Lettre-décision n° CONF-5-2018

VERSION ÉPURÉE

le 28 mars 2018

Requête déposée par Rosalie Finlay contre Sunwing Airlines Inc. (Sunwing) en vertu de l’article 27 des Règles de l’Office des transports du Canada (Instances de règlement des différends et certaines règles applicables à toutes les instances), DORS/2014-104 (Règles pour le règlement des différends).

Numéro de cas : 
17-05019

RÉSUMÉ

[1] Le 25 août 2017, l’Office des transports du Canada (Office) a ouvert les actes de procédure relativement à la demande de Mme Finlay contre Sunwing (cas n° 17-02594). Le 6 septembre 2017, Sunwing a déposé sa réponse à la demande (réponse). Le 29 septembre 2017, Mme Finlay a déposé sa réplique à la réponse (réplique). Dans sa réplique, Mme Finlay demande que l’Office retire des parties de la réponse et certains documents à l’appui qui renferment de l’information visée par le privilège de règlement (requête).

[2] Le 17 novembre 2017, l’Office a ouvert les actes de procédure relativement à la requête de Mme Finlay. Le 1er décembre 2017, Sunwing a présenté une réponse à la requête (réponse à la requête). Mme Finlay a présenté une réplique le 5 décembre 2017.

[3] Pour les motifs énoncés ci-après, l’Office autorise en partie la requête de Mme Finlay. En conséquence, l’Office supprime des parties de la réponse de Sunwing qui comportent de l’information visée par le privilège de règlement et place la réponse modifiée aux archives de l’instance du cas n° 17-02594.

CONTEXTE

[4] Les parties de la réponse qui, selon Mme Finlay, comportent de l’information visée par le privilège de règlement sont des lettres et des courriels (communications) entre ses représentants (M. Baker et sa stagiaire en droit, Mme Ruiter) et un avocat externe pour Sunwing (M. Hunter). Ces communications, ainsi que des documents annexés, ont été échangés entre juin et octobre 2015, avant que Mme Finlay dépose sa demande contre Sunwing auprès de l’Office. Mme Finlay demande que les passages qu’elle a indiqués soient retirés de la réponse de Sunwing.

LA LOI

[5] Le privilège de règlement — aussi connu sous le nom de la règle des communications faites « sous toutes réserves » — est une règle de preuve bien établie en common law qui favorise le règlement de différends sans avoir recours à des moyens officiels, et rend irrecevables dans des procédures subséquentes les communications échangées entre les parties qui tentent de régler leurs différends. Les protections qu’offre ce privilège favorisent des discussions franches et honnêtes entre les parties à un différend, car elles ont la garantie que les renseignements échangés dans ce contexte ne seront pas ultérieurement utilisés contre elles.

[6] Dans l’arrêt Sable Offshore Energy Inc. c. Ameron International Corp., la Cour suprême du Canada a décrit comme suit les objectifs des protections que permet le privilège de règlement :

Les négociations en vue d’un règlement sont protégées depuis longtemps par la règle de la common law suivant laquelle sont inadmissibles les communications faites [traduction] « sous toutes réserves » au cours de ces négociations (voir David Vaver, « “Without Prejudice” Communications — Their Admissibility and Effect » (1974), 9 U.B.C. L. Rev. 85, p. 88). Le privilège relatif aux règlements qui découle de la règle des communications faites « sous toutes réserves » reposait sur l’idée que les parties seront davantage susceptibles de parvenir à un règlement si elles sont confiantes dès le départ que le contenu de leurs négociations ne sera pas divulgué.[1]

[7] De plus, comme le reconnaît également la Cour suprême du Canada dans ce même arrêt, les parties à un différend ne sont pas tenues d’employer les mots « sous toutes réserves » pour que le privilège de règlement s’applique afin de protéger des communications échangées entre les parties à un différend :

[B]ien que le privilège soit souvent appelé la règle des communications faites « sous toutes réserves », point n’est besoin d’employer ces termes exacts pour l’invoquer. Ce qui compte plutôt, c’est l’intention des parties de régler l’action (p. 739). Le contenu de toute négociation entreprise à cette fin est inadmissible en preuve.[2]

[8] Comme il est indiqué dans Sopinka, Lederman & Bryant : The Law of Evidence in Canada, des auteurs Lederman, Bryant & Fuerst, pour invoquer le privilège de règlement à une communication donnée, les trois conditions suivantes doivent être réunies :

  1. un différend prêtant à litige doit exister ou être envisagé;
  2. la communication doit être faite sous la réserve explicite ou tacite qu’elle ne soit pas divulguée au tribunal en cas d’échec des négociations;
  3. la communication doit avoir pour but un règlement. [3]

[9] En ce qui concerne la deuxième condition, Lederman et coll. notent que l’utilisation de la phrase « sous toutes réserves » constitue une preuve de l’intention que des communications ne soient pas divulguées, même si elle ne permet pas de conclure d’une telle intention[4]. Ces auteurs notent également qu’au cours de négociations, si une lettre a été écrite par une partie « sous toutes réserves », alors on pourrait invoquer l’intention de maintenir le privilège concernant l’ensemble de la correspondance dont fait partie ladite lettre[5].

[10] L’Office traite de la question du privilège de règlement dans l’annotation de l’article 19 des Règles pour le règlement des différends :

Les parties ne sont pas autorisées à déposer des renseignements ayant trait à des discussions relatives à un règlement qui ont eu lieu à l’extérieur du processus de règlement du différend. Cela comprend les discussions privées ou informelles, ou celles découlant des services de facilitation et de médiation de l’Office.

Voici des exemples de renseignements ayant trait à des discussions relatives à un règlement : des offres de règlement, des admissions de responsabilité, et une reconnaissance de faiblesse aux fins de régler le différend.

POSITIONS DES PARTIES

Position de Mme Finlay

[11] Mme Finlay fait valoir que dès le début de ses discussions avec Sunwing, les communications et les documents qu’elle a indiqués ont été échangés dans l’intention expresse et implicite d’arriver à un arrangement négocié. Pour appuyer sa position, Mme Finlay indique avoir entamé les discussions au moyen d’une lettre le 22 juin 2015 (lettre de juin 2015), sur laquelle se trouvait la mention « sous toutes réserves ». Selon Mme Finlay, cette mention signale explicitement que le contenu ne doit être communiqué dans aucune procédure subséquente en cas d’échec des négociations. Mme Finlay fait également valoir que l’intention énoncée de cette lettre de présentation servait de base à toutes ses communications qui ont suivi avec Sunwing entre juin et octobre 2015, car selon elle, l’ensemble de ces échanges ont fait partie d’un dialogue continu avec Sunwing dans le but de régler rapidement le différend.

[12] Mme Finlay affirme que la seule raison pour laquelle elle a accepté de fournir à Sunwing des renseignements servant à prouver ses pertes, ou de permettre à Sunwing d’inspecter indépendamment son fauteuil roulant, était de négocier le règlement de sa réclamation et ainsi d’éviter d’entamer des procédures par l’un ou l’autre des divers moyens à sa disposition. Mme Finlay affirme que même dans le contexte de différends officiels, elle n’aurait pas été tenue de permettre à un inspecteur choisi par Sunwing d’entrer dans sa demeure pour évaluer les dommages à son fauteuil roulant. Elle fait plutôt valoir qu’elle l’a fait dans le but de négocier un règlement avec Sunwing.

[13] Selon Mme Finlay, les renseignements communiqués font partie des efforts déployés pour régler ce différend et devraient donc être protégés par le privilège de règlement. Mme Finlay n’est pas d’accord avec l’affirmation de Sunwing selon laquelle la communication de renseignements était un précurseur distinct, donc complètement séparé des négociations visant à régler ce différend.

Position de Sunwing

[14] Sunwing fait valoir que l’ensemble des communications et des documents échangés qu’elle a inclus dans sa réponse servaient à établir la preuve des dommages que Mme Finlay affirme avoir subis, et non à un règlement. Sunwing fait valoir que, parce que la preuve de perte est un précurseur nécessaire pour prouver toute forme de réclamations liées aux dommages que Mme Finlay allègue avoir subis, les communications échangées entourant la preuve sont distinctes des discussions pour un règlement entre les parties. Sunwing affirme que le règlement pouvait seulement être discuté ou négocié après que Mme Finlay a fourni la preuve de ses pertes alléguées. Selon ce qu’affirme Sunwing, il n’y a jamais eu de discussions entre les parties concernant un règlement.

[15] Sunwing fait également valoir que, parce qu’il faudrait que la preuve des pertes soit présentée dans le cadre d’une réclamation de dommages que Mme Finlay pourrait déposer auprès de l’Office, du Tribunal canadien des droits de la personne ou de toute autre cour de justice, Mme Finlay devait s’attendre à ce qu’une telle preuve ait à être divulguée au juge des faits, advenant que l’affaire entraîne des poursuites. En conséquence, Sunwing fait valoir qu’aucun des documents joints aux communications échangées entre les parties n’est protégé par le privilège de règlement.

ANALYSE ET DÉTERMINATIONS

[16] Les critères pour établir les conditions régissant le privilège de règlement en common law sont énoncés ci-dessus. Sunwing et Mme Finlay conviennent qu’il s’agit de critères adéquats pour déterminer si le privilège de règlement s’applique aux communications et aux documents qu’ils ont échangés entre juin et octobre 2015.

Application des critères

Condition 1 : Un différend prêtant à litige doit exister ou être envisagé.

[17] Mme Finlay affirme que les communications et les documents qu’elle a indiqués ont été échangés dans le cadre des discussions entre les parties en vue de régler un différend. Sunwing concède que les parties envisageaient un litige.

[18] En fonction de ce qui précède, l’Office conclut que la première condition est remplie.

Condition 2 : La communication doit être faite sous la réserve explicite ou tacite qu’elle ne soit pas divulguée au tribunal en cas d’échec des négociations.

[19] Mme Finlay fait valoir qu’elle a entamé les discussions dans le but de régler son différend avec Sunwing au moyen de sa lettre de juin 2015 sur laquelle figurait la mention « sous toutes réserves », qui énonçait explicitement son intention d’en arriver à un règlement négocié. Elle affirme que cette lettre renferme le montant d’indemnisation qu’elle réclamait, ainsi que le montant qu’elle était disposée à accepter pour régler son différend contre Sunwing. Mme Finlay fait également valoir que l’intention énoncée dans sa lettre de juin 2015 servait de base à l’ensemble de ses communications et de ses échanges de renseignements subséquents avec Sunwing entre juin et octobre 2015 qui, selon elle, font partie d’un dialogue continu avec Sunwing dans le but de régler rapidement le différend.

[20] Sunwing fait valoir que les communications et les documents qu’elle a annexés à sa réponse ne renferment pas de preuves que les parties étaient engagées dans des négociations pour régler la réclamation de Mme Finlay, en partie parce qu’ils ne font pas référence à une offre de règlement explicite. Sunwing affirme plus particulièrement que Mme Finlay a fourni les communications et les documents seulement pour étayer sa réclamation, et qu’il est impossible de déduire une intention implicite à ce que ces communications et documents ne soient pas divulgués en cas de procédures subséquentes.

[21] L’Office conclut, d’une part, que les mots « sous toutes réserves » indiqués dans la lettre de juin 2015 de Mme Finlay démontrent expressément son intention que le contenu de cette lettre ne soit pas divulgué au cours de procédures subséquentes en cas d’échec des négociations. L’Office conclut également que cette même interprétation s’applique aux communications échangées par la suite entre les parties entre juin et octobre 2015, et il conclut donc à une intention implicite que ces communications ne soient pas divulguées au cours de procédures subséquentes.

[22] D’autre part, l’Office conclut qu’il n’est pas possible de déduire une intention implicite que les documents échangés entre les parties et qui établissent la preuve d’une perte ne soient pas divulgués au cours de procédures subséquentes en cas d’échec des négociations, surtout du fait qu’elles sont pertinentes pour déterminer les dommages que réclame Mme Finlay. Cette détermination est soutenue par le fait que Mme Finlay a déposé deux des documents qu’elle a marqués comme étant protégés par le privilège de règlement pour appuyer sa demande.

[23] Pour ces raisons, l’Office conclut que la deuxième condition est remplie en ce qui a trait aux communications échangées entre les parties, mais qu’elle n'est pas remplies en ce qui a trait aux documents annexés qui établissent la preuve des pertes réclamées par Mme Finlay.

Condition 3 : La communication doit avoir pour but un règlement.

[24] Mme Finlay fait valoir que les communications et les documents ont été échangés dans le but avoué d’en arriver à un règlement négocié. Pour sa part, Sunwing fait valoir que les communications et les documents ont été échangés entre les parties pour fournir une preuve de sa perte et non pour en arriver à un règlement.

[25] L’Office note que l’argument de Sunwing concernant l’objectif des communications entre les parties vient contredire les affirmations dans sa propre réponse. [SUPPRESSION]. De plus, la distinction établie par Sunwing entre le fait de fournir une preuve de perte et une tentative d’en arriver à un règlement encourage une interprétation beaucoup trop étroite de la portée du privilège de règlement, laquelle interprétation ne cadre pas avec l’accent que mettent les tribunaux canadiens sur l’importance d’encourager les parties à régler leurs différends sans avoir recours à un processus formel.

[26] L’Office conclut donc que les communications et les documents indiqués par Mme Finlay ont été échangés entre les parties dans une tentative visant à régler sa demande. En conséquence, l’Office conclut que la troisième condition est remplie en ce qui a trait aux communications et aux documents échangés entre les parties.

[27] À la lumière de ce qui précède, l’Office conclut que les communications échangées entre les parties remplissent les trois conditions et sont donc protégées par le privilège de règlement. Toutefois, les documents annexés à ces communications, qui servent à établir la preuve de la perte réclamée  par Mme Finlay, ne remplissent pas la deuxième condition et ne seront donc pas visés par le privilège de règlement.

CONCLUSION

[28] Pour ces raisons, l’Office accueille en partie la requête de Mme Finlay. En conséquence, l’Office retire les parties de la réponse de Sunwing détaillant les courriels et les lettres échangés entre les parties et y faisant référence (joints en annexe).

[29] De plus, en accueillant la requête de Mme Finlay, l’Office retire des archives du cas n° 17‑02594 les documents suivants, que Sunwing a présentés pour appuyer sa réponse :

  • Annexe D : courriel du 16 juillet 2015 de Clay Hunter à David Baker;
  • Annexe E : courriel du 17 juillet 2015 de David Baker à Clay Hunter;
  • Annexe F : courriel du 28 juillet 2015 de David Baker à Clay Hunter;
  • Annexe I : courriel du 15 septembre 2015 de Kimberly Ruiter à Clay Hunter[6];
  • Annexe K : courriel du 16 septembre 2015 de Kimberly Ruiter à Clay Hunter;
  • Annexe L : courriel du 24 septembre 2015 de Clay Hunter à Kimberly Ruiter;       
  • Annexe M : lettre du 7 octobre 2015 de David Baker à Clay Hunter[7];
  • Annexe N : lettre du 13 octobre 2015 de Clay Hunter à David Baker.

[30] En outre, même si Mme Finlay n’a pas demandé que soit retirée de la réponse de Sunwing l’une des références au courriel du 28 juillet 2015 de M. Baker à M. Hunter (annexe F), car ce sont également de l’information visée par le privilège de règlement, l’Office retire également la référence à ce courriel.

[31] Inversement, l’Office conclut que ce ne sont pas tous les renseignements indiqués par Mme Finlay qui sont protégés par le privilège de règlement. Voici les renseignements en question :

  • La requête de Mme Finlay concernant les documents qu’elle a fournis à Sunwing pour établir la preuve de ses pertes alléguées et, en particulier, les documents dont il est fait référence dans le courriel du 15 septembre 2015 de Mme Ruiter à M. Hunter (mais pas le courriel lui-même), ainsi que la facture dont il est question dans la lettre du 7 octobre 2015 de M. Baker à M. Hunter (mais pas la lettre elle-même);
  • les arguments déposés par Sunwing dans sa réponse fondée sur la preuve figurant dans la demande de Mme Finlay, ainsi que sur les documents (mais pas les communications) échangés entre les parties entre juin et octobre 2015;
  • la liste des pièces de fauteuils roulants Razor Blade de 2013 et la garantie de Colours, car les deux documents sont disponibles sur Internet.

[32] L’Office rejette la requête de Mme Finlay concernant ces renseignements, car ils ne remplissent pas la deuxième condition visant le privilège de règlement.

[33] Finalement, l’Office rejette la requête de Mme Finlay pour qu’on retire la référence à l’affidavit de Johanne Dhue, qui a été cité à plusieurs reprises dans la réponse de Sunwing, mais auquel Mme Finlay n’a fait référence qu’une fois. L’affidavit a été déposé pour appuyer la position de Sunwing et n’inclut pas de communications ou de documents échangés entre les parties dans le cadre de leurs les efforts pour régler ce différend entre juin et octobre 2015, et n’y fait pas non plus référence.

La présente décision est la version publique épurée de la décision confidentielle no CONF-5-2018 émise le 28 mars 2018 qui ne saurait être rendue publique.


[1] [2013] 2 RCS 623, au paragr. 12 (Sable Offshore), cité avec approbation dans Union Carbide Canada Inc. c. Bombardier Inc., [2014] 1 RCS 800 au paragr. 32 (Union Carbide).

[2] Sable Offshore, ibid.au paragr. 14, cité avec approbation dans Union Carbide au paragr. 34.

[3] Traduction libre d’un extrait de l’ouvrage de Sidney N. Lederman, Alan W. Bryant & Michelle K. Fuerst, Sopinka, Lederman & Bryant : Law of Evidence in Canada, 4e éd. (Markham, ON : LexisNexis Canada Inc., 2014) au §14.325 (Law of Evidence in Canada). Voir aussi : Sable Offshore Energy Project v. Ameron International Corp., 2015 NSCA 8, au paragr. 57, citant avec approbation Brown v. Cape Breton (Regional Municipality) 2011 NSCA 32; Calgary (City) v. Costello, 1997 ABCA 281, au paragr. 60.

[4] Law of Evidence in Canada, ibid. au § 14.327.

[5] Ibid.

[6] Toutefois, comme il est expliqué plus en détail ci-après, les documents joints à ce courriel resteront au dossier.

[7] De la même façon, les documents joints à ce courriel resteront également au dossier.

Membre(s)

P. Paul Fitzgerald
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