Décision n° 78-AT-C-A-2019
DEMANDE présentée par Tanveer Akhtar (demanderesse) contre Saudi Arabian Airlines Corporation (Saudi Arabian Airlines).
RÉSUMÉ
[1] La demanderesse a déposé une demande auprès de l’Office des transports du Canada (Office) contre Saudi Arabian Airlines, au titre du paragraphe 172(1) de la Loi sur les transports au Canada, L.C. 1996, ch. 10, modifiée (LTC), concernant le manquement présumé du transporteur à fournir une assistance avec fauteuil roulant à l’aéroport international d’Islamabad (aéroport d’Islamabad).
[2] Dans la décision no LET-AT-C-A-32-2019 du 1er avril 2019 (décision), l’Office a conclu que la demanderesse est une personne ayant une déficience et qu'elle a rencontré un obstacle à ses possibilités de déplacement à l’aéroport d’Islamabad. Dans la présente décision, l’Office se penchera sur la question suivante :
- Saudi Arabian Airlines peut-elle éliminer l’obstacle aux possibilités de déplacement de la demanderesse en apportant une modification générale à ses politiques et à ses pratiques (et leur l’application), sans se voir imposer une contrainte excessive?
[3] Pour les motifs exposés ci-après, l’Office conclut que Saudi Arabian Airlines n’a pas démontré qu'elle se verrait imposer une contrainte excessive en éliminant l’obstacle aux possibilités de déplacement de la demanderesse. Par conséquent, cette dernière a rencontré un obstacle abusif à ses possibilités de déplacement au sens du paragraphe 172(1) de la LTC. L’Office ordonne à Saudi Arabian Airlines de publier un bulletin à l'intention de tous les mandataires chargés du service à la clientèle qui la représentent à l’aéroport d’Islamabad dans lequel :
- leur rappelle l’importance de répondre aux besoins en matière d’accessibilité, comme l’assistance avec fauteuil roulant, lorsque des passagers se présentent à l’enregistrement;
- les informe qu’ils doivent envoyer les demandes reçues pour de l’assistance avec fauteuil roulant à l’administration aéroportuaire d’Islamabad en temps opportun lorsque les passagers se présentent à l’enregistrement.
CONTEXTE
[4] La demanderesse a acheté des billets auprès de Saudi Arabian Airlines par l’entremise d’une agence de voyages pour un vol prévu le 31 mai 2018 d’Islamabad, Pakistan, à Toronto (Ontario), via Djeddah, Arabie saoudite.
[5] Lorsque la demanderesse s’est présentée à l’aéroport d’Islamabad le 31 mai 2018 pour prendre le vol no SV0889 à destination de Djeddah, le transport lui a été refusé. Le vol à destination de Djeddah a été retardé, et Saudi Arabian Airlines prétend que la demanderesse serait arrivée après le départ prévu de son vol pour Toronto. Saudi Arabian Airlines l’a donc automatiquement réacheminée sur un vol à destination de Djeddah le 1er juin 2018.
[6] La demanderesse n’a pas reçu l’assistance avec fauteuil roulant qu’elle avait demandée après s’être présentée au personnel de Saudi Arabian Airlines à l’aéroport d’Islamabad ni pendant la période d’attente de cinq heures à l’aéroport avant qu’on l’informe que son vol avait été changé. Saudi Arabian Airlines a payé son hébergement à l’hôtel et ses repas pendant le retard qui a duré une journée, mais ne lui a pas fourni l’assistance pour se rendre à l’hôtel et en revenir avec ses bagages.
[7] La demanderesse a réclamé une indemnisation à Saudi Arabian Airlines pour les souffrances qu’elle a subies en raison de l’absence d’assistance avec fauteuil roulant et pour le retard de son vol prévu le 31 mai 2018. En ce qui concerne les incidents survenus avant l’entrée en vigueur, le 11 juillet 2019, de la Loi canadienne sur l’accessibilité, L.C. (2019), ch. 10, l’Office n’a pas compétence pour ordonner le versement d’une indemnisation pour des questions comme les inconvénients, le traitement perçu comme manquant de dignité ou la douleur et la souffrance. Toutefois, dans la décision, l’Office a conclu que Saudi Arabian Airlines n’avait pas appliqué correctement la règle 55(B) de son tarif intitulé International Passenger Rules and Fares Tariff, NTA(A) No. 324 (tarif), et lui a ordonné de dédommager la demanderesse pour les frais qu’elle a supportés en raison du retard, à savoir les frais pour les services de bagagiste qu’elle a dû payer pour se rendre à l’hôtel et en revenir.
[8] L’Office a également conclu que la demanderesse est une personne ayant une déficience et qu’elle a rencontré un obstacle à ses possibilités de déplacement lorsqu’elle n’a pas reçu l’assistance avec fauteuil roulant qu’elle avait demandée à l’aéroport d’Islamabad.
[9] Saudi Arabian Airlines était tenue soit:
- d’expliquer comment elle propose d’éliminer l’obstacle en apportant une modification générale à la règle, à la politique, à la pratique, à la technologie ou à la structure physique visée ou, si la modification générale n’est pas possible, en adoptant une mesure d’accommodement personnalisée; ou
- de démontrer qu’elle ne peut pas éliminer l’obstacle sans se voir imposer une contrainte excessive.
[10] Le 7 mai 2019, Saudi Arabian Airlines a déposé des questions écrites conformément au paragraphe 24(1) des Règles de l’Office des transports du Canada (Instances de règlement des différends et certaines règles applicables à toutes les instances), DORS/2014-104 (Règles de règlement des différends), auxquelles la demanderesse a répondu le 6 juin 2019. Saudi Arabian Airlines a ensuite déposé sa réponse à la décision le 19 juin 2019 et la demanderesse n’a pas déposé de réplique.
OBSERVATION PRÉLIMINAIRE
[11] Dans sa réponse à la décision, Saudi Arabian Airlines réitère sa position selon laquelle l’enquête menée par l’Office en vertu du paragraphe 172(1) de la LTC, dans le cas présent, dépasse la compétence de l’Office et est donc ultra vires.
[12] La question de la compétence a été entièrement réglée dans la décision. L’Office a déjà déterminé avoir compétence pour enquêter sur le service d’assistance avec fauteuil roulant fourni à la demanderesse relativement à son vol d’Islamabad à Toronto, via Djeddah. Par conséquent, cette question ne sera pas réexaminée.
LA LOI
[13] La partie de la demande portant sur l’accessibilité a été déposée au titre du paragraphe 172(1) de la LTC, qui prévoyait ce qui suit au moment de la demande :
Même en l’absence de disposition réglementaire applicable, l’Office peut, sur demande, enquêter sur toute question relative à l’un des domaines visés au paragraphe 170(1) pour déterminer s’il existe un obstacle abusif aux possibilités de déplacement des personnes ayant une déficience.
[14] L’Office a indiqué son approche pour déterminer s’il existe un obstacle abusif aux possibilités de déplacement des personnes ayant une déficience dans la lettre d’ouverture des actes de procédure, datée du 15 octobre 2018, qui comprend une approche en trois parties.
Partie 1 : L’Office se penchera sur la question de savoir si la demanderesse, ou la personne au nom de laquelle une demande est déposée, est une personne ayant une déficience au sens de la partie V de la LTC.
Partie 2 : Si l’Office détermine que la demanderesse, ou la personne au nom de laquelle une demande est déposée, est une personne ayant une déficience au sens de la partie V de la LTC, l’Office déterminera si elle a rencontré un obstacle. Un obstacle est une règle, une politique, une pratique ou une structure physique ayant pour effet de priver une personne ayant une déficience de l’égalité d’accès aux services qui sont normalement accessibles aux autres utilisateurs du réseau de transport fédéral.
Partie 3 : Si l’Office détermine que la demanderesse, ou la personne au nom de laquelle une demande est déposée, est une personne ayant une déficience et qu’elle a rencontré un obstacle, l’Office donne au défendeur l’occasion :
- d’expliquer comment elle propose d’éliminer l’obstacle en apportant une modification générale à la règle, à la politique, à la pratique ou à la structure physique visée ou, si la modification générale n’est pas possible, en adoptant une mesure d’accommodement;
- de démontrer qu’elle ne peut pas éliminer l’obstacle sans se voir imposer une contrainte excessive.
[15] Dans la présente décision, l’Office se penchera sur la troisième partie de l’approche.
POSITION DE SAUDI ARABIAN AIRLINES
[16] Saudi Arabian Airlines indique qu’il est difficile de savoir ce que l’Office a déterminé comme ayant été l’obstacle aux possibilités de déplacement de la demanderesse. Elle se demande si l’Office s’attend à ce que Saudi Arabian Airlines fournisse une assistance avec fauteuil roulant avant que les passagers ne se présentent à ses mandataires ou après avoir été informés que leur vol est retardé jusqu’au lendemain, surtout lorsque la demande d’assistance est codée « WCHR » [pour wheelchair – fauteuil roulant] et que les passagers arrivent à l’aérogare par leurs propres moyens et sans assistance.
[17] Saudi Arabian Airlines indique que la demanderesse a demandé l’assistance « Wheel Chair Ramp (WCHR) [rampe d’accès pour fauteuils roulants] », laquelle est offerte à un passager qui se définit comme [traduction] « passager capable de marcher seul dans l’aéronef ainsi que de descendre et de monter les escaliers, mais qui a besoin d’un fauteuil roulant ou d’un autre moyen de transport pour parcourir de longues distances à l’intérieur de l’aérogare ». Elle précise que cette demande d’assistance s’adresse à des passagers qui sont presque totalement autonomes. Saudi Arabian Airlines ajoute que lorsqu’un passager passe du comptoir d’enregistrement à l’aéronef et que son dossier contient une mention pour un service minimum d’assistance avec fauteuil roulant, ledit service est fourni par ses mandataires contractuels.
[18] Saudi Arabian Airlines prétend qu’il n’est ni inhabituel ni inapproprié que des services d’assistance avec fauteuil roulant n’aient pas été fournis le 31 mai 2018 et conteste la conclusion antérieure de l’Office selon laquelle le défaut de le faire a constitué un obstacle aux possibilités de déplacement de la demanderesse. Selon Saudi Arabian Airlines, parce que le vol de la demanderesse a été retardé le 31 mai 2018, cette dernière n’a pas été enregistrée et ne s’est donc pas rendue à l’aire d’embarquement de l’aérogare, où des services d’assistance avec fauteuil roulant auraient été fournis. Saudi Arabian Airlines fait valoir qu’elle n’est pas tenue, selon son tarif ou le droit international, de fournir des services d’assistance avec fauteuil roulant depuis le débarcadère de l’aérogare jusqu’au comptoir d’enregistrement. Elle prétend plutôt que cette obligation incombe à l’administration aéroportuaire d’Islamabad ou au gouvernement local.
[19] Saudi Arabian Airlines fait valoir qu’elle ne peut pas éliminer l’obstacle, car la situation s’est présentée en dehors de ses principaux centres aéroportuaires. Étant donné que tous les services liés à l’accessibilité sont fournis par un mandataire contractuel à l’aéroport d’Islamabad, elle soutient que la dépense que supposerait l’embauche d’employés supplémentaires pour superviser la mise en œuvre des nouvelles politiques serait excessive étant donné qu’elle n’a pas beaucoup d’activités à cet aéroport. En outre, Saudi Arabian Airlines indique que les services d’accessibilité sont régis par les lois pakistanaises et qu’elle subirait une contrainte excessive si elle devait tenter de faire modifier ces lois.
[20] Enfin, Saudi Arabian Airlines soutient qu’elle a fourni l’assistance avec fauteuil roulant à la demanderesse depuis le comptoir d’enregistrement jusqu’à l’aéronef le 1er juin 2018.
ANALYSE ET DÉTERMINATIONS
[21] L’Office a conclu dans sa décision que la demanderesse a rencontré un obstacle à ses possibilités de déplacement le 31 mai 2018 à l’aéroport d’Islamabad du fait que Saudi Arabian Airlines ne lui a pas fourni l’assistance avec fauteuil roulant demandée lorsqu’elle a envoyé la demanderesse à un hôtel pour attendre un nouveau vol partant le lendemain.
[22] Saudi Arabian Airlines a indiqué que l’assistance avec fauteuil roulant à l’aéroport d’Islamabad est fournie par un mandataire contractuel, sur ses instructions, mais n’a fourni aucune preuve qu’elle a demandé l’assistance de ce mandataire pour la demanderesse le 31 mai 2018 ni qu’elle subirait une contrainte excessive si elle demandait au mandataire de fournir l’assistance. Étant donné que ce service est fourni par un mandataire, il est peu probable que le transporteur ait besoin d’embaucher du personnel supplémentaire pour transmettre la demande de service. L’Office conclut donc que Saudi Arabian Airlines n’a pas démontré qu’elle ne peut pas éliminer l’obstacle sans se voir imposer une contrainte excessive. Par conséquent, l’Office conclut que la demanderesse a rencontré un obstacle abusif à ses possibilités de déplacement au sens du paragraphe 172(1) de la LTC lorsqu’elle s’est présentée au personnel de Saudi Arabian Airlines au comptoir d’enregistrement à l’aéroport d’Islamabad le 31 mai 2018 et n’a pas reçu une assistance avec fauteuil roulant.
[23] Saudi Arabian Airlines fait valoir qu’elle est responsable de la prestation des services d’assistance avec fauteuil roulant uniquement du comptoir d’enregistrement à la porte d’embarquement. Toutefois, lorsque cela entraîne des retards de voyage pour les passagers, les responsabilités de Saudi Arabian Airlines vont au-delà de ce qui est prévu lors d’un voyage sans incident. Comme l’Office l’a déterminé dans sa décision, lorsque le vol de la demanderesse a été retardé lors de l’enregistrement à Islamabad le 31 mai 2018, Saudi Arabian Airlines est devenue responsable du dommage au titre de ses dispositions tarifaires et de l’article 19 de la Convention pour l’unification de certaines règles relatives au transport aérien international (Convention de Montréal). Elle savait également que, d’après le dossier de passager, la demanderesse avait besoin d’une assistance pour pouvoir se déplacer sur de longues distances.
[24] Selon l’article 19 de la Convention de Montréal, Saudi Arabian Airlines doit prouver qu’elle a pris toutes les mesures qui pouvaient raisonnablement s’imposer pour prévenir le dommage et se dégager de toute responsabilité. Pour les passagers ayant des besoins en matière d’accessibilité, comme l’assistance avec fauteuil roulant, il faut également démontrer que les besoins des passagers en matière d’accessibilité sont satisfaits pendant qu’ils attendent un autre vol afin d’effectuer leur voyage au complet. Pour satisfaire à la norme de l’article 19, l’Office s’attend à ce que Saudi Arabian Airlines évalue, en consultation avec les passagers ayant des besoins en matière d’accessibilité, de quels accommodements ils ont besoin pendant qu’ils attendent un autre vol, et qu’elle fasse tous les efforts raisonnables pour s’assurer que ces besoins sont satisfaits.
ORDONNANCE
[25] L’Office ordonne à Saudi Arabian Airlines de publier, au plus tard le 6 décembre 2019, un bulletin à l’intention de tous les mandataires chargés du service à la clientèle qui la représentent à l’aéroport d’Islamabad dans lequel elle :
- leur rappelle l’importance de répondre aux besoins en matière d’accessibilité, comme l’assistance avec fauteuil roulant, lorsque des passagers se présentent à l’enregistrement;
- les informe qu’ils doivent envoyer les demandes reçues pour de l’assistance avec fauteuil roulant à l’administration aéroportuaire d’Islamabad en temps opportun lorsque les passagers se présentent à l’enregistrement.
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