Lettre-décision n° LET-C-A-79-2011

le 8 août 2011

Plainte déposée par Gábor Lukács contre WestJet concernant son tarif intitulé Scheduled International Passenger Rules Tariff No. CTA(A) No. 4, et en particulier les règles 15.2a), b) et c) et 15.3.

No de référence : 
M4120-3/09-03571

CONTEXTE

[1] Le 24 avril 2009, WestJet a déposé auprès de l’Office des transports du Canada (Office) certaines modifications à son tarif intitulé Scheduled International Passenger Rules Tariff No. CTA(A) No. 4 (tarif), lequel énonce les règles relatives aux passagers du service international régulier du transporteur.

[2] La modification la plus importante concernait l’ajout de la règle 24.3 qui prévoyait de nouveaux engagements types à l’égard du service aux passagers.

[3] À ce moment-là, l’Office a étudié les modifications au tarif du point de vue de la clarté, en vertu de l’article 122 du Règlement sur les transports aériens, DORS/88-58, modifié (RTA), et a soulevé certaines préoccupations auprès de WestJet. L’Office était notamment préoccupé du fait que même si la règle 24.3 énonçait trois options à exercer en cas de surréservation et d’annulation, elle ne précisait pas qui, entre WestJet et le passager, avait la discrétion de déterminer quelle option serait exercée. WestJet a proposé des modifications pour que le choix de l’option soit clair.

[4] Dans la décision no 480-A-2009, l’Office a fait une détermination sur la clarté de certaines dispositions tarifaires et a accepté les modifications proposées par WestJet. L’Office a explicitement déclaré qu’il n’avait pas évalué le caractère raisonnable des dispositions proposées par WestJet, et qu’il s’était limité à la question de la clarté.

[5] Le 8 juin 2009, M. Lukács a déposé une plainte auprès de l’Office dans laquelle il contestait la règle 24 du tarif.

[6] La plainte de M. Lukács concerne principalement la question de savoir si cette disposition est conforme à l’article 19 de la Convention pour l’unification de certaines règles relatives au transport aérien international connue sous le nom de Convention de Montréal (Convention).

[7] Aux termes de la plainte de M. Lukács, l’Office doit maintenant évaluer cette disposition tarifaire dans une perspective de fond plutôt que de clarté.

[8] Il convient de noter que M. Lukács a déposé la même plainte contre trois transporteurs, nommément Air Canada, WestJet et Air Transat. WestJet et Air Transat ont déposé une seule présentation indiquant la position commune des deux transporteurs. Bien que les présentations d’Air Transat et de WestJet soient identiques, de même que, pour la plupart, l’analyse et les conclusions de l’Office, il a été déterminé qu’une décision distincte serait rendue à l’égard de chaque transporteur.

[9] Il convient également de noter que M. Lukács indique que sa plainte ne vise pas les situations qui échappent au contrôle d’un transporteur. Par conséquent, la présente décision porte sur une évaluation des situations sur lesquelles un transporteur exerce un contrôle.

TARIFS APPLICABLES

[10] Dans sa plainte, M. Lukács renvoie à la règle tarifaire 24.11.3. Un examen des dispositions du tarif de WestJet en vigueur au moment où la plainte a été déposée révèle que cette disposition n’existait pas; l’Office conclut que M. Lukács voulait parler de la règle tarifaire 24.3 et non de la règle 24.11.3.

[11] Depuis que M. Lukács a déposé sa plainte, WestJet a remplacé la règle tarifaire 24.3 par la nouvelle règle 15.2, qui en diffère à trois égards.

[12] Premièrement, alors que la première règle prévoyait qu’en cas de surréservation ou d’annulation, WestJet exercerait les options qui y sont énumérées, la disposition tarifaire actuelle indique que « WestJet fera tous les efforts raisonnables » pour exercer ces options.

[13] Deuxièmement, WestJet énonce maintenant, en ce qui concerne l’alinéa b) de la règle 15.2, qu’il trouvera au passager un siège sur le vol d’un autre transporteur, sans préciser que le transporteur doit avoir conclu un accord intercompagnies avec WestJet. Cette modification montre que WestJet a élargi sa responsabilité à l’égard du réacheminement des passagers dans le sens suggéré par M. Lukács.

[14] Troisièmement, l’actuel alinéa c) de la règle 15.2, qui prévoit un remboursement de la partie inutilisée du billet, renvoie les passagers à la règle 15.3 pour plus de détails. La règle 15.3, à son tour, limite la responsabilité de WestJet en cas « d’annulation ou de changement », que cela soit causé par une force majeure ou non, si WestJet, à sa discrétion, offre aux passagers le crédit ou le remboursement qui y sont énoncés. L’Office est d’avis que cette nouvelle disposition est pertinente à la présente procédure et l’abordera dans le contexte des questions 3 et 4 ci-dessous.

[15] En outre, le problème persiste, à savoir qui, entre WestJet et le passager, a le choix de l’option dans la règle 15.2 actuelle. Malgré l’acceptation par l’Office du texte révisé dans la décision n° 480-A-2009 qui précisait qui avait le choix de l’option dans la règle 24.3, la règle tarifaire 15.2 actuelle ne mentionne pas qui peut choisir entre les options disponibles en cas de surréservation ou d’annulation de vol.

[16] Bien que WestJet ait modifié son tarif depuis le dépôt de la plainte de M. Lukács, l’Office est d’avis que les arguments des parties demeurent pertinents et note que les parties auront une nouvelle occasion d’aborder les modifications apportées au tarif au moyen du processus de justification prévu dans la présente décision.

[17] L’annexe A énonce les règles tarifaires visées telles qu’elles existaient au moment du dépôt de la plainte de M. Lukács et celles qui sont actuellement en vigueur.

QUESTIONS

[18] Pour traiter de la plainte de M. Lukács, l’Office étudiera les questions suivantes :

  1. La surréservation et l’annulation constituent-elles un retard aux fins de l’application de l’article 19 de la Convention?
  2. Est-il raisonnable que les règles 15.2a) et b) du tarif de WestJet actuellement en vigueur indiquent que WestJet fera tous les efforts raisonnables pour assurer le réacheminement des passagers à bord de vols assurés par WestJet ou de ceux d’autres transporteurs?
  3. Est-il raisonnable que les règles 15.2c) et 15.3 du tarif de WestJet actuellement en vigueur ne prévoient qu’un remboursement de la partie inutilisée d’un billet?
  4. Est-il raisonnable que la règle 15.2 du tarif de WestJet actuellement en vigueur ne mentionne pas que les passagers ont des droits et des recours en dehors de ceux indiqués dans le tarif? Est-il raisonnable que la règle 15.3 du tarif actuellement en vigueur ne prévoit qu’un seul recours pour les passagers?

Question 1 : La surréservation et l’annulation constituent-elles un retard aux fins de l’application de l’article 19 de la Convention?

Présentations

[19] M. Lukács estime que la surréservation et l’annulation sont des formes de retard et sont visées par l’article 19 de la Convention. Selon lui, du point de vue d’un passager, la terminologie n’est pas pertinente car l’effet est le même : l’heure d’arrivée à destination est retardée. M. Lukács cite un certain nombre d’affaires qui justifient cette assertion.

[20] WestJet affirme que tous les cas de surréservation ou d’annulation ne constituent pas un « retard » en vertu de la Convention. Elle prétend que la caractérisation de tous les cas de changement d’horaire, d’annulation de vol, de surréservation et de changements d’équipement comme des « retards » est trop simpliste et que si elle était acceptée, elle conduirait à des résultats déraisonnables. À la lumière de la jurisprudence, de la doctrine et des documents de travail de la Convention, WestJet allègue qu’on ne peut déterminer si un ensemble particulier de faits donne lieu à un retard indemnisable conformément à la Convention qu’au cas par cas.

[21] Dans sa réplique, M. Lukács admet que la définition de « retard » est laissée ouverte dans la Convention. Toutefois, il renvoie à la jurisprudence qui, selon lui, tend à montrer que la surréservation et l’annulation sont des formes de retard en vertu de la Convention, plutôt qu’une inexécution. Il conclut que la disposition tarifaire de WestJet relève directement de l’article 19.

Analyse et constatations

[22] En vertu de la Loi sur le transport aérien, L.R.C. (1985), ch. C-26, la Convention a force de loi au Canada et régit, entre autres choses, les limites de responsabilité en cas de retard applicables au transport aérien international pour les voyages auxquels la Convention s’applique. La Convention modernise le régime de responsabilité applicable au transport international et consolide la Convention pour l’unification de certaines règles relatives au transport aérien international signée à Varsovie le 12 octobre 1929 (Convention de Varsovie) et les divers instruments qui constituent le système de Varsovie.

[23] En vertu de l’article 26 de la Convention, un transporteur aérien ne peut se libérer de sa responsabilité ni établir une limite inférieure à celle qui est fixée dans la Convention.

[24] L’objet de la plainte concerne l’article 19 de la Convention qui se lit comme suit :

Le transporteur est responsable du dommage résultant d’un retard dans le transport aérien de passagers, de bagages ou de marchandises. Cependant, le transporteur n’est pas responsable du dommage causé par un retard s’il prouve que lui, ses préposés et mandataires ont pris toutes les mesures qui pouvaient raisonnablement s’imposer pour éviter le dommage, ou qu’il leur était impossible de les prendre.

[25] Une question fondamentale soulevée par les parties à cette plainte est de savoir si les cas d’annulation et de surréservation constituent un « retard » au sens de l’article 19 de la Convention. Comme le terme « retard » n’est pas défini et que son sens n’est pas clair dans le texte de l’article 19 ou de la Convention en général, il faut faire appel à d’autres sources.

[26] Le principe moderne d’interprétation des lois applicable aux conventions internationales exige une interprétation téléologique. Une telle approche a été adoptée par les tribunaux canadiens1 .

[27] L’interprétation de l’article 19 de la Convention exige donc une analyse qui prend en compte le sens ordinaire du texte, ainsi que les facteurs contextuels, pour donner effet à l’objet de cet article. À cette fin, on peut se reporter aux documents de travail des conventions de Varsovie et de Montréal, ainsi qu’à la doctrine nationale et internationale et à la jurisprudence.

[28] Ainsi qu’il ressort des présentations des parties sur cette question, le principe qui se dégage du procès-verbal des discussions qui ont abouti à l’adoption de la Convention est que les délégués avaient l’intention de laisser ouverte la définition de « retard » en vue d’une évaluation au cas par cas par les tribunaux.

[29] Bien que les documents de travail des conventions de Varsovie et de Montréal montrent que la portée de l’article 19 n’était pas censée s’étendre à l’inexécution, la distinction entre l’inexécution et le retard n’a pas été clairement précisée.

[30] Comme en témoigne la jurisprudence invoquée dans les présentations des parties, la jurisprudence relative à la qualification juridique de retard et à la distinction entre « retard » et « inexécution » révèle qu’il existe des contradictions et incohérences dans le raisonnement, à la fois au niveau national et international.

[31] L’affaire Weiss c. El Al Israel Airlines2 et l’affaire Minhas c. Biman Bangladesh3 illustrent la caractérisation contradictoire de « retard » par les tribunaux. Dans l’affaire Weiss, le tribunal de district du district sud de New York a examiné un cas où les passagers s’étaient vu refuser l’embarquement sur un vol de New York à Jérusalem. Les plaignants, après avoir été placés en attente et avoir attendu deux jours, ont finalement acheté un billet auprès d’un autre transporteur aérien. Les plaignants n’ont reçu du transporteur aucun remboursement ni aucune indemnisation à la suite du refus d’embarquement. Le tribunal a affirmé que la position internationale normale sur la question du refus d’embarquement était qu’elle s’apparentait à de l’inexécution.

[32] Dans l’affaire Minhas, une passagère s’était vu refuser l’embarquement sur son vol en provenance de l’Inde vers les États-Unis. La plaignante a tenté d’obtenir un vol de retour avec le transporteur sur une période de 45 jours, jusqu’à ce qu’elle achète finalement un billet auprès d’un autre transporteur. Le même tribunal de district du district sud de New York a jugé que sa demande relevait d’un « retard » conformément à l’article 19 de la Convention.

[33] Bien que les faits dans l’affaire Weiss soient essentiellement semblables à ceux de l’affaire Minhas, à savoir que dans chaque cas on a refusé l’embarquement de passagers sur leur vol initial et qu’ils ont dû éventuellement acheter un billet auprès d’un autre transporteur, il a été déterminé qu’il s’agissait d’une inexécution contractuelle dans l’affaire Weiss (après deux jours d’attente), mais d’un « retard » dans l’affaire Minhas (après 45 jours d’attente).

[34] Il existe d’autres exemples de caractérisations contradictoires de « retard ». En se fondant en grande partie sur les documents de travail de la Convention de Varsovie, la Cour d’appel américaine, septième circuit, dans Wolgel c. Mexicana Airlines,4 a établi une distinction entre les dommages résultant d’un « retard » en vertu de l’article 19 de la Convention de Varsovie et les dommages résultant d’un refus d’embarquement à bord d’un vol.

[35] Dans l’affaire Wolgel, il y a eu surréservation. Les passagers avaient une réservation confirmée sur un vol international, mais, à l’arrivée à l’aéroport, ils ont été informés qu’on leur refusait l’embarquement. Les plaignants ont intenté une poursuite en droit privé et ont cité un article aujourd’hui abrogé de la Federal Aviation Act. La Cour a statué comme suit :

[traduction]

Il s’agit d’un cas d’inexécution d’un contrat. Les Wolgel ne tentent pas de recouvrer des dommages subis en raison du retard à arriver à Acapulco. Leur plainte est plutôt fondée sur le fait qu’ils n’ont jamais quitté l’aéroport, comme le montre le dossier. Comme la réclamation des Wolgel concerne une inexécution totale de contrat, la Convention de Varsovie ne s’applique pas.

[36] Dans l’affaire canadienne Lukács c. United Airlines Inc.,5 le plaignant avait été informé par le personnel du transporteur aérien avant son arrivée à l’aéroport que le vol avait été annulé. Il s’est rendu à l’aéroport croyant comprendre que son billet serait endossé par un autre transporteur aérien qui assurait un vol cet après-midi-là, mais le processus a pris si longtemps qu’il a finalement décidé de ne pas voyager du tout. Après avoir entendu les positions des parties sur la question de savoir si cet événement constituait un « retard », la Cour du Banc de la Reine du Manitoba a finalement décidé qu’il entrait dans le champ d’application de l’article 19 de la Convention.

[37] Bien que les faits dans les affaires Wolgel et Lukács soient similaires dans la mesure où les passagers, pour cause de surréservation ou d’annulation, n’ont jamais quitté l’aéroport, la situation a été qualifiée d’inexécution dans l’affaire Wolgel et de retard dans l’affaire Lukács.

[38] Ces dernières années, les tribunaux américains ont commencé à tracer le contour d’une distinction de principe entre le retard et l’inexécution, ce qui (1) reconnaît la possibilité que les catégorisations puissent coexister, même si chacune est régie par un régime juridique différent, et (2) fait en sorte que la caractérisation dépend de facteurs particuliers.

[39] Faisant fond sur cette distinction est l’affaire In re Nigeria Charter Flights Contract Litigation6 , invoquée par M. Lukács dans ses présentations en réplique et dans laquelle le tribunal de district a tenté de synthétiser plusieurs distinctions essentielles entre le retard et l’inexécution contractuelle. Le tribunal a déclaré que selon la jurisprudence, les tribunaux ont tendance à conclure à un « retard » lorsque l’une des trois conditions suivantes est remplie :

  1. Le transporteur aérien visé a fini par offrir un transport;
  2. Les plaignants ont trouvé un autre transporteur sans attendre de savoir si le premier transporteur aérien les transporterait ou ils ont refusé l’offre d’un vol ultérieur;
  3. Les plaignants n’ont jamais allégué une inexécution.

[40] Dans cette affaire, le tribunal a jugé que la réclamation pour inexécution était fondée car le transporteur aérien avait tout simplement refusé de transporter les plaignants. En ce sens, il a été conclu que les faits liés à cette affaire ressemblaient à ceux de l’affaire Wolgel.

[41] Cette approche permet de conclure que la qualification juridique d’un événement dépend de certaines conditions relatives aux actions des deux parties (la volonté du transporteur aérien d’assurer un transport d’une part et la volonté du passager de l’accepter d’autre part).

[42] Malgré les contradictions et incohérences dans le sens à donner au terme « retard » dans l’article 19 de la Convention, il est clair que l’intention de cet article est de faire en sorte que le sens de « retard » soit déterminé au cas par cas. Comme il est indiqué ci-dessus et comme les parties l’on fait valoir, le fait de savoir si une situation d’annulation ou de surréservation constitue un retard dépendra des circonstances particulières de l’affaire, ainsi que de l’interprétation que fait la Cour des questions de fait et de droit en cause. Cela sous-tend néanmoins que, comme l’illustre l’affaire Nigeria, certains tribunaux élaborent des critères spécifiques pour déterminer si une situation de fait particulière est un « retard » au sens de l’article 19 de la Convention.

[43] Cependant, dans tous les cas, une chose est certaine. La question fondamentale de la surréservation ou de l’annulation est que le passager concerné n’est pas en mesure de continuer son voyage comme il avait été prévu initialement. Par conséquent, l’Office estime, à titre préliminaire, que la surréservation et l’annulation sur lesquelles WestJet exerce un contrôle sont un « retard » au sens de l’article 19 de la Convention.

[44] L’Office reconnaît toutefois, conformément à l’affaire Nigeria indiquée ci-dessus, que dans certaines situations, des faits et des circonstances particulières pourraient mener à conclure à une inexécution d’un contrat de transport. À mesure que l’Office sera saisi d’autres plaintes présentant des situations de fait différentes, il sera en mesure d’élaborer sur les conditions qui constituent une inexécution.

[45] L’Office apprécie le fait que les parties ont soumis des présentations bien raisonnées sur la catégorisation juridique du terme retard. Cependant, vu que cette question est un élément clé de l’affaire devant l’Office, elle fera l’objet d’une ordonnance de justifier, laquelle est présentée au paragraphe 108 de la présente décision. Les parties auront ainsi une autre occasion de présenter des commentaires sur cette question avant que l’Office rende une décision finale.

Question 2 : Est-il raisonnable que les règles 15.2a) et b) du tarif de WestJet actuellement en vigueur indiquent que WestJet fera tous les efforts raisonnables pour assurer le réacheminement des passagers à bord de vols assurés par WestJet ou de ceux d’autres transporteurs?

Présentations

Les obligations de WestJet en cas de retard

[46] M. Lukács demande une détermination de l’Office concernant les obligations de base des transporteurs en cas de surréservation ou d’annulation. Du fait que M. Lukács allègue que l’article 19 de la Convention s’applique aux cas de surréservation et d’annulation, il estime que, conformément à cette disposition, un transporteur doit prouver qu’il a pris « toutes les mesures qui pouvaient raisonnablement s’imposer » pour éviter le retard.

[47] M. Lukács renvoie à la jurisprudence canadienne pour déterminer ce qui constitue « toutes les mesures raisonnables ». Il cite la jurisprudence selon laquelle un transporteur doit être conscient de la possibilité d’une défaillance mécanique et proposer des solutions efficaces dans pareil cas.7 Il cite également la jurisprudence qui, soutient-il, a conclu qu’un transporteur ne s’était pas acquitté de son fardeau de la preuve en vertu de l’article 19 lorsqu’après un retard de vol, il a refusé de fournir aux passagers des sièges sur le vol d’un autre transporteur, ce qui aurait permis aux passagers de prendre un navire de croisière à leur destination8 .

[48] WestJet reconnaît que dans les cas où la Convention de Montréal ou de Varsovie s’applique, un transporteur aérien ne peut pas se dégager de sa responsabilité ou établir une limite inférieure à celle qui est fixée dans la convention applicable. WestJet reconnaît en outre qu’un transporteur aérien doit offrir des tarifs qui énoncent clairement les questions mentionnées dans le RTA. Cependant, WestJet fait valoir que les circonstances qui touchent la responsabilité du transporteur sont nombreuses et qu’il n’est pas possible de prévoir les conséquences de chaque variation de tarif. La meilleure solution, selon WestJet, est de fixer une obligation de base dans le tarif et de laisser au bon sens, à l’Office ou aux tribunaux le soin de déterminer quelle compensation sera appropriée.

[49] De l’avis de WestJet, M. Lukács a adopté une approche trop mécaniste à l’égard des retards et des mesures raisonnables qui ne tiennent pas compte des facteurs contextuels, dans la perspective du passager et du transporteur, notamment la durée du retard, les frais d’hébergement, la nature des dommages et les questions de sécurité. WestJet conclut que l’on ne peut pas savoir à l’avance les mesures qui seront raisonnablement exigées d’un transporteur. WestJet allègue donc que son obligation ne peut être définie dans l’abstrait, sans tenir compte des circonstances du cas.

[50] WestJet soutient que ses dispositions tarifaires contestées sont justes et raisonnables et définissent un niveau non litigieux d’obligation, tout en reconnaissant que l’on peut lui demander davantage en fonction des circonstances.

[51] M. Lukács conteste le fait qu’il est impossible de définir les obligations de WestJet dans l’abstrait. Il affirme que l’Office a compétence pour rendre une décision de principe et que celui-ci le fait régulièrement quand il étudie le caractère raisonnable d’un tarif. M. Lukács souligne que l’alinéa 122c) du RTA exige en fait de WestJet qu’elle indique clairement dans son tarif sa politique concernant la surréservation, l’inexécution du service et le non-respect de l’horaire. Il conclut que les législateurs estimaient qu’il est non seulement possible mais nécessaire que les transporteurs énoncent leur politique sur ces questions dans l’abstrait, malgré la complexité de la tâche.

[52] M. Lukács soutient que l’article 19 de la Convention établit une norme de diligence pour WestJet à l’égard des passagers pendant un retard et avant. Il affirme que le but de sa plainte est de déterminer les obligations de base des transporteurs en cas de surréservation et d’annulation.

Réacheminement d’un passager sur l’itinéraire le plus rapide disponible

[53] M. Lukács estime que le transport vers la destination par l’itinéraire le plus rapide disponible est une mesure qui pourrait être raisonnablement exigée en vertu de l’article 19. Il fait donc valoir que la disposition tarifaire de WestJet qui limite cette dernière à trouver un siège sur l’un de ses propres vols ou sur ceux d’un transporteur avec lequel elle a conclu un accord intercompagnies, comme il était prévu dans la règle 24.3b) du tarif original de WestJet, est contraire à la Convention. Selon M. Lukács, en cas de surréservation ou d’annulation, WestJet doit rechercher tous les itinéraires possibles et prendre des dispositions pour assurer le transport du passager à destination le plus rapidement possible, ou payer pour le transport, indépendamment de l’identité du transporteur utilisé pour ce faire.

[54] Selon WestJet, l’article 19 n’exige pas que le transport sur l’itinéraire le plus rapide disponible ou que l’offre d’un autre recours à la seule discrétion du passager soit toujours requis sous la rubrique de toutes les mesures raisonnables.

[55] Dans sa réplique, M. Lukács affirme, au sujet de la règle 24.3b) du tarif original de WestJet, que le fait de limiter le réacheminement possible aux transporteurs avec lesquels il existe un accord intercompagnies peut entraîner de nouveaux retards pour les passagers et être en deçà de ce qu’il considère comme une obligation de mesure raisonnable.

[56] M. Lukács applique un critère de pondération et fait valoir qu’il faudrait peser le coût de réacheminement sur l’itinéraire le plus rapide disponible par rapport aux revenus supplémentaires que la surréservation apporte à WestJet. Il réitère que WestJet devrait uniquement se préoccuper de limiter le retard du passager, ce qui nécessite de trouver l’itinéraire le plus rapide disponible vers la destination du passager.

[57] Quant aux annulations sur lesquelles WestJet exerce un contrôle, M. Lukács soutient également que l’obligation de base de WestJet est d’assurer le transport sur l’itinéraire le plus rapide disponible. Encore une fois, on doit peser le coût pour WestJet par rapport aux avantages financiers que produit un « changement d’horaire » ou le fait de ne pas fournir un aéronef de remplacement.

Analyse et constatations

Tarifs en général

[58] L’article 55 de la Loi sur les transports au Canada, L.C. (1996), ch. 10, modifiée (LTC) définit le tarif du transporteur aérien comme le « barème des prix, taux, frais et autres conditions de transport ». Essentiellement, le tarif est le contrat de transport entre le passager et le transporteur aérien et est un élément central du transport aérien car il définit les conditions qui s’appliquent au transport en cause. Toutefois, le tarif du transporteur n’est pas un type de contrat qui est négocié entre deux parties. Il s’agit plutôt d’un contrat qui est imposé unilatéralement au passager par le transporteur. Dans la décision no 456-C-A-2009 (affaire Wyant c. Air Canada), l’Office a déclaré ce qui suit :

[10] Il convient de signaler que les conditions de transport sont fixées par un transporteur aérien unilatéralement sans demander l’opinion des passagers futurs. Le transporteur aérien fixe ses conditions de transport en fonction de ses intérêts, qui peuvent découler d’exigences réglementaires ou simplement commerciales. Il n’y a aucune présomption qu’un tarif est raisonnable.

[59] Le pouvoir de l’Office en matière de tarifs est énoncé dans la LTC et le RTA. Dans le contexte international, les transporteurs sont tenus de déposer leurs conditions de transport auprès de l’Office, conformément à l’article 110 du RTA. Le pouvoir de surveillance de l’Office sur les tarifs d’un transporteur lui permet, de sa propre initiative ou à la suite d’une plainte, de vérifier si le tarif est clair, juste et raisonnable et de prendre des mesures correctives comme la suspension ou le refus des tarifs qui ne répondent pas aux exigences réglementaires.

Exigences du RTA concernant les vols internationaux

[60] Conformément à l’alinéa 122c) du RTA, le transporteur doit, de façon claire et formelle, énoncer dans son tarif ses conditions de transport et, en particulier, sa politique concernant, entre autres choses, les indemnités pour refus d’embarquement à cause de surréservation, le réacheminement des passagers, l’inexécution du service et le remboursement des services achetés mais non utilisés.

[61] Dans la décision no 480-A-2009, l’Office a traité de l’obligation imposée à WestJet, en vertu de l’alinéa 122c) du RTA, d’énoncer clairement sa politique sur les surréservations et les annulations.

[62] Le paragraphe 110(4) du RTA exige que le transporteur aérien impose les taxes et applique les conditions de transport énoncées dans son tarif, tandis que le paragraphe 110(5) interdit au transporteur de percevoir une taxe ou d’appliquer une condition de transport qui diffère de celle prévue dans son tarif.

[63] En outre, le transporteur est tenu non seulement d’énoncer clairement sa politique concernant la surréservation ou l’annulation d’un vol, mais il doit également s’assurer qu’en ce qui concerne les vols internationaux, son tarif soit juste et raisonnable au sens du paragraphe 111(1) du RTA et conforme aux conventions applicables.

[64] L’Office a fait valoir dans des décisions antérieures que pour déterminer si une condition de transport appliquée par un transporteur est « raisonnable » au sens du paragraphe 111(1) du RTA, un équilibre doit être établi entre les droits des passagers d’être assujettis à des conditions de transport qui soient raisonnables et les obligations statutaires, commerciales et opérationnelles du transporteur aérien9 .

Application de la Convention de Montréal

[65] Dans son analyse du tarif d’un transporteur, l’Office doit tenir compte des articles de la Convention et, à cet égard, il a noté antérieurement que, conformément à l’article 27 de la Convention, le tarif du transporteur ne doit pas entrer en conflit avec les dispositions de la Convention.

[66] Comme il est indiqué dans la question 1 ci-dessus, l’Office estime, à titre préliminaire, que les surréservations et les annulations sur lesquelles WestJet exerce un contrôle constituent un retard qui relève de l’article 19 de la Convention. Par conséquent, lors de la révision du tarif international d’un transporteur dans le cadre d’une surréservation ou d’une annulation, il faut prendre en compte non seulement le paragraphe 111(1) du RTA, mais également l’article 19 de la Convention qui traite de la question du retard.

[67] Conformément à l’article 19 de la Convention, un transporteur est responsable du dommage résultant d’un retard dans le transport aérien de passagers, entre autres, mais n’est pas responsable du dommage causé par un retard s’il prouve que lui, ses préposés et ses mandataires ont pris toutes les mesures qui pouvaient raisonnablement s’imposer pour éviter le dommage, ou qu’il leur était impossible de les prendre.

[68] Cette disposition impose à un transporteur une obligation, soit celle de transporter un passager, conformément au contrat conclu, sans délai. Le défaut de ce faire crée une présomption de responsabilité pour les dommages résultant de tout retard. Lorsqu’il y a présomption de responsabilité à l’égard d’un transporteur résultant d’un retard, l’Office est d’avis, à titre préliminaire, que le transporteur a une obligation corollaire de l’atténuer et de se pencher sur les dommages qui ont été causés ou qui sont causés aux passagers résultant du retard. L’article 19 le prévoit du fait qu’il fournit au transporteur un moyen de défense s’il peut démontrer qu’il a pris toutes les mesures qui pouvaient raisonnablement s’imposer pour éviter les dommages causés par le retard, ou qu’il lui était impossible de les prendre. Cela est conforme à l’hypothèse voulant que le transporteur qui fait face à une présomption de responsabilité voudra prendre toutes les mesures nécessaires ou possibles, dans la mesure du raisonnable, pour aborder un problème survenu dans le cadre d’une situation sur laquelle il exerçait un contrôle.

[69] Un élément principal de l’argument de M. Lukács est que l’article 19 de la Convention signifie, en cas de retard, que le transporteur doit changer la réservation d’un passager pour lui offrir une place sur l’itinéraire de remplacement le plus rapide disponible afin de satisfaire à l’obligation qui exige que toutes les mesures raisonnables soient prises. Toutefois, l’Office note que l’article 19 n’impose pas de mesures précises que doivent prendre les transporteurs et n’indique pas les « mesures raisonnables » qui les exonéreraient de leur responsabilité.

[70] Comme pour la question du sens de « retard » traitée plus haut, la jurisprudence concernant toutes les mesures qu’un transporteur pourrait raisonnablement prendre pour éviter un dommage est controversée et manque d’uniformité.

[71] Par exemple, les cas divergent quant à savoir si l’article 19 inclut la réservation d’un passager sur un vol avec un transporteur avec lequel il n’existe aucun accord intercompagnies s’il s’agit du moyen le plus rapide pour permettre au passager d’arriver à destination.

[72] Dans certains cas, les tribunaux ont été satisfaits du réacheminement de passagers sur le prochain vol du transporteur. Dans d’autres cas, ils ont exigé que les passagers soient placés sur n’importe quel vol qui les conduirait à leur destination. Le terme « réacheminement » est utilisé ici pour définir l’action prise par un transporteur pour assurer le transport d’un passager sur un autre vol lorsque, par suite d’une surréservation ou d’une annulation, le passager ne peut plus voyager comme il avait été prévu initialement. Dans une large mesure, l’approche adoptée dépend des faits particuliers du cas.

[73] Dans Mohammad c. Air Canada10, une affaire intentée contre Air Canada et Kuwait Airlines visant l’exploitation conjointe d’un service entre le Canada et le Koweït, la division des petites créances de la Cour du Québec a jugé qu’Air Canada, aux prises avec l’annulation du vol, avait pris toutes les mesures raisonnables lorsqu’elle a placé les passagers sur son prochain vol disponible, décrit comme un nouveau vol mis en place par le transporteur. Toutefois, en ce qui a trait au dernier segment de vol prévu selon l’itinéraire, Kuwait Airlines a été jugée responsable en vertu de la Convention au motif qu’elle aurait dû réacheminer les passagers vers un autre transporteur, étant donné que ses propres vols étaient complets pendant les semaines suivantes. Le tribunal civil de la ville de New York a lui aussi jugé que le réacheminement vers un autre transporteur peut être raisonnable lorsque les propres vols du transporteur sont complets11 . Toutefois, le tribunal de district du district sud de New York a jugé que s’il existait de nombreuses exigences administratives et des délais serrés, le réacheminement vers un autre transporteur pourrait ne pas être raisonnable12.

Le tarif de WestJet et la question du réacheminement sur le vol le plus rapide disponible

[74] La plainte de M. Lukács vise les obligations des transporteurs en cas de surréservation et d’annulation. De l’avis de l’Office, cette plainte implique une étude du caractère raisonnable des dispositions tarifaires de WestJet qui traitent de surréservation et d’annulation, ce qui, à son tour, demande que l’Office étudie ces dispositions en vertu du paragraphe 111(1) du RTA, tout en tenant compte de l’article 19, et veille à ce que le tarif soit compatible avec les articles de la Convention.

[75] Au moment de déterminer si une disposition tarifaire est raisonnable, il faut prendre en compte plusieurs facteurs et, comme il a été mentionné au paragraphe 64 ci-dessus, l’Office doit concilier les droits des passagers de bénéficier de conditions de transport raisonnables et les obligations statutaires, commerciales et opérationnelles du transporteur.

[76] Mr. Lukács présente un aperçu de la perspective du passager sur cette question en faisant valoir que l’on doit peser le coût d’un réacheminement sur l’itinéraire le plus rapide disponible par rapport aux revenus supplémentaires que la surréservation et l’annulation apportent à WestJet. Il insiste sur le fait que WestJet ne doit avoir comme seul objectif que de limiter le retard du passager, ce qui l’oblige à trouver l’itinéraire le plus rapide disponible vers la destination de ce passager.

[77] L’Office est d’avis que la position de M. Lukács est trop restrictive et onéreuse en ce sens qu’elle oblige le transporteur à toujours fournir au passager le moyen le plus rapide possible d’arriver à destination. M. Lukács n’a pas démontré que dans chaque situation de surréservation ou d’annulation, le moyen le plus rapide possible de conduire le passager à destination est raisonnable.

[78] Même si des circonstances particulières peuvent exiger de placer un passager sur le vol d’un transporteur avec lequel il n’existe pas d’accord intercompagnies, il n’y a pas lieu de conclure que ce recours doit être toujours exigé.

[79] Le critère de pondération exige également que la perspective du transporteur aérien à l’égard de ses obligations statutaires, commerciales et opérationnelles soit prise en compte. WestJet, dans ses arguments, admet que son tarif vise à définir une obligation de base, soit, selon ses propres termes, « non litigieuse », mais sans justifier ses obligations statutaires, commerciales et opérationnelles à l’appui de sa disposition tarifaire concernant le réacheminement.

[80] À propos de la disposition de WestJet contestée, l’Office note qu’à la date du dépôt de la plainte, il était clair que l’une des options offertes aux passagers en cas de surréservation ou d’annulation consistait en l’achat par WestJet d’un siège sur un avion d’un autre transporteur avec lequel elle a conclu un accord mutuel intercompagnies.

[81] Dans le tarif actuellement en vigueur, la dernière partie de cette phrase a été retirée et la règle 15.2b) prévoit désormais que WestJet fera tous les efforts raisonnables pour acheter au passager un siège sur un vol d’un autre transporteur. La lecture des règles 15.2a) et b) du tarif de WestJet actuellement en vigueur semble bien montrer que WestJet s’engage à faire tous les efforts raisonnables pour placer le passager sur l’un de ses propres vols ou celui d’un autre transporteur, qu’un accord intercompagnies existe ou pas.

[82] L’Office note que WestJet n’a pas adopté une approche restrictive dans son tarif à l’égard des transporteurs qui peuvent réacheminer un passager.

[83] Cependant, le tarif de WestJet, qui prévoit que WestJet fera « tous les efforts raisonnables » pour mettre un passager sur son propre vol ou sur celui d’un autre transporteur qu’un accord intercompagnies existe ou non, est essentiellement une approche axée sur le transporteur pour remédier à un cas de surréservation ou d’annulation de vol. C’est grâce aux efforts raisonnables de WestJet qu’une solution sera trouvée. Autrement dit, les règles tarifaires 15.2a) et b) laissent à WestJet le soin de déterminer ce que sont « tous les efforts raisonnables » et la solution qui sera cherchée. En revanche, la jurisprudence qui traite des cas de surréservation et d’annulation adopte une approche davantage axée sur les circonstances en recherchant les circonstances particulières d’une situation pour déterminer si un transporteur a pris toutes les mesures qui pouvaient raisonnablement s’imposer pour éviter le dommage. Par exemple, le caractère raisonnable des mesures prises a été évalué à la lumière du besoin d’un passager de se rendre à une conférence liée à son travail à un moment précis, comme dans l’affaire Lukács c. United Airlines Inc, et al.13. De même, lorsque le retard d’un vol a empêché un passager de monter à bord d’un bateau de croisière à un moment et à un endroit prévus, les mesures du transporteur ont été évaluées dans ce contexte particulier14. Le facteur temps associé à l’objet du voyage du passager a été pris en compte par les tribunaux dans ces cas.

[84] Compte tenu de ce qui précède, l’Office estime, à titre préliminaire, qu’une approche axée sur les circonstances est une approche raisonnable pour traiter de la question des surréservations et des annulations lorsque ces circonstances sont portées à la connaissance de WestJet.

Question 3 : Est-il raisonnable que les règles 15.2c) et 15.3 du tarif de WestJet actuellement en vigueur ne prévoient qu’un remboursement de la partie inutilisée d’un billet?

Présentations

[85] M. Lukács fait valoir que l’article 19 de la Convention exige que les transporteurs prennent des mesures pour éviter les dommages causés aux passagers et assument le coût de ces mesures. Il allègue qu’en remboursant la partie inutilisée d’un billet, un transporteur peut résilier unilatéralement le contrat de transport. À son avis, le fait de fournir un remboursement partiel ou même complet ne permet pas de respecter l’obligation de prendre toutes les mesures pouvant raisonnablement être exigées en vertu de l’article 19 de la Convention. Il affirme que le remboursement de la partie inutilisée seulement d’un billet permettrait à un transporteur de se dégager de la responsabilité à laquelle il serait autrement assujetti en vertu de la Convention.

[86] M. Lukács indique que le remboursement de la partie inutilisée d’un billet pourrait entraîner une perte financière pour le passager et qu’un passager ne préfère pas toujours un remboursement. Par conséquent, il demande que le remboursement se fasse à la discrétion du passager.

[87] WestJet n’aborde pas cette question dans ses présentations, sauf pour dire que l’article 19 de la Convention n’exige pas nécessairement de donner aux seuls passagers la discrétion de choisir les recours.

[88] Dans sa réplique, M. Lukács demande que le remboursement soit le montant le plus élevé entre la partie du billet qui n’est plus utilisable et le coût de l’achat d’un billet sur un itinéraire semblable pour partir avec un autre transporteur le même jour.

Analyse et constatations

Remboursement de la partie inutilisée d’un billet

[89] L’article 19 de la Convention n’indique pas précisément le type de dommage qui serait indemnisé en cas de retard, mais la jurisprudence comprend des exemples de dépenses d’hébergement et de repas ou des coûts de transport supplémentaires qui seraient engagés à la suite d’une surréservation ou d’une annulation15.

[90] Il est donc possible que l’indemnisation de dommages en vertu de la Convention s’étende au-delà du simple remboursement de la partie inutilisée d’un billet. En fait, il est raisonnable de supposer que dans de nombreux cas de surréservation ou d’annulation, un passager s’attende à davantage qu’un remboursement de la partie inutilisée d’un billet.

[91] Selon la disposition tarifaire en cause dans le cas présent, soit la règle 15.2c), un passager pourrait se retrouver sans vol en provenance ou vers sa destination et sans rien d’autre qu’un remboursement de la partie inutilisée d’un billet. Dans les cas où un retard ou une annulation surviendrait à un point de correspondance pendant un voyage et ferait en sorte que le voyage ne répondrait plus à l’objet du voyage du passager, le passager pourrait avoir à engager des coûts pour revenir à son point d’origine. Comme M. Lukács le fait valoir, le paiement d’un remboursement partiel pourrait obliger un passager à assumer une partie des coûts directement liés au retard de son voyage. L’Office accepte la déclaration de M. Lukács selon laquelle les coûts, ou dommages, réels pour le passager pourraient s’étendre au-delà du simple remboursement de la partie inutilisée d’un billet.

[92] Par conséquent, l’Office estime, à titre préliminaire, que la règle 15.2c) est déraisonnable. WestJet n’a pas démontré pourquoi, compte tenu de ses obligations commerciales et opérationnelles, elle ne peut pas rembourser le prix complet du billet. WestJet n’a également pas abordé la possibilité de ramener un passager à son point d’origine, dans un délai raisonnable et sans frais supplémentaires, dans les cas où un retard ou une annulation surviendrait à un point de correspondance pendant un voyage et ferait en sorte que le voyage ne répondrait plus à l’objet du voyage du passager. Comme M. Lukács l’a allégué, on peut envisager de nombreuses situations où un passager pourrait être contraint d’assumer le coût d’un vol qui ne répond pas à ses besoins, ni à l’objet de son voyage, et ne coïncide pas avec le transport pour lequel il a acheté un billet.

[93] En outre, la règle 15.2c) du tarif de WestJet indique que « tous les efforts raisonnables » seront faits pour assurer un remboursement aux passagers. Cette formulation indique que WestJet pourrait conclure que malgré ses efforts raisonnables, un passager ne sera pas remboursé de la portion inutilisée de son billet. L’Office est d’avis, à titre préliminaire, qu’il est déraisonnable de limiter ainsi la possibilité d’un remboursement.

Le choix offert au passager pour obtenir un remboursement

[94] En 2009, l’Office a demandé à WestJet d’indiquer de qui relevait le choix des options dans la règle de tarif 24.3 en vigueur à ce moment-là pour (a) une place sur un autre vol de WestJet, (b) une place avec un transporteur avec lequel elle a un accord intercompagnies, et (c) un remboursement de la partie inutilisée d’un billet.

[95] Dans la décision no 480-A-2009, l’Office a accepté le texte du tarif proposé par WestJet. Ce libellé donnerait à WestJet le choix des options. Toutefois, l’Office, dans cette décision, indique clairement qu’il ne s’est penché que sur la question de la clarté du texte du tarif et non sur son caractère raisonnable.

[96] Un examen de la règle 15.2 du tarif de WestJet actuellement en vigueur révèle que malgré la décision n° 480-A-2009, le tarif actuel ne donne aucun choix d’option. L’Office examinera toutefois le tarif de WestJet tel qu’il existe actuellement et l’évaluera en supposant que le choix de l’option qui sera donnée à un passager est à la discrétion de WestJet.

[97] Le tarif de WestJet laisse à ce transporteur le choix de déterminer si le passager recevra un remboursement de la partie inutilisée d’un billet ou s’il poursuivra son voyage sur un autre vol. Cela signifie que le passager est soumis à la décision de WestJet sur cette question, indépendamment de ce qui pourrait être la meilleure solution pour le passager. À la suite d’un retard de seulement quelques heures, un passager préférera peut-être un remboursement plutôt que de continuer son voyage si, par exemple, le voyage n’a plus de raison d’être. En se réservant exclusivement le choix des options prévues dans son tarif, WestJet est en mesure de minimiser ou d’éviter toute responsabilité du transporteur pour les dommages réels causés aux passagers résultant du retard. L’Office note également, à l’égard de cette question, que WestJet n’a pas non plus démontré pourquoi, dans une perspective opérationnelle et commerciale, le choix de l’option ne pouvait revenir exclusivement au passager. Par conséquent, l’Office estime, à titre préliminaire, que la disposition du tarif visée n’est pas raisonnable.

[98] En outre, la règle tarifaire 15.3, qui fixe les détails relatifs aux remboursements, indique qu’un crédit ou un remboursement sera offert à la discrétion de WestJet. Dans la décision n° 641-CA-2007, Davies c. Air Canada, l’Office a évalué un règle tarifaire intérieure relative à la fourniture d’une indemnité pour refus d’embarquement sous la forme d’un crédit ou d’espèces et a indiqué que :

[…] si l’offre représente une indemnité définitive, il n’est pas déraisonnable d’interpréter ce choix comme devant favoriser la personne qui a été pénalisée, c’est-à-dire, dans ce cas-ci, un passager qui essuie un refus d’embarquement en raison de la surréservation d’un vol.

[99] Dans le contexte de cette décision, il n’était pas précisé de qui relevait le choix de l’option. L’Office a ordonné à WestJet de clarifier qui avait le choix de l’option et a indiqué que si elle choisissait de conserver le choix de l’option, WestJet devait justifier pourquoi cela n’était pas déraisonnable.

[100] La règle 15.3 du tarif de WestJet indique clairement que c’est WestJet qui décide si un passager obtiendra un remboursement ou un crédit. À la lumière de l’affaire Davies c. Air Canada ci-dessus, l’Office est d’avis, à titre préliminaire, que ce choix de l’option est déraisonnable.

Question 4 : Est-il raisonnable que la règle 15.2 du tarif de WestJet actuellement en vigueur ne mentionne pas que les passagers ont des droits et des recours en dehors de ceux indiqués dans le tarif? Est-il raisonnable que la règle 15.3 du tarif actuellement en vigueur ne prévoit qu’un seul recours pour les passagers?

Présentations

[101] M. Lukács prétend que les dispositions tarifaires contestées devraient indiquer clairement que le réacheminement ou le remboursement ne touche en rien le droit du passager de demander une autre indemnisation ou un autre recours contre WestJet.

[102] WestJet a proposé d’ajouter dans son tarif une phrase indiquant que les droits du passager énoncés dans ses dispositions tarifaires sont établis sous réserve de tout autre droit dont bénéficie le passager, à la lumière de toutes les circonstances, en vertu de la Convention de Varsovie ou celle de Montréal.

Analyse et constatations

[103] L’Office estime qu’un passager devrait pouvoir bien comprendre ses droits simplement en lisant un tarif et sans avoir à examiner des articles particuliers de traités pour comprendre les conditions qui s’appliquent au tarif.

[104] Bien que la modification proposée par WestJet renvoie les passagers au texte des Conventions de Varsovie et de Montréal, cela ne leur permet pas suffisamment de comprendre leurs droits en vertu de la loi car cela ne représente pas exactement et pleinement les droits et les recours accordés aux passagers par ces conventions.

[105] Pour être précis sur cette question, la modification proposée par WestJet ne fournit aucune indication sur les droits et les recours qu’un passager pourrait avoir en vertu des dispositions applicables des conventions en cas de surréservation ou d’annulation. Elle n’indique pas non plus que les passagers peuvent avoir des droits et des recours en justice en dehors de ceux prévus dans les conventions. Par exemple, une réclamation pour inexécution d’un contrat de transport ne serait pas limitée par les dispositions des conventions sur la responsabilité. En fait, le libellé de la modification, tel qu’il est proposé, risque d’induire en erreur les passagers en leur faisant croire que leurs droits et leurs recours ne sont déterminés que dans le cadre des conventions. Par conséquent, l’Office estime, à titre préliminaire, que la règle 15.2 du tarif de WestJet, de même que la modification tarifaire proposée par WestJet, ne sont pas raisonnables.

[106] Par ailleurs, la règle 15.3 de WestJet actuellement en vigueur qui prévoit un remboursement de la partie inutilisée d’un billet limite la responsabilité de WestJet dans le cas d’un remboursement. La règle prévoit que le transporteur n’est pas responsable à l’égard d’un passager si elle fournit, à sa discrétion, le crédit ou le remboursement précisé dans cette disposition.

[107] L’Office est d’avis que la règle 15.3 tendrait à relever WestJet de la responsabilité qui lui est imposée par les articles 19 et 22 de la Convention. Par conséquent, l’Office est d’avis, à titre préliminaire, que la règle 15.3 n’est pas raisonnable.

CONCLUSION

[108] À la lumière des constations qui précèdent, l’Office donne à WestJet la possibilité de justifier, dans les trente (30) jours suivant la date de la présente décision :

en ce qui a trait à la question 1 :

i) pourquoi la surréservation et l’annulation sur lesquelles WestJet exerce un contrôle ne devraient pas être un « retard » au sens de l’article 19 de la Convention;

en ce qui a trait à la question 2 :

ii) pourquoi les règles 15.2a) et b) du tarif de WestJet actuellement en vigueur ne devraient pas être jugées déraisonnables conformément au paragraphe 111(1) du RTA en raison de son caractère trop restrictif par rapport aux questions de surréservation et d’annulation et reformulées de manière à privilégier une approche axée sur les circonstances en matière de réacheminement;

en ce qui a trait à la question 3 :

iii) pourquoi la règle 15.2c) du tarif de WestJet actuellement en vigueur qui permet un remboursement de la partie inutilisée d’un billet seulement ne devrait pas être jugée déraisonnable conformément au paragraphe 111(1) du RTA;

iv) pourquoi la règle 15.2c) du tarif de WestJet actuellement en vigueur qui indique que WestJet fera tous les efforts raisonnables pour rembourser un passager ne devrait pas être jugée déraisonnable conformément au paragraphe 111(1) du RTA;

v) pourquoi la partie de la règle 15.2 du tarif de WestJet actuellement en vigueur qui laisse à WestJet le choix de l’indemnisation en cas de surréservation ou d’annulation ne devrait pas être jugée déraisonnable conformément au paragraphe 111(1) du RTA;

vi) pourquoi la règle 15.3 du tarif de WestJet actuellement en vigueur qui laisse à WestJet la discrétion d’offrir un remboursement ou un crédit au passager ne devrait pas être jugée déraisonnable;

en ce qui a trait à la question 4 :

vii) pourquoi la règle 15.2 du tarif de WestJet actuellement en vigueur ne devrait pas être jugée déraisonnable conformément au paragraphe 111(1) du RTA puisqu’elle n’énonce pas exactement et complètement le droit accordé aux passagers de demander une autre indemnisation ou un autre recours contre le transporteur en vertu des conventions de Varsovie et de Montréal ou d’autres textes de loi;

viii) pourquoi la règle 15.3 du tarif de WestJet actuellement en vigueur qui limite le seul recours du passager à un remboursement à la discrétion du transporteur ne devrait pas être jugée déraisonnable conformément au paragraphe 111(1) du RTA.

[109] La réponse de WestJet devra être signifiée en même temps à M. Lukács, qui aura 14 jours pour déposer des commentaires auprès de l’Office, lesquels devront être signifiés en même temps à WestJet. WestJet aura ensuite 7 jours pour déposer une réplique auprès de l’Office, qui devra aussi être signifiée à M. Lukács.

Annexe

(WestJet)

Dispositions tarifaires en vigueur au moment du dépôt de la plainte

RÈGLE 24 - Dispositions relatives aux Droits des voyageurs aériens Canada

[…]

24.3 Étant donné que les passagers ont le droit de prendre le vol qu’ils ont payé, en cas de surréservation ou d’annulation, WestJet :

  1. trouvera au passager un siège sur un autre vol de WestJet;
  2. achètera au passager un siège sur un vol d’un autre transporteur avec lequel elle a conclu un accord mutuel intercompagnies;
  3. ou remboursera la partie inutilisée du billet du passager.

[traduction libre]

Dispositions tarifaires actuellement en vigueur

RÈGLE 15 - ANNULATION, CHANGEMENT ET REMBOURSEMENT DU TRANSPORTEUR

[...]

Règle 15.2 - En cas de surréservation ou d’annulation d’un vol, le transporteur fera tous les efforts raisonnables pour :

  1. trouver au passager un siège sur un autre vol du transporteur;
  2. acheter au passager un siège sur un vol d’un autre transporteur;
  3. ou rembourser la portion inutilisée du billet du passager (voir 3 ci-dessous pour plus de détails)

Règle 15.3 - Le transporteur n’est pas responsable envers un passager à l’égard de l’annulation ou du changement, qu’ils soient le résultat ou non d’une force majeure, à condition que le transporteur, à sa discrétion, fournisse aux passagers touchés :

  1. un crédit, valide pendant l’année qui suit la date de l’annulation, pour l’achat d’un billet sur un vol ultérieur, ou sur des vols ultérieurs s’il s’agit d’un aller-retour et que le secteur d’origine est annulé. Ce crédit est égal au prix du billet original ou des billets originaux qui a ou ont été annulé(s);
  2. ou un remboursement dont le montant ne peut être supérieur au montant payé par le passager pour ce vol ou ces vols s’il s’agit d’un aller-retour et que le secteur d’origine est annulé.

[traduction]


  1. Plourde c. Service aérien FBO inc. (Skyservice), 2007 QCCA 739; Connaught Laboratories Ltd. c. British Airways, 61 O.R. (3e) 204 aux parag. 44 et 50; Attorney General of Canada c. Flying Tiger Line, Inc., [1987] O.J. No 914 (H.C.J.) au parag. 7.
  2. 433 F. Supp. 2d 361 (U.S.D.N.Y. 2006).
  3. 1999 U.S. Dist. LEXIS 9849 (U.S.D.N.Y.).
  4. 821 F. 2d 442 (U.S.C.A. 7th Cir. 1987).
  5. 2009 MBQB 29 (La demande d’autorisation d’appel a été rejetée : 2009 MBCA 111).
  6. 520 F. Supp. 2d 447 – (E.D.N.Y. 2007).
  7. Quesnel c. Voyages Bernard Gendron Inc. [1997] J.Q. no 5555 (QL) (QCCQ).
  8. Assaf c. Air Transat A.T. Inc. [2002] J.Q. no 8391 (QCCQ).
  9. Voir par exemple Wyant c. Air Canada et Black c. Air Canada, Décision No 746-C-A-2005.
  10. 2010 QCCQ 6858.
  11. McMurry c. Capitol Intern. Airways, 102 Misc. 2d 720 at 722.
  12. Cohen c. Delta Air Lines Inc., 09 Civ. 6709 (S.D.N.Y.) (2010 U.S. Dist. Lexis 118164).
  13. Supra note 5.
  14. Assaf c. Air Transat A.T. Inc., supra note 8.
  15. Voir par exemple Balogun c. Air Canada, [2010] O.J. No 663 (S.C.J.); Lukács c. United Airlines Inc., supra note 5.

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