Décision n° 219-AT-A-2013

le 6 juin 2013

DEMANDE présentée par Bradley Air Services Limited exerçant également son activité sous le nom de First Air et/ou Ptarmigan Airways et/ou Northwest Territorial Airways et/ou NWT Air, en vertu de l’article 32 de la Loi sur les transports au Canada, L.C. (1996), ch. 10, modifiée.

No de référence : 
U3570/13-01206

INTRODUCTION

[1] Bradley Air Services Limited exerçant également son activité sous le nom de First Air et/ou Ptarmigan Airways et/ou Northwest Territorial Airways et/ou NWT Air (First Air), demande à l’Office des transports du Canada (Office), d’exercer son pouvoir discrétionnaire en vertu de l’article 32 de la Loi sur les transports au Canada (LTC) afin de modifier la décision no 385‑AT‑A-1999 (décision portant sur les ATS) dans laquelle l’Office a enjoint à First Air d’installer une ligne de réservation par ATS (appareil de télécommunication pour personnes sourdes, devenues sourdes, malentendantes ou ayant un trouble de la parole).

CONTEXTE

[2] En 1999, l’Office a rendu la décision portant sur les ATS dans laquelle il a conclu que l’absence d’un numéro d’ATS sur le site Web de First Air a constitué un obstacle abusif aux possibilités de déplacement d’Elliott Richman, une personne sourde qui utilise un ATS pour communiquer par téléphone.

[3] Dans la décision portant sur les ATS, l’Office a noté que bien que First Air fournissait d’autres moyens par lesquels les personnes peuvent communiquer directement avec elle (p. ex., télécopieur, courrier électronique), le transporteur favorisait les échanges verbaux lorsque les demandes sont acheminées par courrier électronique ou par télécopieur à son bureau central des réservations. L’Office a indiqué être conscient du fait que certaines personnes sourdes ou malentendantes pouvaient communiquer par courrier électronique ou par télécopieur, mais que toutes ces personnes n’ont pas accès à un tel dispositif et que certains voyageurs sourds ou malentendants préfèrent utiliser un ATS. L’Office a également indiqué qu’il est essentiel pour tous les voyageurs, y compris les personnes sourdes ou malentendantes, de pouvoir communiquer avec un transporteur aérien par téléphone, et qu’ils doivent donc avoir accès à une ligne ATS. L’Office a aussi estimé qu’étant donné que les téléphones munis d’ATS sont maintenant courants et peuvent être facilement installés, une ligne de réservation par ATS devrait être fournie par les transporteurs aériens.

[4] L’Office a donc conclu que l’absence d’un numéro pour ATS sur le site Web de First Air a constitué un obstacle abusif aux possibilités de déplacement de M. Richman. L’Office a enjoint à First Air d’installer une ligne de réservation pour ATS et de s’assurer que le numéro pour ATS soit affiché sur son site Web, dans toute la publicité pour les ventes de sièges, de même que dans toute autre publication (lors de la réimpression) qui offrent au grand public des renseignements sur le transporteur aérien. First Air s’est conformée à cette ordonnance.

QUESTION

[5] Y a-t-il eu des faits nouveaux ou une évolution des circonstances depuis que la décision portant sur les ATS a été rendue qui justifient une révision, une annulation ou une modification de la décision?

ANALYSE

Contexte législatif

[6] Conformément à l’article 32 de la LTC :

L’Office peut réviser, annuler ou modifier ses décisions ou arrêtés, ou entendre de nouveau une demande avant d’en décider, en raison de faits nouveaux ou en cas d’évolution, selon son appréciation, des circonstances de l’affaire visée par ces décisions, arrêtés ou audiences.

[7] L’article 32 de la LTC n’accorde à l’Office qu’un pouvoir limité de revenir sur ses décisions. En fait, l’Office ne peut exercer le pouvoir qui lui est conféré en vertu de cet article que s’il y a eu, à son avis, des faits nouveaux ou une évolution des circonstances entourant l’affaire visée par une décision depuis qu’elle a été rendue.

[8] À vrai dire, la capacité d’un tribunal à réviser une décision définitive constitue une exception à la règle du functus officio selon laquelle un tribunal n’a pas le droit de revenir sur une décision définitive. Dans l’affaire Chandler c. Alberta Association of Architects, [1989] 2 R.C.S. 848, la Cour suprême du Canada a abordé la question de savoir si un conseil ou un tribunal, comme l’Office, est habilité à revenir sur une décision finale :

En règle générale, lorsqu’un tel tribunal a statué définitivement sur une question dont il était saisi conformément à sa loi habilitante, il ne peut revenir sur sa décision simplement parce qu’il a changé d’avis, parce qu’il a commis une erreur dans le cadre de sa compétence, ou parce que les circonstances ont changé. Il ne peut le faire que si la loi le lui permet ou s’il y a eu un lapsus ou une erreur au sens des exceptions énoncées dans l’arrêt Paper Machinery Ltd. v. J.O. Ross Engineering Corp., précité.

Le principe du functus officio s’applique dans cette mesure. Cependant, il se fonde sur un motif de principe qui favorise le caractère définitif des procédures plutôt que sur la règle énoncée relativement aux jugements officiels d’une cour de justice dont la décision peut faire l’objet d’un appel en bonne et due forme. C’est pourquoi j’estime que son application doit être plus souple et moins formaliste dans le cas de décisions rendues par des tribunaux administratifs qui ne peuvent faire l’objet d’un appel que sur une question de droit. Il est possible que des procédures administratives doivent être rouvertes, dans l’intérêt de la justice, afin d’offrir un redressement qu’il aurait par ailleurs été possible d’obtenir par voie d’appel.

Par conséquent, il ne faudrait pas appliquer le principe de façon stricte lorsque la loi habilitante porte à croire qu’une décision peut être rouverte afin de permettre au tribunal d’exercer la fonction que lui confère sa loi habilitante.

[9] L’article 32 de la LTC énonce le cadre législatif par lequel l’Office peut exercer son pouvoir de revenir sur ses décisions. L’Office a tous les pouvoirs d’interpréter les dispositions de la LTC, sa loi habilitante.

[10] Une question analogue a été tranchée par la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Kent c. Canada (A.G.), 2004 CAF 420 (affaire Kent). La Cour a établi un double critère pour la question de savoir si des faits nouveaux sont présentés à un tribunal dans le cadre d’une demande d’annulation ou de modification d’une décision. D’abord, il faut que les faits nouveaux avancés n’aient pu être découverts, malgré une diligence raisonnable, avant la première audience. Si tel est le cas, le tribunal doit alors passer à la deuxième étape et évaluer le caractère substantiel des faits nouveaux, c’est-à-dire qu’il doit déterminer l’importance des présumés faits nouveaux pour le fond de la demande. Au cas où il n’y aurait pas de faits nouveaux, la décision reste valable.

[11] Même si la décision rendue dans l’affaire Kent a trait à ce qui était auparavant le paragraphe 84(2) du Régime de pensions du Canada, L.R.C. (1985), ch. C‑8, qui mentionnait la présentation de « faits nouveaux » plutôt qu’« un changement des faits et une évolution des circonstances », l’Office y voit néanmoins une source d’orientation sur ce qui peut constituer un changement des faits ou une évolution des circonstances.

[12] Pour traiter une demande de révision, l’Office doit commencer par déterminer s’il y a eu un changement des faits ou une évolution des circonstances de l’affaire visée par la décision. Si aucun changement de ce type n’existe, la décision reste valable. Si, en revanche, l’Office conclut qu’il y a eu des faits nouveaux ou une évolution des circonstances depuis que la décision a été rendue, il doit alors déterminer si ce changement est suffisant pour justifier une révision, une annulation ou une modification de la décision. Lorsqu’une autre partie a participé à la première audience, l’Office peut décider d’enclencher le processus des actes de procédures pour s’assurer que toutes les parties à la décision initiale ont la chance de traiter des questions, notamment de la question de savoir s’il y a eu des faits nouveaux ou une évolution des circonstances depuis que la décision a été rendue et de déterminer l’incidence de ce changement sur l’affaire.

[13] La formation des membres conclut que le libellé de l’article 32 doit généralement être interprété comme intéressant seulement les faits ou les circonstances qui n’existaient pas au moment de l’audience initiale ou qui n’étaient pas susceptibles d’être découverts par le demandeur à ce moment. Si le fait était connu du demandeur ou s’il pouvait être découvert en exerçant une diligence raisonnable au moment de la plainte initiale, il ne peut alors constituer des faits nouveaux ou une évolution des circonstances. Le libellé de l’article 32 réfère clairement aux faits nouveaux ou à l’évolution des circonstances de l’affaire visée par la décision.

[14] Le fardeau de la preuve incombe à la partie qui demande la révision de fournir à l’Office des éléments de preuve et des explications prouvant qu’il y a eu des faits ou une évolution des circonstances depuis que la décision a été rendue. La partie qui demande la révision doit aussi expliquer en quoi le changement présumé a une incidence sur l’issue de l’affaire.

[15] Une demande présentée en vertu de l’article 32 n’est pas la solution qui convient pour produire des éléments de preuve qui étaient connus ou qui auraient dû être connus du demandeur lors de la présentation de sa demande initiale. Son but n’est pas d’offrir la possibilité à la partie perdante de compléter le dossier ou de débattre à nouveau d’une affaire. Pour que la demande aboutisse, il doit y avoir eu véritablement des faits nouveaux ou une évolution des circonstances depuis que la décision initiale a été rendue pour justifier une nouvelle audience. Cela doit être soupesé par rapport au principe juridique de base qui privilégie la finalité des décisions. Cela protège l’autre partie, qui est en droit légitime de s’attendre à ce qu’une décision, une fois rendue, soit définitive.

Y a-t-il eu des faits nouveaux ou une évolution des circonstances?

[16] First Air fait valoir qu’il y a eu des progrès en matière de médias et de moyens de communication substituts. Elle indique que les clients peuvent maintenant faire leurs réservations en ligne sur son site Web et qu’ils peuvent également soumettre des questions par courrier électronique à son service de réservation à partir du site Web. First Air soutient qu’en raison des progrès en matière de médias et de moyens de communication substituts, une ligne de réservation par ATS n’est plus nécessaire.

[17] First Air fait valoir qu’il y ait eu des progrès en matière de médias et de moyens de communication substituts ; toutefois, il n’est pas clair si cela se rapporte à la capacité des clients de faire des réservations sur son site Web et d’envoyer des questions par courrier électronique à son service de réservation, ou si cela se rapporte à autre chose. Le cas échéant, l’Office ne peut trouver de faits nouveaux ou une évolution des circonstances en lien avec cette affirmation générale. De plus, First Air n’a fourni aucun élément de preuve ni aucune explication pour établir en quoi la capacité de faire des réservations et de poser des questions par courrier électronique sur son site Web est considérablement différente de l’utilisation du télécopieur et du courrier électronique, déjà mise de l’avant par First Air, et que l’Office a considérée et rejetée dans la décision portant sur les ATS. Par conséquent, l’Office n’est pas en mesure d’établir qu’il y a eu des faits nouveaux ou une évolution des circonstances.

[18] De plus, même si l’Office acceptait que l’utilisation du site Web de First Air et le courrier électronique constitue de nouveaux moyens de communication avec le transporteur et qu’il s’agissait de faits nouveaux ou d’une évolution des circonstances depuis la publication de la décision portant sur les ATS, l’Office est d’avis qu’un tel changement n’est pas significatif.

[19] Le but d’une mesure d’accommodement est de faire en sorte que les personnes ayant une déficience aient une égalité d’accès aux services de transport. Dans la décision portant sur les ATS, l’Office s’est dit d’avis qu’il est essentiel pour tous les voyageurs, y compris les personnes sourdes ou malentendantes, de pouvoir communiquer avec un transporteur aérien par téléphone. First Air n’a pas soumis d’élément de preuve qui démontre en quoi l’utilisation de son site Web pour faire des réservations et pour poser des questions par courrier électronique à son service de réservation offre une mesure d’accommodement tout aussi appropriée qui répond aux besoins des personnes sourdes ou malentendantes, besoins qui sont actuellement satisfaits par la ligne de réservation par ATS. L’utilisation du site Web, ou du courrier électronique ne garantit pas que les personnes sourdes ou malentendantes auront un dialogue en temps utile et réel, comme c’est le cas avec un ATS, car des retards pourraient empêcher First Air de répondre immédiatement à une personne.

[20] First Air ajoute que sa ligne ATS n’a pas été utilisée depuis son installation en 1999. L’Office note que First Air a fait valoir à l’origine, en réponse à la plainte de M. Richman, que les moyens de communication substituts disponibles au public seraient suffisants si l’on se fiait à l’apparente indifférence relative à l’absence d’une ligne de réservation par ATS, car la question n’avait jamais été soulevée sur les fiches de commentaires de la clientèle de First Air. Toutefois, il est important de noter que l’installation d’une ligne ATS ordonnée par l’Office n’était pas fondée sur la demande historique. En fait, M. Richman a été le premier à prétendre que l’absence d’une ligne ATS créait un obstacle abusif.

[21] L’Office a reconnu dans la décision portant sur les ATS que les dispositifs liés à de tels moyens de communication substituts pouvaient ne pas être disponibles à toutes les personnes sourdes ou malentendantes et a noté que certaines personnes pourraient préférer utiliser un ATS. En outre, l’Office énonce dans la décision portant sur les ATS qu’il est essentiel pour tous les voyageurs, y compris les personnes sourdes ou malentendantes, de pouvoir communiquer avec un transporteur aérien par téléphone. L’Office a aussi estimé qu’une ligne de réservation par ATS devrait être offerte par tous les transporteurs, compte tenu de la disponibilité des appareils munis d’ATS et de leur facilité d’installation. À la lumière de la justification qui précède à l’appui des conclusions de l’Office dans la décision portant sur les ATS – qui ne comprenait pas la question de la demande du public pour une ligne de réservation par ATS – l’Office conclut que l’allégation de First Air voulant que sa ligne ATS n’ait pas été utilisée depuis son installation ne constitue pas des faits nouveaux ou une évolution des circonstances.

[22] À la lumière de ce qui précède, la décision portant sur les ATS est maintenue.

CONCLUSION

[23] L’Office rejette la demande de First Air.

Membre(s)

J. Mark MacKeigan
Jean-Denis Pelletier, ing.
Date de modification :