Décision n° 86-AT-C-A-2021

le 26 août 2021

DEMANDE présentée par Khalil Ahmad, Wagar Khalil et Raheela Anjum Butt (demandeurs) contre Pakistan International Airlines Corporation (défenderesse), au titre du paragraphe 172(1) de la Loi sur les transports au Canada, LC 1996, c 10 (LTC), concernant les besoins liés à la déficience de Khalil Ahmad, et au titre du paragraphe 110(4) du Règlement sur les transports aériens, DORS/88-58, concernant l’annulation de la réservation des demandeurs.

Numéro de cas : 
19-04819

RÉSUMÉ

[1] Les demandeurs ont déposé une demande auprès de l’Office des transports du Canada (Office) contre la défenderesse parce que cette dernière n’aurait pas fourni d’assistance avec fauteuil roulant à Khalil Ahmad avant le départ du vol des demandeurs de Toronto (Ontario). Les demandeurs affirment également qu’on leur aurait refusé l’embarquement sans les indemniser pour leur vol de retour d’Islamabad, Pakistan, et qu’ils ont ensuite subi un retard de deux jours.

[2] Les demandeurs demandent à la défenderesse de leur verser une indemnité pour refus d’embarquement et de reconnaître qu’elle n’a pas respecté ses obligations de fournir un transport accessible aux personnes ayant une déficience.

[3] Le 23 décembre 2020, l’Office a émis la décision no LET-AT-C-A-88-2020 (décision), dans laquelle il a conclu que la défenderesse a correctement appliqué la règle 60 de son tarif lorsqu’elle a annulé la réservation des demandeurs et, par conséquent, il a rejeté la partie de la demande relative au refus d’embarquement et au retard allégués. L’Office a également conclu que M. Ahmad est une personne ayant une déficience et qu’il a rencontré un obstacle lorsque la défenderesse ne lui a pas fourni d’assistance avec fauteuil roulant à l’aéroport international Pearson de Toronto (aéroport de Toronto) avant le vol des demandeurs le 7 mars 2019.

[4] L’Office, dans la présente décision, se penchera sur la question de savoir si la défenderesse peut éliminer l’obstacle qu’a rencontré M. Ahmad sans se voir imposer une contrainte excessive.

[5] Pour les motifs énoncés ci-après, l’Office conclut qu’il n’y a pas lieu de conclure que la défenderesse ne peut pas éliminer l’obstacle sans se voir imposer une contrainte excessive. L’Office ordonne à la défenderesse de mettre en œuvre des mesures correctives en ce qui concerne sa politique et ses procédures relatives à l’assistance avec fauteuil roulant et de fournir la documentation connexe au dirigeant principal, Conformité, de l’Office par l’entremise du secrétariat de l’Office, le plus tôt possible, mais au plus tard le 10 janvier 2022.

CONTEXTE

[6] M. Ahmad est atteint d’un cancer du poumon de stade 4 et a des difficultés de déplacement pour lesquelles il a besoin d’un fauteuil roulant. Les demandeurs ont acheté des billets aller-retour pour un vol avec la défenderesse de Toronto à Islamabad. M. Khalil a demandé une assistance avec fauteuil roulant pour son père, M. Ahmad, plusieurs jours avant leur départ et de nouveau à leur arrivée à l’aéroport de Toronto pour leur vol du 7 mars 2019.

[7] Dans sa décision, l’Office a conclu que, selon la prépondérance des probabilités, la défenderesse n’a pas fourni d’assistance avec fauteuil roulant à M. Ahmad à l’aéroport de Toronto et que, par conséquent, M. Ahmad a rencontré un obstacle à ses possibilités de déplacement. L’Office a ensuite ordonné à la défenderesse d’expliquer comment elle proposait d’éliminer l’obstacle ou de démontrer qu’elle ne pouvait pas le faire sans se voir imposer une contrainte excessive. De plus, l’Office a également demandé à la défenderesse de fournir des renseignements sur ses procédures actuelles d’assistance avec fauteuil roulant à l’aéroport de Toronto. Bien que l’Office ait prolongé le délai à deux reprises, la défenderesse n’a pas déposé de réponse à la décision et, par conséquent, l’Office rend la présente décision en se fondant sur la preuve aux archives, soit la demande, la réponse initiale de la défenderesse à la demande et la réplique des demandeurs, ainsi que les documents à l’appui déposés avec ces actes de procédure.

LA LOI

[8] La partie de la demande portant sur l’accessibilité a été déposée en vertu du paragraphe 172(1) de la LTC, qui au moment du dépôt de la demande, prévoyait ce qui suit :

Même en l’absence de disposition réglementaire applicable, l’Office peut, sur demande, enquêter sur toute question relative à l’un des domaines visés au paragraphe 170(1) pour déterminer s’il existe un obstacle abusif aux possibilités de déplacement des personnes ayant une déficience.

[9] L’Office détermine s’il y a un obstacle abusif aux possibilités de déplacement d’une personne ayant une déficience au moyen d’une approche en deux parties :

Partie 1 : Il incombe au demandeur de prouver, selon la prépondérance des probabilités :

- qu’il a une déficience au sens de la partie V de la LTC;

et

- qu’il a rencontré un obstacle. Un obstacle est une règle, une politique, une pratique ou une structure physique ayant pour effet de priver une personne ayant une déficience de l’égalité d’accès aux services qui sont normalement accessibles aux autres utilisateurs du réseau de transport fédéral.

Partie 2 : Si l’Office détermine que le demandeur est une personne ayant une déficience et qu’il a rencontré un obstacle, il incombe à la défenderesse, de prendre l’une ou l’autre des mesures suivantes :

- expliquer, en tenant compte des solutions proposées par le demandeur, comment elle propose d’éliminer l’obstacle en apportant une modification générale à la règle, à la politique, à la pratique ou à la structure physique visée ou, si la modification générale n’est pas possible, en adoptant une mesure d’accommodement personnalisée ;

ou

- démontrer, selon la prépondérance des probabilités, qu’elle ne peut pas éliminer l’obstacle sans se voir imposer une contrainte excessive.

[10] Dans la présente décision, l’Office se penchera sur la deuxième partie de l’approche en deux parties susmentionnée.

POSITIONS DES PARTIES

Les demandeurs

[11] Les demandeurs ont formulé des propositions sur la manière dont la défenderesse pourrait supprimer l’obstacle dans les présentations faites à la première partie de la procédure. Par exemple, les demandeurs proposent dans leur demande que la défenderesse fournisse une assistance avec fauteuil roulant ou indique sur son site Internet qu’elle ne le fait pas. De même, dans leur réplique à la réponse de la défenderesse à leur demande, les demandeurs suggèrent comme solution un comptoir d’enregistrement distinct pour les personnes ayant une déficience et demandent que la défenderesse reçoive la peine maximale prévue par la loi.

La défenderesse

[12] Bien que la défenderesse n’ait pas déposé de réponse au cours de la deuxième partie des procédures, elle a fait valoir, dans sa réponse à la première partie, que sa politique est de toujours fournir une assistance avec fauteuil roulant, que la demande soit faite à l’avance ou non.

ANALYSE ET DÉTERMINATIONS

[13] À ce stade de l’instance, il incombe au transporteur d’expliquer comment il propose d’éliminer l’obstacle ou de démontrer qu’il ne peut pas éliminer l’obstacle sans se voir imposer une contrainte excessive. La défenderesse n’a pas déposé de réponse à la directive formulée par l’Office dans la décision afin de préciser sa position sur cette question. Par conséquent, l’Office conclut, en se fondant sur le dossier dont il est saisi, qu’il n’y a pas lieu de conclure que l’élimination de l’obstacle aux possibilités de déplacement de M. Ahmad par la défenderesse lui causerait une contrainte excessive. LʼOffice conclut donc que l’obstacle qu’a rencontré M. Ahmad est abusif.

[14] Comme l’Office l’a noté dans la décision, la défenderesse n’a pas confirmé les demandes écrites d’assistance avec fauteuil roulant présentées par M. Khalil au nom de M. Ahmad avant le vol de mars 2019. Au titre de l’article 58 du Règlement sur les transports accessibles aux personnes handicapées, DORS/2019-244 (RTAPH), qui est entré en vigueur en décembre 2019, les grands transporteurs sont désormais tenus de fournir une confirmation écrite du service qu’ils fourniront à une personne ayant une déficience dans l’itinéraire délivré ou séparément si le service est confirmé après la délivrance de l’itinéraire. L’article 58 du RTAPH abordera donc cette question, de sorte qu’aucune autre mesure corrective précise n’est nécessaire.

[15] L’Office a également noté dans la décision que la défenderesse n’avait pas donné suite à la demande d’assistance avec fauteuil roulant des demandeurs. Le transporteur avait fait valoir qu’il ne savait pas à qui s’adressait la demande présentée puisque M. Khalil avait demandé une assistance avec fauteuil roulant pour son père et n’avait pas transmis le nom de ce dernier. L’Office a indiqué dans sa décision que, dans des décisions antérieures, il a imposé au transporteur le fardeau de préciser les demandes d’assistance, car il reconnaît que les passagers peuvent ne pas connaître le niveau de détail qu’ils doivent fournir au transporteur pour recevoir l’assistance dont ils ont besoin.

[16] Enfin, la défenderesse a affirmé qu’elle a déjà une politique en place pour s’assurer que les personnes ayant une mobilité réduite bénéficient d’une assistance avec fauteuil roulant à l’aéroport de Toronto. La défenderesse n’a pas répondu à la demande de l’Office de fournir des renseignements sur ses procédures d’assistance avec fauteuil roulant à l’aéroport de Toronto. Bien que la mise en place d’une politique soit un bon pas vers l’accessibilité des services de transport, l’Office a conclu que la défenderesse n’a pas réussi, dans le cas présent, à fournir une assistance avec fauteuil roulant à M. Ahmad. La déclaration de l’Office dans la décision no 47-AT-A-2020 (Liland c Air Canada) s’applique également dans le cas présent : « une telle politique n’est efficace que si les employés la connaissent et y accordent l’importance qu’elle mérite. »

[17] L’Office conclut donc que des mesures correctives appropriées devraient être ordonnées afin de s’assurer que la défenderesse offre un transport accessible aux personnes ayant une déficience.

ORDONNANCE

[18] L’Office ordonne à la défenderesse de :

  1. mettre à jour sa politique et ses procédures écrites sur l’assistance avec fauteuil roulant afin d’y inclure les éléments suivants :

a) une déclaration selon laquelle la défenderesse, lorsqu’elle estime qu’une personne ayant une déficience n’a pas fourni suffisamment d’information avec sa demande d’adaptation, doit faire un suivi auprès de la personne ayant une déficience ou de la personne qui fait la demande en son nom, afin d’obtenir l’information nécessaire;

b) une déclaration selon laquelle une demande de fauteuil roulant inclut généralement l’assistance avec fauteuil roulant;

c) une déclaration selon laquelle la défenderesse, lorsqu’une personne ayant une déficience demande une assistance avec fauteuil roulant dans les 48 heures précédant le vol, y compris une demande présentée à l’aéroport, doit faire tous les efforts raisonnables pour répondre à la demande et suivre la procédure;

d) des procédures visant à garantir que toutes les demandes d’assistance avec fauteuil roulant sont envoyées au fournisseur de services approprié à l’aéroport de Toronto et que le service est bel et bien fourni;

2. envoyer un bulletin à son personnel pour l’informer de ses politiques et procédures en matière d’assistance avec fauteuil roulant, y compris un avis précis sur les changements énumérés ci-dessus;

3. apporter les modifications nécessaires à son tarif et à son site Web pour tenir compte des changements apportés à ses politiques relatives aux personnes ayant une déficience;

4. fournir une copie de sa politique et de ses procédures écrites sur l’assistance avec fauteuil roulant et du bulletin qu’il a envoyé à ses employés au dirigeant principal, Conformité, de l’Office par l’entremise du secrétariat de l’Office, le plus tôt possible, mais au plus tard le 10 janvier 2022.

Membre(s)

Elizabeth C. Barker
Mary Tobin Oates
Date de modification :