Décision n° 98-C-A-2020

le 20 octobre 2020

DEMANDE déposée par Maryline Metzger, en son nom et au nom de ses enfants mineurs (demandeurs), contre Air Canada (défenderesse) en vertu du paragraphe 110(4) du Règlement sur les transports aériens, DORS/88-58 (RTA), concernant le retard d’un bagage.

Numéro de cas : 
19-02736

RÉSUMÉ

[1] Les demandeurs ont déposé une demande auprès de l’Office des transports du Canada (Office) contre la défenderesse concernant le retard d’un bagage enregistré à la suite d’un vol de Québec (Québec), à destination de Paris, France, via Toronto (Ontario), le 18 juin 2018.

[2] Ils réclament l’indemnisation maximale de 1 131 droits de tirage spéciaux (DTS) par passager, laquelle est prévue par la Convention pour l’unification de certaines règles relatives au transport aérien international – Convention de Montréal (Convention de Montréal) en ce qui a trait à la responsabilité des transporteurs relativement aux bagages. Ils souhaitent donc obtenir un remboursement total de 3 393 DTS pour les trois passagers.

[3] L’Office se penchera sur la question suivante :

  1. La défenderesse a-t-elle correctement appliqué les conditions énoncées dans son tarif intitulé International Passenger Rules and Fares Tariff No. AC-2 Containing Local and Joint Rules, Regulations, Fares and Charges on Behalf of Air Canada Applicable to the Transportation of Passengers and Baggage Between Points in Canada/USA Areas 1/2/3 and Between the USA and Canada, NTA(A) No. 458(tarif), en ce qui a trait à la responsabilité des transporteurs relativement aux bagages, comme l’exige le paragraphe 110(4) du RTA?
  2. Si la défenderesse n’a pas correctement appliqué les conditions énoncées dans son tarif, quel recours, le cas échéant, l’Office peut-il ordonner?

[4] Pour les motifs énoncés ci-après, l’Office conclut que la défenderesse n’a pas correctement appliqué les conditions énoncées dans son tarif et ordonne à la défenderesse de verser une indemnité de 385 CAD aux demandeurs. La défenderesse doit payer ce montant aux demandeurs le plus tôt possible, mais au plus tard le 2 décembre 2020.

CONTEXTE

[5] Les demandeurs ont acheté des billets avec la défenderesse pour un voyage aller-retour de Québec à Paris, via Toronto, dont le départ était prévu le 18 juin 2018 et le retour le 24 juillet 2018.

[6] Le 19 juin 2018, à leur arrivée à l’aéroport Charles de Gaulle à Paris, les demandeurs constatent qu’un de leurs bagages enregistrés est manquant et déclarent à la défenderesse le retard de ce bagage.

[7] Le 2 juillet 2018, ils déposent une demande de réclamation sur le site Web de la défenderesse. Cette demande contient une description globale du contenu du bagage manquant ainsi que les factures pour des articles de remplacement achetés durant l’absence de leur bagage. Le montant de ces dépenses est de 250,70 EUR. Spécifiquement, les demandeurs réclament une indemnisation pour les dépenses suivantes :

  • 16,22 EUR pour des articles d’hygiène pour les enfants;
  • 36,27 EUR pour des articles d’hygiène et une trousse de toilette pour tous les demandeurs;
  • 109,01 EUR pour des vêtements pour tous les demandeurs;
  • 89,20 EUR pour des vêtements pour les enfants.

[8] Le 1er août 2018, la défenderesse exige que les demandeurs lui fournissent davantage de détails sur le bagage manquant ainsi que sur son contenu afin de faciliter sa recherche. Le 4 août 2018, les demandeurs fournissent à la défenderesse les détails demandés. Le bagage est finalement retrouvé et livré aux demandeurs le 7 août 2018, soit 50 jours après leur arrivée à Paris.

[9] Le 8 août 2018, la défenderesse offre aux demandeurs une compensation de 380 CAD, laquelle correspond à la valeur des articles de remplacement achetés (250,70 EUR) ainsi qu’un eCoupon d’une valeur de 25 % sur une prochaine réservation auprès de la défenderesse. Les demandeurs ont refusé cette offre.

LA LOI ET LES DISPOSITIONS TARIFAIRES PERTINENTES

[10] Le paragraphe 110(4) du RTA exige que le transporteur aérien, lors de l’exploitation d’un service international, applique correctement les conditions de transport énoncées dans son tarif.

[11] Si l’Office conclut qu’un transporteur aérien n’a pas correctement appliqué son tarif, l’article 113.1 du RTA confère à l’Office le pouvoir d’ordonner au transporteur :

a) de prendre les mesures correctives qu’il estime indiquées;

b) de verser des indemnités à quiconque pour toutes dépenses qu’il a supportées en raison de la non-application de ces prix, taux, frais ou
    conditions de transport.

[12] Les dispositions pertinentes du tarif du transporteur sont énoncées dans l’annexe. En particulier, la règle 105(B)(5) qui incorpore par renvoi la Convention de Montréal.

[13] Les paragraphes 2 et 3 de l’article 17 de la Convention de Montréal énoncent la responsabilité du transporteur en cas de destruction, de perte ou d’avarie de bagages :

2. Le transporteur est responsable du dommage survenu en cas de destruction, perte ou avarie de bagages enregistrés, par cela seul que le fait qui a causé la destruction, la perte ou l’avarie s’est produit à bord de l’aéronef ou au cours de toute période durant laquelle le transporteur avait la garde des bagages enregistrés. Toutefois, le transporteur n’est pas responsable si et dans la mesure où le dommage résulte de la nature ou du vice propre des bagages. Dans le cas des bagages non enregistrés, notamment des effets personnels, le transporteur est responsable si le dommage résulte de sa faute ou de celle de ses préposés ou mandataires.

3. Si le transporteur admet la perte des bagages enregistrés ou si les bagages enregistrés ne sont pas arrivés à destination dans les vingt et un jours qui suivent la date à laquelle ils auraient dû arriver, le passager est autorisé à faire valoir contre le transporteur les droits qui découlent du contrat de transport.

[14] L’article 19 de la Convention de Montréal énonce les responsabilités du transporteur en cas de retard :

Le transporteur est responsable du dommage résultant d’un retard dans le transport aérien de passagers, de bagages ou de marchandises. Cependant, le transporteur n’est pas responsable du dommage causé par un retard s’il prouve que lui, ses préposés et mandataires ont pris toutes les mesures qui pouvaient raisonnablement s’imposer pour éviter le dommage, ou qu’il leur était impossible de les prendre.

[15] Le paragraphe 22(2) de la Convention de Montréal fixe comme suit les limites de responsabilité relatives aux retards, aux bagages et aux marchandises :

Dans le transport de bagages, la responsabilité du transporteur en cas de destruction, perte, avarie ou retard est limitée à la somme de 1 131 droits de tirage spéciaux par passager, sauf déclaration spéciale d’intérêt à la livraison faite par le passager au moment de la remise des bagages enregistrés au transporteur et moyennant le paiement éventuel d’une somme supplémentaire. Dans ce cas, le transporteur sera tenu de payer jusqu’à concurrence de la somme déclarée, à moins qu’il prouve qu’elle est supérieure à l’intérêt réel du passager à la livraison.

POSITIONS DES PARTIES ET CONSTATATIONS DE FAITS

Les demandeurs

[16] Les demandeurs plaident que le tarif de la défenderesse incorpore par renvoi la Convention de Montréal, plus particulièrement les paragraphes 17(2) et (3), qui engage la responsabilité d’un transporteur aérien en cas de dommage survenu à un bagage enregistré qui a été remis au-delà de 21 jours après l’arrivée à destination.

[17] Les demandeurs plaident qu’il est légitime de faire valoir leurs droits contre la défenderesse, qui découlent du contrat de transport pour la perte de bagages, étant donné que leur bagage leur a été livré 50 jours après leur arrivée.

[18] Les demandeurs estiment être en droit de recevoir un montant de 1 131 DTS par passager étant donné qu’ils estiment que leur bagage a été perdu et non retardé. Il s’agit de l’indemnité maximale fixée au paragraphe 22(2) de la Convention de Montréal. Ils expliquent également avoir refusé l’indemnisation de 380 CAD offerte par la défenderesse, car ils la jugeaient insuffisante.

[19] Les demandeurs invoquent la Décision no 36-C-A-2018 (Scordo c Air Canada), dans laquelle le demandeur s’est vu accorder une compensation équivalente à la valeur du contenu de son bagage, et ce, même si son bagage lui avait été livré 25 jours après son arrivée à destination. Les demandeurs font aussi référence à la Décision no 73‑C‑A‑2017 (Marder c Jet Airways), dans laquelle le bagage manquant avait été livré au demandeur plus de 21 jours après son arrivée à destination.

[20] Les demandeurs soutiennent que la défenderesse disposait de l’information requise pour retrouver le bagage et qu’elle n’a pas démontré que l’absence d’information supplémentaire a été la cause de la perte du bagage ou qu’elle y a contribué. De plus, ils plaident que l’indemnisation demandée s’applique pour les trois passagers et non seulement pour le passager qui a enregistré le bagage.

La défenderesse

[21] La défenderesse soutient qu’elle a suivi les conditions énoncées dans son tarif et que la demande devrait être rejetée, car le bagage n’a pas été perdu puisqu’il a finalement été livré aux demandeurs. La défenderesse plaide que le délai de 21 jours imposé par la Convention de Montréal au paragraphe 17(3) n’est qu’une présomption simple de perte qui peut être renversée quand le bagage est retrouvé.

[22] La défenderesse affirme que les demandeurs ont sciemment omis, dans leur réclamation du 2 juillet 2018, de fournir suffisamment d’information afin qu’elle puisse retrouver leur bagage. La défenderesse plaide que cette omission a causé le dommage réclamé ou y a contribué, ce qui constitue l’exonération de responsabilité prévue à l’article 20 de la Convention de Montréal. Quant au montant maximal de 1 131 DTS établi au paragraphe 22(2) de la Convention de Montréal qui est réclamé dans la demande, la défenderesse fait valoir qu’il est exagéré et que seul le passager qui a enregistré le bagage y est admissible.

Constatations de faits

[23] L’Office constate que le bagage des demandeurs leur a été livré le 7 août 2018, soit 50 jours après leur arrivée à Paris le 19 juin 2018.

ANALYSE ET DÉTERMINATIONS

La défenderesse a-t-elle correctement appliqué les conditions énoncées dans son tarif, en ce qui a trait à la responsabilité des transporteurs relativement aux bagages, comme l’exige le paragraphe 110(4) du RTA?

[24] Le fardeau de la preuve repose sur le demandeur, qui doit établir, selon la prépondérance des probabilités, que le transporteur n’a pas appliqué correctement les conditions de transport énoncées dans son tarif.

[25] Selon la règle 60(A)(5)(b) du tarif, la défenderesse était tenue de livrer le bagage enregistré aux demandeurs au moment de leur arrivée.

[26] Selon l’article 19 de la Convention de Montréal, un transporteur aérien est responsable du dommage résultant d’un retard dans la livraison d’un bagage. En vertu du paragraphe 113.1(1)(b) du RTA, l’Office peut ordonner à un transporteur aérien de rembourser à un passager les dépenses supportées par le passager en raison de la non-application par le transporteur aérien de ses conditions de transport.

[27] En vertu du paragraphe 17(3) de la Convention de Montréal, si les bagages enregistrés ne sont pas arrivés à destination dans les 21 jours qui suivent la date à laquelle ils auraient dû l’être, le passager peut faire valoir contre le transporteur les droits qui découlent du contrat de transport.

[28] Dans la décision Marder c Jet Airways, l’Office a ordonné le remboursement de la valeur de remplacement des articles dont le demandeur a eu besoin durant l’absence de son bagage. L’Office n’a pas ordonné le remboursement de la valeur de l’ensemble des articles contenus dans le bagage manquant depuis plus de 21 jours.

[29] Dans la décision Scordo c Air Canada, l’Office a ordonné le remboursement de la valeur des articles contenus dans le bagage, même si celui-ci a été livré au demandeur 25 jours après la date d’arrivée à destination. Une seule décision ne constitue pas un consensus liant une formation de membres de l’Office à long terme. Même s’il y a un consensus, lorsque plusieurs interprétations raisonnables sont possibles, un tribunal n’est pas tenu de prendre une décision conformément à ce consensus ou à la politique antérieure (voir Altus Group Limited v Calgary (City), 2015 ABCA 86).

[30] Pour les motifs énoncés ci-après, l’Office dérogera de la décision Scordo c Air Canada.

[31] L’Office considère que la présomption du paragraphe 17(3) de la Convention de Montréal est une présomption simple, c’est-à-dire qu’elle peut être renversée si le bagage est retrouvé et rendu au passager. Le fait d’accorder aux passagers la valeur du contenu du bagage alors que ce bagage leur a été rendu constituerait un enrichissement injustifié puisqu’il n’y a pas eu de perte.

[32] Dans le cas présent, la défenderesse a rendu aux demandeurs leur bagage 50 jours après l’arrivée à destination. La présomption de perte de bagage du paragraphe 17(3) de la Convention de Montréal a donc été renversée. Le bagage a néanmoins été rendu aux demandeurs en retard. Suivant l’article 19 de la Convention de Montréal, Air Canada est responsable du dommage résultant d’un retard dans la livraison d’un bagage.

[33] L’Office reconnaît que la défenderesse a offert de rembourser les dépenses engagées par les demandeurs au montant de 250,70 EUR, mais que le paiement ne s’est jamais concrétisé. Or, il s’agit d’une obligation de paiement qui incombait à la défenderesse en vertu de ses conditions de transport. En n’effectuant pas ce paiement, la défenderesse n’a donc pas correctement appliqué les conditions énoncées dans son tarif.

Si la défenderesse n’a pas correctement appliqué les conditions énoncées dans son tarif, quel recours, le cas échéant, l’Office peut-il ordonner?

[34] En vertu du paragraphe 113.1(1)(b) RTA, l’Office peut ordonner à un transporteur aérien de verser à un passager les dépenses supportées par le passager en raison de la non‑application par le transporteur aérien de ses conditions de transport.

[35] En l’espèce, les demandeurs ont dépensé la somme de 250,70 EUR pour acheter des articles de remplacement pendant l’absence de leur bagage. La défenderesse n’a pas contesté le caractère raisonnable de cette somme.

[36] L’Office estime que ces dépenses sont raisonnables et conclut que les demandeurs ont donc droit, en vertu de l’article 19 de la Convention de Montréal, au remboursement de cette somme de 250,70 EUR.

CONCLUSION

[37] L’Office conclut que la défenderesse n’a pas correctement appliqué les conditions énoncées dans la règle 105(B)(5) de son tarif.

[38] Le 19 juin 2018, jour où la défenderesse n’a pas livré le bagage enregistré des demandeurs, le taux de change en vigueur à la Banque du Canada pour convertir l’euro en dollars canadiens était de 1,5359. En utilisant le même taux, le montant de 250,70 EUR qui a été dépensé par les demandeurs équivaut à environ 385 CAD.

ORDONNANCE

En vertu de l’article 113.1 du RTA, l’Office ordonne à la défenderesse de verser une indemnité de 385 CAD aux demandeurs. La défenderesse doit payer ce montant aux demandeurs le plus tôt possible, mais au plus tard le 2 décembre 2020.


ANNEXE À LA DÉCISION No 98-C-A-2020

International Passenger Rules and Fares Tariff No. AC-2 Containing Local and Joint Rules, Regulations, Fares and Charges on Behalf of Air Canada Applicable to the Transportation of Passengers and Baggage Between Points in Canada/USA Areas 1/2/3 and Between the USA and Canada, NTA(A) No. 458.

Remarque : Le tarif d’Air Canada a été déposé en anglais seulement.

Rule 60(A)(5)(b)

GENERAL. ACCEPTANCE OF CHECKED BAGGAGE

(5) Check-in, Collection and Delivery of Checked Baggage

….

(b) Collection and Delivery of baggage

Checked baggage will be delivered to the bearer of the baggage check upon payment of all unpaid sums due to carrier under contract of carriage or tariff.

Only the passenger for. whom a baggage identification tag was issued may take possession of the baggage. Carrier may, but is under no obligation to do so, require satisfactory proof that the baggage belongs to the passenger in question before delivering the baggage to the passenger.

Acceptance of the baggage without complaint, within the time limits stipulated in Rule 105(E), by the passenger in possession of the baggage identification tag is prima facie evidence that. the, carrier delivered the baggage in good condition in accordance with this tariff.

Rule 105(B)(5)

For the purpose of international carriage governed by the Montreal convention, the liability rules set out in the Montreal Convention are fully incorporated herein and shall supersede and prevail over any provisions of this tariff which may be inconsistent with those rules.

Membre(s)

J. Mark MacKeigan
Mary Tobin Oates
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