Décision n° 57-R-1995
le 31 janvier 1995
DEMANDE présentée par la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, conformément à l'article 160 de la Loi de 1987 sur les transports nationaux, L.R.C. (1985), ch. 28 (3e suppl.), en vue d'obtenir l'autorisation d'abandonner l'exploitation de l'antenne ferroviaire Canal Bank ouest, à partir du point milliaire 0,0 jusqu'au point milliaire 4,4, laquelle prend naissance au point milliaire 3,0 de la subdivision Montréal, soit une distance de 4,4 milles, dans la province de Québec.
Référence no T 6115/552-3
CONTEXTE
Le 1er août 1994, l'Office national des transports (ci-après l'Office) a reçu une demande de la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (ci-après le CN) en vue d'obtenir l'autorisation d'abandonner l'exploitation de l'antenne ferroviaire Canal Bank ouest, à partir du point milliaire 0,0 jusqu'au point milliaire 4,4 (ci-après l'embranchement), prenant naissance au point milliaire 3,0 de la subdivision Montréal, soit une distance de 4,4 milles, dans la province de Québec.
DISPOSITIONS LÉGISLATIVES
Conformément à l'article 161 de la Loi de 1987 sur les transports nationaux (ci-après la LTN 1987), quiconque désire s'opposer à une demande d'abandon de l'exploitation d'un embranchement dépose auprès de l'Office, dans les 60 jours suivant la date de l'avis de la demande, une déclaration écrite énon çant les motifs sur lesquels est fondée son opposition. Si aucune opposition n'est présentée, l'Office doit ordonner l'abandon de l'exploitation de l'embranchement.
En ce qui concerne la présente demande, cinq interventions d'opposition ont été déposées auprès de l'Office.
En cas d'opposition à la demande, l'Office est tenue de déterminer si l'embranchement est rentable ou non, et, s'il ne l'est pas, s'il y a des motifs de croire qu'il puisse le devenir dans un avenir prévisible. Si l'Office conclut que l'embranchement n'est pas rentable et qu'il n'y a aucun motif de croire qu'il puisse le devenir dans un avenir prévisible, l'Office est tenu, en vertu du paragraphe 165(1) de la LTN 1987, d'ordonner l'abandon de son exploitation.
Si l'Office détermine que l'embranchement est rentable ou que, même s'il ne l'est pas, il y a des motifs de croire qu'il puisse le devenir dans un avenir prévisible, il doit quand même ordonner l'abandon de son exploitation, sauf s'il détermine qu'il est dans l'intérêt public que l'exploitation de l'embranchement se poursuive, tel qu'énoncé à l'article 166 de la LTN 1987 et tel qu'expliqué plus en détail à l'article 167 de la LTN 1987.
Après examen des mémoires déposés, l'Office a déterminé qu'il n'est pas nécessaire de tenir une audience publique et qu'il est possible de rendre une décision à la lumière des renseignements se trouvant au dossier.
EMPLACEMENT DE L'EMBRANCHEMENT
L'embranchement, situé à Montréal, prend naissance au point milliaire 3,0 de la subdivision Montréal et longe, d'est en ouest, la rive nord du Canal Lachine sur une distance de 4,4 milles pour se raccorder, près de l'autoroute 138, à la voie Highland de Canadien Pacifique Limitée.
Aucune gare n'est située en bordure de cet embranchement.
Une carte de la région est jointe en annexe A.
TRAFIC DE WAGONS COMPLETS
En 1991, 1992 et 1993, le trafic acheminé sur l'embranchement s'est élevé respectivement à 44, 27 et 37 wagons complets. Le service est offert au besoin par un train de manoeuvre.
PREUVE
Atwater Warehouse
Atwater Warehouse a déposé plusieurs mémoires dont l'un renfermait les affidavits de M. Robert Naggiar, Président de Atwater Warehouse, et M. Fernando Ferreira, Directeur des ventes - Produits tubulaires, de Wirth Limited.
Atwater Warehouse s'oppose à l'abandon de l'exploitation d'une partie seulement de l'embranchement, à savoir le tronçon le plus à l'est compris entre les points milliaires 0,0 et 0,2.
La compagnie possède une installation destinée à l'entreposage de produits d'acier principalement pour le compte de la compagnie Wirth Limited. Cet entrepôt est situé à environ 1 040 pieds à l'ouest de la subdivision Montréal du CN.
Atwater Warehouse estime que les recettes du CN seraient probablement supérieures à ses frais pour l'exploitation du tronçon en question. Bien que le volume de wagons complets pour les années 1991, 1992 et 1993 ait été modeste, Atwater Warehouse croit que l'avènement de l'Accord de libre-échange nord américain et la reprise économique entraîneront une hausse de trafic qui permettra de rentabiliser le tronçon.
Atwater Warehouse estime le nombre de wagons complets pour 1994 à environ 50 et s'attend à un trafic semblable dans un avenir prévisible. Son entrepôt situé à Montréal est celui que préfère son client, Wirth Limited, une compagnie en affaires depuis trente et un ans; son chiffre d'affaires s'élève à plus de 100 millions de dollars par année et elle a des bureaux à Montréal, Toronto, Vancouver, Houston et Los Angeles.
Atwater Warehouse a aussi traité de la possibilité que ce tronçon soit rentable ou puisse le devenir dans un avenir prévisible. Elle a présenté sa propre analyse du seuil de rentabilité de l'exploitation du tronçon qu'elle veut que le CN conserve en se servant des chiffres disponibles pour l'année 1992. Se fondant sur diverses hypothèses, Atwater Warehouse a conclu que pour le tronçon en question, le nombre de wagons complets requis pour atteindre le seuil de rentabilité serait d'environ 42 par année.
Puisqu'Atwater Warehouse estime que son trafic se chiffre à plus de 50 wagons complets par année, la compagnie est d'avis qu'il existe une forte possibilité que le tronçon devienne rentable dans un avenir prévisible.
Atwater Warehouse conteste l'affirmation du CN qui estime que pour des raisons d'exploitation, une distance de 0,4 mille serait requise. Selon Atwater Warehouse, ses installations comportent suffisamment d'espace sur ses voies pour entreposer les wagons du CN.
Pour ce qui est de la proposition du CN qu'Atwater Warehouse achète ou loue le tronçon en question, cette dernière a affirmé que cette offre n'était manifestement pas pertinente dans le contexte d'une demande d'abandon et ne devait donc pas être étudiée dans le cadre de la présente demande. De la même façon, Atwater Warehouse rejetait l'affirmation du CN à savoir que si les installations ferroviaires visées étaient à ce point essentielles aux opérations d'Atwater Warehouse, cette dernière devrait assumer les risques financiers y afférents et non le transporteur ferroviaire.
Ministère des Transports du Québec
Le ministère des Transports du Québec s'oppose au projet d'abandon par le CN du tronçon compris entre les points milliaires 0,0 et 0,2, parce que le maintien de ce tronçon permettrait à Atwater Warehouse de continuer à bénéficier du service ferroviaire.
CN
Dans sa réplique, le CN a abordé la question du maintien du tronçon du point milliaire 0,0 au point milliaire 0,2. Il fait observer toutefois que pour des raisons opérationnelles, un tronçon d'au moins 0,4 mille serait requis.
Étant donné la proposition qu'on segmente l'embranchement afin qu'il y ait suffisamment de voie pour desservir Atwater Warehouse, le CN a procédé à une analyse du seuil de rentabilité pour un tronçon de 0,4 mille. Pour cette analyse, le CN s'est servi des chiffres réels de 1993, contrairement à Atwater Warehouse qui a utilisé ceux de 1992, puis a ensuite ventilé les frais sur une base de millage. De plus, le CN a fondé son analyse sur un ensemble de trafic semblable à celui de 1993 et aux taux équivalents. Le CN a conclu qu'un volume de l'ordre de 242 wagons complets serait requis pour que le tronçon devienne rentable. Cela représente une augmentation de 205 wagons complets par rapport au trafic de 37 wagons complets en 1993.
En ce qui a trait au contrat entre le CN et la compagnie Wirth Limited, le CN a fait observer que le contrat vise deux destinations, soit Toronto et Montréal. Pour ce qui est de Montréal, la destination finale dépendrait des instructions du client. Selon le CN, cela explique pourquoi Atwater Warehouse ne peut pas conclure d'engagement quant au trafic. Le CN a ajouté que tout trafic éventuel pourrait être acheminé vers une autre destination tout aussi pratique.
Enfin, le CN a affirmé qu'il avait offert à Atwater Warehouse la possibilité d'acheter ou de louer le tronçon dont elle a besoin, mais que cette dernière n'avait pas répondu à cette offre.
Autres interventions
L'Office a aussi reçu des oppositions au projet d'abandon, fondées sur des motifs d'intérêt public, de la part du Regroupement pour la relance économique et sociale du Sud-Ouest, de la Ville de Montréal et de M. David Berger, député de St-Henri-Westmount.
CONSTATATIONS DE L'OFFICE
Pertes réelles
En vertu de la LTN 1987, en cas d'opposition à une demande, l'Office est tenu, aux termes de l'article 163, de déterminer, le cas échéant, le montant des pertes réelles de la compagnie de chemin de fer attribuables à l'exploitation de l'embranchement pour chaque exercice réglementaire. L'Office doit aussi donner avis de la détermination effectuée ainsi que des principaux critères utilisés pour y arriver. En conséquence, le 24 novembre 1994, l'Office a publié une détermination provisoire des pertes réelles découlant de l'exploitation de l'embranchement au cours des exercices 1991, 1992 et 1993, selon les informations présentées par le CN. L'Office s'est réservé le droit de procéder à une nouvelle détermination des pertes réelles après l'examen des preuves présentées par les parties intéressées.
Après avoir examiné tous les mémoires présentés par les parties, conformément aux dispositions du Règlement sur le calcul des frais ferroviaires, DORS/80-310, et de l'article 157 de la LTN 1987, la détermination finale des pertes réelles effectuée par l'Office s'établit comme suit :
Année | Total des frais | Recettes $ | Pertes réelles $ |
---|---|---|---|
1991 | 184 594 | 70 220 | 114 374 |
1992 | 156 251 | 39 061 | 117 190 |
1993 | 151 230 | 37 951 | 113 279 |
L'annexe B répartit, par grandes catégories de frais, les principaux facteurs pris en compte dans le calcul des pertes réelles.
Détermination de la rentabilité
L'Office a déterminé que le CN a subi des pertes de 114 374$, 117 190$ et 113 279$ pour les années 1991, 1992 et 1993 respectivement.
Le trafic de wagons complets sur l'embranchement est passé de 44 wagons complets en 1991 à 27 wagons complets en 1992, puis a augmenté à 37 wagons complets en 1993. Malgré la hausse du trafic des wagons complets en 1993, les recettes générées par ce trafic n'ont pas été suffisantes pour couvrir les frais d'exploitation de l'embranchement. Le service ferroviaire sur l'embranchement est déjà à son niveau minimal. L'Office conclut qu'aucune autre réduction des niveaux d'exploitation n'est possible pour aider à diminuer les pertes.
Par conséquent, étant donné les circonstances, l'Office conclut que l'embranchement est non rentable. Puisque l'Office a déterminé que l'embranchement est non rentable, il est tenu de déterminer s'il existe des motifs de croire que l'embranchement puisse devenir rentable dans un avenir prévisible. S'il n'y a aucun motif de croire que l'embranchement puisse devenir rentable dans un avenir prévisible, l'Office doit ordonner l'abandon de son exploitation.
Possibilité de rentabilité de l'embranchement
L'Office a étudié les preuves présentées à la suite de l'avis de demande d'abandon du CN, de même que l'avis des pertes réelles provisoires attribuables à l'embranchement émis par l'Office en date du 24 novembre 1994.
Après avoir étudié la preuve présentée, y compris les prévisions de trafic et les analyses du seuil de rentabilité, l'Office n'est pas convaincu que le trafic, compte tenu du niveau actuel des taux et des frais, est suffisant pour couvrir les frais d'exploitation de l'embranchement. Par conséquent, l'Office détermine qu'il n'y a aucun motif de croire que l'embranchement puisse devenir rentable dans un avenir prévisible.
AUTRES QUESTIONS
Segmentation
Atwater Warehouse et le ministère des Transports du Québec ont demandé à l'Office de faire une détermination à part, comme il est prévu à l'article 164 de la LTN 1987, du tronçon de l'embranchement compris entre les points milliaires 0,0 et 0.2.
L'Office a étudié ces requêtes et n'est pas convaincu par la preuve qu'une segmentation de l'embranchement au point milliaire 0,2 ou au point milliaire 0,4 rendrait l'embranchement rentable dans un avenir prévisible.
Au sujet des commentaires du CN relativement à l'importance des installations ferroviaires et des risques financiers y afférents, l'Office note que l'article 172 de la LTN 1987 renferme des dispositions concernant la poursuite de l'exploitation d'un embranchement. Aussi, l'Office peut reporter l'abandon d'un embranchement s'il est convaincu qu'un gouvernement ou un expéditeur s'est engagé à payer les pertes réelles attribuables à l'embranchement.
Évaluation environnementale
En ce qui a trait aux questions environnementales, l'Office est assujetti à la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale, 1992, ch. 37 (ci-après la LCEE).
En vertu du paragraphe 74(2) de la LCEE, le Décret sur les lignes directrices visant le processus d'évaluation et d'examen en matière d'environnement, DORS/84-467 (ci-après le Décret) continue de s'appliquer à toute proposition pour laquelle une évaluation environnementale avait été entamée avant la proclamation de la LCEE. En conséquence, puisque la demande d'abandon de l'embranchement a été reçue le 1er août 1994, les dispositions du Décret continueront de s'y appliquer.
En collaboration avec le Bureau fédéral d'examen des évaluations environnementales, l'Office a dressé, conformément à l'alinéa 11a) du Décret, une liste des divers types de propositions qui n'auraient aucun effet néfaste sur l'environnement et qui, par conséquent, seraient automatiquement exclus du processus d'évaluation et d'examen en matière d'environnement. En ce qui concerne la proposition à l'étude, c'est-à-dire l'abandon de l'exploitation d'un embranchement aux termes des articles 162 et 166 et du paragraphe 165(1)de la LTN 1987, l'Office l'a soumise à l'examen préalable conformément au paragraphe 10(1) du Décret. Il a déterminé que cette proposition entre dans la catégorie des types de propositions figurant sur la liste susmentionnée et, par conséquent, qu'elle serait automatiquement exclue du processus d'évaluation environnementale.
CONCLUSION
Après avoir étudié la preuve présentée, l'Office détermine que l'embranchement n'est pas rentable et qu'il n'y a aucun motif de croire qu'il puisse le devenir dans un avenir prévisible. Par conséquent, l'Office doit ordonner l'abandon de son exploitation.
Aux termes de l'article 168 de la LTN 1987, la date d'abandon de l'exploitation de l'embranchement fixée par l'Office doit être postérieure d'au moins trente (30) jours et d'au plus un (1) an à celle de l'arrêté d'abandon. L'abandon de l'exploitation de l'embranchement aura probablement une incidence auprès d'un expéditeur. Par conséquent, afin de lui donner suffisamment de temps pour trouver un autre mode de transport, l'Office fixe la date d'abandon à quatre-vingt-dix (90) jours suivant la date de l'arrêté en vertu duquel cette décision entrera en vigueur.
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