Décision n° 546-C-A-2006

le 10 octobre 2006

le 10 octobre 2006

RELATIVE à une plainte déposée par Clarence Holloway contre Air Canada au sujet de la suppression des tarifs réduits pour urgence familiale applicables aux voyages intérieurs.

Référence no M4370/06-50116


PLAINTE

[1] Le 5 février 2006, Clarence Holloway a déposé auprès du Bureau des plaintes relatives au transport aérien la demande énoncée dans l'intitulé. Toutefois les parties ont été incapables de régler la plainte et le 9 juin 2006, M. Holloway a informé l'Office des transports du Canada (ci-après l'Office) qu'il désirait soulever officiellement la question auprès de l'Office.

[2] Le 4 juillet 2006, le personnel de l'Office a demandé à Air Canada de répondre à la plainte dans le contexte du paragraphe 67.2(1) de la Loi sur les transports au Canada, L.C. (1996), ch. 10 (ci-après la LTC). Air Canada avait 30 jours pour déposer sa réponse auprès de l'Office et de M. Holloway. On a fourni à M. Holloway l'occasion de déposer auprès de l'Office une réplique à cette réponse et d'en signifier une copie à Air Canada dans les dix jours suivant la date de réception de la réponse.

[3] Le 28 juillet 2006, Air Canada a déposé sa réponse à la plainte et le 5 août 2006, M. Holloway y a répliqué.

QUESTION

[4] L'Office doit déterminer si la suppression des tarifs réduits pour urgence familiale d'Air Canada applicables aux voyages intérieurs est déraisonnable ou injustement discriminatoire au sens du paragraphe 67.2(1) de la LTC.

POSITIONS DES PARTIES

[5] M. Holloway affirme qu'il est déraisonnable et discriminatoire de la part d'Air Canada d'offrir des tarifs réduits pour urgence familiale pour voyager entre des points situés au Canada et des points situés à l'extérieur du Canada et de ne pas offrir ces mêmes tarifs pour les voyages à l'intérieur du Canada.

[6] M. Holloway fait valoir qu'en raison d'un décès survenu dans sa famille immédiate, lui et un membre de sa famille ont dû voyager entre Toronto (Ontario) et St. John's (Terre-Neuve) le 21 décembre 2005. Il ajoute qu'ils n'ont eu d'autre option que de payer un tarif qui était beaucoup trop élevé, et il croit qu'ils ont été pénalisés parce qu'ils ont dû effectuer une réservation à la dernière minute. M. Holloway soutient que les tarifs d'Air Canada étaient plus élevés que ceux proposés par I.M.P. Group Limited exerçant son activité sous le nom de, entre autres, CanJet Airlines, a Division of I.M.P. Group Limited (ci-après CanJet), mais il ajoute que tous les vols de CanJet pour voyager le 21 décembre 2005 étaient complets.

[7] Dans le cas présent, Air Canada soutient qu'elle a facturé aux Holloway 1 228 $ chacun plus les suppléments et les taxes pour voyager entre Toronto et St. John's le 21 décembre 2005, et 101 $ plus les suppléments et les taxes pour leur voyage de retour le 24 décembre 2005.

[8] Air Canada fait valoir que ses tarifs intérieurs, lesquels ne renferment aucun tarif pour urgence familiale, ne sont pas déraisonnables. Elle indique qu'au printemps 2004, elle a introduit un nouveau modèle de tarification pour les voyages intérieurs. Air Canada explique qu'avant cela son modèle de tarification (le modèle traditionnel) offrait une gamme considérable et complexe de tarifs de la classe économique entre deux points, chacun étant assorti de ses propres restrictions, par exemple : l'exigence d'en faire l'achat dans un délai minimal, parfois jusqu'à 21 jours à l'avance, et l'exigence en matière de séjour minimal au point de destination, souvent le samedi soir.

[9] Air Canada explique que lorsqu'une personne devait voyager à la dernière minute en raison du décès d'un membre de la famille, ces restrictions faisaient en sorte que des prix inférieurs n'étaient plus disponibles, même s'il y avait beaucoup de place à bord d'un vol. Puisque les transporteurs aériens sont tenus par la loi de vendre leurs services en fonction des modalités de leurs tarifs publiés, Air Canada, comme tous les transporteurs traditionnels, avait créé le tarif pour urgence familiale. Ainsi, les personnes qui devaient voyager à la dernière minute en raison du décès d'un membre de la famille pouvaient se prévaloir de prix pour des billets qui autrement auraient dû être achetés préalablement. Il ne s'agissait pas là d'une consolation ou d'un cadeau pour les personnes endeuillées, mais plutôt d'une considération du fait que les billets à prix réduits devaient être achetés à l'avance et que les personnes devant voyager à la dernière minute en raison du décès d'un membre de la famille ne pouvaient s'en prévaloir. Les tarifs d'urgence familiale étaient toujours assujettis à la disponibilité au moment de la réservation.

[10] Le 30 janvier 2005, Air Canada a cessé d'offrir son tarif pour urgence familiale pour voyager au pays, car le nouveau modèle de tarification offrait des prix réduits sans l'exigence d'achat préalable.

[11] Air Canada fait valoir que le nouveau modèle de tarification a été conçu afin de respecter ses exigences commerciales et opérationnelles pour les voyages intérieurs. Le transporteur affirme que le modèle actuel de tarification prévoit des tarifs aller simple moins dispendieux et sans exigences d'achat à l'avance, comparativement au modèle précédent.

[12] Air Canada déclare que le modèle traditionnel est encore utilisé dans le marché international en raison d'accords entre transporteurs et d'autres restrictions.

[13] Par conséquent, Air Canada fait valoir que le nouveau modèle de tarification n'est pas déraisonnable.

[14] Air Canada indique que ses tarifs intérieurs, qui ne comprennent plus le tarif pour urgence familiale, ne sont pas injustement discriminatoire. Air Canada ajoute que sa nouvelle politique de tarification s'applique à tous les passagers et n'est donc pas discriminatoire.

[15] Par contre, Air Canada indique également que si l'Office devait conclure que le nouveau modèle de tarification est discriminatoire, il ne serait pas injustement discriminatoire.

ANALYSE ET CONSTATATIONS

[16] Pour en arriver à ses constatations, l'Office a tenu compte de tous les éléments de preuve soumis par les parties au cours des plaidoiries.

[17] La compétence de l'Office sur les plaintes concernant les tarifs intérieurs est établie à l'article 67.2 de la LTC. En vertu du paragraphe 67.2(1) de la LTC, l'Office peut prendre certaines mesures correctives à la suite de la réception d'une plainte s'il juge que le titulaire d'une licence intérieure a appliqué pour un de ses services intérieurs des conditions de transport déraisonnables ou injustement discriminatoires. Plus particulièrement, le paragraphe 67.2(1) de la LTC prévoit ce qui suit :

S'il conclut, sur dépôt d'une plainte, que le titulaire d'une licence intérieure a appliqué pour un de ses services intérieurs des conditions de transport déraisonnables ou injustement discriminatoires, l'Office peut suspendre ou annuler ces conditions ou leur en substituer de nouvelles.

La suppression par Air Canada des tarifs pour urgence familiale applicables aux voyages intérieurs est-elle « déraisonnable » au sens du paragraphe 67.2(1) de la LTC?

[18] Dans la décision no 666-C-A-2001 du 24 décembre 2001 ayant trait à une plainte déposée par Del Anderson, l'Office a pu se pencher sur la portée du terme « déraisonnable » dont fait état le paragraphe 67.2(1) de la LTC.

[19] Dans cette décision, l'Office a indiqué que pour déterminer si une condition de transport appliquée par un transporteur est « déraisonnable » au sens du paragraphe 67.2(1) de la LTC, l'Office doit s'assurer de ne pas interpréter la disposition de façon à compromettre la capacité des voyageurs d'utiliser avec efficience le recours instauré par le Parlement afin de les protéger contre l'établissement unilatéral de conditions de transport par les transporteurs aériens. L'Office est d'avis que ceci s'applique également dans le cas en l'espèce.

[20] Inversement, l'Office doit également tenir compte de ce qui suit :

  • les obligations opérationnelles et commerciales du transporteur aérien visé par la plainte;
  • les autres dispositions de la partie II de la LTC visant la protection des consommateurs, qui obligent les transporteurs aériens à publier, afficher ou rendre disponibles des tarifs qui renferment les renseignements requis par le Règlement sur les transports aériens, DORS/88-58, modifié, et à n'appliquer que les conditions de transport énoncées dans ces tarifs;
  • le fait que les transporteurs aériens sont tenus d'établir et d'appliquer des conditions de transport qui s'adressent à tous les passagers et non pas à un seul en particulier.

[21] Par conséquent, l'Office est d'avis que pour déterminer si une condition de transport appliquée par un transporteur aérien est « déraisonnable » au sens du paragraphe 67.2(1) de la LTC, un équilibre doit être établi entre, d'une part, les droits des passagers d'être assujettis à des conditions de transport qui soient raisonnables et, d'autre part, les obligations statutaires, commerciales et opérationnelles du transporteur aérien concerné.

[22] L'Office note que dans le cas présent M. Holloway n'a pas présenté d'arguments pour démontrer que la suppression des tarifs pour urgence familiale est déraisonnable et qu'il a déclaré avoir été pénalisé pour avoir réservé à la dernière minute. L'Office est toutefois d'avis que M. Holloway ne se trouvait pas dans une situation différente de celle de toute autre personne voyageant à la dernière minute, quelle qu'en soit la raison. Les tarifs pour urgence familiale applicables aux voyages intérieurs d'Air Canada constituaient un privilège et non pas un droit. La décision d'Air Canada de retirer ce privilège n'est donc pas déraisonnable. Même si les tarifs pour urgence familiale sont une excellente politique de relations avec les clients, le transporteur n'y est pas lié.

[23] L'Office est d'avis que, généralement, les transporteurs aériens devraient avoir la possibilité d'établir les tarifs de leurs services comme bon leur semble, sous réserve des contraintes législatives ou réglementaires. L'Office estime que, même si Air Canada n'offre plus de tarifs réduits pour urgence familiales applicables aux voyages intérieurs, dans le cadre de son modèle d'établissement des tarifs, le fait qu'elle offre des tarifs aller simple à faible coût sans restrictions dans le marché intérieur équilibre de façon acceptable le besoin du transporteur d'être viable et le désir du passager d'obtenir des prix raisonnables.

[24] Dans le cas présent, et à la lumière de ce qui précède, l'Office est d'avis que l'équilibre entre le droit des passagers d'être assujettis à des modalités de transport raisonnables et le besoin du transporteur d'être flexible dans l'intérêt de maintenir une exploitation commerciale viable est maintenu.

[25] Par conséquent, l'Office conclut que la suppression par Air Canada des tarifs pour urgence familiale applicables aux voyages intérieurs n'est pas « déraisonnable » au sens du paragraphe 67.2(1) de la LTC.

La suppression par Air Canada des tarifs pour urgence familiale applicables aux voyages intérieurs est-elle « injustement discriminatoire » au sens du paragraphe 67.2(1) de la LTC?

[26] Comme pour le mot « déraisonnable », l'expression « injustement discriminatoire » n'est pas définie dans la LTC. Dans la décision no 666-C-A-2001 dont un extrait est cité ci-dessus, l'Office a également eu l'occasion de se pencher sur la portée des termes « injustement discriminatoire » dont fait état le paragraphe 67.2(1) de la LTC.

[27] Dans cette décision, l'Office mentionne que lorsqu'il s'agit de déterminer si une condition de transport appliquée par le transporteur est « injustement discriminatoire » au sens du paragraphe 67.2(1) de la LTC, il faut adopter une méthode contextuelle qui permet d'établir un équilibre entre, d'une part, le droit des voyageurs de ne pas être assujettis à des conditions de transport discriminatoires et, d'autre part, les obligations statutaires, opérationnelles et commerciales des transporteurs aériens exerçant leurs activités au Canada. Cette position est également conforme à la politique nationale des transports énoncée à l'article 5 de la LTC. L'Office est d'avis que ceci s'applique également dans le cas présent.

[28] Lorsqu'il doit se prononcer sur la question de savoir si une condition de transport qu'applique un transporteur est « injustement discriminatoire » au sens du paragraphe 67.2(1) de la LTC, l'Office doit d'abord déterminer si la condition est discriminatoire.

[29] Une condition serait qualifiée de « discriminatoire » si elle singularisait une catégorie particulière de trafic et lui accordait un traitement différent sans motifs valables.

[30] Dans le cas présent, la nouvelle politique tarifaire d'Air Canada s'applique sans discrimination à tous les passagers voyageant au Canada. Aucune catégorie de passagers n'est particularisée ou traitée différemment au pays.

[31] À la lumière de la conclusion de l'Office que la nouvelle politique d'Air Canada est appliquée sans distinction dans le marché intérieur, l'Office conclut que la suppression par Air Canada des tarifs pour urgence familiale applicables aux voyages intérieurs n'est pas « discriminatoire » au sens du paragraphe 67.2(1) de la LTC. Par conséquent, l'Office n'est pas tenu de se pencher sur la question de savoir si la politique d'Air Canada est ou non « injustement » discriminatoire.

CONCLUSION

[32] À la lumière de ce qui précède, l'Office, par les présentes, rejette la plainte.

Membres

  • Gilles Dufault
  • Baljinder Gill
Date de modification :