Lettre-décision n° LET-AT-A-52-2022
Requête déposée par Air Canada au titre de l’article 31 des Règles de l’Office des transports du Canada (Instances de règlement des différends et certaines règles applicables à toutes les instances), DORS/2014-104 (Règles)
Résumé
[1] Timothy Rose a déposé une demande auprès de l’Office des transports du Canada (Office) parce que les aéronefs qu’Air Canada utilise pour transporter des passagers de Toronto (Ontario) à Cleveland (Ohio) ainsi que sur plusieurs autres itinéraires transfrontaliers ne permettent pas le transport de son fauteuil roulant électrique. Le 5 juillet 2022, l’Office a émis la décision LET-AT-A-25-2022 (décision de demande de justification), dans laquelle il a donné l’occasion à Air Canada de justifier pourquoi l’Office ne devrait pas lui ordonner de mettre en œuvre les mesures correctives proposées et, à M. Rose, de formuler des commentaires sur les présentations d’Air Canada.
[2] La présente décision porte sur la requête d’Air Canada, déposée le 3 octobre 2022 au titre de l’article 31 des Règles, visant à préserver la confidentialité des renseignements sur les coûts faisant partie de la pièce A de l’affidavit de Cale Daniels, qui étaye sa réponse à la décision de demande de justification. M. Rose a déposé une réponse à cette requête le 21 octobre 2022, après que l’Office a accédé à une requête de prolongation de délai, et Air Canada a déposé sa réplique le 24 octobre 2022.
[3] Pour les motifs énoncés ci-après, l’Office accède à la requête d’Air Canada visant à préserver la confidentialité des renseignements et ordonne aux experts embauchés par M. Rose de signer le formulaire d’engagement ci-joint.
Positions des parties
Air Canada
[4] Air Canada affirme que les montants en dollars indiqués dans la pièce A sont un élément important de sa réponse à la décision de demande de justification. Elle souligne que ces montants sont des renseignements commerciaux de nature très sensible et que leur divulgation nuirait de façon précise, directe et irréversible aux intérêts commerciaux, aux relations contractuelles et à la compétitivité d’Air Canada et de ses fournisseurs. Air Canada soutient, en se fondant sur la décision LET-R-6-2018, que l’intérêt public de la divulgation de ces montants ne l’emporte pas sur les dommages qui pourraient en découler.
[5] Air Canada a fourni une copie épurée du document à toutes les parties et une version confidentielle à l’Office seulement, qu’elle est prête à fournir à M. Rose et à ses avocats sous condition de certains engagements en matière de confidentialité. Elle considère la réponse de M. Rose à sa requête de confidentialité comme un engagement en matière de confidentialité des avocats de M. Rose. Elle se dit insatisfaite de l’engagement des avocats de M. Rose en son nom et affirme que M. Rose doit présenter son propre engagement. Elle convient que M. Rose peut divulguer les renseignements à un expert si l’expert accepte par écrit d’être lié par l’ordonnance de confidentialité de l’Office.
M. Rose
[6] M. Rose ne conteste pas la requête d’Air Canada et certifie que les membres de son équipe juridique et lui préserveront la confidentialité des renseignements. Il demande à faire part du document à un ou plusieurs experts en vue de déposer une réponse exhaustive aux arguments et aux éléments de preuve présentés par Air Canada.
La loi
[7] Au titre de l’article 25 de la Loi sur les transports au Canada, LC 1996, c 10 l’Office a le pouvoir de rendre des ordonnances concernant la confidentialité de documents. Il exerce ce pouvoir discrétionnaire conformément à la jurisprudence de la Cour suprême du Canada.
[8] Selon le principe de la publicité des débats judiciaires, à quelques exceptions près, les instances et les dossiers connexes doivent être rendus publics. Ce principe s’applique à l’Office lorsqu’il entame une instance de règlement d’un différend en sa qualité de tribunal quasi judiciaire. Par conséquent, l’Office doit verser toute présentation ou tout document déposé dans le cadre de l’instance à ses archives publiques à moins qu’il ait accédé à une requête de confidentialité au titre de l’article 31 des Règles.
[9] Lorsqu’il examine une requête de confidentialité, l’Office détermine si les renseignements sont pertinents dans le cadre de l’instance. Si les renseignements ne sont pas pertinents, l’Office peut décider de ne pas les verser aux archives de l’instance. Si l’Office conclut que les renseignements sont pertinents, il examine la possibilité d’accorder une exception au principe de la publicité des débats judiciaires.
[10] Dans la décision Sherman (Succession) c Donavan, 2021 CSC 25 (Sherman [Succession]), la Cour suprême du Canada a précisé que lorsqu’un demandeur sollicite une exception au principe de la publicité des débats judiciaires, il doit respecter trois conditions préalables fondamentales :
(1) la publicité des débats judiciaires pose un risque sérieux pour un intérêt public important;
(2) l’ordonnance sollicitée est nécessaire pour écarter ce risque sérieux pour l’intérêt mis en évidence, car d’autres mesures raisonnables ne
permettront pas d’écarter ce risque;
(3) du point de vue de la proportionnalité, les avantages de l’ordonnance l’emportent sur ses effets négatifs.
Analyse et déterminations
Requête d’Air Canada
[11] Les renseignements qu’Air Canada souhaite garder confidentiels portent sur les coûts prévus de la mise en œuvre de l’une des mesures correctives proposées dans la décision de demande de justification. Par conséquent, l’Office conclut que ces renseignements sont pertinents dans le cadre de la présente instance. Le cadre établi dans Sherman (Succession) s’applique donc.
Étape 1 : La publicité des débats judiciaires pose-t-elle un risque sérieux pour un intérêt public important?
[12] Dans Sherman (Succession), la Cour suprême du Canada a réaffirmé les conclusions auxquelles elle est parvenue dans Sierra Club selon lesquelles l’intérêt commercial général dans la protection des renseignements confidentiels peut constituer un intérêt public important tant que l’intérêt ne se limite pas à l’intérêt commercial particulier des parties et que certains critères sont respectés en ce qui a trait aux renseignements (Sherman [Succession], para 41, et Sierra Club, para 59). Le demandeur doit démontrer que le risque pour l’intérêt commercial est réel et important, en ce qu’il est bien étayé par la preuve (Sierra Club, para 54); que les renseignements en question ont toujours été traités comme des renseignements confidentiels; que, selon la prépondérance des probabilités, il est raisonnable de penser que leur divulgation risquerait de compromettre ses droits exclusifs, commerciaux et scientifiques; et que les renseignements ont été recueillis dans l’expectative raisonnable qu’ils resteraient confidentiels (para 59 et 60).
[13] L’Office reconnaît qu’Air Canada traite systématiquement les renseignements sur ses coûts, comme ceux de la pièce A, comme des renseignements confidentiels; que leur divulgation risquerait de compromettre l’intérêt commercial d’Air Canada et de tiers; et que les renseignements ont été compilés dans l’expectative raisonnable qu’ils resteraient confidentiels. Air Canada a produit de nombreux éléments de preuve plus tôt dans la présente instance. Cependant, il s’agit de la première fois qu’elle dépose des renseignements financiers détaillés du type de ceux de la pièce A. Par conséquent, l’Office conclut que les critères ci-dessus sont respectés et que la divulgation de renseignements financiers détaillés sur les activités d’Air Canada représenterait un risque réel et important pour l’intérêt public général en matière de protection des renseignements commerciaux confidentiels.
Étape 2 : L’ordonnance est-elle nécessaire, car d’autres mesures raisonnables ne permettront pas d’écarter le risque?
[14] L’Office est convaincu qu’Air Canada a restreint la portée de sa requête afin d’épurer uniquement les renseignements nécessaires pour protéger la confidentialité de ses activités commerciales. De plus, l’Office conclut qu’aucune mesure raisonnable autre qu’une ordonnance de confidentialité ne permettrait à ces renseignements d’être considérés dans le cadre de la présente instance.
Étape 3 : Du point de vue de la proportionnalité, les avantages de l’ordonnance l’emportent-ils sur ses effets négatifs?
[15] Verser les renseignements en question aux archives confidentielles de l’Office n’empêcherait pas le public de comprendre la présente instance. Cependant, les verser aux archives publiques aurait une incidence négative importante sur l’intérêt public en matière de confidentialité des renseignements commerciaux. De plus, si l’Office rejetait la requête de confidentialité d’Air Canada, il limiterait sa capacité à répondre à la décision de demande de justification en l’obligeant soit à retirer des renseignements qui, selon elle, soutiennent ses arguments, soit à s’exposer aux conséquences juridiques et commerciales de leur divulgation publique. Par conséquent, l’Office conclut que les avantages d’accéder à la requête l’emportent sur ses effets négatifs.
Conclusion
[16] À la lumière de ce qui précède, l’Office accède à la requête de confidentialité d’Air Canada. La version publique de la pièce A sera versée aux archives publiques de l’Office, tandis que sa version confidentielle sera versée à ses archives confidentielles.
Engagements en matière de confidentialité
[17] L’Office conclut que l’engagement faisant partie de la réponse de M. Rose du 21 octobre 2021 vise M. Rose ainsi que ses avocats. M. Rose n’est pas contraint à fournir d’autres garanties en matière de confidentialité. Ses avocats et lui sont liés par les modalités énoncées dans le formulaire d’engagement en matière de confidentialité de l’Office. Toute divulgation non autorisée des montants confidentiels par M. Rose ou ses avocats sera considérée comme un non-respect d’une ordonnance de l’Office et sera assujettie à des mesures d’application de la loi par l’Office ou les tribunaux du Canada ayant compétence à l’égard des ordonnances de l’Office.
[18] Tout expert embauché par M. Rose doit signer le formulaire d’engagement en matière de confidentialité de l’Office avant d’avoir accès à la version confidentielle de la pièce A afin de veiller à ce qu’il connaisse les restrictions établies par l’Office.
Directive
[19] Air Canada a jusqu’à 17 h, heure de Gatineau, le 8 décembre 2022 pour fournir à M. Rose la version confidentielle de sa pièce A. M. Rose a jusqu’à 17 h, heure de Gatineau, le 19 décembre 2022 pour déposer des commentaires auprès de l’Office sur les arguments et les éléments de preuve présentés par Air Canada en réponse à la décision de demande de justification et en faire parvenir une copie à Air Canada.
[20] Si M. Rose embauche un expert pour examiner les éléments de preuve d’Air Canada, l’Office lui ordonne de déposer un formulaire d’engagement en matière de confidentialité signé par l’expert avant de lui donner accès aux renseignements confidentiels, et d’en faire parvenir une copie à Air Canada. Une copie du formulaire d’engagement en matière de confidentialité est jointe à la présente décision.
[21] Toute la correspondance et l’ensemble des actes de procédure doivent référer au numéro de cas 18-50077 et être envoyés au Secrétariat de l’Office à secretariat@otc-cta.gc.ca.
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