Décision n° 38-AT-C-A-2021

le 21 mai 2021

DEMANDE présentée par Omur Taskin contre Air Canada et Türk Hava Yollari Anonim Ortakligi (Turkish Airlines Inc.) [Turkish Airlines] en vertu du paragraphe 172(1) de la Loi sur les transports au Canada, LC 1996, c 10 (LTC),concernant ses besoins liés à une déficience, et du paragraphe 110(4) du Règlement sur les transports aériens, DOR/88-58 (RTA), concernant le changement d’équipement.

Numéro de cas : 
19-07823

RÉSUMÉ

[1] Omur Taskin a déposé une demande auprès de l’Office des transports du Canada (Office) contre Air Canada et Turkish Airlines pour leur refus de lui réserver gratuitement une place sur d’autres vols équipés de sièges entièrement plats ou entièrement couchés (également appelés sièges entièrement inclinables), ainsi que pour le retard d’un vol à l’arrivée, qui a entraîné une mauvaise correspondance entre les vols, de sorte qu’il a été réacheminé sur un vol sans sièges entièrement plats. Il soutient qu’il a des problèmes de dos et qu’il a spécifiquement réservé en classe affaires pour ses voyages entre Vancouver (Colombie-Britannique) et Antalya, Turquie, afin d’avoir des sièges entièrement inclinables.

[2] M. Taskin demande un nouveau billet en classe affaires pour le même itinéraire ou le remboursement intégral de son billet en guise de compensation pour le prétendu manquement des transporteurs à fournir des sièges appropriés et pour l’inconfort qu’il a subi en raison de l’exacerbation de ses problèmes de dos.

[3] L’Office se penchera sur les questions suivantes :

  1. Turkish Airlines a-t-elle appliqué correctement les conditions énoncées dans son tarif intitulé International Passenger Rules and Fares Tariff No. TK-1 Containing Local and Joint Rules, Fares and Charges on Behalf of Turk Hava Yollaru, Anonim Ortakligi (Turkish Airlines, Inc.) c/o/b as Turkish Airlines Applicable to the Transportation of Passengers and Baggage between Points in United States/Canada and Points in Areas 1/2, NTA(A) No. 530 (tarif), comme l’exige le paragraphe 110(4) du RTA?
  2. M. Taskin est-il une personne ayant une déficience au sens de la partie V de la LTC?
  3. Si oui, M. Taskin a-t-il rencontré un obstacle abusif à ses possibilités de déplacement?

[4] Pour les motifs énoncés ci-après, l’Office rejette la demande, plus précisément :

  1. la partie de la demande déposée en vertu du paragraphe 110(4) du RTA, étant donné que Turkish Airlines a correctement appliqué les conditions énoncées dans son tarif;
  2. la partie de la demande déposée sous le régime du paragraphe 172(1) de la LTC, à la lumière de sa conclusion qu’il n’a pas été établi que M. Taskin avait une déficience au moment du voyage, au sens de la partie V de la LTC, ni qu’il a informé les transporteurs qu’il réservait des sièges entièrement inclinables comme mesure d’accommodement pour tout besoin lié à une déficience.

CONTEXTE

[5] M. Taskin a acheté un billet en classe affaires, émis par Turkish Airlines, pour voyager de Vancouver à Antalya, via Toronto (Ontario) et Istanbul, Turquie. Le départ était prévu le 27 mars 2019 et le retour le 20 mai 2019. Certains segments de vol étaient exploités par Air Canada.

[6] Le 1er février 2019, M. Taskin a remarqué que son vol de Vancouver à Toronto devait être exploité par Air Canada sur un aéronef Airbus A321, lequel n’est pas équipé de sièges entièrement inclinables. M. Taskin a d’abord communiqué avec Air Canada, qui l’a renvoyé à Turkish Airlines, le transporteur commercial. Il a alors communiqué avec Turkish Airlines, qui l’a informé qu’il devrait payer des frais de 600 euros et toute différence de prix applicable pour être acheminé sur le prochain vol disponible équipé de sièges entièrement inclinables. M. Taskin a refusé de changer son itinéraire de départ.

[7] Le 20 mai 2019, le vol de M. Taskin d’Istanbul à Toronto a été retardé, ce qui a eu pour conséquence que M. Taskin a raté son vol de correspondance de Toronto à Vancouver. M. Taskin a demandé à ce qu’on lui réserve une place sur un vol équipé de sièges entièrement inclinables, ce qui l’aurait obligé à passer la nuit à Toronto. Turkish Airlines a accepté de lui offrir cette possibilité, mais a refusé de prendre en charge son hébergement à l’hôtel pour la nuit. M. Taskin a finalement obtenu une réservation sur le prochain vol disponible exploité par Air Canada, de Toronto à Vancouver, un vol sans sièges entièrement inclinables en classe affaires.

OBSERVATIONS PRÉLIMINAIRES

Dépôts hors délai et documents déposés après la clôture des actes de procédure

[8] Turkish Airlines et M. Taskin ont tous deux déposé une série de documents après la clôture des actes de procédure; toutefois, aucune des parties ne s’est opposée à ces dépôts.

[9] Plus précisément, les documents déposés étaient les suivants :

- un affidavit du traducteur déposé par Turkish Airlines le 15 septembre 2020, pour accompagner un document fourni avec sa réponse;

- un avis de Turkish Airlines, également déposé le 15 septembre 2020, demandant à M. Taskin de répondre à des questions écrites et de
  produire des documents en rapport avec les allégations qu’il a faites dans sa réplique;

- la réponse de M. Taskin à l’avis, déposée le 30 septembre 2020;

- trois courriels de M. Taskin, datés du 17 septembre et du 30 septembre 2020, et un document déposé par Turkish Airlines le 29 septembre
  2020, désigné comme un supplément à sa réponse.

[10] Alors que les trois premiers documents ont été déposés tardivement, après la clôture des actes de procédure, ils n’étaient pas accompagnés de requêtes de prolongation de délai en vertu de l’article 30 des Règles de l’Office des transports du Canada (Instances de règlement des différends et certaines règles applicables à toutes les instances), DOR/2014-104 (Règles). Le dépôt des autres documents n’est pas prévu par les Règles. Bien que des demandes de dépôt puissent être faites en vertu de l’article 34 des Règles, aucune demande n’a été faite en ce qui concerne ces documents.

[11] Dans l’affaire Air Canada c Marley Greenglass et Office des transports du Canada, 2014 CAF 288, la Cour d’appel fédérale a indiqué que le bon sens devrait prévaloir dans l’acceptation des observations et a conseillé de ne pas être trop rigide dans l’acceptation de tels documents.

[12] L’Office note que dans ces documents : Turkish Airlines et M. Taskin se sont mis d’accord sur l’exactitude de la traduction par Turkish Airlines de certains documents; Turkish Airlines a demandé plus d’informations sur les allégations qui ont été faites pour la première fois dans la réplique de M. Taskin; M. Taskin a répondu en confirmant qu’il n’a pas gardé de traces des dates et heures des appels qu’il a faits à Turkish Airlines. Dans l’intérêt d’un processus plus efficace et du fait que les documents déposés par les parties entre le 15 et le 30 septembre 2020 sont pertinents, peuvent aider l’Office à prendre sa décision et ne causeront de préjudice à aucune partie s’ils sont acceptés aux archives, l’Office accepte les documents conformément aux articles 5 et 6 des Règles.

La requête d’Air Canada visant le rejet de la demande

[13] Air Canada fait valoir que le fondement de la demande comporte des lacunes graves et que la demande devrait être rejetée au stade préliminaire en vertu de l’article 42 des Règles. Elle affirme qu’elle ne devrait pas être partie au litige, car M. Taskin a acheté son billet auprès de Turkish Airlines par l’intermédiaire d’une agence de voyages. Air Canada indique également qu’une demande déposée en vertu du paragraphe 172(1) de la LTC n’est pas la procédure appropriée dans les circonstances, car la plainte de M. Taskin porte sur sa réservation et ne constitue pas un problème d’accessibilité. Si sa requête est rejetée, Air Canada demande la possibilité de déposer des commentaires supplémentaires sur l’application du tarif.

[14] M. Taskin convient qu’Air Canada n’est pas en cause dans le retard du vol de retour d’Istanbul à Toronto le 20 mai 2019. Toutefois, il soutient que le type d’aéronef utilisé par Air Canada pour le vol de départ de Vancouver à Toronto était inférieur à ce qu’il avait réservé et à ce qui était indiqué sur son itinéraire. M. Taskin soutient qu’il avait le droit de voyager à bord du type d’aéronef pour lequel il avait réservé une place.

[15] Turkish Airlines n’a pas répondu à la requête d’Air Canada visant le rejet de la demande.

[16] Bien qu’Air Canada soutienne que la demande devrait être rejetée au stade préliminaire parce qu’elle comporte des lacunes graves, l’Office estime qu’Air Canada n’a pas démontré que la demande contient une lacune grave — comme une question de compétence ou un abus de procédure — qui justifierait le rejet de la demande de M. Taskin plutôt que son examen sur le fond. Par conséquent, l’Office rejette la requête d’Air Canada visant le rejet de l’affaire en vertu de l’article 42 des Règles.

[17] L’Office note qu’Air Canada a déposé sa requête visant le rejet de la demande le jour où sa réponse était due, malgré le fait qu’elle disposait de 30 jours ouvrables pour le faire. L’Office encourage Air Canada à déposer toute requête procédurale le plus tôt possible après réception de la demande.

Demande de milles de récompense

[18] M. Taskin demande des crédits en milles, au titre du programme de récompense, comme compensation pour l’inconfort qui a exacerbé son problème de dos. L’Office n’a pas compétence pour ordonner le versement d’une indemnité pour la douleur, la souffrance ou la perte de jouissance concernant des événements qui ont eu lieu avant l’entrée en vigueur, le 11 juillet 2019, de la Loi canadienne sur l’accessibilité, LC 2019, c 10. De même, l’alinéa 113.1b) du RTA habilite l’Office à ordonner l’indemnisation de dépenses supportées par les passagers dans des affaires impliquant des services aériens internationaux, mais ne l’habilite pas à accorder des dommages et intérêts généraux sous forme de crédits en milles. Par conséquent, l’Office ne se penchera pas sur cette question.

LA LOI

(A) Demande en vertu du paragraphe 110(4) du RTA

[19] Le paragraphe 110(4) du RTA oblige les transporteurs aériens effectuant des vols internationaux à appliquer les conditions de transport énoncées dans leur tarif.

[20] Si l’Office conclut qu’un transporteur aérien n’a pas correctement appliqué son tarif, l’article 113.1 du RTA confère à l’Office le pouvoir d’ordonner au transporteur :

a) de prendre les mesures correctives qu’il estime indiquées;

b) de verser des indemnités à quiconque pour toutes dépenses qu’il a supportées en raison de la non-application de ces prix, taux, frais ou conditions de transport.

[21] Les dispositions pertinentes du tarif sont énoncées à l’annexe.

(B) Demande en vertu du paragraphe 172(1) de la LTC :

[22] La demande a été déposée en vertu du paragraphe 172(1) de la LTC, qui au moment du dépôt de la demande, se lisait comme suit :

Même en l’absence de disposition réglementaire applicable, l’Office peut, sur demande, enquêter sur toute question relative à l’un des domaines visés au paragraphe 170(1) pour déterminer s’il existe un obstacle abusif aux possibilités de déplacement des personnes ayant une déficience.

[23] Comme indiqué dans la lettre qui a ouvert les actes de procédure dans le cadre de cette demande, l’Office détermine s’il existe un obstacle abusif aux possibilités de déplacement d’une personne ayant une déficience en utilisant une approche en deux parties.

[24] Partie 1 : Il incombe à la demanderesse d’établir, selon la prépondérance des probabilités, ce qui suit :

- elle est une personne ayant une déficience, au sens de la partie V de la LTC;

et

- elle a rencontré un obstacle. Un obstacle est une règle, une politique, une pratique ou une structure physique ayant pour effet de priver
  une personne ayant une déficience de l’égalité d’accès aux services qui sont normalement accessibles aux autres utilisateurs du réseau de
  transport fédéral.

[25] Partie 2 : S’il est établi que la demanderesse est une personne ayant une déficience et qu’elle a rencontré un obstacle, la charge de la preuve incombe à la défenderesse, qui doit :

- expliquer, en tenant compte des solutions proposées par la demanderesse, comment elle propose d’éliminer l’obstacle en apportant une
  modification générale à la règle, à la politique, à la pratique, à la technologie, à la structure physique ou à toute autre chose visée ou, si la
  modification générale n’est pas possible, en adoptant une mesure d’accommodement personnalisée;

ou

- démontrer, selon la prépondérance des probabilités, qu’elle ne peut pas éliminer l’obstacle sans se voir imposer une contrainte excessive.

POSITIONS DES PARTIES

M. Taskin

[26] M Taskin déclare qu’en raison de problèmes de dos, il a réservé des billets en classe affaires pour son voyage aller-retour entre Vancouver et Antalya afin de s’assurer qu’il disposerait de sièges entièrement inclinables.

[27] M. Taskin affirme avoir remarqué, le 1er février 2019, qu’il ne disposerait pas d’un siège entièrement inclinable sur un de ses vols réguliers, à savoir le vol no TK9137 de Turkish Airlines de Vancouver à Toronto, exploité par Air Canada sur un aéronef A321. Il déclare avoir communiqué avec Air Canada et demandé qu’on lui réserve une place à bord du prochain vol disponible équipé de sièges entièrement plats.

[28] M. Taskin affirme avoir informé Air Canada de ses problèmes de santé et de son refus d’être réacheminé sur le vol de remplacement qui n’avait pas de sièges entièrement inclinables lorsqu’il a appelé le service à la clientèle. Il affirme que s’il n’avait pas eu de problèmes de dos, il n’aurait pas insisté sur un changement de vols. Cependant, Air Canada a indiqué qu’elle ne pouvait pas l’aider et l’a orienté vers Turkish Airlines.

[29] M. Taskin indique qu’il a communiqué directement avec Turkish Airlines et a été informé qu’il y aurait des frais de 600 euros pour un tel changement. Il a refusé cette option et a pris le vol initialement prévu, sans sièges entièrement inclinables.

[30] M. Taskin déclare que, le 20 mai 2019, son vol d’Istanbul à Toronto a été retardé, ce qui a eu pour conséquence qu’il a raté son vol de correspondance de Toronto à Vancouver. M. Taskin reconnaît que Turkish Airlines l’a indemnisé pour ce retard.

[31] M. Taskin affirme qu’il a informé Turkish Airlines de ses problèmes de dos et qu’il a demandé au transporteur de lui réserver une place sur un vol pour Vancouver équipé de sièges entièrement inclinables, indiquant qu’il était prêt à attendre le lendemain pour obtenir ce type de siège. Il a été réacheminé sur un vol de Toronto à Vancouver prévu pour le même jour. Le nouveau vol, exploité par Air Canada, ne disposait pas de sièges entièrement inclinables en classe affaires.

[32] M. Taskin fait valoir que l’aéronef A321 d’Air Canada, à bord duquel il a voyagé sur les deux vols entre Vancouver et Toronto, était un déclassement par rapport à l’aéronef Boeing 777 indiqué sur l’itinéraire de sa réservation. Il soutient qu’il avait le droit de voyager sur le type d’aéronef pour lequel il a payé et qu’il a payé un prix supérieur pour le faire. Il soutient également que les publicités pour les « sièges couchés » sur le site Web d’Air Canada prouvent que ces sièges sont « spéciaux (et plus chers) ».

[33] M. Taskin maintient que sa plainte ne porte pas sur ses problèmes de dos et il s’interroge sur la pertinence de mentionner ses problèmes de dos aux transporteurs. Il indique qu’il ne réclame pas de compensation pour son problème de santé, qu’une longue période d’attente et un voyage dans un siège différent de celui qu’il a acheté ont exacerbé et non causé. Il demande plutôt une indemnisation pour les difficultés qu’il a rencontrées à la suite du refus des transporteurs d’honorer sa réservation. Il fait valoir que les transporteurs devraient être responsables des conséquences de leur retard et du fait qu’ils ne lui ont pas proposé un vol similaire à celui qu’il avait réservé. Il demande un billet complet en classe affaires ou le remboursement du prix qu’il a payé pour ses billets.

Turkish Airlines

[34] Turkish Airlines affirme que M. Taskin a communiqué avec le service des relations avec la clientèle de Turkish Airlines par courriel le 1er février 2019, afin de demander une modification de son itinéraire pour un voyage le 27 mars 2019, parce qu’il a acheté ses billets en croyant que le vol de Vancouver à Toronto serait assuré par un gros-porteur équipé de sièges entièrement inclinables. À ce moment-là, M. Taskin a indiqué qu’il avait pris ces vols à de nombreuses reprises, que l’aéronef exploité par Air Canada n’était prétendument pas le type d’aéronef habituel pour ce voyage et qu’il ne voulait pas voyager sur un aéronef A321.

[35] Turkish Airlines affirme que M. Taskin n’a jamais mentionné qu’il demandait ce changement en raison de problèmes de dos. Elle fait valoir qu’elle a le droit de facturer aux passagers les modifications volontaires de leurs réservations, et qu’elle était donc justifiée de refuser d’effectuer la modification demandée à moins que M. Taskin ne paie les frais applicables.

[36] Turkish Airlines déclare que le 20 mai 2019, le vol retour entre Istanbul et Toronto a été retardé de 2 heures et 38 minutes pour une raison opérationnelle. Elle confirme qu’elle a payé la compensation applicable à M. Taskin.

[37] Turkish Airlines indique qu’elle savait que M. Taskin allait rater son vol de correspondance à Toronto, et qu’elle a essayé de le réacheminer sur un vol équipé de sièges entièrement inclinables exploité par Lufthansa d’Istanbul à Vancouver avec une correspondance à Francfort, mais qu’il n’y avait pas de sièges en classe affaires disponibles sur ce vol.

[38] Elle admet que M. Taskin a demandé à être réacheminé sur un vol de Toronto à Vancouver dans un aéronef équipé de sièges entièrement inclinables le jour suivant. Bien qu’elle ait été initialement disposée à accéder à cette demande, Turkish Airlines a refusé de le faire parce que M. Taskin lui a demandé de couvrir les frais d’hôtel qu’il devait engager pour passer une nuit à Toronto.

[39] Turkish Airlines affirme que M. Taskin a été réacheminé sur le premier vol disponible exploité par Air Canada de Toronto à Vancouver, même si ce vol ne comportait pas de sièges entièrement inclinables. Elle fait valoir qu’elle était justifiée de le faire parce que M. Taskin n’a pas indiqué que sa demande de voyager le lendemain était attribuable à une quelconque déficience.

[40] Turkish Airlines soutient qu’elle ne peut pas se prononcer sur la question de savoir si M. Taskin a une déficience ou s’il en avait une au moment de ses vols. Elle fait valoir qu’aucun des documents déposés par M. Taskin ne prouve qu’il souffrait de problèmes de dos avant les vols ou qu’il l’a informée de ce prétendu problème de santé. Turkish Airlines fait valoir que le fait qu’il ne lui ait pas mentionné une quelconque déficience a rendu tout accommodement impossible.

[41] Comme il est impossible de savoir si M. Taskin avait une déficience, Turkish Airlines soutient que la question de savoir s’il était confronté à un obstacle est sans objet.

[42] Turkish Airlines conteste l’affirmation de M. Taskin selon laquelle il a payé un prix plus élevé pour ses billets afin de voyager de Vancouver à Toronto dans un aéronef équipé de sièges entièrement inclinables. Elle affirme que le prix d’un billet pour un voyage aller‑retour sur l’itinéraire de M. Taskin n’est pas établi en fonction du type d’aéronef et que le prix qu’il a payé est le plus bas prix offert pour un billet en classe affaires sur cet itinéraire.

[43] Turkish Airlines soutient que l’Office devrait rejeter la demande de M. Taskin. Elle affirme qu’au cours des 4 dernières années, M. Taskin a présenté 56 réclamations à son encontre concernant 29 vols. Elle indique qu’aucune des demandes n’est liée à une prétendue déficience.

Air Canada

[44] Air Canada soutient qu’elle ne devrait pas être partie au litige puisque M. Taskin a acheté son billet auprès de Turkish Airlines par l’intermédiaire d’une agence de voyages et que sa plainte n’est pas liée à une question d’accessibilité.

[45] Air Canada conteste l’affirmation de M. Taskin selon laquelle il est une personne ayant une déficience. Elle déclare qu’elle n’a jamais été informée des limitations de M. Taskin en matière de douleurs dorsales, que son service médical n’a pas de dossier médical récent sur lui portant sur de telles limitations, et que M. Taskin n’a pas démontré qu’il avait une déficience.

[46] Air Canada s’appuie sur la décision d’interprétation de l’Office, la décision no 33‑AT‑A‑2019, pour soutenir qu’une difficulté rencontrée au cours d’un déplacement ne devient pas automatiquement un obstacle justifiant une plainte d’accessibilité simplement parce qu’elle a été éprouvée par une personne ayant une déficience. Elle fait valoir que M. Taskin n’a pas rencontré d’obstacle ou de différence de traitement par rapport à un passager sans limitations et que la plainte porte sur sa réservation.

[47] Air Canada affirme que pendant le voyage de retour de M. Taskin, le 20 mai 2019, le vol de Turkish Airlines d’Istanbul à Toronto a subi un retard de 2 heures et 38 minutes, ce qui lui a fait rater son vol de correspondance avec Air Canada de Toronto à Vancouver, prévu sur un aéronef équipé de sièges entièrement plats. M. Taskin a ensuite été réacheminé par son agence de voyages sur un vol ultérieur d’Air Canada, dans un aéronef qui n’était pas équipé de sièges entièrement plats. Elle déclare avoir honoré la réservation de l’agence de voyages et avoir transporté M. Taskin de Toronto à Vancouver. Par conséquent, Air Canada soutient que M. Taskin a complété son itinéraire.

ANALYSE ET DÉTERMINATIONS

Turkish Airlines a-t-elle appliqué correctement les conditions de son tarif comme l’exige le paragraphe 110(4) du RTA?

[48] Le fardeau de la preuve repose sur la demanderesse, qui doit établir, selon la prépondérance des probabilités, que le transporteur n’a pas appliqué correctement les conditions de transport énoncées dans son tarif.

[49] Bien que M. Taskin ait déposé sa demande contre Turkish Airlines et Air Canada, la preuve établit que son billet a été émis par Turkish Airlines et que chaque vol — y compris les vols entre Vancouver et Toronto, qui étaient exploités par Air Canada — a été commercialisé par Turkish Airlines. L’Office conclut donc que le tarif de Turkish Airlines s’applique à l’itinéraire de M. Taskin et qu’Air Canada ne subira aucun préjudice si l’Office détermine la composante tarifaire de la demande sans donner à Air Canada l’occasion qu’elle a demandée de déposer des commentaires supplémentaires sur l’application du tarif.

[50] En se fondant sur les observations des parties et sur les cartes d’embarquement de M. Taskin, l’Office conclut de fait que M. Taskin a voyagé en classe affaires sur chaque vol de son itinéraire.

ITINÉRAIRE DE DÉPART

[51] Selon la règle 65(B)(1) de son tarif, Turkish Airlines émet des billets en fonction de la classe de service, et non en fonction du type de siège. La règle 85(B)(1) du tarif énonce en outre que Turkish Airlines peut changer d’aéronef sans préavis.

[52] Dans ce cas, M. Taskin a été transporté conformément au même horaire et dans la même classe que ceux indiqués sur le billet. L’Office conclut donc que Turkish Airlines a appliqué correctement la règle 65(B)(1) et la règle 85(B) de son tarif.

[53] En outre, en ce qui concerne la demande de M. Taskin d’obtenir une nouvelle réservation sur un vol équipé de sièges entièrement inclinables pour lequel Turkish Airlines a exigé des frais de modification de 600 euros, la règle 80(A)(3) du tarif prévoit que Turkish Airlines percevra toute différence entre le prix et les frais applicables au billet original d’un passager et ceux applicables à un itinéraire modifié demandé par le passager. Comme M. Taskin n’a pas fait valoir un besoin lié à une déficience à l’origine de sa demande, l’Office conclut que Turkish Airlines a correctement appliqué la règle 80(A)(3) du tarif lorsqu’elle a refusé de changer le vol de M. Taskin sans frais.

ITINÉRAIRE À L’ARRIVÉE

[54] Les parties conviennent que l’itinéraire à l’arrivée de M. Taskin a été affecté par un retard de vol à Istanbul qui lui a fait rater son vol de correspondance à Toronto, et que Turkish Airlines a déjà indemnisé M. Taskin pour le retard de vol qu’il a subi en conséquence.

[55] Lorsqu’un passager rate un vol de correspondance en raison d’une perturbation d’horaire, en application de la règle 80(C) du tarif, Turkish Airlines doit organiser le transport du passager ou effectuer un remboursement involontaire au titre de la règle 90.

[56] Bien que M. Taskin demande le remboursement du coût de son billet en raison du changement d’équipement, l’Office a toujours conclu qu’il n’y a aucune raison d’ordonner le remboursement d’un billet lorsque le voyage a été effectué. Dans ce cas, les remboursements involontaires prévus par la règle 90(D) du tarif ne sont disponibles que pour les passagers qui sont empêchés de voyager avec leur billet.

[57] Étant donné que M. Taskin a été transporté sur le premier vol disponible et dans la même classe que celle prévue sur le billet, quoique dans un aéronef sans sièges entièrement inclinables, l’Office conclut que Turkish Airlines a appliqué correctement la règle 80(C) de son tarif.

[58] De même, bien que M. Taskin allègue qu’un coût supplémentaire est associé aux sièges entièrement inclinables, le tarif ne prévoit pas de différence de prix pour les variations de commodités (comme les sièges spéciaux) qui sont incluses dans une classe de service particulière. Dans une décision antérieure, à savoir la décision no 61-C-A-2020 (Borsato c Air Canada), l’Office a conclu qu’une disposition tarifaire stipulant que toutes les commodités peuvent ne pas être disponibles pour une classe de produits ou de services particulière et qu’aucune compensation ne sera offerte pour cette non‑disponibilité était juste et raisonnable au sens de l’article 111(1) du RTA.

M. Taskin est-il une personne ayant une déficience au sens de la partie V de la LTC?

[59] L’Office a longtemps soutenu qu’une personne faisant une demande en vertu du paragraphe 172(1) de la LTC doit d’abord démontrer qu’elle a une déficience au sens de la partie V de la LTC.

[60] M. Taskin indique qu’il a des problèmes de dos qui ont été exacerbés par le fait d’être assis en position semi-redressée pendant 5 heures sur un vol d’Air Canada de Toronto à Vancouver le 20 mai 2019. M. Taskin a déposé un résumé de sortie d’urgence daté du 28 mai 2020, lequel indique un diagnostic primaire de douleur dorsale chronique d’une durée de plus de deux semaines. Il a également déposé une note d’un médecin datée du 29 mai 2019, laquelle indique qu’il s’est blessé au dos. Bien que ces notes laissent entendre que M. Taskin a souffert d’un problème de dos à un moment donné après son voyage, elles ne montrent pas qu’il avait une déficience au sens de la LTC au moment du voyage. L’Office conclut que les renseignements médicaux déposés par M. Taskin décrivent une affection courante qui n’entraîne pas automatiquement une déficience, étant donné qu’il existe un large spectre de gravité des symptômes ou des limitations d’activité pour ce type d’affection. En outre, ces informations médicales ne montrent pas comment son état a directement affecté ou limité sa participation au réseau de transport le 20 mai 2019, ce qui aurait nécessité un accommodement.

[61] Par conséquent, l’information déposée par M. Taskin concernant ses problèmes de dos ne satisfait pas à l’obligation de démontrer qu’il avait, au moment du voyage, une déficience au sens de la partie V de la LTC. Par conséquent, l’Office conclut que M. Taskin n’a pas établi qu’il avait, au moment du voyage, une déficience au sens de la partie V de la LTC.

[62] De plus, l’Office conclut qu’il n’y a aucune preuve que M. Taskin a effectivement fait valoir une déficience ou qu’il a demandé un accommodement pour cette déficience à Air Canada ou à Turkish Airlines. Au mieux, il semble que M. Taskin se soit plaint aux transporteurs, au moment du voyage, que le fait de s’asseoir dans un siège inclinable de type berceau pour un long vol lui ferait mal au dos, mais cela n’atteint pas le degré de la déficience.

[63] À la lumière de ce qui précède, l’Office rejette la partie de la demande déposée en vertu du paragraphe 172(1) de la LTC.

[64] M. Taskin aborde ce problème d’un point de vue contractuel. Il dit préférer les sièges entièrement inclinables parce qu’il a des problèmes de dos. Il fait donc l’effort de réserver, sur de longs vols, seulement des billets qui offrent ce type de sièges, et il paie un supplément pour ces billets, car ces types de sièges sont uniquement disponibles dans les classes de service supérieures. Toutefois, comme le démontrent la présente affaire et d’autres, les tarifs des transporteurs ne garantissent généralement pas un type de siège particulier; ils garantissent uniquement un siège dans une classe de service similaire.

[65] M. Taskin a déclaré à plusieurs reprises qu’il ne pense pas que son problème de santé soit pertinent à la question en litige, mais c’est là que réside son problème. Certaines personnes ayant une déficience peuvent avoir besoin de sièges spécifiques pour répondre à leurs besoins liés à leur déficience, et une fois qu’elles ont démontré leurs besoins liés à leur déficience au transporteur, celui-ci est généralement tenu de fournir des accommodements pour y répondre. Cependant, la personne doit s’identifier comme une personne ayant une déficience auprès du transporteur et faire une demande d’accommodement auprès du transporteur. En outre, lorsque l’accommodement requis est lié au siège, il est recommandé aux personnes ayant une déficience de faire cette démarche — s’identifier et demander un accommodement — au moment de la réservation ou dès que possible après celle-ci, afin de s’assurer de bénéficier d’un accommodement approprié, car le transporteur peut également leur demander de fournir à l’avance des informations médicales pour justifier leur besoin d’accommodement lié à leur déficience. Par conséquent, si M. Taskin a des besoins liés à une déficience qui peuvent être satisfaits par des sièges entièrement inclinables, il devrait, à l’avenir, divulguer cette information au transporteur au moment de la réservation et demander l’accommodement dont il a besoin par l’intermédiaire du service médical du transporteur.

CONCLUSION

[66] L’Office conclut que Turkish Airlines a appliqué correctement les règles 65(B)(1) et 85(B) du tarif en ce qui concerne le changement d’équipement sur l’itinéraire de départ de M. Taskin et la règle 80(C) du tarif en ce qui concerne le changement d’équipement sur son itinéraire à l’arrivée. Par conséquent, M. Taskin n’a pas droit à un remboursement et l’Office rejette la partie de la demande déposée en vertu du paragraphe 110(4) du RTA.

[67] L’Office conclut également qu’il n’a pas été établi que M. Taskin avait, au moment du voyage, une déficience au sens de la partie V de la LTC ni qu’il a correctement divulgué toute déficience ou tout besoin lié à une déficience aux transporteurs avant le voyage ou au moment de ce dernier. Par conséquent, l’Office rejette la partie de la demande déposée en vertu de l’article 172(1) de la LTC.

[68] À la lumière de ce qui précède, l’Office rejette la demande.


ANNEXE À LA DÉCISION No 38-AT-C-A-2021

International Passenger Rules and Fares Tariff No. TK-1 Containing Local and Joint Rules, Fares and Charges on Behalf of Turk Hava Yollari, Anonim Ortakligi (Turkish Airlines, Inc.) c/o/b as Turkish Airlines Applicable to the Transportation of Passengers and Baggage between Points in United States/Canada and Points in Areas 1/2, NTA(A) No. 530

Remarque : Le tarif de Turkish Airlines a été déposé en anglais seulement.

Rule 65 TICKETS

(B) VALIDITY

General

(1)  When validated, the ticket is good for carriage from the airport at the place of departure to the airport at the place of destination, via the route shown therein and for the applicable class of service and is valid for one year from the date or commencement of flight, except as otherwise specified in the carrier’s tariffs. Each flight coupon will be accepted for carriage on the date and flight for which accommodation had been reserved.

….

Rule 80 REVISED ROUTINGS, FAILURE TO CARRY AND MISSED CONNECTIONS

(A) CHANGES REQUESTED BY PASSENGER

(1)  At the passenger’s request, carrier will effect a change in the routing (other than the point of origin), carrier(s), class(s) of service, destination, fare or validity specified in an unused ticket, flight coupon(s) or Miscellaneous Charges Order by issuing a new ticket or by endorsing such unused ticket, flight coupon(s) or Miscellaneous Charges Order, provided that:

(a)  Such carrier issued the original ticket or;

(b)  Such carrier is the carrier designated in the “via carrier” box, or no carrier is designated in the “via carrier” box, of the unused
      flight coupon or Miscellaneous Charge Order for the first onward carriage from the point on the route at which the passenger
      desires the change to commence …; or

(c)  Such carrier has received written or telegraphic authority to do so from the carrier entitled, under (a) or (b) above, to effect the
      change.

(2)  When the rerouting results in a change of fare, the new fare and charges shall be constructed as follows;

(a)  The new fare shall be calculated upon the basis of that which would have been applicable had the passenger purchased
       transportation for the revised itinerary (which includes those points for which transportation has already been completed) prior to
       departure from point of origin.

(b)  Additional passage at the through fare and charges shall not be permitted unless request therefore has been made prior to arrival
      at the destination named on the original ticket or Miscellaneous Charge Order; and, after carriage has commenced:

....

(3)  Any difference between the fares and charges applicable under paragraph (2) above, and the fares and charges paid by the passenger, will be collected from the passenger by the carrier accomplishing the rerouting who will also pay to the passenger any amounts due to account of refunds.

….

(B) INVOLUNTARY REVISED ROUTING

In the event carrier cancels a flight, fails to operate according to schedules, substitutes a different type of equipment or different class of service, or is unable to provide previously confirmed space … carrier will either:

(1)  Carry the passenger on another of its passenger aircraft on which space is available; or

(2)  Endorse to another carrier or to any other transportation service the unused portion of the ticket for purposes of rerouting; or

(3)  Reroute the passenger to destination named on the ticket or applicable portion thereof by its own services or by other means of
      transportation; and, if the fare, excess baggage charges and any applicable service charge for the revised routing is higher than
      the refund value of the ticket or applicable portions as determined from Rule 90 (REFUNDS) herein, carrier will require no
      additional payment from the passenger, but will refund the difference if the fare and charges for the revised routing are lower, or

(4)  Make involuntary refund in accordance with the provisions of Rule 90 (REFUNDS) herein.

(C) MISSED CONNECTIONS

In the event a passenger misses an onward connecting flight on which space has been reserved for him/her because the delivering carrier did not operate its flight according to schedules, or changed the schedule of such flight, the delivering carrier will arrange for the carriage of the passenger or make involuntary refund in accordance with Rule 90 (REFUNDS) herein.

….

Rule 85 SCHEDULES, DELAYS AND CANCELLATIONS

(B) CANCELLATIONS

(1)  Carrier may, without notice, substitute alternate carriers or aircraft.

….

Rule 90 REFUNDS

(D) INVOLUNTARY REFUNDS

See also Rule 80 (REVISED ROUTINGS, FAILURE TO CARRY AND MISSED CONNECTIONS) and Rule 87 (DENIED BOARDING COMPENSATION) For the purpose of this paragraph, the term “Involuntary Refund” shall mean any refund to a passenger who is prevented from using the carriage provided for in his ticket because of cancellation of flight, inability of carrier to provide previously confirmed space, substitution of a different type of equipment or different class of service by carrier, missed connections, postponement or delay of flight, omission of a scheduled stop, or removal or refusal to carry under conditions prescribed in Rule 25 (REFUSAL TO TRANSPORT—LIMITATIONS OF CARRIER). Involuntary refunds will be computed as follows:

….

Membre(s)

Elizabeth C. Barker
J. Mark MacKeigan
Heather Smith
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