Décision n° 706-AT-A-2003

le 22 décembre 2003

le 22 décembre 2003

DEMANDE présentée par Hugh Brazell en vertu du paragraphe 172(1) de la Loi sur les transports au Canada, L.C. (1996), ch. 10, relativement à l'assignation de places et au niveau de service offert par Skyservice Airlines Inc. lors d'un voyage aller-retour partant de Calgary (Alberta), Canada le 21 décembre 2002 et revenant de Holguin, Cuba, le 4 janvier 2003.

Référence no U3570/03-4


DEMANDE

Le 20 janvier 2003, Cheryl Brazell, au nom de son époux, Hugh Brazell, a déposé auprès de l'Office des transports du Canada (ci-après l'Office) la demande décrite dans l'intitulé.

Le 18 mars 2003, Skyservice Airlines Inc. (ci-après Skyservice) a déposé sa réponse à la demande.

Dans la décision no LET-AT-A-101-2003 rendue par lettre du 24 avril 2003, l'Office enjoignait à Skyservice de lui fournir des renseignements spécifiques et, le 29 avril 2003, le transporteur a déposé la documentation exigée. Mme Brazell a répliqué à la réponse du transporteur le 25 mai 2003.

Le 1er août 2003, par voie de la décision no LET-AT-A-164-2003 rendue par lettre, l'Office exigeait que Skyservice dépose de l'information additionnelle. Skyservice a donné suite à cette requête le 12 août 2003, et Mme Brazell a fait part de ses observations le 20 août 2003.

Aux termes du paragraphe 29(1) de la Loi sur les transports au Canada (ci-après la LTC), l'Office est tenu de rendre sa décision au plus tard 120 jours après la date de réception de la demande, sauf s'il y a accord entre les parties pour une prolongation du délai. Dans le cas présent, les parties ont convenu de prolonger le délai pour une période indéterminée.

QUESTIONS PRÉLIMINAIRES

Bien que la réponse de Skyservice ainsi que l'information additionnelle qu'elle a soumise en date du 12 août 2003 aient été déposées après les délais prescrits, l'Office, en vertu de l'article 8 des Règles générales de l'Office national des transports, DORS/88-23, les accepte, les jugeant pertinentes et nécessaires à l'examen de cette affaire.

L'Office note que dans la demande Mme Brazell indique qu'elle avait dû payer des frais de 20 $ pour pouvoir occuper un siège à côté de celui de M. Brazell afin de lui prêter l'assistance nécessaire pour répondre à ses besoins personnels. Cependant, l'Office note également que Skyservice lui a remboursé cette somme et que Mme Brazell s'est dite satisfaite. Par conséquent, l'Office ne se penchera pas davantage sur ce point.

QUESTION

L'Office doit déterminer si le siège assigné à M. Brazell et le niveau de service que lui a offert Skyservice lors du voyage aller-retour entre Calgary et Holguin ont constitué des obstacles abusifs à ses possibilités de déplacement et, dans l'affirmative, quelles mesures correctives s'imposent.

FAITS

M. Brazell a la maladie de Parkinson qui est, dans son cas, caractérisée par une rigidité musculaire et une dyskinésie. Pour cette raison, il requiert un siège avec suffisamment de dégagement aux jambes lorsqu'il voyage. Un billet du médecin en date du 12 mars 2002 confirme son état physique. Ce billet a été remis à l'agent de voyage au moment de la réservation le 9 septembre 2002.

Mme Brazell a fait appel à un agent de voyage pour réserver des billets, pour elle-même et M. Brazell, en vue de voyager entre Calgary et Holguin. Elle avait du même coup demandé des sièges contigus près cloison afin qu'elle puisse s'occuper de son époux pendant les vols. Ceci comprend l'aide pour déballer les aliments et les ustensiles que l'on sert aux passagers pendant les vols.

Le 21 décembre 2002, M. et Mme Brazell prenaient place à bord du vol no 362 de Skyservice entre Calgary et Holguin. Le retour à Calgary, le 4 janvier 2003, était assuré par le vol no 363. Ces vols étaient effectués au moyen de Boeing 757. M. et Mme Brazell n'ont pas pu occuper les sièges qu'ils avaient demandés préalablement ni pour l'aller ni pour le retour. De plus, on ne leur a pas offert d'autres sièges avec le dégagement aux jambes dont M. Brazell a besoin en raison de son état physique.

Skyservice, au titre d'exploitant de vols affrétés, passe un contrat avec un ou plusieurs voyagistes pour la vente de sièges à bord des aéronefs. Les demandes spéciales, notamment les demandes d'assignation préalable de sièges, sont traitées par les voyagistes avec qui Skyservice fait affaires. Skyservice reçoit une copie de la liste des passagers, y compris toutes les demandes de services pour les passagers ayant une déficience, au plus tard 48 heures avant le départ du vol.

Selon les politiques de Skyservice intitulées Pre-assignment for Persons with Special Needs et Seat Assignment at Check-In (Assignation préalable de places aux personnes ayant des besoins particuliers et Assignation des places à l'enregistrement) :

  • les demandes d'assignation préalable de sièges aux personnes ayant une déficience seront reçues sur la base du premier arrivé, premier servi, et ce jusqu'à 48 heures avant le départ;
  • la rangée 1 ou les sièges près cloison sont réservés pour les passagers ayant des troubles médicaux;
  • si une demande est faite moins de 48 heures à l'avance, un effort raisonnable devra néanmoins être fait pour donner suite à la demande, y compris au moment de l'enregistrement;
  • un effort raisonnable devra également être fait pour retenir les sièges accessibles jusqu'à la fin de l'enregistrement et de les assigner aux passagers ayant une déficience qui pourraient en avoir besoin;
  • la personne ayant une déficience doit être avisée des sièges à bord de l'aéronef à bord duquel elle prendra place qui sauront mieux répondre à ses besoins; la personne doit pouvoir choisir le siège qu'elle juge le plus convenable pour elle, à l'exception des sièges dans les rangées où se trouvent les issues de secours que les personnes non autonomes ne peuvent occuper;
  • les sièges sont assignés aux passagers qui n'ont pas réservé de places au préalable sur la base du premier arrivé, premier servi; un effort raisonnable sera fait afin d'assurer que les sièges accessibles (munis d'accoudoirs mobiles) sont assignés en dernier lieu aux passagers n'ayant pas de déficience.

POSITIONS DES PARTIES

Mme Brazell fait valoir que leur agent de voyage avait transmis la demande de sièges au service de réservation de Skyservice le 9 septembre 2002, avec une mention précise que M. et Mme Brazell devaient occuper des sièges contigus près cloison. Mme Brazell ajoute que l'agent de voyage avait confirmé à deux reprises avant le voyage la réservation préalable des sièges. Mme Brazell déclare toutefois qu'au moment de l'enregistrement à l'aéroport de Calgary, un agent de Skyservice lui a indiqué qu'il n'y avait rien au dossier pour indiquer que des sièges avaient été demandés à l'avance pour M. et Mme Brazell au moment de la réservation.

Mme Brazell fait valoir que puisque les préposés à l'enregistrement aux deux aéroports ignoraient tout de leur demande d'assignation préalable de sièges et qu'ils lui ont déclaré que les listes de sièges assignés à l'avance leur sont transmises du bureau du transporteur à Toronto, tout porte à croire que le système a fait défaut, et ce en dépit des politiques en place.

Mme Brazell allègue qu'elle a avisé le personnel au sol qu'il y avait un problème de sièges et qu'on l'a assurée que quelqu'un allait communiquer avec un représentant à Toronto pour veiller à ce que les sièges appropriés soient réservés à bord du vol de retour à Calgary.

Mme Brazell déclare qu'à l'embarquement à Calgary, elle était debout dans l'allée et a mentionné qu'elle et M. Brazell devaient occuper des sièges près cloison et que quatre membres de l'équipage, debout directement derrière la cloison, n'ont pas tenu compte de son affirmation.

Mme Brazell fait valoir que l'agent à la billetterie leur a dit que les sièges qu'ils allaient occuper étaient les meilleurs sièges. De l'avis de Mme Brazell, il s'agissait plutôt des pires sièges à bord de l'aéronef pour M. Brazell. Lesdits sièges étant fixes ont été une source d'inconfort.

Mme Brazell indique qu'à Cuba, elle a communiqué avec l'agent de voyage pour tenter d'obtenir le siège qui avait été réservé à l'avance pour M. Brazell à bord du vol de retour. L'agent de voyage a par la suite confirmé que les sièges 1F et 2F, étant des sièges accessibles à bord du vol de retour à Calgary, seraient retenus pour les Brazell. Cependant, à leur arrivée à l'aéroport de Cuba pour le retour à Calgary, l'agent de Skyservice à l'enregistrement n'avait rien au dossier pour indiquer qu'une demande de réservation préalable de sièges avait été faite pour les Brazell.

Par suite des incidents décrits ci-dessus, Mme Brazell désire obtenir des excuses de Skyservice pour avoir omis de leur assigner des sièges accessibles, sièges qui avaient été réservés au préalable, et pour le manque de sensibilité qu'ont manifesté ses représentants pour ce qui est de répondre aux besoins de M. Brazell. Elle souhaite également recevoir l'assurance de Skyservice que des efforts seront faits en vue d'éviter la répétition d'une situation comme celle qu'a vécue M. Brazell.

Skyservice reconnaît avoir reçu la demande de sièges de M. et Mme Brazell et que l'information afférente était bien notée au dossier d'enregistrement des passagers pour leur voyage aller-retour entre Calgary et Holguin. Skyservice explique que ses services à l'enregistrement et à l'embarquement sont assurés par des agents contractuels locaux qui semblent avoir commis des erreurs lors de l'enregistrement. Pour cette raison, M. et Mme Brazell n'ont pas obtenu les sièges qu'ils avaient demandés au préalable à bord des vols.

Skyservice fait savoir que les agents contractuels sont ses représentants. Skyservice déclare avoir revu la situation qu'ont vécue les Brazell avec tous les préposés à l'enregistrement et le personnel au sol contractuel en vue d'assurer qu'ils suivent les procédures établies en tout temps afin de prévenir la répétition de situations pareilles à celle vécue par M. Brazell.

Dans une lettre adressée à M. Brazell et signifiée à l'Office avec sa réponse à la demande, Skyservice se dit sincèrement désolée pour tout inconvénient qu'auraient pu vivre M. et Mme Brazell en raison de l'assignation des places lors de leur voyage.

Bien que Mme Brazell dise apprécier les excuses de Skyservice, elle déclare qu'elles n'allègent aucunement l'inconfort et la frustration qu'elle et son époux ont connus en raison de l'incapacité de Skyservice de s'acquitter de ses responsabilités en matière de service lors de leur voyage.

ANALYSE ET CONSTATATIONS

Pour en arriver à ses constatations, l'Office a tenu compte de tous les éléments de preuve soumis par les parties au cours des plaidoiries.

La demande doit être présentée par une personne ayant une déficience ou en son nom. M. Brazell est une personne à mobilité réduite en raison d'une rigidité musculaire et de dyskinésie. Il est donc une personne ayant une déficience aux fins de l'application des dispositions d'accessibilité de la LTC.

Pour déterminer s'il existe un obstacle abusif aux possibilités de déplacement des personnes ayant une déficience au sens du paragraphe 172(1) de la LTC, l'Office doit d'abord déterminer si les possibilités de déplacement de la personne qui présente la demande ont été restreintes ou limitées par un obstacle. Le cas échéant, l'Office doit alors décider si l'obstacle était abusif. Pour répondre à ces questions, l'Office doit tenir compte des circonstances de l'affaire dont il est saisi.

Les possibilités de déplacement ont-elles été restreintes ou limitées par un obstacle ?

L'expression « obstacle » n'est pas définie dans la LTC, ce qui donne à penser que le Parlement ne voulait pas limiter la compétence de l'Office compte tenu de son mandat d'éliminer les obstacles abusifs dans le réseau de transport de compétence fédérale. De plus, le terme « obstacle » a un sens large et s'entend habituellement d'une chose qui entrave le progrès ou la réalisation.

Pour déterminer si une situation constitue ou non un « obstacle » aux possibilités de déplacement d'une personne ayant une déficience dans un cas donné, l'Office se penche sur les déplacements de cette personne qui sont relatés dans la demande. Dans le passé, l'Office a conclu qu'il y avait eu des obstacles dans plusieurs circonstances différentes.

Par exemple, dans certains cas des personnes n'ont pas pu voyager, d'autres ont été blessées durant leurs déplacements (notamment quand l'absence d'installations convenables durant le déplacement affecte la condition physique du passager) et d'autres encore ont été privées de leurs aides à la mobilité endommagées pendant le transport. De plus, l'Office a identifié des obstacles dans les cas où des personnes ont finalement été en mesure de voyager, mais les circonstances découlant de l'expérience ont été telles qu'elles ont miné leur sentiment de confiance, de dignité, de sécurité, situation qui pourrait décourager ces personnes de voyager à l'avenir.

Le cas présent

Assignation des sièges

Selon les mémoires des parties, l'Office accepte le fait que M. et Mme Brazell avaient en effet demandé préalablement des sièges offrant plus de dégagement aux jambes pour leur voyage aller-retour avec Skyservice et que le transporteur avait reçu cette information pertinente avant le voyage, information qui avait été consignée au dossier d'enregistrement. L'Office note cependant qu'en dépit de ces arrangements, le 21 décembre 2002 à l'aéroport de Calgary puis le 4 janvier 2003 à l'aéroport de Cuba, les agents de Skyservice ont avisé les Brazell que rien au dossier ne faisait état d'une demande de réservation préalable de sièges. De plus, ces agents n'ont pas pu trouver l'information nécessaire dans les documents d'enregistrement. Ainsi, M. Brazell n'a pas pu obtenir un siège près cloison qui lui aurait offert l'espace additionnel pour ses jambes pendant les vols. M. Brazell s'est plutôt vu assigner un siège fixe qui lui a causé un certain inconfort.

À la lumière de ce qui précède, l'Office détermine que le siège assigné à M. Brazell à bord des deux vols a constitué un obstacle à ses possibilités de déplacement.

Niveau de service assuré par le personnel de Skyservice

L'Office note que M. et Mme Brazell avaient demandé à l'agent de voyage, au moment de la réservation, de retenir des sièges près cloison de façon à répondre aux besoins particuliers de M. Brazell pendant les vols.

Que des sièges près cloison aient ou non été disponibles à bord des vols en question, l'Office est d'avis que le personnel de Skyservice n'a pas entamé un dialogue avec M. Brazell pour déterminer ses besoins particuliers. Il a également omis de transmettre aux Brazell les renseignements pertinents aux autres sièges disponibles afin de leur permettre de prendre une décision avisée, en fonction des besoins de M. Brazell, quant aux sièges qui conviendraient mieux. Par conséquent, l'Office est d'avis qu'en raison du manque de communication efficace avec M. Brazell relativement aux solutions de rechange possibles pour trouver des sièges offrant les caractéristiques d'accessibilité pertinentes, le personnel de Skyservice a démontré qu'il était ni conscient des besoins particuliers de M. Brazell ni sensible à ceux-ci.

L'Office note que les politiques de Skyservice relatives à l'assignation des places renferment des directives générales qui appuient le besoin de communiquer et de dialoguer avec une personne ayant une déficience afin de déterminer quel siège serait le plus accessible et saurait mieux répondre à ses besoins. Cependant, l'Office est d'avis, à en juger par le comportement du personnel de Skyservice lors de l'enregistrement et de l'embarquement, que ces directives n'ont pas été suivies dans ce cas.

À la lumière de ce qui précède, l'Office conclut que le manque d'un dialogue efficace entre le personnel de Skyservice et M. et Mme Brazell, ainsi que la non-reconnaissance et le manque de sensibilité à l'égard des besoins particuliers de M. Brazell en matière de sièges, ont entraîné des circonstances qui ont miné la qualité du voyage de M. Brazell, car il a subi un inconfort inutile pendant les vols. Par conséquent, l'Office détermine que le niveau de service offert par le personnel de Skyservice a constitué un obstacle aux possibilités de déplacement de M. Brazell.

L'obstacle était-il abusif ?

À l'instar du terme « obstacle », l'expression « abusif » n'est pas définie dans la LTC, ce qui permet à l'Office d'exercer sa discrétion pour éliminer les obstacles abusifs dans le réseau de transport de compétence fédérale. Le mot « abusif » a également un sens large et signifie habituellement que quelque chose dépasse ou viole les convenances ou le bon usage (excessif, immodéré, exagéré). Comme une chose peut être jugée exagérée ou excessive dans un cas et non dans un autre, l'Office doit tenir compte du contexte de l'allégation d'obstacle abusif. Dans cette approche contextuelle, l'Office doit trouver un juste équilibre entre le droit des passagers ayant une déficience d'utiliser le réseau de transport de compétence fédérale sans rencontrer d'obstacles abusifs, et les considérations et responsabilités commerciales et opérationnelles des transporteurs. Cette interprétation est conforme à la politique nationale des transports établie à l'article 5 de la LTC et plus précisément au sous-alinéa 5g)(ii) de la LTC qui précise, entre autres, que les modalités en vertu desquelles les transporteurs ou modes de transport exercent leurs activités ne constituent pas, dans la mesure du possible, un obstacle abusif aux possibilités de déplacement des personnes ayant une déficience.

L'industrie des transports élabore ses services pour répondre aux besoins des utilisateurs. Les dispositions d'accessibilité de la LTC exigent quant à elles que les fournisseurs de services de transport du réseau de transport de compétence fédérale adaptent leurs services dans la mesure du possible aux besoins des personnes ayant une déficience. Certains empêchements doivent toutefois être pris en considération, par exemple les mesures de sécurité que les transporteurs doivent adopter et appliquer, les horaires qu'ils doivent s'efforcer de respecter pour des raisons commerciales, la configuration du matériel et les incidences d'ordre économique qu'aura l'adaptation d'un service sur les transporteurs aériens. Ces empêchements peuvent avoir une incidence sur les personnes ayant une déficience. Ainsi, ces personnes ne pourront pas nécessairement embarquer avec leur propre fauteuil roulant, elles peuvent devoir arriver à l'aérogare plus tôt aux fins de l'embarquement et elles peuvent devoir attendre plus longtemps pour obtenir de l'assistance au débarquement que les personnes n'ayant pas de déficience. Il est impossible d'établir une liste exhaustive des obstacles qu'un passager ayant une déficience peut rencontrer et des empêchements que les fournisseurs de services de transport connaissent dans leurs efforts pour répondre aux besoins des personnes ayant une déficience. Il faut en arriver à un équilibre entre les diverses responsabilités des fournisseurs de services de transport et le droit des personnes ayant une déficience à voyager sans rencontrer d'obstacle, et c'est dans cette recherche d'équilibre que l'Office applique le concept d'obstacle abusif.

Le cas présent

Ayant déterminé que le fait que Skyservice n'a pas assigné à M. Brazell un siège avec le dégagement aux jambes dont il avait besoin en raison de sa déficience et que son personnel n'a pas offert le niveau de service convenable ont constitué des obstacles à ses possibilités de déplacement, l'Office doit maintenant déterminer si ces obstacles étaient abusifs.

Assignation des places

L'Office note que la demande de M. Brazell en vue d'obtenir des sièges près cloison a été faite au moment de la réservation, à l'enregistrement à l'aéroport de Calgary, lors de l'embarquement à bord du vol partant de Calgary et lors de l'enregistrement à l'aéroport à Cuba. L'Office note également que pendant le séjour à Cuba, Mme Brazell a communiqué avec l'agent de voyage pour confirmer de nouveau la demande de sièges près cloison à bord du vol de retour à Calgary.

Skyservice a confirmé avoir reçu l'information au sujet de la demande préalable de sièges et qu'elle a été enregistrée correctement dans les documents d'enregistrement relatifs aux vols en question. L'Office note également la reconnaissance par Skyservice que ses agents contractuels locaux auraient commis une erreur lors de l'enregistrement à Calgary comme à Holguin.

L'Office note que les politiques de Skyservice énoncent clairement que ses services aux personnes ayant une déficience comprennent le fait de leur accorder la priorité pour ce qui est des réservations, que les sièges près cloison sont réservés pour les personnes ayant des problèmes médicaux, et que ses représentants sont tenus d'informer les personnes ayant une déficience au sujet des sièges qui sont les plus accessibles pour eux et de les laisser choisir les sièges qu'elles jugent elles-mêmes plus convenables. L'Office note que ces mêmes politiques prévoient également que les sièges accessibles (munis d'accoudoirs mobiles) doivent être les derniers à être offerts aux passagers n'ayant aucune déficience. Bien que les politiques de Skyservice tiennent compte du fait que les sièges accessibles comprennent ceux qui sont munis d'accoudoirs mobiles, il importe que Skyservice sache que de tels sièges ne sont pas les seuls qui soient accessibles à bord d'un aéronef. L'Office tient à souligner que plusieurs autres peuvent présenter des caractéristiques d'accessibilité, y compris les sièges près cloison, les sièges côté allée et les sièges à proximité des toilettes. Certaines décisions antérieures de l'Office font d'ailleurs état de la même constatation. De plus, il importe de bien comprendre, grâce à une communication ouverte et claire, quels sont les besoins des personnes ayant une déficience lorsqu'elles voyagent et les caractéristiques d'accessibilité dont elles ont besoin en matière de service.

L'Office est préoccupé par des situations comme celle qu'a vécue M. Brazell alors que les représentants du transporteur ne suivent pas les politiques et les procédures en place en vue de répondre aux besoins des personnes ayant une déficience, par exemple relativement à la réservation préalable de sièges pour les personnes qui ont des besoins particuliers et leur assignation lors de l'enregistrement.

Bien que des politiques soient en place, le système aura fait défaut à en juger par les mémoires déposés par les parties. L'Office cite le mémoire de Mme Brazell dans lequel elle déclare que l'agent de voyage a transmis la demande expresse de réservation des sièges à Skyservice. L'Office note cependant que c'est le voyagiste qui reçoit initialement toutes les demandes de services spéciaux et qui se charge de les transmettre à Skyservice, y compris la liste des passagers, 48 heures avant le départ du vol. Dans le cas présent, Skyservice a confirmé avoir effectivement reçu l'information appropriée de la part du voyagiste pour le compte de M. Brazell. Par contre, étant donné que pour les deux vols en question les préposés à l'enregistrement n'ont pu recourir à l'information relative aux besoins de M. Brazell ni à sa demande de sièges près cloison, l'Office n'est pas convaincu que les procédures actuelles de Skyservice lui permettent de faire connaître à son personnel quels sont les besoins des passagers ayant une déficience et de s'assurer que les services appropriés seront fournis.

L'Office conclut que Skyservice a omis d'assigner à M. Brazell les sièges près cloison qu'il avait demandés au préalable et que, bien que Mme Brazell ait de nouveau fait la demande de tels sièges à l'enregistrement à Calgary et à Cuba, le personnel de Skyservice, dans les deux cas, ne semble pas avoir fait d'effort pour trouver d'autres arrangements à bord de l'un ou l'autre vol qui auraient permis à M. Brazell de prendre place dans un siège qui lui aurait fourni le dégagement aux jambes dont il a besoin lorsqu'il voyage.

À la lumière de ce qui précède, l'Office détermine que le fait que le personnel de Skyservice n'ait pas assigné à M. Brazell les sièges près cloison qui avaient été demandés au préalable ni tenté de trouver d'autres sièges qui lui auraient assuré plus d'espace pour les jambes à bord des vols nos 362 et 363 a constitué un obstacle abusif à ses possibilités de déplacement.

Niveau de service offert par le personnel de Skyservice

L'Office note que Skyservice a affirmé être consciente de l'importance particulière des services à la clientèle, surtout pour les passagers ayant une déficience, et qu'elle a assuré M. et Mme Brazell que ses politiques et ses procédures tiennent compte des besoins des passagers ayant une déficience.

L'Office se dit préoccupé par de telles déclarations, surtout lorsqu'elles ont trait à des situations comme celle qu'a vécue M. Brazell, alors que les passagers ont fait plusieurs tentatives pendant le voyage pour obtenir l'aide du personnel du transporteur aérien, et ce après avoir constaté qu'il pourrait y avoir des problèmes à obtenir les sièges près cloison qu'ils avaient demandés préalablement. Cependant, les représentants du transporteur n'ont pas été en mesure de donner suite à la demande ou d'offrir d'autres sièges offrant l'espace dont M. Brazell avait besoin pour ses jambes.

L'Office est d'avis que la formation du personnel peut permettre d'accroître la sensibilisation et la sensibilité relativement aux besoins des personnes ayant une déficience et à l'assistance dont elles ont besoin lorsqu'elles voyagent. L'Office souligne que l'alinéa 4a) du Règlement sur la formation du personnel en matière d'aide aux personnes ayant une déficience, DORS/94-42 (ci-après le Règlement sur la formation), exige que les employés et les entrepreneurs qui fournissent des services liés au transport, qui interagissent avec le public ou qui prennent des décisions concernant le transport des personnes ayant une déficience reçoivent une formation traitant des politiques et procédures du transporteur à l'égard de ces personnes.

L'Office est d'avis que Skyservice doit assumer la responsabilité de s'assurer que ses politiques et ses procédures relatives au transport des personnes ayant une déficience sont bien transmises à ses représentants par l'entremise de programmes de formation, lesquels doivent les sensibiliser aux besoins particuliers des personnes ayant une déficience afin qu'ils soient en mesure d'assurer la prestation du niveau de service nécessaire à ces voyageurs.

À la lumière de ce qui précède, l'Office conclut que le personnel de Skyservice n'a pas entamé le dialogue nécessaire avec M. et Mme Brazell, démontrant ainsi un manque de sensibilité à l'égard des besoins particuliers de M. Brazell en matière de sièges. De plus, l'Office est d'avis que le fait que le personnel de Skyservice n'a pas suivi les politiques et les procédures établies démontre en soi un manquement possible de la part de Skyservice en matière de formation appropriée relative aux politiques et aux procédures visant les personnes ayant une déficience. Ainsi, l'Office conclut que le niveau de service offert par le personnel lors de l'enregistrement ainsi qu'à l'embarquement à bord des deux vols en question a constitué un obstacle abusif aux possibilités de déplacement de M. Brazell.

CONCLUSION

À la lumière des constatations qui précèdent, l'Office conclut que l'assignation des sièges et le niveau de service offert à M. Brazell par Skyservice lors de son voyage aller-retour entre Calgary et Holguin ont constitué des obstacles abusifs à ses possibilités de déplacement.

De plus, l'Office enjoint par les présentes à Skyservice de prendre les mesures ci-après dans les trente (30) jours de la date de la présente décision :

  1. Déposer auprès de l'Office une copie de son programme de formation du personnel, y compris l'information prescrite à l'annexe (article 11) du Règlement sur la formation. L'Office désire surtout connaître les dispositions du programme de Skyservice qui traitent des préoccupations soulevées par Mme Brazell dans son mémoire relativement (i) à la connaissance qu'a son personnel des politiques et des procédures du transporteur ainsi que des conditions de transport et (ii) à la nécessité pour le personnel d'entamer un dialogue avec le passager ayant une déficience quant à ses besoins, et ce afin de déterminer quel siège ou quels services il préfère.
  2. Déposer les dossiers de formation du personnel concerné, y compris les préposés à l'enregistrement à Calgary et à Holguin et les agents de bord qui ont interagi avec les Brazell, en indiquant les dates auxquelles ils ont reçu la formation initiale et suivi des cours de recyclage.
  3. Diffuser un bulletin à l'intention de tous les représentants du transporteur (y compris les employés et les agents contractuels du transporteur) qui interagissent directement ou non pour assurer la prestation de services aux passagers ayant une déficience.

    Le bulletin doit relater l'incident vécu par M. Brazell, sans mentionner son nom, et souligner l'importance d'être suffisamment conscient des besoins particuliers des voyageurs ayant une déficience et d'y être sensible. De plus, le bulletin doit insister sur l'importance (i) de suivre les politiques et les procédures du transporteur relativement à la prestation de services aux passagers ayant une déficience; (ii) d'entamer une discussion avec une personne ayant une déficience afin de s'assurer que l'on a bien compris quels sont ses besoins et ses capacités et que les représentants en tiennent compte; et (iii) d'être sensible aux besoins des voyageurs ayant une déficience et toujours conscient de ceux-ci afin de leur permettre de déterminer le niveau approprié d'aide requise dans une situation particulière.

    Le bulletin doit aussi préciser que, conformément à la politique d'assignation des sièges du transporteur, les sièges de la rangée 1 ou les sièges près cloison sont réservés à l'intention des passagers qui ont des problèmes médicaux et que ces places peuvent être assignées à l'avance par l'entremise du service de réservation du transporteur ou à l'enregistrement. Le bulletin se voudra également un rappel à l'intention de ses représentants qu'au moment de la réservation préalable des sièges près cloison, la priorité sera accordée avant tout aux passagers ayant une déficience. Ceux-ci pourront choisir le siège qui, à leur avis, répondra le mieux à leurs besoins.

    Skyservice doit également transmettre à l'Office une copie du bulletin intégral.

  4. Décrire en détail les procédures qui sont en place afin d'assurer que les demandes de services spécifiques faites par les passagers ayant une déficience auprès des voyagistes avec qui Skyservice fait affaire sont consignées intégralement et correctement dans les dossiers de Skyservice afin que les préposés à l'enregistrement et les employés au sol puissent connaître les détails de ces demandes et y donner suite.

À la suite de l'examen des documents exigés, l'Office déterminera si d'autres mesures s'imposent relativement à ce dossier.

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