonnablement ces préoccupations. À cet égard, les mesures prévues par les règlements municipaux de remise en état sont semblables à celles qu'on retrouve dans la Environmental Protection and Enhancement Act, S.A. 1992, c. E-13.3., adoptée par la législature de l'Alberta.
Compte tenu de ce qui précède, nous sommes d'avis que les règlements de la Municipalité rurale de Fish Creek no 402, de la Ville de Wakaw et du Village de Domremy sont valides.
CONCLUSION
Étant donné que les règlements municipaux de remise en état sont pertinents au calcul de la valeur nette de récupération, que les règlements de la Municipalité rurale de Fish Creek no 402, de la Ville de Wakaw et du Village de Domremy devraient être inclus dans le calcul de la valeur nette de récupération de la subdivision Cudworth, et que ces règlements sont valides, nous sommes d'avis que l'Office devrait tenir compte des règlements municipaux de la Municipalité rurale de Fish Creek no 402, de la Ville de Wakaw et du Village de Domremy dans son calcul de la valeur nette de récupération de la subdivision Cudworth.
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