Décision n° 127-R-2022
Demande présentée par Shanti MacFronton, Jaimal Thind et Anthony R. Rodrigues (demandeurs) contre la Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique (CP) concernant le bruit et les vibrations
Résumé
[1] Les demandeurs ont déposé une demande auprès de l’Office des transports du Canada (Office) au titre de la Loi sur les transports au Canada (LTC) contre CP concernant le bruit et les vibrations produits par ses activités d’exploitation dans la partie nord de la gare de triage Lambton de CP, vers le point miliaire 5,5 de la subdivision Galt de CP.
[2] Les demandeurs réclament que l’Office ordonne à CP d’installer un écran antibruit le long de ses voies et autour de la gare de triage Lambton, en raison des activités bruyantes menées entre 21 h et 9 h; d’imposer une limite de 15 minutes au fonctionnement au ralenti des locomotives; et d’effectuer lentement le couplage des trains.
[3] L’Office se penchera sur les questions suivantes :
- Le bruit et les vibrations causés par les activités de CP dans la gare de triage Lambton, à Toronto (Ontario), constituent-ils une perturbation importante au confort ordinaire ou aux commodités de l’existence, selon des normes qui s’appliquent à une personne moyenne?
- Si oui, CP respecte-t-elle son obligation de limiter les vibrations et le bruit produits à un niveau raisonnable, compte tenu de ses obligations relatives au niveau de services, de ses besoins en matière d’exploitation et du lieu d’exploitation?
[4] Pour les motifs énoncés ci-après, l’Office conclut que le bruit et les vibrations causés par les activités de CP à la gare de triage Lambton constituent une perturbation importante, mais que leur niveau est raisonnable compte tenu des caractéristiques du lieu, des obligations de CP relatives au niveau de services, ainsi que de ses besoins en matière d’exploitation. L’Office rejette donc la demande.
Contexte
[5] Les résidences des demandeurs sont situées au nord de la gare de triage Lambton de CP vers le point miliaire 5,5 de sa subdivision Galt. Le voisinage est situé entre 40 et 150 mètres de la première de 10 voies de triage et de 3 voies principales. Le parc Runnymede, près des résidences des demandeurs, est situé entre la gare de triage Lambton et l’avenue Ryding.
[6] La gare de triage Lambton, dans la subdivision Galt, est exploitée depuis 1913 et elle compte trois voies principales et une multitude d’épis et d’autres voies.
Observations préliminaires
[7] Les demandeurs font valoir que les activités de CP sont une importante source de pollution atmosphérique et pour la faire diminuer, ils demandent que CP passe à une source de carburant plus écologique. Ils demandent également que certains de ses règlements et protocoles soient plus clairs, et qu’elle fournisse un processus de plaintes plus efficace et qu’elle y donne suite. Toutefois, le pouvoir de l’Office se limite à déterminer si CP respecte ses obligations qui consistent à limiter à un niveau raisonnable les vibrations et le bruit qu’elle produit. C’est pourquoi l’Office ne peut pas traiter les questions sur la pollution atmosphérique ou la communication avec le public dans le contexte de la présente demande.
La loi
[8] La LTC impose à une compagnie de chemin de fer l’obligation de limiter les vibrations et le bruit produits à un niveau raisonnable compte tenu de ses obligations relatives au niveau de services, de ses besoins en matière d’exploitation et du lieu d’exploitation du chemin de fer.
[9] La LTC prévoit également que si l’Office reçoit une plainte et qu’il conclut qu’une compagnie de chemin de fer ne respecte pas les obligations que lui impose la LTC de limiter le bruit et les vibrations, il peut ordonner à la compagnie de chemin de fer d’apporter à la construction ou à l’exploitation de son chemin de fer toute modification que l’Office estime raisonnables.
[10] Le cadre législatif et la Politique nationale des transports contenue dans la LTC établissent clairement que l’Office, dans l’exercice de son mandat concernant les plaintes et les enquêtes sur le bruit et les vibrations, doit soupeser les intérêts des parties. D’une part, les compagnies de chemin de fer participent à des activités qui causent forcément du bruit et des vibrations, et ces activités sont nécessaires pour leur permettre de respecter leurs diverses obligations en matière de niveaux de service, de répondre à leurs besoins en matière d’exploitation, et de maintenir « un système de transport national compétitif et rentable qui […] est essentiel à la satisfaction des besoins de ses usagers et au bien-être des Canadiens et favorise la compétitivité et la croissance économique dans les régions rurales et urbaines partout au Canada ». D’autre part, elles doivent prendre en compte les intérêts des collectivités touchées par ce bruit et ces vibrations afin de déterminer la meilleure façon de mener leurs activités respectives tout en respectant leurs obligations prévues dans la LTC de limiter à un niveau raisonnable les vibrations et le bruit qu’elles produisent.
Cadre d’analyse
[11] Dans sa décision 35-R-2012 (Normandeau et Tymchuk c CP), l’Office a établi le cadre d’analyse pour décider si une compagnie de chemin de fer remplit ses obligations relativement au bruit et aux vibrations. L’Office a déterminé que la première étape consistait à déterminer si la compagnie a causé du bruit et des vibrations à des niveaux constituant une perturbation importante au confort ordinaire ou aux commodités de l’existence, selon des normes qui s’appliquent à une personne moyenne (perturbation importante).
[12] Afin de déterminer si le bruit et les vibrations pourraient constituer une perturbation importante pour les demandeurs, l’Office tiendra compte de plusieurs éléments énoncés dans ses Lignes directrices sur la résolution des plaintes relatives au bruit et aux vibrations ferroviaires et dans sa décision 35-R-2012, notamment :
- la présence de bruits environnants autres que ceux émanant de l’exploitation ferroviaire, tels que le bruit d’une autoroute;
- les activités ferroviaires dans le lieu touché, y compris tout changement pertinent;
- les caractéristiques et l’importance du bruit ou des vibrations (comme le niveau et les types de bruit [ponctuel ou continu], l’heure, la durée et la fréquence);
- les normes pertinentes pour évaluer l’importance des effets du niveau de bruit et des vibrations;
- les répercussions, sur les personnes touchées, des perturbations causées par le bruit ou les vibrations (et les méthodes d’atténuation possibles);
- les efforts déployés par les parties pour atténuer les répercussions du bruit ou des vibrations.
[13] Il revient aux demandeurs de démontrer à l’Office que le bruit ou les vibrations causées par les activités courantes d’une compagnie de chemin de fer constituent une perturbation importante.
[14] Si l’Office conclut que le bruit ou les vibrations ne causent pas une perturbation importante, il rejettera la demande. Si, à l’inverse, il conclut à une perturbation importante, il passera à la prochaine étape de l’analyse qui consiste à évaluer le bruit ou les vibrations en fonction des critères énoncés dans la LTC afin de déterminer s’ils sont limités à des niveaux raisonnables dans les circonstances. Ces critères sont : les obligations de la compagnie de chemin de fer relativement au niveau de services, ses besoins en matière d’exploitation, ainsi que le lieu d’exploitation du chemin de fer.
Positions des parties
Les demandeurs
[15] Les demandeurs allèguent des perturbations et du bruit excessif causés par le fonctionnement au ralenti des locomotives, le passage des trains, de même que les manœuvres et le triage des wagons à la gare de triage Lambton de CP.
[16] Ils affirment qu’il y a entre cinq et dix manœuvres par jour, chacun durant de 30 à 60 minutes, et qui chaque fois, sont comme une série de collisions entre deux wagons. Selon les demandeurs, les manœuvres se font à grande vitesse et provoquent des bruits extrêmement forts, semblables à des explosions.
[17] Les bruits font trembler les maisons dans le voisinage tôt le matin et jusque tard dans la nuit, et empêchent leurs occupants d’avoir de bonnes nuits de sommeil.
[18] Les demandeurs affirment que, de deux à trois fois par jour, des trains fonctionnent au ralenti près de leurs résidences pendant de longues heures, et souvent durant la nuit. Ils prétendent qu’en raison des vibrations constantes que cela cause, des objets tremblent dans leur maison, ce qui réveille les membres de leur famille.
[19] Pour appuyer leur demande, les demandeurs ont fourni un journal des perturbations sur environ 6 mois, dressant la liste des activités de triage entre 21 h et 9 h. Ils ont également présenté une vidéo de 35 secondes montrant un train fonctionnant au ralenti près du parc Runnymede.
[20] Les demandeurs ont également fourni des témoignages d’autres résidants du voisinage qui font valoir que le bruit n’est pas nécessaire et qu’il est excessif. Bon nombre affirment que le bruit a eu une incidence négative sur leur collectivité.
[21] Les demandeurs ne sont pas d’accord avec CP lorsqu’elle affirme que ces témoignages ne permettent pas de recueillir des données qualitatives démontrées. Ils font remarquer que l’Office reconnaît lui-même dans sa Méthodologie de mesure et de présentation d’un rapport sur le bruit ferroviaire (méthodologie) qu’il est difficile de produire les preuves empiriques requises. Les demandeurs soutiennent qu’un journal des incidents est une source de données acceptée dans le cas de plaintes sur le bruit et les vibrations, même si CP tente de discréditer le leur. Ils affirment que leur référence au terme familier « trains », pour décrire une suite de locomotives et de wagons attachés les uns à la suite des autres, ne devrait pas servir à disqualifier leur rapport concernant le moteur d’un train tournant au ralenti pendant des heures.
[22] Les demandeurs contestent également l’argument de CP selon lequel les emplacements n’étaient pas précisés dans le journal. Les demandeurs font remarquer qu’eux et les résidents ayant déposé des témoignages vivent dans un seul pâté de maisons. Parce que le bruit et les vibrations perturbent le voisinage en entier, il n’est pas pertinent qu’il soit indiqué dans le journal s’il est question de l’extrémité est ou ouest du voisinage.
[23] Les demandeurs font valoir que ce n’est pas parce que CP mène ses activités dans le secteur depuis plus d’un siècle que le bruit et les vibrations excessifs sont justifiés. Ils font remarquer que dans les 100 dernières années, il y a eu des changements importants aux responsabilités et à la réglementation en matière sociale et environnementale, et à celles liées au travail. Ils espèrent que CP se soucie des collectivités dans lesquelles elle mène des activités et qu’elle s’investisse dans des relations positives et une exploitation éthique.
[24] Finalement, les demandeurs ne sont pas d’accord avec CP lorsqu’elle affirme que la solution qu’ils proposent, soit un écran antibruit, n’est pas appropriée, même si elle reconnaît qu’un tel ouvrage exigerait beaucoup de planification et des évaluations approfondies.
CP
[25] CP soutient d’une part que les demandeurs n’ont pas démontré que le bruit et les vibrations provenant de ses activités leur causent une perturbation importante et, d’autre part, qu’ils n’ont pas présenté de preuve pour appuyer le préjudice et les répercussions prétendus. Elle fait valoir que le volume d’activités liées au transport de marchandises et de voyageurs dans la gare n’a pas augmenté pendant la période indiquée dans la demande, même qu’il a diminué durant une partie de cette période. CP affirme que les demandeurs ont l’impression d’une hausse du bruit et des vibrations parce qu’ils ont passé plus de temps à s’occuper de leur famille et à travailler de la maison durant la pandémie de COVID‑19.
[26] CP affirme que le journal fourni par les demandeurs n’est pas accompagné de relevés ou d’enregistrements du bruit et des vibrations. Elle soutient que les entrées dans le journal font parfois référence à deux événements où deux laps de temps sont inscrits. CP fait valoir qu’on ne sait pas quel événement correspond à quel laps de temps.
[27] De plus, CP affirme que certaines entrées dans le journal font seulement référence à des « trains » plutôt qu’à des locomotives en particulier, ce qui donne l’impression qu’un grand nombre de trains fonctionnent au ralenti, lorsqu’en fait, ils peuvent être affectés à différentes activités dans la gare durant la période inscrite. CP souligne également que le journal ne précise pas l’emplacement des incidents qu’on lui reproche.
[28] CP fait également valoir que la vidéo des demandeurs ne prouve pas qu’il y a eu perturbation importante. Selon elle, la vidéo montre seulement qu’un train a fonctionné au ralenti près du parc Runnymede pendant 35 secondes, et non pendant des heures, comme le prétendent les demandeurs. CP soutient que la vidéo ne démontre pas les niveaux sonores et que, même si cela avait été le cas, elle ne montrerait que les niveaux sonores au parc Runnymede et non près des résidences des demandeurs. CP soutient que le bruit et les vibrations dans les espaces publics n’aident pas à déterminer si les demandeurs ont subi une perturbation importante à leur résidence.
[29] Par ailleurs, CP soutient que les témoignages fournis par les demandeurs sont des ouï‑dire répétant ce qui a été expliqué dans la demande, et que, faute de preuve à l’appui, ce ne sont donc que de simples allégations.
[30] CP s’oppose également à la suggestion de construire un écran antibruit sur sa propriété, soit le long des voies, soit autour de la gare de triage Lambton. Elle affirme toutefois que si la municipalité souhaite en construire un sur son terrain, elle est libre de le faire.
Obligations de transporteur public de CP au titre de la LTC
[31] Selon CP, ses obligations à titre de transporteur public prévues aux articles 113 et 114 de la LTC, soit d’accepter les marchandises qui lui sont présentées pour le transport, découlent directement des clients et de leurs besoins d’expédier et de recevoir des marchandises. Elle soutient que le volume, la fréquence et le moment des activités dépendent des expéditeurs et de leurs demandes, lesquelles ont une incidence directe sur les besoins en matière d’exploitation d’une compagnie de chemin de fer.
[32] CP fait valoir que ses activités dans la gare de triage Lambton sont strictement en fonction de la quantité de marchandises que ses clients lui présentent pour le transport. De plus, en raison de ses obligations au titre de la LTC, elle ne peut retarder ou cesser le transport de marchandises pour des expéditeurs nulle part sur son réseau, pas plus que dans sa gare de triage Lambton.
Besoins en matière d’exploitation
[33] CP affirme qu’elle et ses filiales exploitent un chemin de fer transcontinental au Canada et aux États‑Unis et fournissent des services de transport ferroviaire et intermodal sur un réseau d’environ 13 700 milles. CP affirme que, pour que le transport reste efficace et rentable, elle mène ses activités à longueur d’année, 24 heures sur 24, 7 jours par semaine, sauf quelques exceptions.
[34] CP soutient également que le fonctionnement au ralenti près du point miliaire 5,5 de la subdivision Galt n’est pas fréquent et se produit lorsque des trains sont tractés à l’extérieur de la gare de triage Lambton et attendent le feu vert pour entrer sur la voie principale. CP affirme que les trains n’attendent pas longtemps en fonctionnant au ralenti. Elle affirme qu’elle a instauré des mesures pour éviter que des trains ne fonctionnent inutilement au ralenti dans sa gare de triage Lambton. Parmi ces mesures, il convient de souligner que, pour ramasser ou laisser des wagons à cette gare, les trains doivent obligatoirement en recevoir d’avance l’autorisation du contrôleur de la circulation ferroviaire. Elle a également installé des panneaux d’interdiction de stationner aux points miliaires 5,0 et 7,6 de la subdivision Galt.
[35] CP affirme qu’elle laisse ses trains fonctionner au ralenti à des endroits permis à la gare de triage Lambton pour diverses raisons opérationnelles nécessaires, conformément à l’ensemble des règles et des règlements pertinents. CP soutient que des trains peuvent de temps à autre fonctionner au ralenti dans la gare pendant plus de 30 minutes, mais seulement en cas d’exceptions permises au terme du Règlement sur les émissions des locomotives.
Lieu d’exploitation
[36] CP affirme qu’une grande partie des marchandises qui transitent par la gare de triage Lambton et la subdivision Galt sont des exportations de haute priorité.
[37] CP affirme que cette gare de triage très achalandée fonctionne sans arrêt, et qu’elle a quatre fonctions principales. D’abord, elle s’occupe des marchandises de clients locaux destinées à la livraison locale, ou de celles qui seront ramassées par des clients puis chargées dans des trains pour être livrées ailleurs. Ces étapes incluent les activités et les services réguliers.
[38] Deuxièmement, il s’agit d’une gare de jonction pour des trains circulant sur la voie principale canadienne, et d’autres en direction sud vers diverses régions des États‑Unis. Troisièmement, elle est un lieu de correspondance où les activités d’interconnexion avec CN comptent pour une part importante des marchandises qui y transitent tous les jours.
[39] Finalement, les voies servent aussi au transport de voyageurs de GO Train, où Metrolinx exploite dix trains en direction est et dix autres en direction ouest, du lundi au vendredi, avec des exceptions les jours fériés.
Analyse et déterminations
Le bruit et les vibrations causés par les activités de CP dans la gare de triage Lambton constituent-ils une perturbation importante?
[40] Il revient aux demandeurs de démontrer que selon toute vraisemblance, le bruit ou les vibrations causés par les activités courantes d’une compagnie de chemin de fer constituent une perturbation importante.
[41] Les demandeurs ont présenté un journal pas très détaillé, mais qui renferme tout de même une liste de perturbations se produisant entre 21 h et 9 h, sur environ 6 mois. La vidéo qu’ils ont présentée montre qu’un train a fonctionné au ralenti près du parc Runnymede.
[42] Les demandeurs n’ont présenté aucun relevé de mesures acoustiques pour soutenir leur affirmation. Pour estimer l’incidence du bruit lorsqu’aucune donnée précise sur le bruit n’est disponible, l’Office s’appuie sur la méthodologie dont il est fait mention dans sa lettre d’ouverture des actes de procédure.
[43] Les personnes vivant dans les résidences situées les plus proches des voies ferrées vivent dans une « zone urbaine résidentielle très bruyante », selon la définition de la méthodologie. Selon ce guide, l’Office estime un niveau de bruit de référence de 60 dBA durant la nuit, pendant que les gens dorment.
[44] L’Office fait remarquer les éléments ci-après en s’appuyant sur l’annexe A – méthode simplifiée d’estimation, dans la méthodologie, et en présumant une distance de plus ou moins 40 mètres.
Fonctionnement au ralenti
[45] Comme l’Office l’explique dans son document intitulé Bruit et vibrations causés par le fonctionnement au ralenti des locomotives, une locomotive dont le moteur tourne au ralenti produit des bruits de basse fréquence qui peuvent parcourir de longues distances sans vraiment s’atténuer.
[46] Le fonctionnement au ralenti pendant 60 minutes, d’après la demande et le journal, entraînerait, pour une seule locomotive fonctionnant au ralenti, des niveaux sonores d’environ 69 dBA, lesquels s’avèrent supérieurs au niveau de référence. Qu’il y ait une ou plusieurs locomotives fonctionnant au ralenti pendant 60 minutes consécutives, le niveau de bruit changera peu. Conformément à la méthodologie, ce calcul comprend un facteur correctif pour tenir compte des caractéristiques uniques des bruits de basse fréquence, qui peuvent parcourir de longues distances et faire trembler des objets dans un bâtiment.
Autres trains en fonction
[47] CP affirme que d’autres activités ont lieu dans la gare de triage Lambton, notamment l’exploitation d’une locomotive de manœuvre locale pour la manutention des marchandises et le mouvement des trains intermodaux et des trains de marchandises. Toutes ces activités contribuent au bruit général des opérations de CP.
Manœuvre des wagons
[48] Dans leur journal, les demandeurs ont dressé une liste de manœuvres qui se sont produites entre 21 h et 9 h. L’Office s’attend à ce que le bruit causé par les activités de manœuvre soit très fort. Les effets secondaires, comme le cliquetis d’objets dans les maisons, exacerbent l’inconfort causé par le bruit. Selon les demandeurs, ces activités produisent un son semblable à celui d’une explosion. En raison des caractéristiques uniques du bruit des manœuvres qui peut être de type impulsif de courte durée et à haute intensité, qui contrastent avec les bruits de fond environnants, l’Office s’attend à ce que ces sons soient bien supérieurs au niveau sonore de référence.
[49] L’Office estime que la combinaison de ces activités ferroviaires durant la nuit, pendant que les gens dorment, dépasserait de 5 dBA le niveau sonore de référence.
[50] Dans la décision LET-R-148-2012 (Bysterveld c CP) et la décision LET-R-21-2017 (Scott et al. c CN), l’Office a conclu que des niveaux sonores dépassant de 5 dBA le bruit de fond pouvaient augmenter l’inconfort et perturber le sommeil et les communications, et nuire à la santé, tel que l’indique la méthodologie.
[51] Donc, comme les résidences sont proches de la gare de triage Lambton de CP, et compte tenu des différentes activités ferroviaires ayant lieu dans la gare de triage, notamment le fonctionnement au ralenti, le couplage de wagons et autres manœuvres, et du fait que de telles activités ont lieu la nuit lorsque les gens dorment, l’Office conclut, selon la prépondérance des probabilités, que le bruit produit par les activités de CP cause une perturbation importante aux demandeurs.
CP respecte-t-elle son obligation de limiter le bruit et les vibrations produits à un niveau raisonnable, compte tenu de ses obligations relatives au niveau de services, de ses besoins en matière d’exploitation et du lieu d’exploitation?
[52] Dans la prochaine étape de l’analyse, l’Office détermine si le bruit et les vibrations de la compagnie de chemin de fer sont limités à un niveau raisonnable compte tenu des critères énoncés dans la LTC, soit ses obligations relatives au niveau de services, ses besoins en matière d’exploitation et le lieu d’exploitation.
Obligations relatives au niveau de service
[53] La gare de triage Lambton est un centre logistique très achalandé du réseau de CP, et les activités connexes qui y ont lieu découlent du niveau de services que la LTC l’oblige à fournir. Elle est, de ce fait, tenue d’accepter les marchandises qui lui sont présentées et de les transporter sans délai.
Besoins en matière d’exploitation
[54] L’Office convient que CP doit mener ses activités 24 heures sur 24, 7 jours par semaine dans la gare de triage Lambton afin de répondre aux besoins variés de sa clientèle. L’Office conclut que ces activités sont directement liées au niveau de services que la LTC oblige CP à fournir. Aucune preuve ne démontre que les activités de CP vont au-delà que ce qui est nécessaire pour satisfaire à ces obligations.
[55] En ce qui concerne la question particulière de trains fonctionnant au ralenti, il n’est pas possible de savoir précisément à partir du journal si les incidents relevés par les demandeurs visent un seul train qui fonctionnerait au ralenti trop longtemps, ou de nombreux trains fonctionnant au ralenti à différents moments ou lieux durant la période indiquée. Il est ainsi difficile de déterminer que la perturbation importante causée par le fonctionnement au ralenti est déraisonnable dans les circonstances. Le fonctionnement au ralenti des trains est une partie nécessaire des activités ferroviaires, et il est régi par le Règlement sur les émissions des locomotives. CP affirme qu’en général, les trains ne fonctionnent pas au ralenti pendant plus de 30 minutes, sauf dans la mesure nécessaire permise dans ce même règlement. L’Office convient que CP a instauré des mesures d’atténuation pour réduire le fonctionnement au ralenti des trains à proximité du point miliaire 5,5 de la subdivision Galt. La preuve donne à penser que dans le journal du demandeur, il pourrait y avoir eu confusion entre le fonctionnement au ralenti et le bruit que fait un train de manœuvres. En conséquence, l’Office ne peut pas conclure que le fonctionnement au ralenti est à un niveau déraisonnable s’il tient compte des besoins d’exploitation de CP.
Lieu d’exploitation
[56] CP mène ses activités à cet endroit depuis bien avant l’aménagement de quartiers résidentiels. Il semble que lors de la construction des résidences, ni la Ville ni le promoteur immobilier n’aient dûment envisagé de prendre des mesures convenables pour atténuer le bruit, car peu de chose sépare la gare de CP et les maisons dans ce secteur, certaines n’étant qu’à quelques mètres des activités de CP. Les demandeurs savaient ou auraient dû savoir que les résidences qu’ils ont achetées étaient proches d’une exploitation ferroviaire et que rien ne les séparait.
[57] Dans la décision 69-R-2014, l’Office a expliqué que les municipalités prennent des risques lorsqu’elles approuvent des lotissements résidentiels à côté d’exploitations ferroviaires. Dans ce cas-là, comme dans celui‑ci, ni la Ville ni le promoteur immobilier ne semblent avoir envisagé de prendre des mesures convenables pour atténuer le bruit entre le corridor ferroviaire achalandé et la maison du demandeur. L’Office a conclu que, même si le demandeur était perturbé par les activités de la compagnie de chemin de fer, il fallait « … accorder plus de poids aux obligations de CP en matière de niveau de services sur un élément clé de son corridor principal est-ouest de longue date et aux besoins en matière d’exploitation de CP », donc que le bruit et les vibrations provenant de ces activités étaient raisonnables. L’Office adopte le même raisonnement dans le cas présent.
[58] À la lumière de ce qui précède, l’Office conclut que les activités de CP à la gare de triage Lambton sont raisonnables, compte tenu des critères de la LTC.
Conclusion
[59] L’Office conclut que les activités de CP dans la gare de triage Lambton constituent une perturbation importante au lieu de résidence des demandeurs, mais que le bruit et les vibrations ainsi produits sont limités à un niveau raisonnable dans les circonstances.
[60] L’Office rejette donc la demande.
Lois ou ou tarif cité | Identifiant numérique (article, paragraphe, règle, etc.) |
---|---|
Loi sur les transports au Canada, LC 1996, c 10 | 5; 95.1; 95.3(1); 113; 114; |
Règlement sur les émissions des locomotives (DORS/2017-121) | 10(1); 10(2) |
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