Décision n° 59-C-A-2020

le 13 juillet 2020

DEMANDE présentée par Prakash Singh Mony et Neha Shanbhag (demandeurs) contre Porter Airlines Inc. (défenderesse) au titre du paragraphe 110(4) du Règlement sur les transports aériens, DORS/88-58 (RTA), concernant les limites de responsabilité et les retards en matière de bagages.

Numéro de cas : 
19-02482

RÉSUMÉ

[1] Les demandeurs ont déposé une demande auprès de l’Office des transports du Canada (Office) contre la défenderesse concernant une pièce de bagage perdue et des retards encourus sur le vol de retour de Newark, États-Unis, à Montréal (Québec) via Toronto (Ontario), le 28 décembre 2018.

[2] Les demandeurs réclament une indemnité de 1 926 CAD ventilée comme suit : 1 871 CAD pour le montant résiduel pour la perte de la pièce de bagage en plus de ce qui a déjà été remboursé par la défenderesse, et 55 CAD pour les déplacements en taxi découlant du retard du vol.

[3] L’Office se penchera sur les questions suivantes :

  1. La défenderesse a-t-il appliqué correctement les conditions de son tarif intitulé Tariff No. CGR1 Containing Local Rules, Fares & Charges on Behalf of Porter Airlines Inc. Applicable to the Transportation of Passengers and Baggage Between Points in Canada/USA and Points in Area 1/2/3 NTA(A) No. 241 (tarif) qui incorpore par renvoi la Convention pour l’unification de certaines règles relatives au transport aérien international – Convention de Montréal (Convention de Montréal) relativement aux bagages perdus, comme l’exige le paragraphe 110(4) du Règlement sur les transports aériens, DORS/88-58 (RTA)? Si la défenderesse n’a pas correctement appliqué son tarif, quelles mesures correctives, le cas échéant, l’Office devrait-il ordonner?
  2. La défenderesse a-t-elle correctement appliqué les conditions énoncées dans son tarif relativement aux retards? Si la défenderesse n’a pas correctement appliqué les conditions énoncées dans son tarif, quelles mesures correctives, le cas échéant, l’Office devrait-il ordonner?

[4] Pour les motifs énoncés ci-après, l’Office conclut que la défenderesse a correctement appliqué les conditions énoncées dans la règle 35(A) de son tarif portant sur les limites de responsabilité en ce qui a trait aux bagages, aux termes de l’article 22, paragraphe 2, de la Convention de Montréal. Toutefois, l’Office conclut que la défenderesse n’a pas correctement appliqué la règle 35(A) de son tarif en ce qui a trait aux retards, aux termes de l’article 19 de la Convention de Montréal. Par conséquent, en vertu de l’article 113.1 du RTA, l’Office ordonne à la défenderesse de verser aux demandeurs une indemnité de 55 CAD. La défenderesse doit verser ce montant aux demandeurs le plus tôt possible, mais au plus tard le 24 août 2020.

CONTEXTE

[5] Les demandeurs se sont déplacés par transport aérien de Newark à Montréal, via Toronto, le 28 décembre 2018. Leur premier vol de Newark à Toronto a subi un retard de deux heures.

[6] Les demandeurs ont enregistré une pièce de bagage qui contenait des articles à tous les deux.

[7] Les demandeurs affirment qu’à l’arrivée à Toronto, lorsqu’ils sont allés prendre leur bagage pour passer la douane, ils n’ont pas été en mesure de le trouver. Ils soutiennent qu’ils ont informé un représentant de la défenderesse qui leur a demandé de remplir un formulaire et de le remettre à un représentant à leur arrivée à Montréal. Quand les demandeurs sont arrivés à Montréal, ils ont remis le formulaire à un représentant; on leur a ensuite demandé de remplir un formulaire d’irrégularité de bagages, ce qu’ils ont fait.

[8] Les demandeurs affirment qu’après vingt et un jours, la défenderesse a déclaré que le bagage était perdu et leur a demandé de fournir une liste des articles qui s’y trouvaient. Les demandeurs ont estimé la valeur des articles perdus à environ 4 760 CAD. Les demandeurs affirment que la défenderesse leur a remis un chèque de 2 097 CAD qui équivaut à leur responsabilité maximale au titre de la Convention de Montréal pour un passager, en plus des frais de bagage de 32,50 CAD. La société émettrice de leur carte de crédit leur a remboursé 992 CAD, mais les demandeurs affirment qu’ils ont dû payer pour renouveler la carte de crédit alors qu’ils avaient déjà prévu de l’annuler ainsi que les frais de notaire pour obtenir une déclaration notariée demandée par la société émettrice de la carte de crédit. Par conséquent, ils affirment que la somme totale remboursée par la société émettrice de leur carte de crédit s’élève seulement à 792 CAD.

OBSERVATIONS PRÉLIMINAIRES

[9] En plus des dépenses susmentionnées, les demandeurs affirment qu’ils ont été confrontés à des difficultés mentales et qu’ils n’ont pas été en mesure de profiter pleinement de leurs plans du Nouvel An puisqu’ils devaient assurer un suivi avec le représentant du service à la clientèle. Cependant, aux termes de la Loi sur les transports au Canada, LC 1996, c 10, l’Office n’a pas la compétence d’ordonner le versement d’une indemnité pour douleurs et souffrances dans les cas d’une contravention alléguée aux obligations du transporteur relatives au tarif.

LA LOI ET LES DISPOSITIONS TARIFAIRES PERTINENTES

[10] Le paragraphe 110(4) du RTA exige que, lors de l’exploitation d’un service international, le transporteur aérien applique correctement les conditions de transport énoncées dans son tarif.

[11] Si l’Office conclut qu’un transporteur aérien n’a pas correctement appliqué son tarif, l’article 113.1 du RTA confère à l’Office le pouvoir d’ordonner au transporteur :

a) de prendre les mesures correctives qu’il estime indiquées;

b) de verser des indemnités à quiconque pour toutes dépenses qu’il a supportées en raison de la non-application de ces prix, taux, frais ou
    conditions de transport.

[12] L’article 3(3) de la Convention de Montréal fournit davantage de contexte concernant les passagers et les bagages :

Le transporteur délivrera au passager une fiche d’identification pour chaque article de bagage enregistré.

[13] Les articles 17(2) et 17(3) de la Convention de Montréal énoncent la responsabilité du transporteur en cas de destruction, de perte ou de dommages causés à des bagages enregistrés :

(2) Le transporteur est responsable du dommage survenu en cas de destruction, perte ou avarie de bagages enregistrés, par cela seul que
      le fait qui a causé la destruction, la perte ou l’avarie s’est produit à bord de l’aéronef ou au cours de toute période durant laquelle le
      transporteur avait la garde des bagages enregistrés. Toutefois, le transporteur n’est pas responsable si et dans la mesure où le
      dommage résulte de la nature ou du vice propre des bagages. […]

(3) Si le transporteur admet la perte des bagages enregistrés ou si les bagages enregistrés ne sont pas arrivés à destination dans les vingt
     et un jours qui suivent la date à laquelle ils auraient dû arriver, le passager est autorisé à faire valoir contre le transporteur les droits qui
     découlent du contrat de transport.

[14] L’article 19 de la Convention de Montréal aborde les retards de passagers :

Le transporteur est responsable du dommage résultant d’un retard dans le transport aérien de passagers, de bagages ou de marchandises. Cependant, le transporteur n’est pas responsable du dommage causé par un retard s’il prouve que lui, ses préposés et mandataires ont pris toutes les mesures qui pouvaient raisonnablement s’imposer pour éviter le dommage, ou qu’il leur était impossible de les prendre.

[15] L’article 22(2) de la Convention de Montréal porte sur les limites de responsabilité relatives aux retards, aux bagages et aux marchandises :

(2) Dans le transport de bagages, la responsabilité du transporteur en cas de destruction, perte, avarie ou retard est limitée à la somme de
     1 000 droits de tirage spéciaux par passager, sauf déclaration spéciale d’intérêt à la livraison faite par le passager au moment de la
     remise des bagages enregistrés au transporteur et moyennant le paiement éventuel d’une somme supplémentaire. Dans ce cas, le
     transporteur sera tenu de payer jusqu’à concurrence de la somme déclarée, à moins qu’il prouve qu’elle est supérieure à l’intérêt réel du
     passager à la livraison.

[16] Les dispositions pertinentes du tarif sont énoncées à l’annexe.

LA DÉFENDERESSE A-T-ELLE CORRECTEMENT APPLIQUÉ LES CONDITIONS ÉNONCÉES DANS SON TARIF QUI INCORPORE PAR RENVOI LA CONVENTION DE MONTRÉAL RELATIVEMENT AUX BAGAGES PERDUS, COMME L’EXIGE LE PARAGRAPHE 110(4) DU RTA?

Positions des parties

LES DEMANDEURS

[17] Les demandeurs ont estimé que la valeur de leurs articles perdus s’élève à 4 760 CAD. Ils affirment que la défenderesse leur a remis un chèque de 2 097 CAD et que la société émettrice de leur carte de crédit leur a remboursé 992 CAD, mais qu’ils ont dû payer des frais d’environ 200 CAD pour recevoir ce remboursement. Les demandeurs réclament une indemnité pour le montant restant de 1 871 CAD parce que la somme remboursée ne couvre pas la perte des articles pour les deux passagers.

[18] Les demandeurs font valoir que chaque passager a droit à une indemnité pour bagage perdu, aux termes de la Convention de Montréal, et ils se basent sur deux instances et affirment que les faits sont identiques à la présente affaire : Naeini c Air Canada, 2019 ONSC 1213 [Naeini] et Sanchez c Iberia Lineas Aéreas de Espana SA, C-410/11, [2012] ECJ:EU:C2012:747 [Sanchez].

LA DÉFENDERESSE

[19] La défenderesse fait valoir que sa responsabilité en matière de bagages perdus s’étend seulement au passager qui a enregistré la pièce de bagage. Elle affirme que, selon les pratiques de l’industrie, le bagage est enregistré par un seul passager et c’est ce passager uniquement qui a les droits et les recours si quelque chose arrive à sa pièce de bagage pendant le transport.

[20] La défenderesse affirme qu’un seul des deux demandeurs a enregistré la pièce de bagage et qu’une seule étiquette de bagage a été émise à son nom. De plus, la demanderesse qui a enregistré le bagage n’a pas déclaré une valeur plus élevée au moment de l’enregistrement. La défenderesse fait valoir qu’il est uniquement responsable de chaque passager ayant perdu un bagage s’il a enregistré le bagage à son nom. Elle se fonde sur un cas de la Cour supérieure de justice de l’Ontario : Ace Aviation Holdings Inc. c Holden, 2008 CanLII 40223 [Holden], où les faits sont identiques à la présente affaire.

Analyse et déterminations

[21] Le fardeau de la preuve repose sur la partie demanderesse, qui doit établir, selon la prépondérance des probabilités, que le transporteur n’a pas correctement appliqué les conditions de transport énoncées énoncées dans son tarif.

[22] L’Office mentionne qu’avec l’introduction de frais d’enregistrement de bagage dans l’ensemble des lignes aériennes au cours des dernières années, les cas comme celui présenté dans la présente demande sont plus susceptibles de paraître devant l’Office.

[23] La demande d’indemnisation des demandeurs représente un nouvel enjeu pour l’Office, soit un enjeu fondé purement sur l’interprétation légale en lien avec la limite de responsabilité relative aux bagages énoncée à l’article 22(2) de la Convention de Montréal :

Si deux passagers ou plus partagent une seule pièce de bagage ayant été enregistrée au nom d’un des passagers, chacun de ces passagers est-il admissible à une indemnisation aux termes de la limite de responsabilité en vertu de la Convention de Montréal pour la perte du contenu de cette pièce de bagage ou pour des dommages encourus, ou est-ce seulement le passager ayant enregistré la pièce de bagage qui a droit à l’indemnisation jusqu’à la limite énoncée au paragraphe 22(2) de la Convention de Montréal?

[24] La question s’articule autour de la définition du terme « passager » utilisé dans le libellé de l’article 22(2) de la Convention de Montréal sur la limite de responsabilité et ailleurs dans la Convention de Montréal.

[25] L’article 22(2) de la Convention de Montréal énonce ce qui suit :

Dans le transport de bagages, la responsabilité du transporteur en cas de destruction, perte, avarie ou retard est limitée à la somme de 1 000 droits de tirage spéciaux par passager, sauf déclaration spéciale d’intérêt à la livraison faite par le passager au moment de la remise des bagages enregistrés au transporteur et moyennant le paiement éventuel d’une somme supplémentaire. Dans ce cas, le transporteur sera tenu de payer jusqu’à concurrence de la somme déclarée, à moins qu’il prouve qu’elle est supérieure à l’intérêt réel du passager à la livraison.

[26] L’article 3(3) de la Convention de Montréal aide également à mener l’analyse qui s’impose :

Le transporteur délivrera au passager une fiche d’identification pour chaque article de bagage enregistré.

[27] Il existe peu de décisions de tribunaux découlant de circonstances similaires à celles-ci. De fait, les parties ne citent que trois décisions au total : deux de la Cour supérieure de justice de l’Ontario et l’autre de la Cour européenne de justice (CEJ).

[28] Les demandeurs se fondent sur les constatations de Naeini et de Sanchez pour appuyer leur assertion que plusieurs passagers peuvent faire une demande d’indemnisation visant une seule pièce de bagage perdue sans se limiter au passager au nom de qui ce bagage a été enregistré.

[29] La défenderesse s’appuie sur une décision précédente de la Cour de l’Ontario, l’affaire Holden, pour appuyer son assertion que la limite de responsabilité énoncée à l’article 22(2) de la Convention de Montréal s’applique uniquement au passager ayant enregistré la pièce de bagage (donc un passager par pièce de bagage pour les demandes d’indemnisation aux termes de l’article 22(2)).

[30] Dans son analyse, l’Office examinera les décisions de la Cour de l’Ontario (Holden et Naeini) en premier lieu.

[31] Les faits dans l’affaire Holden sur lesquels la Cour s’est appuyée pour rendre une décision en faveur du transporteur aérien découlent de la perte d’un bagage utilisé par un couple marié pour transporter leurs articles, mais enregistré au nom de l’épouse. L’homme et la femme avaient tous deux fait une demande d’indemnisation pour les articles perdus. L’analyse de la Cour s’articule autour de l’interprétation adéquate du terme « passager » à l’article 22(2) de la Convention de Montréal. Le transporteur avait affirmé que « passager » signifiait une personne à bord d’un vol qui a enregistré la ou les pièces de bagage perdues.

[32] La Cour était d’accord, en particulier, avec la caractérisation du transporteur et a mentionné que le libellé du reste de l’article 22(2) de la Convention de Montréal éliminait la limite de responsabilité : « sauf déclaration spéciale d’intérêt à la livraison faite par le passager au moment de la remise des bagages enregistrés au transporteur et moyennant le paiement éventuel d’une somme supplémentaire.» La Cour était d’avis que ce libellé n’était logique que si le terme « passager » s’entendait du passager qui enregistre lui‑même la pièce de bagage.

[33] La Cour avait mentionné que cette interprétation (où seulement un passager peut faire une demande d’indemnisation pour une pièce de bagage perdue) assure une certitude et une prévisibilité tant au transporteur qu’au passager; l’alternative, soit que plusieurs passagers puissent détenir un droit sur la même pièce de bagage, viendrait à amenuiser la certitude. Pour appuyer ce point de vue, la Cour se fonde sur un compte rendu de la conférence diplomatique où la Convention de Montréal a été adoptée. Elle mentionne de plus que l’approche s’articulant autour de « plusieurs passagers par bagage » crée une responsabilité potentiellement illimitée pour le transporteur, soit le contraire de ce que visait la Convention de Montréal.

[34] L’affaire Naeini (février 2019) est un appel à une décision rendue par une cour des petites créances. Contrairement à l’affaire Holden, elle a conclu que si un passager enregistre les bagages appartenant à une famille composée de plusieurs membres, chaque membre de la famille peut faire une demande d’indemnisation visant sa pièce de bagage respective, en cas de perte. Selon la Cour, le passager n’avait qu’à prouver que son bagage était à bord du vol, et non qu’il l’avait lui-même enregistré. Comme il est dit au paragraphe 20 de la décision Naeini :

[traduction] Toutefois, aucun des paragraphes 17(2) et 22(2) ne définit un passager ayant enregistré un bagage aux fins de ces dispositions. Tout particulièrement, la Convention ne précise pas qu’un passager doit physiquement remettre son bagage, soit le bagage contenant ses effets personnels, afin de pouvoir faire une demande. La Convention ne précise pas non plus qu’un passager doit avoir obtenu une étiquette à son nom afin d’être admissible en tant que passager ayant enregistré un bagage. En bref, un passager ayant fait une demande d’indemnisation pour un bagage perdu aux fins de ces dispositions est tout simplement un passager qui peut prouver qu’il a enregistré un bagage contenant ses effets personnels et que ce bagage a été perdu pendant qu’il était sous la responsabilité du transporteur.

[35] Au paragraphe 22, la Cour s’en prend à la notion de responsabilité illimitée ou indéterminée qui avait été soulevée aussi dans l’affaire Holden et déclare que [traduction] « loin d’ouvrir la porte à une responsabilité illimitée ou indéterminée comme le suggère l’appelant, une telle interprétation établit pour le transporteur un maximum de responsabilité fixe fondé sur le nombre de passagers du vol. »

[36] Toutefois, c’est au paragraphe 25 que les conclusions de la Cour s’écartent de celles de la décision Holden :

[traduction] Les circonstances entourant l’affaire Holden incluent une demande d’indemnisation pour la perte des biens d’un passager qui n’avait pas enregistré un bagage. Ses biens perdus se trouvaient dans le bagage de son épouse. Il a été reconnu que l’épouse était une passagère qui avait enregistré son bagage et qu’elle était admissible à une indemnisation. En bref, l’essentiel dans l’affaire Holden est tout simplement que deux passagers ne peuvent pas enregistrer le même bagage. Ce sont des circonstances bien différentes du cas présent où les défenderesses affirment que chaque passager avait son propre bagage enregistré séparément. De plus, la conclusion de l’affaire Holden et le principe sur laquelle elle repose s’articulent autour du terme « passager » à l’article 22(2) défini comme une « personne qui est un passager et qui a enregistré une pièce de bagage qui a été perdue » plutôt qu’une « personne qui est à bord d’un vol peu importe si elle a enregistré une pièce de bagage ». Ce n’est pas la question dans le cas présent. En dernier lieu, l’affaire Holden ne précise rien sur l’importance des étiquettes de bagage et n’aborde pas l’idée de « l’enregistrement » des bagages [soulignement ajouté].

[37] La conclusion à tirer est donc que dans l’affaire Naeini, la Cour ne s’oppose pas à la décision dans l’affaire Holden puisqu’elle repose sur les circonstances propres à ce cas, qui sont essentiellement les mêmes que celles des demandeurs – une pièce de bagage unique contenant les effets de deux passagers.

[38] Dans l’affaire Naeini, on a tenté d’aligner les faits qui lui sont propres sur les circonstances entourant la demande présentée à l’Office mentionnée dans la décision no 27-C-A-2019 (Alcheikh c Turkish Airlines) où un membre de la famille enregistre des pièces de bagage appartenant à différents membres de la famille, mais cette situation ne correspond pas aux faits dans la présente demande.

[39] Par conséquent, l’Office conclut que les décisions Holden et Naeini appuient la conclusion de la défenderesse en ce qui a trait aux demandes d’indemnité des demandeurs.

[40] Les demandeurs citent également la décision de 2011 rendus par la CEJ dans l’affaire Sanchez en appui de leur demande.

[41] Dans l’affaire Sanchez, la CEJ rend une décision préliminaire à la demande d’une cour d’appel espagnole en ce qui concerne une décision rendue par un tribunal inférieur espagnol dans laquelle il a été conclu que quatre membres d’une famille peuvent faire une demande visant le contenu de deux valises partagées ayant été perdues par Iberia Líneas Aéreas de España (Iberia).

[42] Dans sa décision, la CEJ se fonde sur le principe que la Convention de Montréal est un régime davantage axé sur les passagers comparativement à l’ancienne Convention pour l’unification de certaines règles relatives au transport aérien international signé à Varsovie le 12 octobre 1929 (Convention de Varsovie). Elle est d’avis qu’il s’agit d’une tentative de rééquilibrer la relation entre le passager et le transporteur. L’Office est d’accord qu’à plusieurs égards, et surtout en ce qui a trait à l’élimination des limites de responsabilité pour blessure corporelle, la Convention de Montréal accorde une plus grande importance à l’indemnisation des passagers que la Convention de Varsovie.

[43] Pour ce qui est des limites de responsabilité à l’égard des bagages, en vertu de la Convention de Montréal, les passagers bénéficient d’un régime supérieur à celui de la Convention de Varsovie, laquelle était axée sur le poids des bagages. La CEJ met l’accent sur ces préambules de la Convention de Montréal qui mettent l’accent sur l’objectif d’assurer une indemnisation aux passagers et à l’améliorer. Ils mentionnent également, avec moins d’emphase, le caractère équitable des intérêts des transporteurs et des passagers.

[44] L’Office se fonde sur le principe selon lequel les traités doivent être interprétés de bonne foi et conformément aux définitions ordinaires données aux termes du traité dans son contexte et à la lumière de l’objectif; l’Office ne peut donc pas conclure, tenant compte des arguments et des dispositions qui lui ont été présentés, que le libellé à l’article 22(2) de la Convention de Montréal comprend plusieurs passagers.

[45] L’article 3(3) de la Convention de Montréal, en ce qui a trait à la délivrance de fiches d’identification pour bagages enregistrés, permet de conclure qu’un seul passager participe à la transaction, soit de remettre son bagage au transporteur aux fins de transport. Si « passager » est interprété au singulier dans ce contexte, et que rien ne justifie l’interprétation contraire, dans le libellé du traité même ni dans les travaux préparatoires, la conclusion logique qu’il faut en tirer est que « passager » signifie également une seule personne à l’article 22(2) de la Convention de Montréal, et tout précisément la personne qui remet la ou les pièces de bagage.

[46] Cette même expression (« passager ») est utilisée dans la Convention de Varsovie et dans la Convention de Montréal, mais l’affaire Sanchez ne jette aucune base (ni dans le compte rendu de la conférence diplomatique où la Convention de Montréal a été adoptée, ni dans les travaux préparatoires, ni dans des commentaires juridiques) pour justifier l’applicabilité élargie qu’elle accorde à l’article 22(2) de la Convention de Montréal. L’affaire Sanchez a pour effet d’élargir l’applicabilité de l’article 22(2) au-delà de son traitement de responsabilité amélioré de sorte que son interprétation est différente de celle des autres tribunaux (à part ceux de l’Espagne), c’est-à-dire qu’il devient une disposition qui permet à plusieurs passagers de faire une demande d’indemnisation visant la même pièce de bagage.

[47] Dans le contexte de la Convention de Montréal, enraciné dans la Convention de Varsovie, un seul passager fait une demande d’indemnisation visant un bagage qu’il a remis au transporteur. Dans l’affaire Sanchez, la CEJ se fonde sur une interprétation qui pourrait au mieux être décrite comme une interprétation extrême des termes par rapport à leur sens ordinaire et au contexte du traité. Par conséquent, l’Office n’adoptera pas l’interprétation de la CEJ de l’article 22(2) de la Convention de Montréal aux fins de la présente demande.

[48] L’Office est convaincu par le raisonnement dans l’affaire Holden et se fonde sur cette conclusion puisqu’elle s’applique à plusieurs passagers ayant fait une demande d’indemnisation pour la perte de la même pièce de bagage. L’affaire Naeini appuie cette conclusion puisqu’elle ne diffère pas de la conclusion tirée dans l’affaire Holden.

[49] Comme il est mentionné au début de la présente analyse, l’application actuelle représente un nouvel enjeu pour l’Office; la loi limitée de l’Ontario citée par les parties permet de conclure que deux passagers ne peuvent pas faire deux demandes d’indemnisation distinctes visant la même pièce de bagage.

[50] Par conséquent, l’Office conclut que la défenderesse a correctement appliqué les conditions énoncées à la règle 35(A) de son tarif qui incorpore par renvoi la Convention de Montréal lorsqu’il a indemnisé seulement l’un des demandeurs pour le bagage perdu.

[51] Cela étant dit, l’Office reconnaît que les tribunaux du Canada pourraient en avoir plus long à dire à ce sujet au fil des ans, ce qui pourrait avoir une incidence sur les instances similaires si elles sont présentées devant l’Office.

LA DÉFENDERESSE A-T-ELLE CORRECTEMENT APPLIQUÉ LES CONDITIONS DE SON TARIF RELATIVEMENT AU RETARD? SI LA DÉFENDERESSE N’A PAS CORRECTEMENT APPLIQUÉ LES CONDITIONS ÉNONCÉES DANS SON TARIF, QUELLES MESURES CORRECTIVES, LE CAS ÉCHÉANT, L’OFFICE DEVRAIT-IL ORDONNER?

Positions des parties

Les demandeurs

[52] Les demandeurs affirment qu’ils ont engagé des dépenses de 55 CAD pour leurs déplacements en taxi en raison du retard de leur vol et qu’ils ont mis du temps pour parler avec un représentant de la défenderesse chargé des bagages et pour remplir un formulaire d’irrégularité de bagages. Il était prévu qu’un ami de la famille reconduise les demandeurs à la maison, mais en raison du retard, l’ami n’était plus disponible et c’est pourquoi les demandeurs ont dû prendre le taxi pour rentrer à la maison.

LA DÉFENDERESSE

[53] La défenderesse a eu la possibilité d’aborder les dépenses de taxi que les demandeurs ont engagé, mais elle ne l’a pas fait.

Analyse et déterminations

[54] Le fardeau de la preuve repose sur la partie demanderesse, qui doit établir, selon la prépondérance des probabilités, que le transporteur n’a pas correctement appliqué les conditions de transport énoncées dans son tarif.

[55] L’Office fait remarquer que le vol original des demandeurs de Newark à Toronto avait subi un retard de deux heures et qu’une fois à Montréal, les demandeurs ont dû attendre pour remplir un formulaire d’irrégularité de bagages, ce qui leur a causé un retard additionnel. À l’origine, un ami de la famille devait les reconduire à la maison, mais en raison des retards, et comme il faisait nuit, l’ami n’a pas été en mesure de les accueillir et les demandeurs ont dû dépenser 50 CAD pour un taxi afin de rentrer à la maison, plus un pourboire de 5 CAD.

[56] En l’absence de reçus, l’Office conclut que la somme que les demandeurs ont payée pour le taxi était raisonnable étant donné que les demandeurs ont autorisé et la défenderesse et l’Office à vérifier les tarifs de taxi de l’aéroport à leur résidence. L’Office conclut qu’en vertu de l’article 19 de la Convention de Montréal, la défenderesse est responsable des dommages, c’est-à-dire les dépenses encourues pour le taxi en raison du retard. La défenderesse a été informée de cette dépense et de la demande d’indemnisation et aurait pu présenter une défense à l’Office visant à contester le remboursement de cette somme puisqu’elle n’a pas été causée directement par le retard, mais la défenderesse ne l’a pas fait. De plus, l’Office conclut que la somme de cette demande, 55 CAD, est raisonnable pour un taxi de l’aéroport à la demeure des demandeurs.

[57] À la lumière de ce qui précède, l’Office conclut que la défenderesse n’a pas correctement appliqué les conditions énoncées à la règle 35(A) de son tarif qui incorpore par renvoi la Convention de Montréal quand elle n’a pas indemnisé les demandeurs pour leurs dépenses de taxi, comme l’exige l’article 19 de la Convention de Montréal, contrevenant ainsi au paragraphe 110(4) de la RTA.

ORDONNANCE

[58] En vertu du paragraphe 113(1) du RTA, l’Office ordonne à la défenderesse de verser une indemnité de 55 CAD aux demandeurs pour les dépenses de taxi qu’ils ont supportées par suite du retard de leur vol à l’arrivée. La défenderesse doit verser ce montant aux demandeurs le plus tôt possible, mais au plus tard de 24 août 2020.


ANNEXE À LA DÉCISION No 59-C-A-2020

International Passenger Rules and Fares, Tariff No. CGR1 Containing Local Rules, Fares & Charges on Behalf of Porter Airlines Inc. Applicable to the Transportation of Passengers and Baggage Between Points in Canada/USA and Points in Area 1/2/3, NTA(A) No. 241 (tarif)

Remarque : Le tarif de la défenderesse a été déposé en anglais seulement.

Rule 35(A)

(A) For travel governed by the Montreal Convention – For purpose of international carriage governed by the Montreal Convention, the
     liability rules set out in the Montreal Convention are fully incorporated herein and shall supersede and prevail over any provisions of this
     tariff which may be inconsistent with those rules.

Rule 80(A)

        (A) The carrier will endeavor to transport the passenger and baggage with reasonable dispatch, but times shown in timetables or elsewhere
              are not guaranteed.

Membre(s)

J. Mark MacKeigan
Date de modification :