Décision n° 55-C-A-2002

le 31 janvier 2002

le 31 janvier 2002

RELATIVE à une plainte déposée par Aden Clark contre Labrador Airways Limited exerçant son activité sous le nom de Air Labrador concernant les restrictions au prix des billets pour les vols entre les communautés côtières du sud du Labrador.

Référence no M4370/A615/00-1


PLAINTE

Le 25 octobre 2000, Aden Clark a déposé auprès du Commissaire aux plaintes relatives au transport aérien la plainte énoncée dans l'intitulé. Cependant, vu la nature réglementaire de la plainte, celle-ci a été transmise à l'Office des transports du Canada (ci-après l'Office) le 28 mai 2001.

Le 1er juin 2001, le personnel de l'Office a demandé à Labrador Airways Limited exerçant son activité sous le nom de Air Labrador (ci-après Air Labrador) de donner suite à la plainte à la lumière du paragraphe 67.2(1) de la Loi sur les transports au Canada, L.C. (1996), ch. 10 (ci-après la LTC).

Le 30 juin 2001, Air Labrador a déposé sa réponse à la plainte et le 18 juillet 2001, M. Clark y a répliqué.

Dans une lettre en date du 19 juillet 2001, la Southeastern Aurora Development Corporation (ci-après la SADC) a déposé une intervention à l'égard de cette affaire. Le 21 novembre 2001, M. Clark a déposé sa réponse à l'intervention et le 22 novembre 2001, Air Labrador y a répliqué.

Dans la décision no LET-C-A-458-2001 du 21 novembre 2001, l'Office a demandé à Air Labrador de fournir des renseignements qui appuieraient la décision du transporteur d'appliquer des restrictions au prix des billets pour les vols entre les communautés côtières du sud du Labrador. L'Office a aussi précisé que le tarif intérieur local d'Air Labrador, fourni par le transporteur à l'Office le 16 octobre 2001, ne contenait pas les renseignements suivants : (1) les différents niveaux de prix appliqués par Air Labrador entre deux villes (selon la disponibilité des prix d'Air Labrador dans le système informatisé de réservation) et (2) les règles tarifaires applicables aux prix de base indiqués dans le tarif.

L'Office a noté qu'Air Labrador avait avisé le personnel de l'Office qu'elle distribuait ses prix et ses règles tarifaires aux différents systèmes informatisés de réservation par l'entremise de la Airline Tariff Publishing Company (ci-après la ATPCo), mais que le tarif ATPCo n'était pas le tarif intérieur d'Air Labrador. L'Office a conclu que le tarif intérieur local d'Air Labrador manquait de clarté et que ce tarif devait indiquer toutes les règles tarifaires établies par Air Labrador et tous les prix que le transporteur a l'intention d'offrir, et a conseillé à Air Labrador de mettre à jour le tarif immédiatement.

Le 12 décembre 2001, Air Labrador a déposé sa réponse à la décision no LET-C-A-458-2001.

Aux termes du paragraphe 29(1) de la LTC, l'Office est tenu de rendre sa décision au plus tard 120 jours après la date de réception de la demande, sauf s'il y a accord entre les parties pour une prolongation du délai. Dans le cas présent, les parties ont convenu de prolonger le délai jusqu'au 31 janvier 2002.

OBSERVATION PRÉLIMINAIRE

Bien qu'Air Labrador ait déposé sa réponse à la décision no LET-C-A-458-2001 après le délai prescrit du 30 novembre 2001, l'Office, en vertu de l'article 6 des Règles générales de l'Office national des transports, DORS/88-23, l'accepte, la jugeant nécessaire et pertinente à son examen de la présente affaire.

QUESTIONS

L'Office doit déterminer :

  1. si les conditions imposées par Air Labrador figurent comme il se doit dans son tarif intérieur, conformément au paragraphe 67(3) de la LTC.
  2. si les conditions imposées par Air Labrador sont déraisonnables ou injustement discriminatoires, au sens du paragraphe 67.2(1) de la LTC.

POSITION DES PARTIES

M. Clark prétend que l'imposition, par Air Labrador, de restrictions à tous les prix applicables aux vols entre les communautés côtières du sud du Labrador, telles les réservations faites à l'avance et les pénalités, est discriminatoire. Le transporteur aérien n'applique pas les mêmes restrictions à sa route du nord.

Air Labrador affirme qu'elle a eu plusieurs défections et réservations fantômes sur les routes du sud, ce qui a entraîné son incapacité de confirmer des places à des passagers qui voulaient voyager parce que plusieurs sièges étaient réservés par des voyageurs qui utilisaient de faux noms, et l'aéronef finissait par décoller avec un nombre minimum de personnes à bord. Air Labrador précise que l'aéronef parcourant les routes du sud est un Twin Otter (DHC-6) qui compte seulement 18 sièges et que le nombre de fausses réservations, si petit soit-il, compromet sa capacité de servir ses clients.

M. Clark soutient que l'ajout de ces restrictions pénalise tous les passagers pour les bêtises d'un petit nombre de personnes et est discriminatoire envers les voyageurs qui achètent des billets sur ces routes du sud. Il ajoute qu'Air Labrador est le seul transporteur aérien qui fournit un service passager régulier pour ce secteur alors que plusieurs autres entreprises de transport aérien desservent les routes du nord. M. Clark affirme qu'une autre façon de régler le problème d'Air Labrador est de cibler seulement les clients qui ne se présentent pas pour un vol et qui n'annulent pas leur réservation. M. Clark maintient que le problème de réservations en double existe « parce qu'Air Labrador ne fournit pas assez de vols garantis à partir de la côte sud » [Traduction] du Labrador.

Air Labrador déclare qu'elle a mis en place les restrictions au prix des billets après de vastes consultations à l'échelle de la région en question; qu'elle a consulté les groupes autochtones, les chefs d'entreprises, les organisations de développement communautaire, les administrations municipales, ainsi que plusieurs autres groupes. Le transporteur aérien ajoute que la politique, instaurée pour mieux servir les utilisateurs, a été largement acceptée et fonctionne extrêmement bien pour réduire le taux élevé de défections sur les routes en question.

M. Clark met en doute qu'Air Labrador ait rencontré un grand nombre de représentants de la population de la côte sud du Labrador. Il mentionne que le changement de politique n'a pas été annoncé ou transmis au public de quelque façon que ce soit, pour obtenir sa rétroaction, avant de l'imposer.

Dans sa lettre du 21 novembre 2001, l'Office a demandé à Air Labrador de fournir des renseignements détaillés, notamment les statistiques compilées et les sondages ou consultations effectués, avant et après la mise en place de ses nouvelles restrictions au prix des billets. L'Office a aussi demandé à Air Labrador de résumer l'information recueillie afin d'expliquer pourquoi le problème de défections et de réservations en double est avant tout un problème sur la route du sud et de préciser quelles autres démarches elle a prises afin de régler le problème, et ce, avant de décider de mettre en place les restrictions au prix des billets.

Air Labrador fait savoir qu'elle a utilisé son personnel dans les communautés côtières et son gestionnaire des réservations pour surveiller les cœfficients d'occupation, les cœfficients de défections et d'autres renseignements, mais qu'aucune statistique officielle n'a été conservée. Elle a accepté des données venant des passagers qui voyagent sur les routes côtières. Le facteur déterminant avant la mise en place des restrictions était le niveau élevé de réservations fictives et l'incapacité de confirmer les réservations de vols. Air Labrador indique qu'elle s'inquiétait de ne pas pouvoir offrir un « bon service à la clientèle » [Traduction] puisque les passagers ne pouvaient pas réserver ou obtenir un vol confirmé. Air Labrador note qu'il est normal dans l'industrie aérienne de survendre des vols pour contrer les défections, mais qu'elle ne pouvait faire cela pour ses vols côtiers à cause de leur rareté et de l'incapacité de déplacer, sur un vol ultérieur, les passagers qui n'ont pu embarquer à cause d'une survente.

Air Labrador fait valoir que, lorsque les restrictions ont été mises en place, le cœfficient de défections a pratiquement disparu. À l'exception de la plainte de M. Clark, les clients d'Air Labrador et le public voyageant sur la côte sud ont bien accueilli les restrictions.

Air Labrador confirme que son gestionnaire du service à la clientèle a appelé toutes les organisations communautaires afin de communiquer son intention d'imposer les restrictions en question. Les groupes comprenaient les conseils municipaux, les groupes de développement, les agences de développement économique, les Grenfell Regional Health Services et les groupes autochtones. Air Labrador fait savoir qu'elle a inclus un encart dans la pochette des billets qui expliquait la nouvelle politique et la raison de sa mise en place.

Air Labrador prétend qu'elle a essayé de confirmer à nouveau toutes les réservations en appelant les passagers figurant sur la liste de vol, un jour avant le voyage, pour vérifier s'ils voyageraient. Ce fut long et difficile puisque le nombre de passagers qui devaient être appelés, y compris ceux sur la liste d'attente, était énorme et les numéros de téléphone fournis étaient souvent erronés.

Air Labrador croit que les réservations fictives ne sont pas aussi courantes sur les autres routes parce qu'il y a des vols plus fréquents. Le transporteur précise que, sur la côte nord, des vols spécifiques sont effectués pour déplacer les patients et ces vols sont fixés par l'établissement médical. La côte sud du Labrador est desservie par un autre établissement médical, qui déplace ses patients sur les vols réguliers. Air Labrador maintient que les patients réservent souvent leur voyage par avion en prévision d'un rendez-vous médical et, lorsque les patients n'obtiennent pas le rendez-vous, ils n'annulent pas leur réservation, ce qui donne lieu à une défection. Les routes de la côte nord ne sont reliées que par le carrefour majeur de Goose Bay, tandis que les routes de la côte sud desservent deux carrefours : Goose Bay et St. Anthony. Air Labrador soutient que, lorsque les routes sont analysées et que la fréquence est considérée, il y a plus de demandes de sièges sur la côte sud que sur la côte nord.

Air Labrador affirme que, lorsqu'elle a établi qu'il y avait un problème sur la côte sud du Labrador, elle a fait des changements qui selon elle étaient dans l'intérêt de la compagnie et de tous ses clients. Elle a travaillé avec les gens de la région au début de la mise en place de cette nouvelle politique et continue de travailler avec eux. Air Labrador croit que, en général, les gens comprennent et appuient ses restrictions au prix des billets sur les routes de la côte sud.

INTERVENTION

Dans son intervention, la SADC, qui est un conseil régional de développement économique représentant un secteur composé de 11 communautés permanentes sur la côte sud-est du Labrador, explique qu'elle était à priori préoccupée par le fait que la politique de paiement préalable pouvait causer plusieurs problèmes de comptabilité. Mais la SADC note que, au moment même où Air Labrador a mis en place la politique, elle a aussi ajouté un vol le dimanche à son horaire qui, dans le passé, n'offrait des vols que du lundi au vendredi. La SADC attribue à Air Labrador le mérite d'avoir résolu le problème des listes d'attente et félicite le transporteur aérien pour son excellent service à la clientèle des communautés côtières du sud du Labrador et pour avoir tenu compte des besoins de déplacements des consommateurs.

M. Clark est préoccupé par le fait que Judy Pardy, la directrice exécutive de la SADC et l'auteur de la lettre d'intervention, et son mari étaient des représentants d'Air Labrador.

Air Labrador précise que Mme Pardy n'est plus une employée d'Air Labrador depuis environ 1983.

ANALYSE ET CONSTATATIONS

Pour en arriver à ses constatations, l'Office a tenu compte de tous les éléments de preuve soumis par les parties au cours des plaidoiries. L'Office a aussi examiné le tarif intérieur d'Air Labrador. Ce tarif n'inclut pas les restrictions qui font l'objet de cette plainte, mais Air Labrador, dans sa lettre à l'Office reçue le 30 juin 2001, résume les règles des restrictions comme suit :

[Traduction]
Les personnes voyageant sur les vols WJ300, WJ303 et WJ301 d'Air Labrador doivent acheter leur billet dans les 24 heures suivant le moment de la réservation; avant la date du voyage. Un remboursement intégral sera accordé aux personnes qui sont incapables de voyager à la date prévue en raison de circonstances indépendantes de leur volonté, jugées comme des circonstances atténuantes. Les personnes annulant leur réservation plus de 24 heures avant la date et l'heure du voyage recevront un remboursement intégral immédiatement. Les personnes qui réservent et achètent un billet et qui n'effectuent pas la totalité ou certaines parties du voyage réservé devront payer une pénalité de 50.00 $ pour la réactivation du billet émis.

Les dispositions sur l'une de ces restrictions au prix de base, soit les réservations à l'avance, qui ont été publiées par la ATPCo au nom d'Air Labrador et sont entrées en vigueur le 25 octobre 2000, prévoient ce qui suit :

[Traduction]
SI LA COMPOSANTE DU PRIX S'APPLIQUE À

UN OU PLUSIEURS DES ÉLÉMENTS SUIVANTS

WJ VOL 0300
WJ VOL 0303

LES RÉSERVATIONS POUR TOUS LES SECTEURS ET L'ÉMISSION DE BILLETS DOIVENT ÊTRE EFFECTUÉES EN MÊME TEMPS.

Les dispositions concernant l'autre de ces restrictions au prix de base, soit les pénalités, qui ont été publiées par la ATPCo au nom d'Air Labrador et sont entrées en vigueur le 25 octobre 2000, prévoient ce qui suit :

[Traduction]
SI LA COMPOSANTE DU PRIX S'APPLIQUE À

UN OU PLUSIEURS DES ÉLÉMENTS SUIVANTS

WJ VOL 0300
WJ VOL 0303

CHANGEMENTS

IMPOSER UNE PÉNALITÉ DE 50 $ CAD
NOTE -
LA PÉNALITÉ DE 50 $ CAD S'APPLIQUE SEULEMENT SI LES CHANGEMENTS SONT FAITS DANS LES 48 HEURES AVANT LE DÉPART. LORSQU'IL Y A DES CIRCONSTANCES ATTÉNUANTES ET QUE LE VOYAGE NE PEUT ÊTRE EFFECTUÉ, ON PEUT OBTENIR L'AUTORISATION DE RENONCER À LA PÉNALITÉ EN COMMUNIQUANT AVEC LE GESTIONNAIRE DES RÉSERVATIONS, BARRIE HYNES, AU (709) 896-6772.

ANNULATIONS

IMPOSER UNE PÉNALITÉ DE 50 $ CAD AUX PASSAGERS QUI NE SE PRÉSENTENT PAS

NOTE -

LA PÉNALITÉ DE 50 $ CAD S'APPLIQUE SEULEMENT SI LES CHANGEMENTS SONT FAITS DANS LES 48 HEURES AVANT LE DÉPART. LORSQU'IL Y A DES CIRCONSTANCES ATTÉNUANTES ET QUE LE VOYAGE NE PEUT ÊTRE EFFECTUÉ, ON PEUT OBTENIR L'AUTORISATION DE RENONCER À LA PÉNALITÉ EN COMMUNIQUANT AVEC LE GESTIONNAIRE DES RÉSERVATIONS, BARRIE HYNES, AU (709) 896-6772.

La compétence de l'Office à l'égard des plaintes portant sur les conditions de transport établies et appliquées par un transporteur aérien exploitant un service intérieur est définie aux paragraphes 67(3) et 67.2(1) de la LTC.

L'article 67 de la LTC prescrit ce qui suit :

(1) Le licencié doit :

a) publier et soit afficher, soit permettre au public de consulter à ses bureaux tous les tarifs du service intérieur qu'il offre;

b) indiquer clairement dans ses tarifs le prix de base du service intérieur qu'il offre entre tous les points qu'il dessert;

c) conserver ses tarifs en archive pour une période minimale de trois ans après leur cessation d'effet.

(2) Les tarifs comportent les renseignements exigés par règlement.

(3) Le titulaire d'une licence intérieure ne peut appliquer à l'égard d'un service intérieur que le prix, le taux, les frais ou les conditions de transport applicables figurant dans le tarif en vigueur publié ou affiché conformément au paragraphe (1).

(4) Il fournit un exemplaire de tout ou partie de ses tarifs sur demande et paiement de frais non supérieurs au coût de reproduction de l'exemplaire.

Par ailleurs, le paragraphe 67.2(1) de la LTC prescrit ce qui suit :

(1) S'il conclut, sur dépôt d'une plainte, que le titulaire d'une licence intérieure a appliqué pour un de ses services intérieurs des conditions de transport déraisonnables ou injustement discriminatoires, l'Office peut suspendre ou annuler ces conditions ou leur en substituer de nouvelles.

En ce qui concerne la question de savoir si les conditions imposées par Air Labrador figurent comme il se doit dans le tarif, conformément au paragraphe 67(3) de la LTC, l'Office note qu'Air Labrador publie les conditions dans différents systèmes informatisés de réservation, mais qu'elle ne les inclut pas dans son tarif intérieur, fourni à l'Office. En conséquence, l'Office juge qu'Air Labrador applique des prix et des conditions de transport qui ne figurent pas dans son tarif intérieur.

Les restrictions au prix des billets pour les vols d'Air Labrador entre les communautés côtières du sud du Labrador sont-elles « déraisonnables » au sens du paragraphe 67.2(1) de la LTC?

Selon les principes d'interprétation législative, les mots utilisés dans le libellé d'une loi doivent être lus dans leur contexte entier et selon leur sens usuel et leur acceptation courante en tenant compte du régime législatif, de l'objet de la loi et de l'intention du Parlement. Comme l'a mentionné le juge Rouleau de la Section de première instance de la Cour fédérale du Canada dans l'affaire ECG Canada Inc. c. M.N.R., [1987] 2 F.C. 415 :

Il ne fait aucun doute que l'approche littérale constitue une méthode reconnue dans le domaine de l'interprétation des lois. Néanmoins, la Cour peut toujours examiner l'objet d'une loi non pas pour modifier ce qui a été dit par le législateur, mais afin de comprendre et de déterminer ce qu'il a dit. L'objet de la loi et les circonstances qui entourent son adoption constituent des considérations pertinentes dont il faut tenir compte non seulement lorsqu'il y a un doute, mais dans tous les cas.

Le terme « déraisonnable » n'est pas défini dans la LTC ni dans le RTA. Le Canadian Oxford Dictionary définit le terme « déraisonnable » comme suit : « going beyond the limits of what is reasonable or equitable; not guided by or listening to reason » (« au delà des limites de ce qui est raisonnable ou équitable; n'est pas guidé par la raison ou n'entend pas raison »). Le Black's Law Dictionary définit le terme « déraisonnable » comme suit : « irrational; foolish; unwise; absurd; silly; preposterous; senseless; stupid » (« irrationnel, fou, imprudent, absurde, sot, contraire au bon sens, insensé, stupide »).

Même si la portée du mot « déraisonnable », par rapport aux conditions de transport, n'a pas été considérée du point de vue juridique au Canada, les tribunaux se sont maintes fois penchés sur sa signification dans des contextes comme la révision judiciaire (C.U.P.E. v. New Brunswick Liquor Corporation, [1979] 2 R.C.S. 227) ou la révision d'une décision discrétionnaire basée sur un facteur non pertinent, un but illégitime ou la mauvaise foi(Associated Provincial Picture Houses v. Wednesbury Corporation, [1948] 1 K.B. 233; Ville de Montréal c. Beauvais, (1909) 42 S.C.R. 211; décision no 445-R-2000 de l'Office des transports du Canada en date du 30 juin 2000). Alors qu'il est difficile d'extrapoler des principes distincts sur la signification du mot « déraisonnable » à partir de ces cas, les tribunaux ont toujours maintenu ce qui suit :

  1. La signification du mot ne peut pas être déterminée à partir d'un dictionnaire;
  2. Une signification fondée sur le contexte doit être donnée au mot;
  3. En général, le mot signifie « sans fondement rationnel ».

Le paragraphe 67.2(1) de la LTC fait partie de la section intitulée « Service intérieur », de la partie II de la LTC (Transport aérien). Cette section renferme 10 dispositions législatives qui prévoient des solutions précises pour les voyageurs tout en imposant des obligations aux titulaires de licence intérieure dans le but de redresser les situations où il est allégué qu'un prix, un taux, des frais ou d'autres conditions de transport établis de façon unilatérale par un transporteur aérien sont déraisonnables, injustement discriminatoires ou non appliqués par le transporteur. De l'avis de l'Office, le libellé du paragraphe 67.2(1) de la LTC tient compte du fait que le Parlement reconnaît la nécessité d'une réglementation pour atteindre l'objectif établi par la politique nationale des transports énoncée à l'article 5 de la LTC qui prévoit en partie ce qui suit :

[...] les liaisons assurées en provenance ou à destination d'un point du Canada par chaque transporteur ou mode de transport s'effectuent, dans la mesure du possible, à des prix et selon des modalités qui ne constituent pas :

(i) un désavantage injuste pour les autres liaisons de ce genre, mis à part le désavantage inhérent aux lieux desservis, à l'importance du trafic, à l'ampleur des activités connexes ou à la nature du trafic ou du service en cause,

Cette position correspond à l'article 12 de la Loi d'interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-21, qui prévoit que :

Tout texte est censé apporter une solution de droit et s'interprète de la manière la plus équitable et la plus large qui soit compatible avec la réalisation de son objet.

Pour déterminer si une condition de transport appliquée par un transporteur est « déraisonnable » au sens du paragraphe 67.2(1) de la LTC, l'Office doit donc s'assurer de ne pas interpréter la disposition de façon à compromettre la capacité des voyageurs d'utiliser avec efficience le recours instauré par le Parlement afin de les protéger contre l'établissement unilatéral de conditions de transport par les transporteurs aériens.

Inversement, l'Office doit également tenir compte de ce qui suit :

  1. les obligations opérationnelles et commerciales du transporteur aérien visé par la plainte;
  2. les autres dispositions de la partie II de la LTC visant la protection des consommateurs, qui obligent les transporteurs aériens à publier, afficher ou rendre disponibles des tarifs qui renferment les renseignements requis par le RTA et à n'appliquer que les conditions de transport énoncées dans ces tarifs;
  3. le fait que les transporteurs aériens sont tenus d'établir et d'appliquer des conditions de transport qui s'adressent à tous les passagers et non pas à un seul en particulier.

Par conséquent, l'Office est d'avis que pour déterminer si une condition de transport appliquée par un transporteur aérien du réseau intérieur est « déraisonnable » au sens du paragraphe 67.2(1) de la LTC, un équilibre doit être établi entre, d'une part, les droits des passagers d'être assujettis à des conditions de transport qui soient raisonnables et, d'autre part, les obligations statutaires, commerciales et opérationnelles du transporteur aérien concerné.

Au sujet de la question de savoir si les restrictions au prix des billets pour les vols entre les communautés côtières du sud du Labrador sont « déraisonnables » au sens du paragraphe 67.2(1) de la LTC, l'Office croit que, selon l'information fournie, Air Labrador a effectivement consulté plusieurs groupes communautaires et d'affaires. Les conditions imposées semblent avoir résolu le problème des défections sur les routes de la côte sud et avoir obtenu l'approbation de ces groupes communautaires et d'affaires, comme l'a confirmé la SADC. Le retrait de ces restrictions recréerait, selon l'Office, le problème de défections qu'Air Labrador avait auparavant et causerait d'éventuelles difficultés aux passagers essayant d'obtenir des réservations confirmées du transporteur aérien. L'Office note aussi qu'il n'a reçu que cette seule plainte concernant cette affaire.

L'Office juge donc que l'imposition par Air Labrador de restrictions aux réservations et aux billets pour les vols entre les communautés côtières du sud du Labrador est un moyen légitime grâce auquel Air Labrador peut contrôler le nombre de défections et de sièges disponibles pour les réservations confirmées. De plus, l'Office juge que l'élimination de ces dispositions sur les réservations à l'avance et sur les pénalités poserait à nouveau, selon toute vraisemblance, des problèmes aux voyageurs essayant de confirmer leur réservation sur les vols entre les communautés côtières du sud du Labrador.

Les restrictions au prix des billets pour les vols d'Air Labrador entre les communautés côtières du sud du Labrador sont-elles « injustement discriminatoires » au sens du paragraphe 67.2(1) de la LTC?

Comme pour le mot « déraisonnable », l'expression « injustement discriminatoire » n'est pas définie dans la LTC ou dans le RTA.

En ce qui concerne la signification du mot « discriminatoire », la Cour suprême du Canada, dans l'affaire Andrews c. Law Society (British Columbia), [1989] 1 C.S.C. 143, a statué que : « (...) la discrimination peut se décrire comme une distinction, intentionnelle ou non, mais fondée sur des motifs relatifs à des caractéristiques personnelles d'un individu ou d'un groupe d'individus, qui a pour effet d'imposer à cet individu ou à ce groupe des fardeaux, des obligations ou des désavantages non imposés à d'autres ou d'empêcher ou de restreindre l'accès aux possibilités, aux bénéfices et aux avantages offerts à d'autres membres de la société. »

En outre, dans l'affaire O'Connell c. Canadian Broadcasting Corp. (1988), 88 C.L.L.C. 17, 017, le Tribunal canadien des droits de la personne a statué « qu'une ligne de conduite ou une règle peut être jugée discriminatoire, qu'elle comporte (...) une « discrimination directe » (une pratique ou une règle qui, à première vue, établit une distinction pour un motif prohibé), ou « une discrimination par suite d'un effet préjudiciable » (une règle ou une norme qui est neutre à première vue et qui s'applique également à tous les employés, mais qui a un effet discriminatoire pour un motif prohibé sur un seul employé ou un groupe d'employés). ».

Les interprétations judiciaires ci-dessus du mot « discrimination » sont bien reconnues au Canada et ont été utilisées par divers tribunaux et diverses cours (Brooks v. Canada Safeway Ltd., [1989] 4 W.W.R. 193; Canada (Solliciteur général) c. George, [1991] 1 F.C. 344; Headley c. Canada (Commission de la fonction publique), [1987] 2 C.F. 235.). Toutefois, l'Office observe que, contrairement aux contextes des droits de la personne et des relations de travail dans lesquels ces décisions ont été rendues et où le principe dominant est celui de l'intolérance à l'égard de la discrimination, la LTC prévoit que des conditions de transport « discriminatoires » peuvent être tolérées dans la mesure où elles ne sont pas « injustement discriminatoires » [soulignement ajouté à dessein].

Par conséquent, le processus utilisé pour déterminer si une condition de transport appliquée par un transporteur sur une route intérieure est « injustement discriminatoire » comprend deux étapes. En premier lieu, il incombe à l'Office de déterminer si cette condition de transport est « discriminatoire ». S'il n'y a pas discrimination, l'Office peut mettre fin à son enquête. Toutefois, si l'Office conclut que la condition appliquée par le transporteur aérien de réseau intérieur est « discriminatoire », il doit alors déterminer si elle l'est « injustement ».

La signification du mot « indu » a fait l'objet d'une analyse détaillée par la Cour fédérale d'appel dans l'affaire Via Rail Canada Inc. v. Office national des transports et Jean Lemonde, [2001] 2 F.C. 25. Ainsi, la Cour a statué comme suit :

Bien qu'« indu » soit un mot d'usage courant dénué d'un sens technique précis, la Cour suprême du Canada a défini de diverses façons ce terme comme signifiant « illégitime, immodéré, excessif ou oppressif » ou comme exprimant « la gravité ou l'importance ». À cette liste de synonymes, le Concise Oxford Dictionary of Current English ajoute « disproportionate » (disproportionné).

Ce qui ressort clairement de l'ensemble de ces termes, c'est que le caractère indu est une notion bien relative. Je souscris à l'avis exprimé par le juge Cartwright (plus tard juge en chef) dans l'extrait suivant :

[TRADUCTION] « Indu » et « indûment » ne sont pas des termes absolus dont le sens coule de source. Leur utilisation présuppose l'existence d'une règle ou norme définissant ce qui est « dû ». Il ne me semble pas que l'on facilite leur interprétation en leur substituant les adjectifs « illégitime », « immodéré », « excessif », « oppressif » ou « mauvais », ou les adverbes correspondants, en l'absence d'une détermination de ce qui, sous ce rapport est légitime, modéré, tolérable ou bon.

Ainsi donc la bonne façon d'établir si quelque chose est « indu » est d'examiner le contexte. Le caractère indu doit se définir en fonction de l'objet de la disposition législative pertinente. Il peut s'avérer utile d'évaluer les conséquences ou répercussions qu'entraîne l'omission de supprimer la chose indue.

La Cour suprême a également reconnu que ce terme implique la pondération des intérêts des diverses parties. Dans une affaire où il fallait décider si un employeur avait tenu compte du droit d'un employé de pratiquer sa religion sans qu'il en résulte de contrainte excessive, Mme le juge Wilson, se prononçant pour la majorité, a jugé utile de dresser une liste de certains facteurs applicables à une telle appréciation, puis a conclu : « Cette énumération ne se veut pas exhaustive et les résultats qu'on obtiendra en mesurant ces facteurs par rapport au droit de l'employé de ne pas faire l'objet de discrimination varieront nécessairement selon le cas ».

Par conséquent, l'Office est d'avis que, lorsqu'il s'agit de déterminer si une condition de transport appliquée par le transporteur intérieur est « injustement discriminatoire » au sens du paragraphe 67.2(1) de la LTC, il faut adopter une méthode contextuelle qui permet d'établir un équilibre entre, d'une part, le droit des voyageurs de ne pas être assujettis à des conditions de transport discriminatoires et, d'autre part, les obligations statutaires, opérationnelles et commerciales des transporteurs aériens exerçant leurs activités au Canada. Cette position est également conforme à la politique nationale des transports énoncée à l'article 5 de la LTC.

Ainsi, l'Office doit se demander en premier lieu, pour déterminer si une condition de transport appliquée par un transporteur aérien est « injustement discriminatoire » au sens du paragraphe 67.2(1) de la LTC, si la condition de transport est discriminatoire.

L'Office juge que rien au dossier ne laisse croire que l'imposition par Air Canada de restrictions au prix des billets pour ses vols entre les communautés côtières du sud du Labrador est discriminatoire, puisqu'Air Labrador n'applique pas ces mêmes restrictions aux vols desservant ses routes du nord ou n'importe quel autre de ses routes.

Étant donné que l'imposition de restrictions par Air Labrador sur ses vols entre les communautés côtières du sud du Labrador est « discriminatoire » au sens du paragraphe 67.2(1) de la LTC, l'Office doit examiner si la prohibition est « injustement » discriminatoire.

L'Office a étudié la preuve fournie par Air Labrador qui justifie pourquoi le transporteur n'avait pas les mêmes difficultés avec les défections et la quantité insuffisante de sièges pour les réservations confirmées sur ses autres routes que sur ses routes du sud. Air Labrador a confirmé que, sur ses routes du nord, il y a plus de sièges disponibles parce que d'autres transporteurs aériens desservent aussi ces routes et parce que l'établissement médical local nolise des vols supplémentaires expressément pour les patients. Air Labrador a maintenu que, lorsque les routes sont analysées et que la fréquence est considérée, la demande de sièges est plus forte sur la côte sud que sur la côte nord. L'Office croit qu'Air Labrador répond à un problème qui est propre aux vols entre les communautés côtières du sud du Labrador et, en tant que telles, les restrictions imposées ne sont pas injustement discriminatoires.

En conséquence, l'Office a déterminé que l'imposition par Air Labrador de restrictions pour ses vols entre les communautés côtières du sud du Labrador n'est ni déraisonnable ni injustement discriminatoire.

CONCLUSION

Compte tenu des constatations qui précèdent, l'Office, en vertu du paragraphe 67(3) de la LTC, demande à Air Labrador, dans les 30 jours suivant la date de cette décision, de publier un tarif intérieur qui indique toutes les règles tarifaires établies par Air Labrador et tous les niveaux de prix qu'Air Labrador a l'intention d'offrir. Aussi, l'Office, en vertu du paragraphe 67(4) de la LTC, demande à Air Labrador, dans les 30 jours suivant la date de cette décision, de fournir à l'Office une copie de ce tarif intérieur.

En ce qui concerne la question de savoir si les conditions imposées par Air Labrador sont déraisonnables ou injustement discriminatoires, selon le paragraphe 67.2(1) de la LTC, l'Office conclut que ces conditions ne sont pas déraisonnables ou injustement discriminatoires et, en conséquence, rejette la plainte.

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