Lettre-décision n° CONF-10-2021

VERSION ÉPURÉE

le 4 novembre 2021

Objet : Avis d’opposition déposé par la Fédération maritime du Canada (FMC) contre l’Administration de pilotage des Grands Lacs (APGL).

Numéro de cas : 
20-01419

INTRODUCTION

[1] Le 11 février 2020, la FMC a déposé un avis d’opposition aux modifications au Règlement sur les tarifs de pilotage des Grands Lacs, DORS/84-253 (Règlement)auprès de l’Office du Transport du Canada (Office), en vertu de l’ancienne version du paragraphe 34(2) de la Loi sur le pilotage, LRC 1985, c P-14 (Loi) qui était en vigueur au moment où la FMC a déposé son avis d’opposition.

[2] Les motifs énoncés dans le présent document concernent les oppositions de la FMC aux modifications tarifaires suivantes :

    • Une augmentation de 3 % qui s’applique à tous les droits (tarif général), autre que les droits mentionnés ci-après (hausse tarifaire générale);
    • L’uniformisation, dans toutes les circonscriptions, du droit relatif aux accostages et appareillages à un montant de 1 200 CAD, ce qui comprend l’instauration de ce droit pour la circonscription internationale no 1, le canal Welland et les rivières de la circonscription internationale no 2 (droit relatif aux accostages et appareillages);
    • La prolongation du droit supplémentaire pour la formation des apprentis-pilotes;
    • L’instauration d’un droit de 2 750 CAD par affectation de pilotage qui doit être payé lorsque le pilote n’est pas remplacé et demeure à bord pour faire des heures supplémentaires pour poursuivre le voyage (droit relatif à la poursuite du voyage).

[3] L’avis d’opposition de la FMC aux frais administratifs ajoutés visant à couvrir les coûts prévus des paiements demandés par le ministre des Transports en application de l’article 37.1 de la Loi a été traité dans la décision no 105-W-2020.

[4] La FMC soutient que l’APGL n’a pas respecté son obligation d’être financièrement autonome et de fournir des services de manière efficiente. Par conséquent, elle fait valoir que les modifications tarifaires nuisent à l’intérêt public, notamment l’intérêt public qui est compatible avec la politique nationale des transports énoncée à l’article 5 de la Loi sur les transports au Canada, LC 1996, c 10 (LTC).

[5] Pour les motifs énoncés ci-après, l’Office conclut que :

    • la hausse tarifaire générale ne nuit pas à l’intérêt public;
    • le droit relatif aux accostages et appareillages ne nuit pas à l’intérêt public;
    • le droit supplémentaire pour la formation des apprentis-pilotes ne nuit pas à l’intérêt public;
    • le droit relatif à la poursuite du voyage est inéquitable et déraisonnable et il nuit à l’intérêt public.

[6] L’Office recommande donc que le droit relatif à la poursuite du voyage ne soit pas mis en œuvre, et que le montant des recettes qui aurait été perçu au moyen du droit proposé relatif à la poursuite du voyage soit recouvré par une hausse du tarif général allant jusqu’à 11,5 %, en plus de la hausse tarifaire générale proposée de 3 %.

[7] L’Office recommande que les autres modifications tarifaires examinées dans les motifs énoncés dans le présent document soient mises en œuvre.

CONTEXTE

[8] La FMC, qui a été constituée par une loi du Parlement en 1903, représente les propriétaires, les exploitants et les agents de navires océaniques qui font escale dans les ports du Canada, y compris les navires naviguant dans les eaux relevant de la compétence de l’APGL. La FMC représente plus de 75 % de la clientèle de l’APGL.

[9] L’APGL, qui a été créée le 1er février 1972, en vertu de la Loi, est une société d’État au sens de la Loi sur la gestion des finances publiques, LRC 1985, c F-11. Son rôle à titre d’administration de pilotage, tel qu’énoncé à l’article 18 de la Loi, est de mettre sur pied, de faire fonctionner, d’entretenir et de gérer des services de pilotage sécuritaires, efficients et économiques pour la sécurité de la navigation, dans sa région, soit dans les eaux des provinces de l’Ontario, du Manitoba et du Québec, au sud de l’entrée nord de l’écluse de Saint-Lambert. Elle compte cinq zones de pilotage obligatoire, communément appelées circonscriptions, sur les 3 700 kilomètres de la Voie maritime du Saint-Laurent et de la région des Grands Lacs et une sixième zone dans les limites du port de Churchill, au Manitoba.

[10] Le 11 janvier 2020, l’APGL a publié un avis de proposition de modifications au tarif dans la Partie I de la Gazette du Canada. La FMC a déposé son avis d’opposition aux modifications tarifaires le 11 février 2020. Toutes les modifications tarifaires pertinentes sont entrées en vigueur le 25 mars 2020.

[11] Les parties ont convenu que l’objection de la FMC relativement aux frais administratifs ajoutés visant à couvrir les coûts prévus des paiements demandés par le ministre des Transports en application de l’article 37.1 de la Loi serait traitée dans le cadre d’une autre instance, qui a inclus les autres administrations de pilotage. Cette instance a donné lieu à la décision no 105-W-2020.

[12] Le 16 novembre 2020, l’Office a émis la décision no LET-W-74-2020, dans laquelle il a ouvert les actes de procédure et demandé à l’APGL de produire certains documents et de fournir certains renseignements. Le 18 novembre 2020, la FMC a déposé des questions écrites pour demander des renseignements et des documents supplémentaires à l’APGL. Les 7 et 9 décembre 2020, l’APGL a déposé sa réponse à l’opposition ainsi que les renseignements et documents supplémentaires demandés par la FMC. La FMC a déposé sa réplique le 23 décembre 2020.

[13] Le 6 janvier 2021, l’APGL a déposé une réplique supplémentaire et la FMC a déposé une réponse le 7 janvier 2021. Le 8 janvier 2021, l’APGL a déposé une réplique à la réponse de la FMC. Le 1er février 2021, l’Office a versé ces présentations au dossier. Le 26 février 2021, dans la décision no LET-W-15-2021, l’Office a autorisé en partie la requête de confidentialité de l’APGL relativement à sa réponse.

LA LOI

[14] Selon l’ancien paragraphe 34(2) de la Loi, en vigueur au moment où la FMC a déposé ses avis d’opposition en février 2020, tout intéressé qui a des raisons de croire qu’un droit figurant dans un projet de tarif des droits de pilotage nuit à l’intérêt public, notamment l’intérêt public qui est compatible avec la politique nationale des transports énoncée à l’article 5 de la LTC, peut déposer un avis d’opposition auprès de l’Office.

[15] En cas de dépôt d’un avis d’opposition, l’Office était tenu, en application de l’ancien paragraphe 34(4) de la Loi, de faire une enquête sur le projet de droit. Selon l’ancien paragraphe 35(1) de la Loi, l’Office devait, à l’issue de l’enquête, faire une recommandation à l’administration de pilotage, qui est obligée d’en tenir compte.

[16] L’article 2 de la Loi énonce les principes généraux suivants pour guider l’élaboration d’un cadre pour la prestation des services de pilotage établis par la Loi :

a) la prestation des services de pilotage favorise la sécurité de la navigation, y compris la sécurité du public et du personnel maritime, et y contribue; elle vise également la protection de la santé humaine, des biens et de l’environnement;

b) la prestation des services de pilotage est efficace et efficiente;

c) les outils de gestion du risque sont utilisés efficacement et l’évolution des technologies est prise en compte;

d) le taux des redevances de pilotage d’une Administration est établi de manière à lui permettre d’être financièrement autonome.

[17] L’ancien paragraphe 33(1) de la Loi accordait à l’APGL le pouvoir de prendre des règlements fixant les tarifs des droits. La version abrogée du paragraphe 33(3) de la Loi prévoyait que « [l]es tarifs des droits de pilotage fixés par une Administration […] doivent lui permettre le financement autonome de ses opérations et être équitables et raisonnables. » Cette obligation s’applique à toutes les modifications tarifaires en cause dans la présente instance parce qu’elle était en vigueur le 25 mars 2020, date à laquelle les modifications tarifaires sont entrées en vigueur.

[18] Les anciennes dispositions susmentionnées ont par la suite été abrogées et remplacées au moyen d’un décret qui a fait entrer en vigueur les modifications à la Loi figurant dans la Loi no 1 d’exécution du budget de 2019, LC 2019, c 29. Les dispositions modifiées ne sont pas pertinentes dans la présente instance.

POSITIONS DES PARTIES

La FMC

[19] La FMC soutient que les modifications tarifaires qu’elle a contestées nuisent à l’intérêt public. Plus précisément, elle affirme que les droits ne sont ni équitables ni raisonnables, parce qu’ils ne reflètent pas les coûts justifiables de la prestation de services de pilotage de façon efficace et efficiente.

[20] La FMC affirme que l’APGL n’a pas respecté son devoir d’efficacité, lequel est directement lié à l’obligation de l’APGL d’être autonome. Elle soutient que les administrations de pilotage exercent un monopole institutionnel qui n'offre aucune option aux armateurs quant au choix des fournisseurs de services de pilotage. Selon la FMC, cette situation souligne la nécessité pour les administrations de pilotage d’offrir des services de pilotage efficaces et efficients, puisque les coûts ne sont pas maîtrisés par la concurrence.

HAUSSE TARIFAIRE GÉNÉRALE

[21] La FMC affirme que, de 2008 à 2019, les hausses tarifaires annuelles de l’APGL se sont établies à 5 % en moyenne et ont dépassé l’indice annuel des prix à la consommation (IPC). De plus, la FMC fait remarquer qu’en 2019, l’APGL avait prévu une perte nette de 1,6 million CAD, malgré une hausse prévue de 6,8 % des affectations.

[22] La FMC soutient que l’APGL devrait effectuer plusieurs examens afin de déterminer des façons d’accroître l’efficacité, notamment des examens concernant :

    • les zones de pilotage obligatoire;
    • les circonstances nécessitant l’affectation de deux pilotes;
    • les autres règles opérationnelles influant sur la disponibilité des pilotes;
    • l’approche de l’APGL à l’égard de la charge de travail moyenne des pilotes, ainsi que les paiements des heures supplémentaires et des primes de productivité.

[23] La FMC estime que l’APGL a ignoré les recommandations de l’Examen de la Loi sur les transports au Canada de 2016 et du Rapport spécial du vérificateur général sur l’APGL de 2018 préconisant de réaliser un examen de ses zones de pilotage obligatoire. La FMC précise aussi avoir demandé pendant plusieurs années un examen des circonstances nécessitant l’affectation de deux pilotes, étant donné que l’affectation de deux pilotes contribue à la pénurie de pilotes et au retard des navires.

[24] La FMC remet en question l’efficacité et la viabilité du modèle d’affaires de l’APGL en ce qui a trait aux paiements des heures supplémentaires et des primes de productivité aux pilotes. Des primes de productivité sont versées aux pilotes lorsque ces derniers dépassent un nombre déterminé d’affectations durant une saison de navigation. La FMC affirme qu’en 2018, l’APGL a versé les mêmes montants en paiements des heures supplémentaires et en primes de productivité que les salaires de base, car 35 % des affectations ont entraîné des primes de productivité pour les pilotes.

[25] La FMC affirme que l’approche de l’APGL à l’égard de ces paiements, qui figurent dans les conventions collectives conclues avec les associations de pilotes, n’offre pas de valeur aux utilisateurs des services de pilotage. Elle fait valoir que l’approche de l’APGL entraîne une « double comptabilisation », puisque les paiements des heures supplémentaires et les primes de productivité sont versées pour la même affectation. La FMC affirme que l’APGL a augmenté le salaire de base des pilotes de plus de 11,5 % entre 2017 et 2021. Elle soutient que les augmentations du salaire de base des pilotes sont directement liées au taux des heures supplémentaires, qui correspond à 3 fois le tarif journalier, ainsi qu’aux primes de productivité, dont le taux varie de 1,5 à 3 fois le tarif journalier, selon la convention collective applicable. La FMC estime que, depuis 2016, le salaire de base combiné aux paiements des heures supplémentaires et aux primes de productivité s’est traduit par une rémunération annuelle moyenne pour les pilotes de plus de 300 000 CAD en 2016 et en 2017, de plus de 400 000 CAD en 2018, et de plus de 500 000 CAD en 2019.

[26] La FMC affirme que les primes de productivité ont fortement contribué au déficit accumulé de l’APGL. Elle fait remarquer que les seuils relatifs aux affectations sur lesquels les primes de productivité doivent se fonder sont dépassés, et qu’ils n’ont été validés par aucune récente étude sur la productivité. Elle soutient que des facteurs comme les changements dans la configuration du trafic, les avancées dans la technologie maritime et la navigation électronique, les améliorations dans les manœuvres des navires, ainsi que l’évolution de l’infrastructure et de la technologie de la Voie maritime du Saint-Laurent pourraient être pris en compte dans l’établissement de seuils plus actuels.

[27] La FMC soutient que l’APGL aurait dû essayer de rétablir une discipline financière dans l’application des primes de productivité dans le cadre des négociations des conventions collectives. Elle souligne que l’Office lui-même a déclaré que les primes de productivité ont imposé un lourd fardeau financier aux administrations de pilotage et que les avantages pour les utilisateurs des services de pilotage étaient discutables, et elle a fait expressément référence à l’opinion dissidente contenue dans la décision no 224-W-2007.

[28] La FMC remet en question la nécessité qu’a l’APGL de mettre des liquidités de côté afin de payer les passifs futurs. Elle fait valoir que ce type de fonds de réserve pourrait mener à un déficit artificiellement gonflé et entraîner une hausse tarifaire nettement supérieure à ce qui serait nécessaire pour satisfaire l’exigence relative à l’autonomie financière. La FMC soutient qu’en plus de l’augmentation des droits, l’APGL doit s’attaquer à son déficit accumulé en s’efforçant de contrôler les coûts de pilotage et d’accroître l’efficience.

[29] Enfin, la FMC remet également en question l’efficience et la viabilité du plan de l’APGL pour faire face aux variations de l’effectif de pilotes. Elle indique que le droit supplémentaire de 5 % pour la formation des apprentis-pilotes est en place depuis 2017 et qu’il n’y a aucune certitude quant à la date de fin de ce droit, mais que l’industrie constate toujours des retards importants. Depuis 2011, la proportion d’heures de retard causées par des pénuries de pilotes est passé de 13 % en 2011 à 63 % en 2018. La FMC s’interroge également à savoir si l’APGL a songé au fait que de nombreux officiers canadiens cherchent actuellement à être accrédités pour faire leur propre pilotage, ce qui pourrait réduire la future demande de services de pilotage.

DROIT RELATIF AUX ACCOSTAGES ET APPAREILLAGES

[30] La FMC avance que les obligations contractuelles de l’APGL de payer des frais fixes aux pilotes pour les manœuvres d’accostage et d’appareillage ne justifient pas de facturer des frais supplémentaires aux utilisateurs. Elle s’appuie sur la décision no 276-W-2001 pour soutenir son argument voulant que les utilisateurs s’attendent à ce que les services de pilotage incluent des compétences pour effectuer des manœuvres d’accostage, soit des compétences que les pilotes doivent normalement posséder pour obtenir leur titre professionnel. Comme les navires paient déjà ce service par l’intermédiaire du tarif général, l’imposition de ce droit sans une réduction correspondante dans un autre volet du tarif équivaut à imposer des droits en double.

[31] En outre, la FMC s’oppose au montant du droit relatif aux accostages et aux appareillages de 1 200 CAD. Elle conteste les types de coûts que ce droit est censé recouvrer : les coûts des obligations contractuelles de l’APGL, ses coûts administratifs, un montant estimé pour le paiement des heures supplémentaires et les primes de productivité, ainsi qu’une marge de profit pour réduire le déficit accumulé actuel de l’APGL.

[32] La FMC remet en question l’affirmation de l’APGL voulant que le droit relatif aux accostages et appareillages s’applique à une certaine sous-catégorie d’utilisateurs. Elle indique que selon l’APGL, le droit relatif aux accostages et appareillages s’applique à chaque manœuvre d’accostage ou d’appareillage effectuée pour charger ou décharger des cargaisons, des approvisionnements ou du combustible de soute, ou pour procéder à des réparations. Elle soutient que, par conséquent, le droit sera appliqué au moins deux fois à tous les navires entrant dans le réseau des Grands Lacs, étant donné que ceux-ci chargeraient ou déchargeraient des cargaisons au moins une fois.

DROIT SUPPLÉMENTAIRE POUR LA FORMATION DES APPRENTIS-PILOTES

[33] La FMC affirme que le droit supplémentaire existant de 5 % pour la formation des apprentis-pilotes appliquée par l’APGL s’ajoute au droit de 2020 relatif aux accostages et aux appareillages et au droit relatif à la poursuite du voyage. Elle soutient que cela équivaut à imposer des droits en double.

DROIT RELATIF À LA POURSUITE DU VOYAGE

[34] La FMC fait valoir que l’APGL n’a pas le pouvoir légal d’imposer un nouveau droit de 2 750 CAD par affectation lorsqu’un pilote remplaçant n’est pas disponible et que les heures supplémentaires sont payées au pilote original afin que le navire puisse continuer son voyage. La FMC affirme que le droit n’est ni équitable ni raisonnable, car l’APGL n’a pas rempli son devoir en matière d’efficacité. Elle souligne également que ce droit représenterait plus de la moitié des coûts que l’APGL cherche à recouvrer auprès de l’industrie depuis qu’elle a instauré ce droit.

[35] La FMC soutient que les coûts de pilotage considérables imposés à l’industrie résultent de l’application des paiements des heures supplémentaires et des primes de productivité aux mêmes affectations. Peu importe si les coûts liés à la poursuite du voyage sont recouvrés par des droits ciblés ou des hausses du tarif général, la FMC fait valoir que les coûts de pilotage de l’APGL peuvent être décrits comme étant « hors de contrôle ». Elle affirme que des paiements pour des primes de productivité et des heures supplémentaires effectuées ont été nécessaires pour 35 % des affectations en 2018, et prévoit que cette proportion pourrait grimper à 45 % en 2019.

[36] La FMC soutient que l’approche ciblée de l’APGL est inéquitable et arbitraire, puisque la non-disponibilité de pilotes remplaçants résulte d’une pénurie systémique de pilotes, et que le coût représenté par les paiements des heures supplémentaires ou les primes de productivité pour l’APGL n’est pas attribuable à des navires en particulier. Elle affirme que certains navires pourront par hasard continuer leur route sans payer le droit relatif à la poursuite du voyage parce qu’un pilote remplaçant est disponible. En revanche, d’autres navires devront payer le droit parce qu’aucun pilote remplaçant n’est disponible. Dans les présentations déposées après la mise en œuvre du droit relatif à la poursuite du voyage durant la présente instance, la FMC indique aussi que certains de ses membres ont dû payer le droit à la poursuite du voyage plusieurs fois durant le voyage d’un navire.

[37] La FMC souligne que le droit ne reflète qu’une partie des coûts de pilotage anticipés qui sont liés à la poursuite des voyages. L’autre partie de ces coûts est intégrée aux droits tarifaires généraux. [SUPPRESSION]. La FMC fait valoir qu’il est inéquitable d’imposer le droit à une part arbitraire de navires alors que ceux-ci doivent également couvrir les coûts par l’intermédiaire du tarif général.

[38] La FMC soutient également que le droit relatif à la poursuite du voyage est inéquitable, parce que les armateurs ne peuvent pas choisir entre payer le droit ou accepter un retard et attendre qu’un pilote remplaçant soit disponible. Elle considère aussi comme étant arbitraire le critère déterminant quels navires devront payer le droit relatif à la poursuite du voyage pour obtenir le même niveau de service (soit, un voyage ininterrompu) que les autres navires n’ayant pas à payer ce droit.

L’APGL

[39] Pour établir son tarif de 2020, l’APGL affirme avoir étudié attentivement les façons dont elle pourrait équilibrer les variables incontrôlables par l’imposition de droits raisonnables. En mettant en œuvre des droits pour le recouvrement ciblé des coûts, l’APGL affirme avoir efficacement atteint l’équilibre entre les inducteurs de coûts et les revenus et avoir évité d’imposer une hausse tarifaire générale, laquelle deviendrait superflue une fois l’actuelle pénurie de pilotes réglée.

[40] En plus de recouvrer ses coûts budgétés pour 2020, l’APGL affirme que ses tarifs de 2020 visent à recouvrer son déficit accumulé de 2019, à contribuer aux flux de trésorerie pour compenser les passifs découlant des avantages futurs des employés, et à générer un léger excédent pour avoir une réserve financière de 200 000 CAD. Sans cette réserve, l’APGL soutient qu’elle aura de la difficulté à faire face à des événements imprévus, à maintenir et renouveler les actifs principaux, et à améliorer la qualité de ses services.

HAUSSE TARIFAIRE GÉNÉRALE

[41] L’APGL affirme exercer ses activités dans un environnement imprévisible comportant de nombreux facteurs qui ont indépendants de sa volonté. Elle soutient que la position de la FMC fait fi de l’importance de la sécurité et ne parvient pas à régler les retards résultant de facteurs indépendants de la volonté de l’APGL.

[42] L’APGL estime que les prévisions du trafic sont incertaines, car les conditions du marché et la demande pour une variété de marchandises et de produits ne peut pas raisonnablement être prévue une saison de navigation complète à l’avance. Elle souligne que les routes maritimes dans les Grands Lacs et la Voie maritime du Saint-Laurent se caractérisent par des écluses et des chenaux étroits vulnérables à la congestion de la circulation, ce qui pourrait causer des retards pour tous les navires. L’APGL partage la prestation de services de pilotage dans les Grands Lacs avec trois associations de pilotes américaines relevant de la Garde côtière des États-Unis, ce qui complexifie ses services relativement à l’établissement des horaires et à la coordination. L’APGL soutient aussi qu’une baisse d’efficacité peut se produire, car l’ordonnancement des navires qui circulent dans la Voie maritime du Saint-Laurent est régi par la Corporation de gestion de la Voie maritime du Saint-Laurent et non par l’APGL.

[43] L’APGL indique devoir faire face, depuis 2003, à un déficit persistant qui a atteint un sommet de 5,7 millions CAD en 2009. Durant la crise économique de 2008-2009, elle a dû réduire son personnel de bureau et son effectif de pilotes en raison de la baisse de ses revenus. L’effectif de pilotes est resté bas jusqu’en 2014. Dans les années suivantes, les départs à la retraite et la hausse de la demande de services de pilotage ont entraîné des pénuries de pilotes.

[44] L’APGL affirme que sa situation déficitaire a été exacerbée par une concession qu’elle a auparavant faite à la FMC. En 2019, l’APGL a accepté une augmentation tarifaire générale de 1 % dans l’ensemble des circonscriptions plutôt que de mettre en œuvre l’une ou l’autre de ses propositions concernant un droit ciblé pour les navires lents ou une augmentation de 10 % des droits dans la circonscription internationale no 1. Conséquemment, l’APGL affirme ne pas avoir recouvré tous ses coûts et soutient qu’un recouvrement de coûts ciblé est maintenant nécessaire.

[45] L’APGL a répondu de la façon suivante relativement aux examens proposés par la FMC pour trouver des moyens d’accroître l’efficience.

[46] L’APGL compte cinq zones de pilotage obligatoire, appelées circonscriptions, dans la région des Grands Lacs. Elle affirme qu’en raison de l’application combinée du Règlement général sur le pilotage, DORS/2000-132, et du Règlement de pilotage des Grands Lacs, CRC, c 1266, les navires assujettis au pilotage obligatoire doivent être conduits par un pilote de l’APGL, un titulaire de certificat de pilotage délivré par l’APGL ou, dans des eaux contiguës aux États-Unis, un pilote de la marine américaine.

[47] L’APGL explique que l’affectation de deux pilotes devient nécessaire lorsque deux pilotes sont requis pour guider le navire plutôt qu’un seul pilote. Cette mesure est principalement requise au début et à la fin de la saison de navigation, lorsque les bouées ont été enlevées ou déplacées. L’APGL indique que les conditions environnementales déterminent le moment où les gardes côtières canadienne et américaine doivent installer ou enlever les bouées, mais que les gardes côtières s’efforcent de les installer le plus tôt possible et de les enlever le plus tard possible durant la saison de navigation afin de réduire le nombre de jours où les affectations de deux pilotes seraient nécessaires. De telles affectations pourraient aussi être requises lorsque les conditions de glace entraînent des bris ou qu’il y a des fluctuations dans les écluses.

[48] L’APGL soutient que la FMC n’a pas tenu compte des défis liés au fait d’exercer ses activités en pleine pénurie de ressources, alors que l’APGL est régie par des conventions collectives. Elle explique que les primes à la productivité ont été mises sur pied dans les années 1970 dans un effort visant à limiter les coûts lorsque le flux de revenus varie en raison de l’imprévisibilité du trafic. L’APGL affirme que le recours aux primes de productivité et aux salaires plafonnés pour les pilotes réduit le coût total des services de pilotage pour l’industrie lorsque le trafic diminue. Elle affirme que les seuils des primes de productivité sont revus lors des négociations des conventions collectives, mais que l’élimination d’une rémunération variable supposerait un compromis et se traduirait par une hausse marquée des coûts fixes annuels, comme les salaires et les coûts des pensions.

[49] L’APGL confirme que la rémunération moyenne des pilotes a considérablement augmenté depuis 2015 en raison de la hausse des paiements des heures supplémentaires et des primes de productivité. Elle fait valoir qu’étant donné que ces coûts augmentent plus rapidement que ses revenus tirés de ses services de pilotage, de nouveaux droits sont nécessaires.

[50] L’APGL prend des mesures pour corriger la pénurie de pilotes et s’attend à ce que la pénurie actuelle se résorbe d’ici quatre à cinq ans. Elle prévoit une augmentation des effectifs de pilotes par rapport aux 59,1 équivalents temps plein (ETP) de 2019 [SUPPRESSION].

[51] L’APGL a revu son processus d’embauche de pilotes en augmentant la fréquence des examens et en assouplissant les critères de recrutement pour inclure les personnes qui ne détiennent pas de certificat. Elle affirme que la durée de la formation varie selon l’expérience des apprentis-pilotes et peut prendre de 5 à 18 mois. Elle souligne par ailleurs que les jeunes pilotes sont moins disposés à faire des heures supplémentaires que les pilotes plus âgés. En conséquence, plus de pilotes sont maintenant nécessaires. Comme solution à court terme, l’APGL a demandé à ses pilotes retraités de revenir à temps partiel pendant la formation des apprentis-pilotes. L’APGL déclare aussi avoir collaboré avec la Chambre de commerce maritime pour assouplir le programme de certification sans compromettre la sécurité de la navigation dans le but d’augmenter le nombre de détenteurs de certificat.

[52] L’APGL affirme que ses pilotes sont des employés, et non des entrepreneurs indépendants, comme il est question dans la décision no 224-W-2007. De plus, elle souligne que l’opinion majoritaire exprimée par l’Office dans cette décision est qu’il n’a pas l’intention de s’immiscer dans les négociations privées entre les administrations de pilotage et les syndicats.

DROIT RELATIF AUX ACCOSTAGES ET APPAREILLAGES

[53] L’APGL affirme que le droit relatif aux accostages et appareillages n’est pas nouveau — des droits à cet effet existaient déjà dans les années 1970 dans certaines circonscriptions — et que la FMC ne s’y est pas opposée par le passé. L’APGL déclare que le nombre de navires ayant accosté et appareillé dans les circonscriptions sans verser de droits a été relativement négligeable dans le passé, mais que le volume de manœuvres d’accostage et d’appareillage a augmenté depuis les dernières années et justifie l’imposition d’un droit pour compenser les dépenses afférentes.

[54] L’APGL affirme également que le montant du droit différait selon la circonscription. Puisque la rémunération des pilotes pour des manœuvres d’appareillage et d’accostage est identique dans toutes les circonscriptions, elle soutient que le droit imposé devrait aussi être uniforme dans toutes les circonscriptions. En 2019, les droits variaient de 741 CAD à 1 694 CAD, selon la circonscription et la classe du navire. En 2020, l’APGL a uniformisé le droit à 1 200 CAD par événement pour toutes les classes de navires dans l’ensemble des circonscriptions. Elle soutient qu’un droit uniforme permettra de recouvrer les coûts associés à ce service en particulier, qui est utilisé par un sous-ensemble précis d’utilisateurs et qui entraîne des dépenses considérables pour l’APGL.

[55] L’APGL fait valoir qu’une des principales préoccupations de l’Office dans la décision no 276-W-2001 était l’imposition de droits non uniformes. Elle soutient que son approche assure une cohérence et que le droit n’est pas discriminatoire. Elle souligne aussi que l’Office a finalement déterminé que l’administration de pilotage pouvait, dans ce cas précis, toujours imposer un tarif pour recouvrer les coûts en cause, pourvu qu’elle le fasse de façon uniforme.

DROIT SUPPLÉMENTAIRE POUR LA FORMATION DES APPRENTIS-PILOTES

[56] L’APGL affirme que le droit supplémentaire pour la formation des apprentis-pilotes a été instauré en 2017. Elle soutient que la FMC a précédemment approuvé l’imposition de ce droit. Elle soutient qu’il n’est pas prévu que le droit soit imposé de façon permanente et qu’il sera éliminé lorsque des ressources de pilotage adéquates seront disponibles.

DROIT RELATIF À LA POURSUITE DU VOYAGE

[57] L’APGL a proposé un droit ciblé relatif à la poursuite du voyage afin de déplacer une partie de ses coûts recouvrés des hausses générales, puisque ce droit ne couverait pas les coûts liés au maintien de pilotes sur les navires au-delà de l’affectation originale, et afin de cibler un inducteur de coût précis et onéreux. L’APGL explique que ses anciennes pratiques ne sont plus viables, lorsqu’elle imposait des droits d’utilisation identiques que le pilote soit remplacé à la fin d’une affectation ou qu’il demeure sur le navire, auquel cas l’APGL assumait le coût des paiements des heures supplémentaires et des primes de productivité.

[58] L’APGL déterminait auparavant ses droits généraux en se basant sur une moyenne de 110 à 120 affectations annuelles par pilote. Elle affirme que le nombre d’affectations de pilotage a grimpé en flèche durant la période de 2014 à 2019, ce qui a souvent obligé les pilotes à rester sur les navires plus longtemps que la durée de leur affectation initiale. L’APGL déclare qu’à l’heure actuelle les pilotes effectuent, en moyenne, 160 affectations par année.

[59] À court terme, [SUPPRESSION]. Cependant, puisque son effectif de pilotes devrait augmenter au cours des prochaines [SUPPRESSION], elle s’attend à ce que le nombre annuel où il y a une poursuite du voyage [SUPPRESSION] d’ici 2025.

[60] L’APGL fait valoir que le droit relatif à la poursuite du voyage a été établi de manière à ce qu’il soit un droit distinct et repérable afin de favoriser une meilleure transparence, imputabilité et efficience à long terme. [SUPPRESSION]. Elle soutient que le droit est également flexible parce qu’il permet de recouvrer des revenus selon les fluctuations du trafic sans surcharger l’industrie de hausses générales élevées inefficaces et sans pénaliser les utilisateurs qui n’effectuent pas de longs voyages en passant par un point de transit.

[61] L’APGL prévoit qu’à mesure qu’elle augmentera ses effectifs de pilotes, les paiements des heures supplémentaires et les primes de productivité diminueront, tout comme le droit relatif à la poursuite du voyage. Elle précise que son analyse comparative des revenus a indiqué que, sans le droit relatif à la poursuite du voyage, elle devrait hausser le tarif général de 14,5 % au lieu du 3 % proposé pour atteindre ses objectifs financiers. Elle affirme avoir aussi envisagé de ne plus demander aux pilotes de poursuivre le voyage lorsqu’un remplaçant n’est pas disponible, mais elle a conclu que les retards qui en découleraient ne seraient pas dans l’intérêt de l’industrie.

[62] En réponse à l’allégation de la FMC voulant que le droit relatif à la poursuite du voyage soit appliqué de façon arbitraire, l’APGL soutient que le système de pilotage dans son entier comporte une certaine part d’arbitraire. Elle affirme que de nombreux facteurs peuvent arbitrairement influer sur la trajectoire d’un navire, notamment le volume du trafic sur une voie navigable précise, la disponibilité des services de pilotage, si un pilote américain ou canadien est affecté au navire, l’exploitation du navire dans la Voie maritime du Saint-Laurent, ainsi que les conditions environnementales. L’APGL soutient que, contrairement à ces facteurs intrinsèquement arbitraires, le droit relatif à la poursuite du voyage se fonde sur la position du navire et sur la disponibilité des ressources de pilotage. Si ce droit est imposé, il offre au navire concerné l’avantage considérable d’un voyage ininterrompu.

[63] L’APGL estime que, même si le droit est quelque peu arbitraire, il n’est pas inéquitable, parce qu’il permet simplement de recouvrer les coûts que l’APGL pourrait devoir assumer pour un voyage précis. L’APGL soutient de plus que le droit relatif à la poursuite du voyage ne nuit pas à l’intérêt public, surtout compte tenu des économies qu’il offre aux utilisateurs comparativement à un droit général plus élevé.

ANALYSE ET CONCLUSIONS

[64] Il incombe à la FMC de démontrer que les modifications tarifaires en cause nuisent à l’intérêt public, notamment l’intérêt public qui est compatible avec la politique nationale des transports énoncée à l’article 5 de la LTC, au sens de l’ancienne version du paragraphe 34(2) de la Loi. En vertu de l’ancien paragraphe 33(3) de la Loi, les modifications tarifaires de l’APGL doivent être équitables et raisonnables et elles doivent être établies à un niveau lui permettant de maintenir le financement autonome de ses opérations.

[65] Dans la décision no 94-W-2001, et avec plus de précision dans les décisions no 645-W-2002 et no 709-W-2004, l’Office a défini un cadre pour évaluer si les droits de pilotage proposés nuisaient à l’intérêt public au sens de l’ancien paragraphe 34(2) de la Loi. Ce cadre tient compte de l’énoncé de politique nationale des transports, des missions des administrations de pilotage, ainsi que de l’objectif relatif aux services de transport maritime énoncé à l’alinéa 4c) de la Loi maritime du Canada, LC 1998, c 10. Ce cadre se compose des considérations suivantes :

    1. Une administration de pilotage doit s’acquitter d’une obligation de service public qui consiste à garantir la sécurité de la navigation dans les eaux canadiennes qui relèvent de sa compétence.
    2. Une administration de pilotage a droit à une indemnisation raisonnable pour l’acquittement de l’obligation de service public qui consiste à garantir la sécurité de la navigation.
    3. Une administration de pilotage a la responsabilité d’organiser et de fournir les services d’une manière efficace.
    4. Une administration de pilotage a l’obligation d’être financièrement autonome et elle ne peut pas compter sur des affectations financières du gouvernement pour satisfaire cette exigence.
    5. Une administration de pilotage est autorisée à percevoir des droits d’utilisation établis à un niveau qui lui permet de satisfaire l’exigence d’être financièrement autonome.
    6. Les droits d’utilisation établis par une administration de pilotage doivent être équitables et raisonnables et correspondre uniquement au coût justifiable de la prestation des services.

[66] L’Office a appliqué le cadre au cas présent et a soupesé les différentes considérations lors de son examen des modifications tarifaires en cause.

1. Une administration de pilotage doit s’acquitter d’une obligation de service public qui consiste à garantir la sécurité de la navigation dans les eaux canadiennes qui relèvent de sa compétence

[67] L’APGL a l’obligation légale d’assurer la sécurité de la navigation dans les eaux canadiennes qui relèvent de sa compétence, ce qui constitue la priorité générale du mandat de toutes les administrations de pilotage. Conformément à l’article 18 et aux principes énoncés à l’article 2 de la Loi, l’APGL a le mandat de fournir un service de pilotage efficace dans l’intérêt de la sécurité du public et du personnel maritime, ainsi que de la protection de la santé humaine, des biens et de l’environnement.

[68] Le mandat de l’APGL comporte plusieurs caractéristiques uniques. La zone géographique relevant de l’APGL englobe des routes maritimes internationales achalandées d’une importance vitale pour l’économie du Canada et des États-Unis, et présente des écluses et des chenaux étroits vulnérables à la congestion de la circulation. Les services de pilotage dans la région des Grands Lacs sont partagés entre l’APGL et trois associations de pilotes américaines, qui sont responsables des eaux américaines. L’APGL exerce aussi ses activités dans les limites de la Voie maritime du Saint-Laurent et ne contrôle pas le débit de la circulation des navires dans la Voie maritime.

[69] Dans cet environnement opérationnel complexe, l’APGL a systématiquement rempli son mandat de fournir des services de pilotage sécuritaires pendant de nombreuses années. En 2019, par exemple, l’APGL a fourni des services de pilotage, dont 99,9 % se sont déroulés sans incident.

2. Une administration de pilotage a droit à une indemnisation raisonnable pour l’acquittement de l’obligation de service public qui consiste à garantir la sécurité de la navigation

[70] L’APGL peut remplir son obligation légale uniquement si elle reçoit le financement nécessaire à ses services. Le droit à une indemnisation ne constitue pas un chèque en blanc; l’indemnisation doit être raisonnable. Comme il est expliqué en détail ci-après, une indemnisation raisonnable reflète les coûts justifiables de la prestation de services efficients qui répondent aux besoins des utilisateurs tout en assurant la sécurité.

3. Une administration de pilotage a la responsabilité d’organiser et de fournir les services d’une manière efficace

[71] Bon nombre des oppositions de la FMC à la hausse tarifaire générale ont trait au troisième énoncé de politique, soit la responsabilité de l’APGL d’organiser et de fournir un service efficient, comme le prévoit l’article 18 de la Loi.

[72] La FMC fait valoir que l’APGL compte beaucoup trop sur l’embauche de pilotes supplémentaires pour réduire les retards, accroître la rentabilité et faire face à ses enjeux financiers. Elle soutient également que l’APGL n’a pas exploré plusieurs avenues pour accroître l’efficacité de son effectif actuel en lien avec le recours à l’affectation de deux pilotes, la certification des pilotes, les primes de productivité et les zones de pilotage obligatoire. La FMC affirme que l’APGL impose donc des hausses tarifaires considérables aux utilisateurs, sans oublier le droit supplémentaire pour la formation des apprentis-pilotes, tandis que les coûts de pilotage continuent de grimper et que les utilisateurs continuent de subir d’importants retards.

L’INCIDENCE D’UNE PÉNURIE DE PILOTES SUR LES OPÉRATIONS DE L’APGL

[73] Les parties conviennent que l’effectif de pilotes de l’APGL est actuellement insuffisant pour répondre aux besoins des utilisateurs, ce qui se traduit par des retards et une hausse des coûts, à la fois d’une manière directe pour les utilisateurs et indirecte en raison des heures supplémentaires et des primes de productivité payées par l’APGL qui, en fin de compte, sont financées par les utilisateurs.

[74] En application des conventions collectives négociées avec les associations de pilotes, l’APGL paie les heures supplémentaires travaillées et verse aussi des primes de productivité, qui sont des primes payées aux pilotes lorsqu’ils dépassent un seuil établi d’affectations dans une année donnée. Les primes de productivité sont un des volets de la rémunération des pilotes dans l’ensemble des administrations de pilotage depuis les années 1970.

[75] Les paiements des heures supplémentaires et les primes de productivité versés par l’APGL à ses pilotes actuels ne cessent d’augmenter depuis 2012. Cette situation résulte de plusieurs facteurs, notamment :

    • les conditions économiques de 2009, qui ont contraint l’APGL à supprimer des postes de pilotes pour éliminer son déficit;
    • une augmentation subséquente de la demande pour des pilotes;
    • un taux élevé de départs à la retraite chez les pilotes;
    • une pénurie de pilotes au Canada.

[76] Dans le passé, l’APGL a eu de la difficulté à remédier à sa pénurie de pilotes. Les nouvelles embauches ont été partiellement neutralisées par des départs à la retraite et d’autres départs. De 2016 à 2019, l’APGL a embauché 33 nouveaux pilotes, mais a généré une augmentation nette de ses effectifs de pilotes de 7,7 ETP. [SUPPRESSION].

[77] La FMC affirme que les droits imposés par l’APGL entraînent une « double comptabilisation », qui fait que les heures supplémentaires et les primes de productivité sont appliquées à la même affectation. L’Office note cependant que, bien que les pilotes puissent recevoir une prime de productivité en plus des paiements des heures supplémentaires pour une même affectation, toutes les situations nécessitant des heures supplémentaires ne résultent pas du fait qu’un pilote a effectué une affectation supplémentaire. De même, un pilote peut effectuer une affectation supplémentaire sans que cela lui demande de faire des heures supplémentaires.

[78] La FMC soutient que l’APGL aurait dû réaliser une étude sur la productivité afin de prendre en compte les divers facteurs pouvant mener à la réduction des versements de primes de productivité. L’APGL affirme qu’elle recourt à ces paiements pour réduire les coûts liés aux pilotes dans l’éventualité d’une baisse du trafic.

[79] Bien que la structure de paiement variable de l’APGL puisse contribuer à réduire les coûts fixes liés aux pilotes, ces paiements excèdent maintenant le coût liés aux pilotes additionnels. Le recours aux primes de productivité est vivement critiqué aussi bien par le gouvernement que l’industrie. L’Office a affirmé à plusieurs occasions que les clauses relatives à la productivité dans les conventions collectives des pilotes étaient contre-productives et n’étaient pas dans l’intérêt public. Comme l’indique le paragraphe 41 de la décision no 224-W-2007, « plus le trafic maritime et les revenus augmentent, plus les dépenses attribuables à la clause de productivité augmentent et plus les pertes de l’Administration [de pilotage] sont importantes ».

[80] Cependant, l’Office reconnaît que l’APGL ne peut pas unilatéralement établir des seuils de productivité, qui sont révisés dans le cadre des négociations des conventions collectives entre l’APGL et ses pilotes. Néanmoins, comme il est expliqué ci-après, l’APGL est arrivée à un point où elle doit composer avec les conséquences financières de ses primes de productivité comme un enjeu de gestion. Bien que les résultats d’une étude sur la productivité puissent éclairer les négociations des conventions collectives de l’APGL, l’Office ne s’immiscera pas dans la préparation des conventions collectives, lesquelles sont assujetties à des négociations privées de bonne foi, comme le mentionne la décision no 224-W-2007.

AFFECTATION DE DEUX PILOTES

[81] L’affectation de deux pilotes devient nécessaire lorsque deux pilotes sont requis pour guider le navire plutôt qu’un seul pilote. Dans une telle situation, le deuxième pilote évalue si des bouées se sont déplacées, ce qui aide le pilote principal à bien suivre la route de navigation.

[82] L’affectation de deux pilotes est principalement nécessaire au début et à la fin de la saison de navigation, lorsque les bouées prioritaires ont été installées ou enlevées, ou lorsqu’elles ont été déplacées en raison des conditions de glace. Le nombre d’affectations de deux pilotes dépend du moment où les gardes côtières canadienne et américaine repositionnent les bouées, et de la date à laquelle la Voie maritime du Saint-Laurent ouvre ou met fin à la saison de navigation. L’APGL ne contrôle pas ces facteurs.

[83] Bien que la FMC soutienne que la nécessité d’avoir recours à deux pilotes double le coût du voyage et contribue à la pénurie de pilotes, l’Office estime que l’affectation de deux pilotes est nécessaire à la sécurité des navires dans des conditions potentiellement dangereuses et que l’APGL a soupesé ses exigences relatives aux affectations de deux pilotes et les remplacements technologiques possibles. L’Office est d’avis qu’aucun autre gain d’efficience ne peut être réalisé au moyen de changements apportés à cet aspect des services de pilotage, à moins que des changements technologiques ne reçoivent les approbations de sécurité requises.

CERTIFICATION DES PILOTES NON AFFILIÉS À L’APGL

[84] La FMC affirme que l’APGL n’a pas tenu compte du fait que de nombreux officiers canadiens cherchaient à obtenir une certification afin de faire leur propre pilotage, ce qui réduirait la demande pour les services de pilotage. D’après les éléments de preuve au dossier, l’APGL travaille en collaboration avec la Chambre de commerce maritime pour faciliter le programme de certification des armateurs canadiens. L’Office accepte l’affirmation de l’APGL voulant qu’il y ait tout de même une importante demande au pays pour les services des pilotes de l’APGL même si le nombre de détenteurs de certificat devait doubler, et il estime que l’APGL a pris en compte les variations futures de la demande pour les services de pilotage.

[85] Selon les éléments de preuve de l’APGL, à mesure que les volumes du trafic augmentent ou diminuent, la proportion du trafic répartie entre les armateurs canadiens et étrangers se situe dans une fourchette restreinte. L’APGL s’attend à ce qu’elle représente systématiquement entre 10 % et 15 % des affectations totales. L’Office conclut qu’on peut raisonnablement s’attendre à ce que la proportion de détenteurs de certificat par rapport à celle de pilotes reste la même, étant donné que certaines entreprises estimeront qu’il est avantageux d’avoir des détenteurs de certificat et que d’autres préfèreront avoir recours aux pilotes de l’APGL.

EXAMEN DES ZONES DE PILOTAGE OBLIGATOIRE

[86] La FMC fait valoir qu’un examen des zones de pilotage obligatoire de l’APGL pourrait révéler des gains en efficience. Le fait que l’APGL n’ait pas réalisé d’examen de ses zones de pilotage obligatoire, tel qu’il est recommandé dans l’Examen de la Loi sur les transports au Canada de 2016 et dans le Rapport spécial du vérificateur général sur l’APGL de 2018, a pour effet de miner la crédibilité de son engagement à améliorer l’efficience. Cependant, la possibilité qu’un tel examen mène à une diminution des coûts de pilotage au moyen d’une réduction des zones de pilotage obligatoire ne justifie pas de tirer la conclusion que l’APGL ne fonctionne pas efficacement. L’Office note que l’APGL a aussi déposé sa proposition tarifaire de 2021, qui indique qu’elle commencera une évaluation des risques des zones de pilotage obligatoire pour déterminer dans quels secteurs relevant de sa compétence, le cas échéant, le besoin de pilotage obligatoire devrait être réévalué.

[87] Bien que la FMC ait attiré l’attention sur des secteurs où l’APGL pourrait améliorer l’efficience, elle n’a pas réellement démontré que l’APGL était inefficace à l’heure actuelle. L’APGL s’est efforcée d’offrir un service de pilotage efficace et, bien que des efforts supplémentaires sont requis pour continuer d’améliorer l’efficience de ses opérations, tel qu’il est expliqué ci-après, l’Office conclut que les efforts combinés qui sont déployés par l’APGL jusqu’à présent sont raisonnables.

4. Une administration de pilotage a l’obligation d’être financièrement autonome et elle ne peut pas compter sur des affectations financières du gouvernement pour satisfaire cette exigence, et 5. Une administration de pilotage est autorisée à percevoir des droits d’utilisation établis à un niveau qui lui permet de satisfaire l’exigence d’être financièrement autonome.

[88] La quatrième considération reflète l’obligation de l’APGL d’être financièrement autonome. Selon l’article 36.01 de la Loi, l’APGL ne peut recevoir de crédits parlementaires pour financer ses activités. Les utilisateurs de ses services sont sa seule source de financement, et elle a le droit de percevoir des droits pour assurer son autonomie financière, tel que le reconnaît la cinquième considération.

[89] Les résultats financiers de l’APGL ainsi que ses surplus et déficits accumulés pour la période de 2016 à 2019, [SUPPRESSION], indiquent qu’il y a une divergence constante entre les revenus et les dépenses de l’APGL, qu’on peut attribuer en grande partie à des prévisions inexactes.

[90] Le tarif général de l’APGL recouvre les coûts fixes et une partie des coûts variables qu’elle doit assumer dans une année donnée. Cependant, pour réussir à recouvrer l’ensemble de ses coûts planifiés au moyen du tarif général, l’APGL doit prévoir avec exactitude le nombre d’affectations de pilotage et les coûts associés. Les erreurs de prévision nuisent à la situation financière de l’APGL. En ce qui concerne les coûts fixes, une sous-estimation du nombre d’affectations entraînera des surplus, tandis qu’une surestimation mènera à un déficit. À l’inverse, une sous-estimation des coûts variables se traduira par un déficit, alors qu’une surestimation entraînera un surplus.

[91] L’Office reconnaît que l’APGL fait face à des enjeux uniques au moment d’établir ses prévisions des affectations de pilotage en raison de sa zone de services partagés avec les trois associations de pilotes américaines et de son contrôle limité du débit du trafic dans la Voie maritime du Saint-Laurent. Toutefois, pour chaque année depuis 2010, l’APGL a sous-estimé le trafic circulant dans ses circonscriptions.

[92] [SUPPRESSION]. En conséquence de la sous-estimation systématique du trafic et de la pénurie de pilotes de l’APGL, cette dernière doit assumer des coûts variables croissants relativement aux pilotes en poste sous forme de primes de productivité et de paiements des heures supplémentaires. Les coûts engendrés par les paiements des heures supplémentaires ne cessent d’augmenter depuis 2012. Ils sont passés de 3,4 millions CAD en 2016 à 9,3 millions CAD en 2019. Les primes de productivité sont également en constante augmentation depuis 2012. Entre 2016 et 2019, ils ont augmenté de 85,21 %, passant de 3,8 millions CAD à 7 millions CAD.

[93] Les coûts liés aux pilotes ont représenté plus de 80 % des dépenses totales de l’APGL entre 2016 et 2019. [SUPPRESSION]. La majorité de ces coûts est composé des salaires, des avantages sociaux, des paiements des heures supplémentaires et des primes de productivité, et ce sont tous des éléments déterminés en fonction des conventions collectives signées entre l’APGL et ses pilotes. [SUPPRESSION]. Bien que l’APGL soit déterminée à remédier à sa pénurie de pilotes d’ici quatre à cinq ans, elle continuera, d’ici là, à être soumise à des pressions financières.

[94] L’APGL attribue sa sous-estimation systématique du trafic à la difficulté inhérente de prévoir les conditions du marché et les volumes d’expédition de diverses cargaisons. Cependant, elle n’a pas non plus réussi à gérer ses coûts variables, comme le démontre l’augmentation continue des paiements des heures supplémentaires et des primes de productivité. Ces erreurs de prévision et de gestion ont nui à la situation financière de l’APGL pendant une période prolongée.

[95] L’APGL est dans une situation déficitaire depuis 2003, et le déficit accumulé a atteint un sommet de 5,7 millions CAD à la fin de 2009. Elle a réalisé peu de progrès pour éliminer son déficit accumulé, qui était d’environ 1,8 million CAD à la fin de 2019. Si ce déficit devait continuer à augmenter, l’APGL serait incapable de s’acquitter de ses obligations légales. Selon ses états financiers, si elle devait subir un choc économique, elle pourrait difficilement absorber la hausse des coûts ou se rétablir sans couper dans les services offerts. Comme l’Office le reconnaît dans la décision no 276-W-2001, les administrations de pilotage n’atteignent pas toujours l’autonomie financière chaque année, étant donné le caractère spéculatif de la prévision du trafic et des dépenses. Cependant, les administrations doivent démontrer une autonomie financière pendant une période raisonnablement longue, et elles ne peuvent pas être en situation déficitaire à perpétuité.

[96] La rémunération des pilotes constitue une part si grande des dépenses annuelles de l’APGL que celle-ci n’aurait pas d’autre choix que de supprimer des postes de pilotes pour contrôler ses coûts. Cela ne ferait qu’aggraver l’effet déjà onéreux des enjeux de l’APGL sur l’industrie relativement aux coûts de productivité et se traduirait par des goulots d’étranglement additionnels dans la prestation de ses services, ce qui serait contre-productif. Les modifications tarifaires sont, par conséquent, essentielles à la santé financière de l’APGL.

[97] L’APGL prévoit que, collectivement, les modifications tarifaires généreront un excédent qui lui permettra d’éliminer son déficit accumulé et de constituer une petite réserve. L’Office conclut que la réserve prévue par l’APGL ferait office d’outil de gestion des risques et ne constitue pas une stratégie pour gonfler artificiellement de son déficit et augmenter ses droits d’utilisation, comme l’affirme la FMC.

6. Les droits d’utilisation établis par une administration de pilotage doivent être équitables et raisonnables et correspondre uniquement au coût justifiable de la prestation des services

[98] La sixième considération reflète l’obligation de l’APGL aux termes de l’ancien paragraphe 33(3) de la Loid’établir des droits équitables et raisonnables qui reflètent uniquement les coûts justifiables de la prestation des services. L’Office a donc examiné chaque modification tarifaire proposée en cause.

HAUSSE TARIFAIRE GÉNÉRALE

[99] Le tarif général est un droit fixe payé par tous les utilisateurs, et le montant dépend de la circonscription et de la classe de navire. Tous les navires de la même classe dans la même circonscription paient un droit fixe, peu importe le temps nécessaire pour terminer l’affectation. Le tarif général présente également l’avantage d’offrir une stabilité des droits et permet aux utilisateurs de prévoir leurs coûts de pilotage avec plus de précision.

[100] L’Office a déjà examiné, en fonction de la quatrième considération, les circonstances ayant mené l’APGL à sa situation financière actuelle et note de nouveau que les utilisateurs sont la seule source de financement des services qu’elle offre. L’Office conclut que l’augmentation de 3 % de son tarif général est nécessaire pour couvrir les coûts justifiables de ces services. Cependant, l’Office encourage fortement l’APGL à continuer de travailler afin de contrôler ses coûts variables et d’améliorer la précision de ses prévisions du nombre d’affectations de pilotage et des coûts afférents.

[101] L’Office conclut donc que l’augmentation de 3 % de tous les droits compris dans le tarif général, à l’exception de ceux expressément mentionnés ci-après, est équitable, raisonnable et dans l’intérêt public.

DROIT RELATIF AUX ACCOSTAGES ET APPAREILLAGES

[102] Les modifications tarifaires de l’APGL incluent un droit relatif aux accostages et appareillages de 1 200 CAD dans l’ensemble des circonscriptions. Ce droit s’appliquerait à chaque manœuvre d’accostage ou d’appareillage effectuée pour charger ou décharger des cargaisons, des approvisionnements ou du combustible de soute, ou pour procéder à des réparations dans une zone de pilotage obligatoire. Le droit relatif aux accostages et appareillages est en place depuis les années 1970. En 2019, il était différent d’une circonscription à l’autre et il n’était pas perçu dans certaines circonscriptions ayant un faible volume de trafic.

[103] La FMC soutient que les compétences en matière de manœuvres d’accostage et d’appareillage font partie des aptitudes qu’un pilote doit nécessairement acquérir et que, par conséquent, elles ne devraient pas comporter de frais supplémentaires. Elle s’appuie sur la décision no 276-W-2001, dans laquelle l’opposant affirme que la proposition pour un droit associé au pilotage de port à port est illogique et que ce droit n’est pas lié à un service à valeur ajoutée, puisque les pilotes sont déjà rémunérés à l’heure. L’Office a conclu que le droit associé au pilotage de port à port était inéquitable et déraisonnable parce qu’il n’était pas appliqué de manière uniforme et que son application s’effectuait en fonction d’une « limite » artificielle dans l’eau qui n’était pas toujours équitable pour les utilisateurs.

[104] L’Office considère que le droit relatif aux accostages et appareillages de l’APGL diffère du droit associé au pilotage de port à port en cause dans la décision no 276-W-2001, parce que le droit relatif aux accostages et appareillages est appliqué uniformément pour toutes les manœuvres d’accostage et d’appareillage.

[105] L’Office note également que, bien que le droit associé au pilotage de port à port ait été jugé inéquitable et déraisonnable, il a permis à l’Administration de pilotage du Pacifique de recouvrer ses coûts en augmentant un autre droit pour remplacer les revenus qui auraient été générés par le droit associé au pilotage de port à port.

[106] L’APGL a l’obligation contractuelle de payer un montant fixe à ses pilotes pour chaque manœuvre d’appareillage ou d’accostage. L’APGL doit recouvrer ces coûts pour être financièrement autonome. Elle peut les recouvrer soit en imposant un droit pour chaque manœuvre effectuée, comme le droit relatif aux accostages et appareillages, soit au moyen de son tarif général. L’une ou l’autre méthode de recouvrement des coûts peut subir les effets des erreurs de prévision. Toutefois, contrairement à l’allégation de la FMC voulant qu’un navire paie déjà ce service dans le tarif général, l’APGL ne perçoit pas de revenu pour les manœuvres d’appareillage ou d’accostage au moyen de son tarif général.

[107] Pour les motifs susmentionnés, l’Office conclut que le droit relatif aux accostages et appareillages est équitable, raisonnable et dans l’intérêt public.

DROIT SUPPLÉMENTAIRE POUR LA FORMATION DES APPRENTIS-PILOTES

[108] Le droit supplémentaire de 5 % pour la formation des apprentis-pilotes que perçoit l’APGL — payable sur chaque droit de pilotage, y compris le nouveau droit relatif aux accostages et appareillages et le droit relatif à la poursuite du voyage — a été établi à titre de mesure temporaire en 2017 pour couvrir les coûts supplémentaires associés à la stratégie visant à accroître les ressources de pilotage disponibles.

[109] Bien que la FMC soutienne que ce droit supplémentaire constitue une double facturation, cet argument semble, essentiellement, être une opposition à la nature même du droit supplémentaire — par définition, un droit supplémentaire est un droit qui s’applique en plus des autres droits existants. L’Office est d’avis qu’un droit supplémentaire n’est pas foncièrement inéquitable ou déraisonnable. L’Office accepte le fait que le droit supplémentaire est destiné à être temporaire dans le cadre de la stratégie de l’APGL pour remédier à sa pénurie de pilotes d’ici quatre à cinq ans, et qu’il est payé par l’ensemble des utilisateurs. L’Office conclut aussi que l’APGL fait preuve de plus de transparence et de responsabilité en imposant un droit supplémentaire plutôt qu’en incorporant les coûts de formation au tarif général.

[110] Les autres arguments de la FMC relativement à ce droit supplémentaire – selon lesquels l’APGL compte beaucoup trop sur l’embauche de pilotes supplémentaires pour faire face à ses enjeux financiers et en matière d’efficience, n’a pas déployé suffisamment d’efforts pour utiliser ses effectifs existants de façon plus efficiente, et n’a pas adéquatement envisagé le nombre de futurs détenteurs de certificats canadiens qui seraient en mesure d’effectuer leur propre pilotage — sont précédemment évoqués relativement à la responsabilité de l’APGL d’organiser et de fournir des services d’une façon efficace.

[111] Bien que la façon dont l’APGL gère ses enjeux opérationnels et financiers pourrait être améliorée, il n’en demeure pas moins qu’il y a une pénurie de pilotes qualifiés en raison du nombre élevé de départs à la retraite de pilotes d’expérience. De plus, les jeunes pilotes sont moins disposés à faire des heures supplémentaires, tandis que la demande pour des affectations de pilotage ne cesse d’augmenter. La pénurie est suffisamment grave que, comme l’indique l’APGL dans ses présentations, le gouvernement fédéral et la Chambre de commerce maritime ont élaboré une stratégie de recrutement nationale pour remédier à cette situation.

[112] Comme il a été évoqué précédemment, l’Office reconnaît que l’APGL a dû faire face par le passé à des enjeux uniques liés à la pénurie de pilotes, étant donné que les nouvelles embauches ont été neutralisées en partie par les départs à la retraite et d’autres types de départs. Compte tenu de cette pénurie de pilotes qui dure depuis longtemps, l’Office trouve raisonnable que l’APGL mette sur pied son propre programme de formation des apprentis-pilotes, même si cette stratégie entraîne des coûts élevés à court terme. La réduction des coûts de formation de l’APGL ne ferait qu’exacerber les retards et se traduirait par une hausse des coûts pour les utilisateurs pendant une période encore plus longue.

[113] Pour ces raisons, l’Office conclut que la proposition relative au droit supplémentaire pour la formation des apprentis-pilotes est équitable, raisonnable et dans l’intérêt public.

DROIT RELATIF À LA POURSUITE DU VOYAGE

[114] Le droit relatif à la poursuite du voyage d’un montant de 2 750 CAD serait imposé par l’APGL lorsqu’un pilote doit demeurer à bord plus longtemps que la durée définie de son affectation parce qu’aucun remplaçant n’est disponible. [SUPPRESSION]. Selon la preuve présentée, ces coûts sont entraînés par une augmentation du nombre d’affectations par pilote et un nombre relativement statique de pilotes.

[115] Le droit supplémentaire relatif à la poursuite du voyage permet de recouvrer seulement une partie des paiements des heures supplémentaires et des primes de productivité pour chaque affectation. La partie restante de ces coûts a été intégrée au tarif général. L’APGL affirme qu’une analyse comparative a démontré que l’augmentation de 3 % du tarif général qu’elle a mise en œuvre, combinée au droit relatif à la poursuite du voyage, imposerait aux utilisateurs un fardeau financier moindre que si tous les coûts de pilotage additionnels étaient intégrés au tarif général. Elle indique que la dernière approche aurait nécessité une hausse de 14,5 % du tarif général pour que les revenus requis soient générés.

[116] L’argument de l’APGL n’a pas convaincu l’Office. Selon qu’un remplaçant soit disponible ou non à la fin de l’affectation d’un pilote, le droit relatif à la poursuite du voyage peut ou non être imposé au navire. Un navire donné pourrait même devoir payer ce droit plus d’une fois au cours de son voyage. Les navires qui paient ce droit paient non seulement la partie des coûts de pilotage additionnels reflétée dans ce droit, mais aussi la partie de ces coûts ayant été incorporée au tarif général.

[117] L’Office est également d’avis que la façon choisie par l’APGL pour mettre en œuvre le droit relatif à la poursuite du voyage impose des coûts à certains navires en particulier, alors que les avantages de la poursuite du voyage profitent à de nombreux utilisateurs. Lorsque des pilotes doivent demeurer sur les navires au-delà de la période de leur affectation d’origine, la circulation du trafic se poursuit, ce qui réduit les retards. La poursuite du voyage profite au navire qui se prévaut de ce service, aux navires qui le suivent ainsi qu’au système en général parce qu’il réduit les retards onéreux. On pourrait même considérer que cette situation crée un problème de « bénéficiaires sans contrepartie » qui profite aux navires suivant ceux qui paient le droit relatif à la poursuite du voyage.

[118] Bien que l’APGL décrit l’augmentation du tarif général comme étant « inefficace », la raison de cette description n’est pas évidente, puisque l’APGL affirme que le droit relatif à la poursuite du voyage vise simplement à générer des revenus et qu’il ne semble pas avoir été conçu pour influencer le comportement des utilisateurs.

[119] L’Office conclut que le fait d’imposer le droit relatif à la poursuite du voyage uniquement au navire à qui on permet de poursuivre son voyage est inéquitable et déraisonnable, puisque le droit serait appliqué de façon arbitraire et inéquitable et qu’il serait plus équitable de répartir le versement du droit entre tous les navires, étant donné l’avantage qui en résulterait pour le système.

[120] L’APGL a demandé, dans l’éventualité où l’Office déconseillerait de mettre en œuvre le droit relatif à la poursuite du voyage, de pouvoir augmenter son tarif général de 14,5 %, ce qui engloberait la hausse proposée de 3 %, afin de recouvrer ses coûts.

[121] Comme il a précédemment été noté lorsqu’il a été question de la décision no 276-W-2001, lorsqu’un droit est jugé inéquitable ou déraisonnable, l’Office permet à une administration de pilotage de recouvrer ses coûts en augmentant un autre droit pour remplacer les revenus perdus. En conséquence, si les coûts liés au fait qu’un pilote reste à bord d’un navire pour continuer le voyage en faisant des heures supplémentaires étaient plutôt recouvrés à l’aide d’une hausse additionnelle du tarif général allant jusqu’à 11,5 %, l’Office considérerait cette mesure comme étant équitable, raisonnable et dans l’intérêt public. Tout excédent généré par cette approche qui ne serait pas nécessaire pourrait être retourné à l’industrie sous forme de réductions tarifaires futures, d’une façon semblable à l’approche proposée par les administrations de pilotage et acceptée par l’Office dans la décision no 105-W-2020.

[122] La hausse du tarif général de 11,5 % proposée par l’APGL est, à tous égards, une augmentation considérable que les utilisateurs devront supporter. Si elle est entièrement mise en œuvre, il sera important que l’APGL démontre des progrès relativement à son contrôle des coûts variables, des améliorations au chapitre de l’efficience ou une augmentation des services offerts aux utilisateurs afin de justifier toute augmentation future du tarif général.

[123] L’Office conclut donc que :

    • l’augmentation de 3 % qui s’applique à tous les droits du tarif général, autres que les droits expressément énoncés ci-après, ne nuit pas à l’intérêt public;
    • l’uniformisation dans toutes les circonscriptions du droit relatif aux accostages et appareillages à un montant de 1 200 CAD ne nuit pas à l’intérêt public;
    • le droit supplémentaire pour la formation des apprentis-pilotes ne nuit pas à l’intérêt public;
    • le droit relatif à la poursuite du voyage est inéquitable, déraisonnable et nuit à l’intérêt public, mais il serait équitable, raisonnable et dans l’intérêt public de recouvrer les coûts liés au fait qu’un pilote reste à bord d’un navire pour poursuivre le voyage en faisant des heures supplémentaires au moyen d’une augmentation additionnelle du tarif général allant jusqu’à 11,5 %.

RECOMMANDATION DE L’OFFICE

[124] L’Office a examiné tous les éléments de preuve présentés par les parties.

[125] L’Office conclut que le droit relatif à la poursuite du voyage tel que proposé par l’APGL nuit à l’intérêt public et recommande donc qu’il ne soit pas mis en œuvre. L’Office recommande que le montant des revenus que la proposition de mettre en œuvre un droit relatif à la poursuite du voyage aurait permis de percevoir soit recouvré au moyen d’une hausse du tarif général allant jusqu’à 11,5 %, en plus de la hausse tarifaire générale proposée de 3 %.

[126] L’Office recommande la mise en œuvre des autres modifications tarifaires qu’il a examinées et qui ont été publiées par l’APGL dans la Partie I de la Gazette du Canada le 11 janvier 2020.

La présente décision est la version publique épurée de la décision confidentielle no conf-10-2021 émise le 4 novembre 2021 qui ne saurait être rendue publique.

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J. Mark MacKeigan
Heather Smith
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