Décision n° 633-AT-A-2002
le 22 novembre 2002
Référence no U3570/02-33
DEMANDE
Le 5 août 2002, Carol Burnard a déposé en son nom et au nom de sa mère, Victoria Burnard, (ci-après les demanderesses) la demande énoncée dans l'intitulé auprès de l'Office des transports du Canada (ci-après l'Office).
Le 23 août 2002, WestJet a déposé sa réponse à la demande et y a joint un exemplaire du manuel d'entretien et d'exploitation portant sur son dispositif de levage mobile, le mobilift AX/AXR, (ci-après le manuel d'exploitation). Le 26 août 2002, WestJet a fourni une copie des dossiers de réservation des demanderesses, et le 27 août 2002, le transporteur a soumis une copie de ses politiques et procédures concernant l'assistance au débarquement fournie aux personnes ayant une déficience (ci-après la politique). L'Office a reçu la réplique des demanderesses le 20 septembre 2002.
OBSERVATION PRÉLIMINAIRE
Même si les demanderesses ont déposé leur réplique après le délai prévu à cette fin, l'Office, conformément à l'article 6 des Règles générales de l'Office national des transports, DORS/88-23, l'accepte la jugeant pertinente et nécessaire à son examen de la présente affaire.
QUESTION
L'Office doit déterminer si le niveau d'assistance au débarquement fourni par WestJet aux demanderesses a constitué un obstacle abusif aux possibilités de déplacement de ces dernières et, le cas échéant, les mesures correctives devant être prises.
FAITS
Carol et Victoria Burnard sont des personnes à mobilité réduite qui ne peuvent pas emprunter un escalier. Lorsqu'elles doivent voyager en avion, elles requièrent de l'assistance avec fauteuil roulant pour se rendre jusqu'à l'aéronef et en revenir et de l'assistance à l'embarquement et au débarquement.
Le 16 juillet 2002, les demanderesses ont utilisé leurs milles aériens pour réserver un voyage aller-retour entre Regina et Calgary avec WestJet en partance de Regina sur le vol no 131 du 31 juillet 2002, et de retour à Calgary sur le vol no 108 du 5 août 2002.
L'agent au comptoir des Milles aériens a assuré les demanderesses qu'une passerelle d'embarquement serait utilisée lors de leur débarquement à l'aéroport de Calgary (ci-après l'aéroport). L'agent au comptoir des Milles aériens a inscrit leur besoin d'assistance avec fauteuil roulant dans leurs dossiers de réservation.
Le 25 juillet 2002, le message suivant a été ajouté au manifeste de passagers : « [traduction] les deux clientes nécessitent des fauteuils roulants pour se déplacer, veuillez s.v.p. les asseoir le plus près de l'avant de l'aéronef que possible ».
Le jour du vol de départ, le 31 juillet 2002, des travaux de construction étaient en cours sur la jetée D de l'aéroport. Le vol no 131 qui devait arriver à Calgary à 20 h 20 a été retardé et l'aéronef n'a atterri qu'à 20 h 42. Toutes les portes d'embarquement de WestJet étant occupées par d'autres aéronefs, le vol a été retardé d'un autre 18 minutes en attendant qu'une porte d'embarquement de WestJet se libère. Le personnel de soutien au sol de WestJet a attribué la porte D34 à ce vol.
Le 31 juillet 2002, le débarquement des passagers du vol no 131 à la porte D34 a été effectué au moyen d'une passerelle d'embarquement au sol. Les demanderesses ont avisé l'agent de bord qu'elles ne pouvaient descendre l'escalier. Un dispositif de levage mobile, le mobilift, a été apporté devant l'aéronef. Un agent des services à la clientèle a accompagné les demanderesses à bord du dispositif mobile au moment où elles ont été descendues jusqu'au sol.
Les demanderesses ont été transférées dans des fauteuils roulants au bas du dispositif mobile et des agents des services à la clientèle de WestJet les ont amenées à l'aire de récupération des bagages de l'aéroport.
POSITIONS DES PARTIES
Les demanderesses font valoir que le fait de ne pas emprunter d'escalier lors du débarquement constitue une priorité puisqu'elles sont toutes deux incapables de descendre un escalier. Les demanderesses indiquent qu'elles ont choisi de voyager avec WestJet parce que cette compagnie utilise des passerelles d'embarquement pour effectuer les embarquements et les débarquements. Lorsque les demanderesses ont fait leurs réservations, elles ont reçu l'assurance qu'elles n'auraient pas à emprunter d'escalier.
Les demanderesses affirment qu'à l'arrivée de leur vol à Calgary, elles ont été informées qu'elles n'auraient pas accès à une passerelle d'embarquement et qu'elles allaient devoir descendre l'escalier de l'aéronef jusqu'à un fauteuil roulant, ce à quoi elles ont refusé. Les demanderesses indiquent qu'elles ne devraient pas avoir à traverser l'aire de trafic uniquement parce qu'un aéronef est en retard et que le transporteur est tenu de fournir les services prévus même si ceux-ci sont dispendieux et peu commodes. Elles ajoutent que lorsque l'accès à une passerelle d'embarquement a été prévu, un tel service doit être fourni même si une porte d'embarquement prédéterminée ne peut être utilisée.
Carol Burnard dit avoir terriblement peur des hauteurs et affirme qu'il ventait et faisait froid cette journée-là. Elle décrit le dispositif mobile comme une espèce d'appareil qui ressemble à un panier ouvert ayant un plancher en treillis. Elle ajoute qu'un seul agent des services à la clientèle les a accompagné dans le dispositif mobile. Elle dit ne pas s'être sentie en sécurité et avait eu peur que quelque chose arrive à sa mère et qu'ils ne seraient pas en mesure de l'aider. Les demanderesses ont également eu l'impression que le dispositif mobile n'était pas conçu pour supporter et leur poids combiné et celui de l'agent des services à la clientèle.
Les demanderesses affirment qu'elles se seraient senties plus en sécurité dans le dispositif s'il avait comporté une enceinte fermée avec un toit et/ou un plancher solide. À leur avis, elles auraient pu être assises dans un fauteuil roulant avant d'être conduites à bord du dispositif ou on aurait pu les débarquer de l'aéronef une à la fois. Elles estiment que cela n'a pas été fait puisque le vol était en retard et que des clients attendaient afin d'embarquer à bord de l'aéronef pour la prochaine portion du vol.
Les demanderesses déclarent qu'une fois au sol, elles ont été transférées dans des fauteuils roulants et ont été précipitées à l'intérieur de l'aéroport, zigzaguant entre les personnes, jusqu'à l'aire de récupération des bagages.
Dans sa réponse, WestJet fait savoir que des travaux de construction étaient en cours sur la jetée D de l'aéroport le jour où le vol no 131 est arrivé de Regina. Elle explique que son personnel de soutien au sol attribue les portes d'embarquement aux aéronefs à leur arrivée d'après les exigences opérationnelles de WestJet sur une base permanente. Puisque le vol no 131 accusait du retard, toutes les portes de WestJet étaient occupées par d'autres aéronefs lorsque celui du vol no 131 est arrivé à l'aérogare. WestJet constate que son personnel de soutien au sol a attribué au vol no 131 la porte D34, où il y avait une passerelle d'embarquement au sol en raison des travaux de construction en cours, puisqu'il s'agissait de la première porte à se libérer après l'arrivée du vol.
WestJet affirme que lorsque les deux demanderesses ont indiqué qu'elles ne pouvaient descendre l'escalier, le dispositif mobile a été apporté devant l'aéronef par le personnel au sol de la compagnie qui fournit de tels services à WestJet et que toutes les lignes directrices ont été suivies en s'assurant que le dispositif est sécuritaire, conformément au manuel d'exploitation de WestJet, avant que les demanderesses ne débarquent. WestJet ajoute qu'un agent des services à la clientèle a accompagné les demanderesses dans le dispositif mobile lorsqu'elles ont été descendues jusqu'au sol, transférées dans des fauteuils roulants et amenées jusqu'à l'aire de récupération des bagages conformément à sa politique. Selon WestJet, l'utilisation du dispositif mobile est plus sécuritaire que de transporter physiquement des clients pour descendre un escalier et elle fait valoir que l'utilisation d'un dispositif mobile pour débarquer des clients qui ne peuvent pas emprunter un escalier ne constitue pas un obstacle abusif compte tenu des incertitudes sur le plan de l'exploitation et de l'horaire auxquelles les transporteurs aériens peuvent parfois faire face au cours de leurs activités quotidiennes.
WestJet reconnaît que l'agent des réservations au comptoir des Milles aériens a assuré aux demanderesses qu'une passerelle d'embarquement serait utilisée lors du débarquement à l'arrivée de leur vol à l'aéroport.
Afin d'empêcher qu'une situation comme celle qu'a vécue les demanderesses ne se reproduisent, WestJet a envoyé un bulletin à tous les agents de réservation déclarant qu'en raison des travaux de construction en cours sur la jetée D de l'aéroport, les clients ayant des besoins spéciaux qui ne peuvent pas débarquer de l'aéronef en empruntant un escalier devraient être informés qu'ils pourraient être débarqués au moyen d'un dispositif de levage mobile ou d'un fauteuil de transfert de type Washington dans les cas où une passerelle d'embarquement ne seraient pas disponible.
ANALYSE ET CONSTATATIONS
Pour en arriver à ses constatations, l'Office a tenu compte de tous les éléments de preuve soumis par les parties au cours des plaidoiries.
La demande doit être présentée par une personne ayant une déficience ou en son nom. Les demanderesses sont des personnes à mobilité réduite qui ne peuvent pas emprunter un escalier. Elles sont donc des personnes ayant une déficience aux fins de l'application des dispositions d'accessibilité de la LTC.
Pour déterminer s'il existe un obstacle abusif aux possibilités de déplacement des personnes ayant une déficience au sens du paragraphe 172(1) de la LTC, l'Office doit d'abord déterminer si les possibilités de déplacement de la personne qui présente la demande ont été restreintes ou limitées par un obstacle. Le cas échéant, l'Office doit alors décider si l'obstacle était abusif. Pour répondre à ces questions, l'Office doit tenir compte des circonstances de l'affaire dont il est saisi.
Les possibilités de déplacement ont-elles été restreintes ou limitées par un obstacle ?
L'expression « obstacle » n'est pas définie dans la LTC, ce qui donne à penser que le Parlement ne voulait pas limiter la compétence de l'Office compte tenu de son mandat d'éliminer les obstacles abusifs dans le réseau de transport de compétence fédérale. De plus, le terme « obstacle » a un sens large et s'entend habituellement d'une chose qui entrave le progrès ou la réalisation.
Pour déterminer si une situation constitue ou non un « obstacle » aux possibilités de déplacement d'une personne ayant une déficience dans un cas donné, l'Office se penche sur les déplacements de cette personne qui sont relatés dans la demande. Dans le passé, l'Office a conclu qu'il y avait eu des obstacles dans plusieurs circonstances différentes. Par exemple, dans certains cas des personnes n'ont pas pu voyager, d'autres ont été blessées durant leurs déplacements (notamment quand l'absence d'installations convenables durant le déplacement affecte la condition physique du passager) et d'autres encore ont été privées de leurs aides à la mobilité endommagées pendant le transport. De plus, l'Office a identifié des obstacles dans les cas où des personnes ont finalement été en mesure de voyager, mais les circonstances découlant de l'expérience ont été telles qu'elles ont miné leur sentiment de confiance, de dignité, de sécurité, situation qui pourrait décourager ces personnes de voyager à l'avenir.
L'obstacle était-il abusif ?
À l'instar du terme « obstacle », l'expression « abusif » n'est pas définie dans la LTC, ce qui permet à l'Office d'exercer sa discrétion pour éliminer les obstacles abusifs dans le réseau de transport de compétence fédérale. Le mot « abusif » a également un sens large et signifie habituellement que quelque chose dépasse ou viole les convenances ou le bon usage (excessif, immodéré, exagéré). Comme une chose peut être jugée exagérée ou excessive dans un cas et non dans un autre, l'Office doit tenir compte du contexte de l'allégation d'obstacle abusif. Dans cette approche contextuelle, l'Office doit trouver un juste équilibre entre le droit des passagers ayant une déficience d'utiliser le réseau de transport de compétence fédérale sans rencontrer d'obstacles abusifs, et les considérations et responsabilités commerciales et opérationnelles des transporteurs. Cette interprétation est conforme à la politique nationale des transports établie à l'article 5 de la LTC et plus précisément au sous-alinéa 5g)(ii) de la LTC qui précise, entre autres, que les modalités en vertu desquelles les transporteurs ou modes de transport exercent leurs activités ne constituent pas, dans la mesure du possible, un obstacle abusif aux possibilités de déplacement des personnes ayant une déficience.
L'industrie des transports élabore ses services pour répondre aux besoins des utilisateurs. Les dispositions d'accessibilité de la LTC exigent quant à elles que les fournisseurs de services de transport du réseau de transport de compétence fédérale adaptent leurs services dans la mesure du possible aux besoins des personnes ayant une déficience. Certains empêchements doivent toutefois être pris en considération, par exemple les mesures de sécurité que les transporteurs doivent adopter et appliquer, les horaires qu'ils doivent s'efforcer de respecter pour des raisons commerciales, la configuration du matériel et les incidences d'ordre économique qu'aura l'adaptation d'un service sur les transporteurs aériens. Ces empêchements peuvent avoir une incidence sur les personnes ayant une déficience. Ainsi, ces personnes ne pourront pas nécessairement embarquer dans l'aéronef avec leur propre fauteuil roulant, elles peuvent devoir arriver à l'aérogare plus tôt aux fins de l'embarquement et elles peuvent devoir attendre plus longtemps pour obtenir de l'assistance au débarquement que les personnes n'ayant pas de déficience. Il est impossible d'établir une liste exhaustive des obstacles qu'un passager ayant une déficience peut rencontrer et des empêchements que les fournisseurs de services de transport connaissent dans leurs efforts pour répondre aux besoins des personnes ayant une déficience. Il faut en arriver à un équilibre entre les diverses responsabilités des fournisseurs de services de transport et le droit des personnes ayant une déficience à voyager sans rencontrer d'obstacle, et c'est dans cette recherche d'équilibre que l'Office applique le concept d'obstacle abusif.
Le cas présent
D'après les éléments au dossier, l'Office reconnaît que les demanderesses ont expressément réservé un vol de WestJet parce que cette dernière utilise des passerelles d'embarquement pour les débarquements et qu'elles sont incapables d'utiliser un escalier. De plus, l'Office note que l'agent au comptoir des Milles aériens les a assurées qu'elles n'auraient pas à utiliser un escalier pour débarquer. En fait, les dossiers de réservation soumis par l'agent au comptoir des Milles aériens mentionnait leur besoin d'aide avec fauteuil roulant. À l'arrivée de leur vol à Calgary, aucune passerelle d'embarquement n'était disponible en raison des travaux de construction en cours à l'aéroport. On a demandé aux demanderesses de descendre l'escalier de l'aéronef jusqu'aux fauteuils roulants, et c'est alors qu'elles ont avisé l'agent de bord qu'elles ne pouvaient pas descendre l'escalier. Par conséquent, WestJet a utilisé le dispositif de levage mobile pour aider les demanderesses à débarquer. Les demanderesses ont ensuite été transférées dans des fauteuils roulants et amenées à l'aire de récupération des bagages.
Le fait qu'il y avait des travaux de construction en cours à l'aéroport ne change pas le fait que les demanderesses pouvaient s'attendre à ce qu'une passerelle d'embarquement soit disponible à l'arrivée de leur vol. Même si on a procédé au débarquement des demanderesses en utilisant le dispositif de levage mobile, elles ne se sont pas senties en sécurité et ont éprouvé de la peur et de l'anxiété. À la lumière de ce qui précède, l'Office détermine que le niveau d'assistance fourni au débarquement aux demanderesses a constitué un obstacle à leurs possibilités de déplacement.
Quant à la question de savoir si cet obstacle était abusif, l'Office reconnaît que le débarquement des demanderesses a été rendu compliqué par les travaux de construction en cours à l'aéroport, ainsi que par le nombre de vols arrivant à l'aéroport à l'intérieur d'un court laps de temps et l'assignation d'une porte d'embarquement à chacun. Dans ces circonstances, il semble que le personnel de WestJet a fait ce qu'il pouvait pour faciliter un débarquement rapide et sécuritaire en fournissant, par exemple, le dispositif de levage mobile pour aider les demanderesses à débarquer.
À la lumière de ce qui précède, l'Office estime que, dans ce cas, même si les demanderesses ont fait face à un obstacle à leurs possibilités de déplacement, l'obstacle n'était pas abusif car la décision de WestJet était justifiée et basée sur des considérations opérationnelles et sécuritaires.
Néanmoins, l'Office estime qu'une grande partie de la peur et de l'anxiété éprouvées par les demanderesses concernant l'utilisation du dispositif de levage mobile pour effectuer leur débarquement aurait pu être évitée grâce à une meilleure communication entre l'agent des services à la clientèle du transporteur et les demanderesses. Des renseignements supplémentaires auraient pu être fournis aux demanderesses sur ce à quoi elles pouvaient s'attendre lors du processus de débarquement ainsi que sur les diverses options qui s'offraient à elles pour débarquer au moyen du dispositif de levage mobile comme de transférer les demanderesses dans des fauteuils roulants ou de débarquer les demanderesses une à la fois.
De plus, à la lumière des commentaires des demanderesses en ce qui concerne la manière précipitée dont on s'est pris pour les amener à l'aire de récupération des bagages, les agents des services à la clientèle de WestJet devraient être encouragés à discuter avec les passagers du type d'assistance dont ils ont besoin et à considérer la sécurité et le confort des passagers lorsqu'ils fournissent de l'aide avec fauteuil roulant.
L'Office note que les préoccupations soulevées par les demanderesses concernant l'assurance que leur a donnée l'agent au comptoir des Milles aériens qu'elles n'auraient pas à débarquer en empruntant un escalier ont été traitées par WestJet grâce à la publication d'un bulletin pour tous les agents de réservation.
CONCLUSION
Compte tenu des constatations qui précèdent, l'Office conclut que le niveau d'assistance fourni aux demanderesses lors du débarquement n'a pas constitué un obstacle abusif à leurs possibilités de déplacement.
L'Office n'envisage donc aucune autre mesure dans ce dossier.
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