Décision n° 68-C-A-2018

le 27 décembre 2018

DEMANDE présentée par Alona Gavryliuk, en son nom et au nom de ses enfants mineurs, contre Deutsche Lufthansa Aktiengesellschaft (Lufthansa German Airlines) [Lufthansa] et Air Canada.

Numéro de cas : 
18-00670

RÉSUMÉ

[1] Mme Gavryliuk a déposé une demande auprès de l’Office des transports du Canada (Office) contre Lufthansa et Air Canada concernant les retards qu’elle et ses enfants ont subis pendant leur voyage d’Ottawa, Canada, à Lviv, Ukraine.

[2] Mme Gavryliuk allègue que, conformément au règlement (CE) n° 261/2004 du Parlement européen et du Conseil (règlement de l’UE), elle et ses enfants ont droit à une indemnisation d’un montant de 5 400 $ pour les retards subis. Sinon, elle accepterait trois billets aller-retour (un adulte et deux enfants) d'Ottawa à Lviv. Mme Gavryliuk demande également le remboursement des dépenses suivantes qu’elle dit avoir engagées en raison des retards de vol :

a) les frais de stationnement à l’aéroport d’Ottawa le 12 mars 2017;

b) les frais de stationnement payés par la famille de Mme Gavryliuk à l’aéroport de Lviv le 15 mars 2017;

c) les coûts des repas et de l’essence achetés par la famille de Mme Gavryliuk pour se rendre en voiture de l’aéroport de Lviv à l’aéroport de Kiev, puis à Tchernivtsi, le 15 mars 2017.

[3] L’Office déterminera si Lufthansa et Air Canada ont correctement appliqué les conditions énoncées dans leurs tarifs internationaux respectivement intitulés International Passenger Rules and Fares Tariff, NTA(A) No. 312(tarif de Lufthansa) et International Passenger Rules and Fares Tariff, NTA(A) No. 458 (tarif d’Air Canada), comme l’exige le paragraphe 110(4) du Règlement sur les transports aériens, DORS/88-58, modifié, (RTA).

[4] Pour les motifs énoncés ci-après, l’Office conclut qu’Air Canada, agissant à titre de mandataire de Lufthansa, n’a pas prouvé qu’elle a pris toutes les mesures qui pouvaient raisonnablement s’imposer pour éviter les dommages causés par les retards, comme l’exige l’article 19 de la Convention pour l’unification de certaines règles relatives au transport aérien international – Convention de Montréal (Convention de Montréal), incorporée par renvoi dans la règle 55(A) du tarif de Lufthansa. Air Canada n’a donc pas correctement appliqué les conditions du tarif de Lufthansa, contrevenant ainsi au paragraphe 110(4) du RTA. Par conséquent, conformément à l’alinéa 113.1b) du RTA, l’Office ordonne à Air Canada d’indemniser Mme Gavryliuk pour les dépenses qu’elle a engagées le 15 mars 2017 relativement à son voyage en Ukraine, puisque celles-ci sont directement liées au retard du vol initial de Mme Gavryliuk et de ses enfants le 12 mars 2017 d’Ottawa à Montréal (Québec).

CONTEXTE

[5] Mme Gavryliuk et ses jeunes enfants devaient initialement prendre un vol le 12 mars 2017 d’Ottawa à Lviv, via Montréal et Munich, Allemagne. Toutefois, en raison du retard de leur vol entre Ottawa et Montréal, Air Canada a réacheminé la famille sur un vol d’Ottawa à Lviv, via Montréal et Munich, le 14 mars 2017.

[6] Le 14 mars 2017, le vol Ottawa-Montréal de Mme Gavryliuk et de ses enfants a été annulé en raison des conditions météorologiques. Air Canada les a réacheminés sur un vol le même jour vers Munich via Toronto. Toutefois, ces vols ont également été retardés en raison des conditions météorologiques, ce qui les a amenés à arriver en retard à Munich et à manquer leur vol en direction de Lviv. Étant donné qu’il n’y avait pas d’autres vols à destination de Lviv le 15 mars 2017 et que Mme Gavryliuk n’avait pas de visa Schengen lui permettant de quitter l’aéroport et de passer la nuit dans un hôtel, Lufthansa a réacheminé Mme Gavryliuk et ses enfants sur le vol no 2546 de Lufthansa à destination de Kiev, Ukraine. À leur arrivée à Kiev, Mme Gavryliuk et ses enfants ont été accueillis par sa famille, qui les a ensuite conduits en voiture jusqu’à leur destination finale, Tchernivtsi, Ukraine, à quelque 540 kilomètres de là.

OBSERVATIONS PRÉLIMINAIRES

Indemnisation pour de la douleur et de la souffrance

[7] Dans sa demande, Mme Gavryliuk fait référence à plusieurs difficultés qu’elle a éprouvées lorsqu’elle a voulu communiquer avec Air Canada pour régler des problèmes concernant son vol et celui de ses enfants à destination de Lviv, et les contraintes vécues pendant leur voyage. De ce fait, Mme Gavryliuk réclame une indemnisation de 2 000 $ pour le stress physique et psychologique qu’elle prétend que la famille a subi.

[8] L’Office n’a toutefois pas la compétence pour ordonner une indemnisation pour de la douleur et de la souffrance, comme il l’a indiqué dans des décisions antérieures, notamment la décision no 18-C-A-2015 (Enisz c. Air Canada) et la décision no 103-C-A-2017 (Chowdhury c. Turkish Airlines). Par conséquent, l’Office ne se penchera pas sur cette question.

Indemnisation prévue par le règlement de l’UE

[9] Mme Gavryliuk déclare qu’elle et ses enfants ont droit à une indemnisation de 5 400 $, conformément au règlement de l’UE. Toutefois, l’Office n’a pas la compétence requise pour appliquer ce règlement, mais il examinera le droit de Mme Gavryliuk à une indemnisation conformément à la loi et à la jurisprudence canadiennes.

LA LOI

[10] Le paragraphe 110(4) du RTA exige que le transporteur aérien, lors de l’exploitation d’un service international, applique correctement les conditions de transport énoncées dans son tarif.

[11] Si l’Office conclut qu’un transporteur aérien n’a pas correctement appliqué son tarif, l’article 113.1 du RTA confère à l’Office le pouvoir d’ordonner au transporteur :

a) de prendre les mesures correctives qu’il estime indiquées;

b) de verser des indemnités à quiconque pour toutes dépenses qu’il a supportées en raison de la non-application de ces prix, taux, frais ou conditions de transport.

[12] La règle 55(A) du tarif de Lufthansa et la règle 105(B)(5) du tarif d’Air Canada prévoient toutes deux ce qui suit :

[Traduction]

Aux fins du transport international régi par la Convention de Montréal, les règles de responsabilité prévues dans celle-ci font partie intégrante du tarif et prévalent et l’emportent sur les dispositions du présent tarif qui sont incompatibles avec ces règles.

[13] La règle 80(B) du tarif de Lufthansa prévoit que :

[Traduction]

Si le transporteur annule un vol, n’assure pas un vol selon l’horaire prévu, remplace un type d’équipement par un type différent ou une classe de service par une classe différente ou ne peut fournir un siège confirmé au préalable, le transporteur prendra l’une des mesures suivantes :

(a) assurera le transport du passager à bord d’un de ses autres aéronefs de passagers si l’espace le permet; ou

(b) veillera à ce qu’un autre transporteur ou service de transport assure le réacheminement du passager par l’acceptation de la partie inutilisée du billet; ou

(c) réacheminera le passager jusqu’à la destination figurant sur le billet ou sur la partie applicable de celui-ci par ses propres services ou par d’autres services de transport, et si le prix, les frais d’excédent de bagages et tous frais de service applicables à l’itinéraire modifié est supérieur à la valeur de remboursement du billet ou de la partie applicable de celui‑ci, comme le prévoit la règle 90 (REMBOURSEMENTS) du présent tarif, le transporteur n’exigera aucun paiement supplémentaire de la part du passager, mais remboursera la différence si le prix et les frais de l’itinéraire modifié sont moins élevés; ou

(d) effectuera un remboursement involontaire conformément à la règle 90 (REMBOURSEMENTS) du présent tarif.

[…]

[14] L’article 19 de la Convention de Montréal énonce la responsabilité du transporteur en cas de retard :

Le transporteur est responsable du dommage résultant d’un retard dans le transport aérien de passagers, de bagages ou de marchandises. Cependant, le transporteur n’est pas responsable du dommage causé par un retard s’il prouve que lui, ses préposés et mandataires ont pris toutes les mesures qui pouvaient raisonnablement s’imposer pour éviter le dommage, ou qu’il leur était impossible de les prendre.

[15] L’article 29 de la Convention de Montréal énonce le principe des recours comme suit :

Dans le transport de passagers, de bagages et de marchandises, toute action en dommages‑intérêts, à quelque titre que ce soit, en vertu de la présente convention, en raison d’un contrat ou d’un acte illicite ou pour toute autre cause, ne peut être exercée que dans les conditions et limites de responsabilité prévues par la présente convention, sans préjudice de la détermination des personnes qui ont le droit d’agir et de leurs droits respectifs. Dans toute action de ce genre, on ne pourra pas obtenir de dommages-intérêts punitifs ou exemplaires ni de dommages à un titre autre que la réparation.

POSITIONS DES PARTIES ET CONSTATATIONS DE FAITS

Position de Mme Gavryliuk

[16] Mme Gavryliuk soutient que son mari a acheté pour elle et ses enfants sur le site Web d’Air Canada des billets aller-retour d’Ottawa à Lviv, via Montréal et Munich, dont le départ était prévu le 12 mars 2017. Le matin de son départ, la famille a reçu un appel d’Air Canada l’informant que son vol de 19 h 20 d’Ottawa à Montréal avait été retardé ou surréservé. Mme Gavryliuk indique également qu’Air Canada l’a avisée qu’elle et ses enfants prendraient un vol partant plus tôt pour Montréal afin de leur permettre d’arriver à l’heure pour leur vol de 21 h 05 de Montréal à Munich exploité par Lufthansa. Mme Gavryliuk affirme que, lorsqu’elle a demandé à Air Canada les détails de leur nouveau vol, Air Canada lui a simplement dit d’arriver à l’aéroport avant 17 h.

[17] Mme Gavryliuk soutient que son mari, elle et ses enfants sont arrivés à l’aéroport d’Ottawa vers 16 h et qu’au moment de l’enregistrement, Air Canada leur a dit que leur vol était surréservé et qu’aucun autre vol à destination de Montréal ne leur permettrait d’arriver à l’heure pour leur correspondance à destination de Munich. Selon Mme Gavryliuk, elle et son mari ont passé plusieurs heures avec un agent à essayer de trouver un autre vol pour Lviv. Mme Gavryliuk affirme qu’elle a dit à l’agent qu’il était important qu’ils arrivent à Lviv le 12 mars 2017, car le but du voyage était de célébrer l’anniversaire de sa mère le 14 mars 2017. Cependant, la seule option offerte par Air Canada était de voyager deux jours plus tard, le 14 mars 2017, selon le même itinéraire. Mme Gavryliuk ajoute qu’elle n’avait d’autre choix que d’accepter les nouvelles réservations de vol. Mme Gavryliuk soutient avoir demandé à l’agent le remboursement des frais de stationnement à l’aéroport qu’ils ont dû payer, mais que sa demande a été rejetée.

[18] Mme Gavryliuk soutient que, le 14 mars 2017, sa famille est retournée à l’aéroport d’Ottawa pour apprendre que son vol d’Ottawa à Montréal avait été annulé en raison de mauvaises conditions météorologiques. Elle affirme que, même si Air Canada les a réacheminés sur un vol via Toronto, leurs segments d’Ottawa à Toronto et de Toronto à Munich ont également été retardés. Mme Gavryliuk affirme qu’une fois à Munich, ils ont essayé de s’enregistrer pour leur vol à destination de Lviv, mais Lufthansa leur a dit que leurs billets étaient pour Kiev, et non pour Lviv, et qu’ils avaient manqué leur vol pour Kiev, de même que celui pour Lviv.

[19] Mme Gavryliuk soutient que Lufthansa lui a présenté deux options :

1) prendre le prochain vol de Lufthansa à destination de Lviv, qui partait deux jours plus tard, soit le 17 mars 2017; 

2) prendre le prochain vol de Lufthansa à destination de Kiev, qui partait 8 heures plus tard, soit le 15 mars 2017.

[20] Mme Gavryliuk indique que le premier choix n’était pas une option pour elle, puisqu’elle n’avait pas le visa Schengen qui lui aurait permis de quitter l’aéroport de Munich. Avec cette option, il aurait fallu qu’elle et ses jeunes enfants dorment deux nuits à l’aéroport. Elle a donc choisi la deuxième option. Mme Gavryliuk prétend que, pendant qu’elle se trouvait à l’aéroport de Munich, elle a demandé à avoir accès à ses bagages enregistrés pour prendre des couches et des vêtements de rechange pour ses enfants, mais que cette demande a été refusée.

[21] Mme Gavryliuk soutient qu’à son arrivée avec ses enfants à Kiev vers minuit le 15 mars 2017, sa famille les attendait. Elle indique que sa famille a dû partir en voiture de l’aéroport de Lviv (où ils attendaient Mme Gavryliuk et ses enfants) pour se rendre à l’aéroport de Kiev, que 600 kilomètres séparent. Mme Gavryliuk affirme que le trajet a duré environ 10 heures, en raison du mauvais état des routes en Ukraine. Mme Gavryliuk affirme que, parce qu’elle et ses enfants ont dû se rendre à Kiev plutôt qu’à Lviv, sa famille a dû parcourir en voiture environ 1 345 kilomètres aller-retour pour les amener à Tchernivtsi. Mme Gavryliuk affirme que leur voyage a été épuisant et stressant, surtout pour les enfants.

[22] Mme Gavryliuk réclame le remboursement des dépenses de stationnement de sa famille à l’aéroport de Lviv et celles pour l’achat d’essence et de repas. Mme Gavryliuk soutient qu’ils n’ont pas de reçu pour ces dépenses, car tout a été acheté en espèces, et que des reçus ne sont généralement pas remis en Ukraine pour les achats au comptant.

Position commune d’Air Canada et de Lufthansa (les transporteurs)

[23] Les transporteurs soutiennent que le tarif d’Air Canada s’applique au voyage de la famille, en particulier sa règle tarifaire 80(C) sur les correspondances manquées (perturbations d’horaire) et sa règle tarifaire 105(C) sur les limites de responsabilité. De plus, les transporteurs déclarent que le contrat de transport est assujetti à la Convention de Montréal, qui a été adoptée dans les lois canadiennes en vertu de la Loi sur le transport aérien, L.R.C. (1985), ch. C-26.

[24] Les transporteurs contestent les dépenses que Mme Gavryliuk allègue avoir engagées, faisant valoir qu’elle n’a fourni aucune preuve pour appuyer ses réclamations.

[25] Les transporteurs affirment que le 12 mars 2017, le vol no 8966 (LH6691) d’Air Canada, entre Ottawa et Montréal, a été retardé, mais qu’il n’a pas été survendu, puisqu’il est parti à seulement 16,2 pour cent de sa capacité. Pour appuyer leur déclaration, ils ont déposé des copies d’un rapport d’exploitation quotidien et d’un document Netline indiquant que le vol avait été retardé en raison d’une défaillance d’équipement, et qu’il était arrivé à Montréal à 21 h 33 le 12 mars 2017, avec seulement 12 passagers.

[26] Les transporteurs soutiennent que, parce que Mme Gavryliuk et ses enfants étaient certains de manquer leur vol de Montréal à Munich, Air Canada a pris le contrôle de leurs billets et a réacheminé la famille sur un vol à destination de Lviv, le 14 mars 2017. Les transporteurs affirment que c’était le seul itinéraire disponible, puisque le prochain vol de Lufthansa de Munich à Lviv ne devait partir que le 15 mars 2017. À l’appui de sa déclaration, Air Canada a déposé une copie de l’horaire des vols de Lufthansa qui indique que, pour la semaine du 12 mars 2017, Lufthansa n’a exploité que trois vols cette semaine-là, soit les 13, 15 et 17 mars, de Munich à Lviv.

[27] Les transporteurs affirment que, le 14 mars 2017, le vol d’Air Canada entre Ottawa et Montréal a été annulé en raison de mauvaises conditions météorologiques; par conséquent, Mme Gavryliuk et ses enfants ont été réacheminés via Toronto afin qu’ils arrivent à temps à Munich pour prendre leur vol de correspondance à destination de Lviv. À l’appui de leur déclaration, les transporteurs ont déposé une copie du dossier passager de la famille (DP) dans lequel figure le réacheminement de Mme Gavryliuk et de ses enfants sur de nouveaux vols. Les transporteurs soutiennent que pendant tout ce temps, la famille avait des sièges réservés pour Lviv.

[28] Les transporteurs ajoutent que le vol d’Air Canada entre Toronto et Munich a également été retardé en raison de mauvaises conditions météorologiques. Ils soutiennent que le vol est arrivé à Munich à 10 h 49, le 15 mars 2017, et que Mme Gavryliuk et ses enfants ont manqué leur vol de Lufthansa entre Munich et Lviv. Les transporteurs ont confirmé le tout en déposant une copie d’un autre document Netline.

[29] Les transporteurs soutiennent qu’à l’aéroport de Munich, il s’est avéré que Mme Gavryliuk n’avait pas le visa Schengen approprié pour quitter l’aéroport, car elle voyageait avec un passeport ukrainien. Les transporteurs font valoir que, conformément aux procédures habituelles de Lufthansa, ils ont présenté trois options à Mme Gavryliuk :

1) retourner au Canada;

2) rester à l’intérieur de l’aéroport de Munich jusqu’au prochain vol de Lufthansa de Munich à Lviv, qui devait partir le 17 mars 2017 (soit deux jours plus tard);

3) prendre un vol de Lufthansa de Munich à Kiev, avec un vol supplémentaire exploité par Ukraine International Airlines de Kiev à Lviv.

[30] Les transporteurs affirment que Mme Gavryliuk a choisi un réacheminement sur un vol de Lufthansa de Munich à Kiev, avec un vol de correspondance à destination de Lviv exploité par Ukraine International Airlines. Les transporteurs indiquent que Lufthansa a initialement reçu d’Ukraine International Airlines la confirmation que Mme Gavryliuk et ses enfants avaient été réacheminés sur son vol, mais qu’Ukraine International Airlines a annulé leur confirmation pour des raisons inconnues. Les transporteurs soutiennent que Mme Gavryliuk a donc choisi de prendre le vol de Lufthansa de Munich à Kiev seulement, car il n’y avait aucune autre option de transport à destination de Lviv le 15 mars 2017. À l’appui de leurs déclarations, les transporteurs ont déposé une copie du DP de Lufthansa qui montre la tentative de Lufthansa de réserver des places pour Mme Gavryliuk et ses enfants sur un vol d’Ukraine International Airlines de Kiev à Lviv.

[31] Les transporteurs soutiennent que la règle 80(C) du tarif d’Air Canada énonce l’obligation d’organiser le transport du passager en cas de perturbations d’horaire et que, ce faisant, ils ont pris toutes les mesures qui pouvaient raisonnablement s’imposer pour éviter le dommage allégué à Mme Gavryliuk et à ses enfants. Par conséquent, les transporteurs soutiennent qu’ils ont respecté la Convention de Montréal et leurs obligations tarifaires, et qu’aucune indemnité n’est due.

Constatations de faits

[32] Mme Gavryliuk affirme que ses billets et ceux de ses enfants ont été achetés sur le site Web d’Air Canada, et les transporteurs affirment que le tarif d’Air Canada s’applique en l’espèce; toutefois, la preuve indique que leur itinéraire et leurs billets ont été émis par Lufthansa. La preuve montre en outre que le vol d’Ottawa à Montréal de Mme Gavryliuk et de ses enfants était un vol de Lufthansa en partage de codes avec Air Canada, commercialisé par Lufthansa sous son code (LH6691), où « partage de codes » désigne des ententes par lesquelles un transporteur aérien fournit des services en vendant des services de transport en son nom (avec son code) pour des vols exploités par un autre transporteur aérien. Dans la décision no 344-A-2014, l’Office a accordé à Lufthansa un droit de partager de codes lui permettant de vendre des services de transport en son propre nom sur les vols exploités par Air Canada. Cette autorisation comprend une condition selon laquelle le transporteur qui vend les services de transport au passager (transporteur commercial) doit appliquer son tarif, même si un autre transporteur exploite le vol. Par conséquent, l’Office conclut que le tarif de Lufthansa s’applique au voyage de Mme Gavryliuk et de ses enfants entre Ottawa et Montréal le 12 mars 2017.

[33] En ce qui concerne la déclaration de Mme Gavryliuk selon laquelle le vol d’Ottawa à Montréal du 12 mars 2017 était surréservé, l’Office note que les surréservations signifient qu’il y a plus de passagers détenant une place confirmée que de sièges disponibles dans l’avion. D’après la preuve, leur vol d’Ottawa à Montréal pouvait accueillir 74 passagers, mais n’en transportait que 12. Par conséquent, l’Office conclut que le vol d’Ottawa à Montréal du 12 mars n’était pas surréservé.

[34] Le 12 mars 2017, Mme Gavryliuk et ses enfants devaient initialement quitter Ottawa à 19 h 20; toutefois, la preuve montre que leur vol a été retardé en raison d’une défaillance d’équipement. Il est incontesté qu’Air Canada a communiqué avec eux le matin du 12 mars 2017 pour leur demander d’arriver tôt à l’aéroport d’Ottawa. Il est également incontesté que Mme Gavryliuk et ses enfants sont arrivés à l’aéroport d’Ottawa vers 16 h. Selon la preuve, leur vol d’Ottawa à Montréal est parti avec environ une heure et demie de retard et est arrivé à Montréal à 21 h 33, ce qui leur aurait fait manquer leur vol de 21 h 05 entre Montréal et Munich. Les documents dont l’Office dispose n’indiquent pas qu’Air Canada a offert des options à Mme Gavryliuk pour lui permettre d’arriver à l’heure pour son vol de Montréal à Munich. Selon la preuve, la seule option qui leur a été offerte était de prendre un vol d’Ottawa à Lviv le 14 mars 2017.

[35] La preuve montre que le 14 mars 2017, le vol d’Ottawa à Montréal de Mme Gavryliuk et de ses enfants a été annulé en raison de mauvaises conditions météorologiques. Air Canada a réacheminé la famille d’Ottawa à Munich via Toronto, mais la preuve montre que le vol de Toronto à Munich a également été retardé en raison de mauvaises conditions météorologiques et qu’il est parti avec environ 40 minutes de retard pour arriver à Munich le 15 mars 2017 à 10 h 49.

[36] Mme Gavryliuk allègue que, lorsqu’Air Canada l’a réacheminée avec ses enfants sur un vol via Toronto, elle les a mis par erreur sur un vol à destination de Kiev au lieu de Lviv. Toutefois, la preuve indique que Mme Gavryliuk et ses enfants avaient une réservation confirmée de Munich à Lviv à bord du vol no 2550 de Lufthansa qui devait décoller à 10 h 40 et arriver à Lviv à 13 h 20 le 15 mars 2017. Par conséquent, l’Office conclut que Mme Gavryliuk et ses enfants avaient initialement des sièges réservés pour Lviv le 15 mars 2017. Toutefois, la preuve démontre que l’arrivée tardive du vol Toronto-Munich a fait en sorte qu’ils ont manqué ce vol.

[37] Il est incontesté que Mme Gavryliuk voyageait avec un passeport ukrainien et qu’elle n’avait pas de visa Schengen qui lui aurait permis de quitter l’aéroport de Munich. La preuve indique que Lufthansa a tenté de confirmer des sièges pour que la famille puisse voyager de Kiev à Lviv le 15 mars 2017 avec Ukraine International Airlines; toutefois, Ukraine International Airlines n’a pas accepté la demande de Lufthansa. La preuve établit qu’après plus de huit heures d’attente à l’aéroport de Munich, la famille a pris le vol no  2546 de Lufthansa, de Munich à Kiev, lequel est parti de Munich à 19 h 20.

ANALYSE ET DÉTERMINATIONS

[38] Conformément à un principe bien établi sur lequel s’appuie l’Office lorsqu’il examine de telles demandes, il incombe au demandeur de prouver, selon la prépondérance des probabilités, que le transporteur n’a pas correctement appliqué les conditions de transport énoncées dans son tarif ou qu’il ne les a pas appliquées de façon uniforme.

[39] Le voyage de Mme Gavryliuk et de ses enfants comprenait le transport à destination et en provenance du Canada; par conséquent, la Convention de Montréal s’applique à la demande de Mme Gavryliuk. Il convient de noter que la Convention de Montréal est également incorporée par renvoi dans les règles 105(B)(5) et 55(A) des tarifs d’Air Canada et de Lufthansa, respectivement.

[40] En cas de dommage causé par un retard, l’article 19 de la Convention de Montréal prévoit que le transporteur n’est pas responsable du dommage causé par un retard s’il prouve qu’il a pris toutes les mesures qui pouvaient raisonnablement s’imposer pour éviter le dommage.

[41] En l’espèce, il est incontesté que le vol initial de la famille entre Ottawa et Montréal le 12 mars 2017, de même que les vols de réacheminement subséquents d’Ottawa à Toronto et de Toronto à Munich, le 14 mars 2017, ont été retardés.

[42] La règle 80(B) du tarif de Lufthansa énonce une liste de mesures de rechange à prendre par le transporteur en cas de retard d’un vol. La règle stipule que le transporteur prendra l’une des mesures suivantes :

1) transporter le passager à bord d’un de ses autres aéronefs si l’espace le permet;

2) accepter la partie inutilisée du billet afin qu’un autre transporteur ou service de transport réachemine le passager;;

3) réacheminer le passager par ses propres services ou par d’autres services de transport.

[43] L’Office note que, pour déterminer la meilleure façon d’atténuer les dommages causés par un retard, le transporteur doit examiner toutes les options, y compris celles qui sont énoncées dans son tarif, et les envisager selon la situation particulière du passager. En l’espèce, Air Canada a réacheminé la famille sur des vols partant deux jours plus tard parce que le prochain vol de Lufthansa entre Munich et Lviv n’avait lieu que le 15 mars 2017. Toutefois, la preuve montre que le matin du 12 mars 2017, soit plusieurs heures avant le départ prévu, Air Canada savait que le vol du 12 mars au soir serait retardé. De plus, même si Air Canada a eu tout ce temps pour répondre, rien ne prouve qu’elle a pris toutes les mesures qui pouvaient raisonnablement s’imposer pour s’assurer que Mme Gavryliuk et ses enfants arrivent à l’aéroport de Montréal à temps pour leur vol de Montréal à Munich qui partait à 21 h 05, non plus qu’elle a vérifié s’il y avait d’autres vols ou d’autres moyens de transport à destination de Montréal. Par conséquent, l’Office conclut que les transporteurs ne se sont pas acquittés du fardeau de la preuve qui leur incombait de prouver qu’ils ont pris toutes les mesures qui pouvaient raisonnablement s’imposer pour éviter les dommages causés par le retard du vol du 12 mars, ou qu’il leur était impossible de prendre de telles mesures.

[44] L’Office conclut en outre que, puisqu’Air Canada était responsable du retard initial de Mme Gavryliuk et de ses enfants le 12 mars 2017 et qu’elle devait également prendre toutes les mesures qui pouvaient raisonnablement s’imposer pour atténuer les dommages causés par ce retard, Air Canada est donc responsable du dommage subi, en vertu de l’article 19 de la Convention de Montréal.

[45] Mme Gavryliuk prétend qu’elle et sa famille ont engagé les dépenses suivantes en raison des retards :

a) les frais de stationnement à l’aéroport d’Ottawa le 12 mars 2017;

b) les frais de stationnement payés par la famille de Mme Gavryliuk à l’aéroport de Lviv le 15 mars 2017;

c) les coûts des repas et de l’essence achetés par la famille de Mme Gavryliuk pour se rendre en voiture de l’aéroport de Lviv à l’aéroport de Kiev, puis à Tchernivtsi le 15 mars 2017.

[46] Air Canada conteste les dépenses engagées, car aucune preuve n’a été déposée pour appuyer les réclamations demandées. L’Office note qu’une partie, en s’efforçant de prouver un fait, doit le faire en présentant les meilleures preuves disponibles à la lumière de la nature et des circonstances du cas (par exemple, les reçus originaux de l’achat), et que les circonstances peuvent faire en sorte qu’il soit déraisonnable d’exiger cette forme de preuve. D’autres méthodes pourraient convenir dans certains cas, comme une déclaration sous serment ou le caractère raisonnable inhérent des dépenses réclamées.

[47] En l’espèce, l’Office conclut qu’il est raisonnable que Mme Gavryliuk ait engagé des frais de stationnement à l’aéroport d’Ottawa le 12 mars 2017 et accepte la demande présentée.

[48] En ce qui concerne les dépenses engagées par la famille de Mme Gavryliuk le 15 mars 2017, l’Office conclut que les dépenses réclamées sont directement liées au retard du vol initial d’Ottawa à Montréal de Mme Gavryliuk et de ses enfants le 12 mars 2017, car elles n’auraient pas été engagées si le vol avait été effectué comme prévu ou si Mme Gavryliuk et ses enfants avaient été transportés à Montréal à temps pour prendre leur vol initialement prévu à destination de Lviv. L’Office conclut que les demandes sont raisonnables étant donné que Mme Gavryliuk et ses enfants devaient initialement arriver à Lviv, que la distance était importante entre Lviv, Kiev et Tchernivtsi, et qu’il a fallu beaucoup de temps pour faire les trajets entre ces points en voiture. Par conséquent, l’Office accepte les demandes présentées, à l’exception des dépenses d’essence. L’Office note que Mme Gavryliuk réclame des frais d’essence à destination et en provenance de Tchernivtsi alors que sa destination initiale était Lviv. Par conséquent, l’Office conclut qu’Air Canada n’est responsable que de la distance parcourue entre les points Lviv-Kiev-Lviv, car la distance entre Tchernivtsi et Lviv aurait été parcourue même s’il n’y avait pas eu de retard.

[49] En ce qui concerne le montant en dollars associé aux dépenses réclamées, l’Office donne aux parties l’occasion de conclure une entente. Si une entente ne peut être conclue, Mme Gavryliuk devrait en aviser l’Office, et les actes de procédure seront ouverts sur la question.

CONCLUSION

[50] À la lumière de ce qui précède, l’Office conclut qu’Air Canada, agissant à titre de mandataire de Lufthansa, n’a pas prouvé qu’elle a pris toutes les mesures qui pouvaient raisonnablement s’imposer pour éviter les dommages causés par le retard du vol du 12 mars 2017, comme l’exigent l’article 19 de la Convention de Montréal et la règle 55(A) du tarif de Lufthansa. Air Canada n’a donc pas correctement appliqué les conditions du tarif de Lufthansa, contrevenant ainsi au paragraphe 110(4) du RTA. L’Office conclut également qu’Air Canada est responsable des dépenses supportées les 12 et 15 mars, puisqu’elles sont directement liées au retard du vol initial de Mme Gavryliuk et de ses enfants le 12 mars 2017 d’Ottawa à Montréal.

ORDONNANCE

[51] L’Office ordonne à Air Canada, conformément à l’alinéa 113.1b) du RTA, d’indemniser Mme Gavryliuk pour les dépenses suivantes :

a) les frais de stationnement à l’aéroport d’Ottawa le 12 mars 2017;

b) les frais de stationnement payés par la famille de Mme Gavryliuk à l’aéroport de Lviv le 15 mars 2017;

c) les coûts des repas et de l’essence achetés par la famille de Mme Gavryliuk pour aller chercher Mme Gavryliuk et ses enfants le 15 mars 2017.

Après qu’une entente aura été conclue entre les parties concernant le montant des dépenses à rembourser à Mme Gavryliuk, les parties sont priées d’en informer le Secrétariat de l’Office. Si une entente ne peut être conclue, Mme Gavryliuk devra en aviser l’Office au plus tard le 25 février 2019, et l’Office ouvrira les actes de procédure sur la question.

Membre(s)

Elizabeth C. Barker
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