Décision n° 417-C-A-2013

le 30 octobre 2013

DEMANDE présentée par Swiss International Air Lines Ltd. exerçant également son activité sous le nom de Swiss en vertu de l’article 32 de la Loi sur les transports au Canada, L.C. (1996), ch.10, modifiée.

No de référence : 
M4120-3/13-04139

DEMANDE

[1] Swiss International Air Lines Ltd. exerçant également son activité sous le nom de Swiss (Swiss), en vertu de l’article 32 de la Loi sur les transports au Canada (LTC), a demandé à l’Office des transports du Canada (Office) de réviser, d’annuler ou de modifier la décision no 239-C-A-2013 (décision), ou d’entendre à nouveau cette demande.

[2] Dans la décision, l’Office a statué sur des plaintes déposées par Alexander Brewer, Xian Cong Jow, Nan Liu, Jeffrey Kwok, Gerald Jacobs, Khang Tran et Richard Wu (plaignants) contre Swiss au sujet de l’annulation de billets. L’Office a enjoint à Swiss, en partie, de :

  1. verser une indemnisation à M. Brewer au plus tard le 18 juillet 2013, pour toutes les dépenses qu’il a engagées à la suite de l’annulation de son billet, ainsi que pour les dépenses qu’il a engagées pour le billet de remplacement qu’il a acheté, moins le coût de son billet initial, sur présentation à Swiss des deux billets et de tous les reçus.
  2. permettre aux autres plaignants et à leurs compagnons de voyage (lorsqu’une déclaration d’autorisation signée a été remise à l’Office) d’être transportés, au même prix et dans la même classe de service prévus dans leur réservation initiale, entre les points indiqués dans les billets initiaux délivrés par Expedia ou Travelocity. Swiss devait se conformer à cette mesure au plus tard le 18 juin 2014, sur présentation à Swiss des billets initiaux.

QUESTION

[3] Y a-t-il eu des faits nouveaux ou une évolution des circonstances depuis que la décision a été rendue qui justifient une révision, une annulation ou une modification de la décision?

POSITIONS DES PARTIES

Swiss

[4] Swiss fait valoir qu’au cours de l’instance initiale, les seuls renseignements que l’Office a demandés à Swiss dans la lettre d’ouverture des actes de procédure du 27 février 2013 étaient ce qui suit :

[traduction]

Une explication détaillée de l’incident technique qui a fait en sorte que les prix des billets en question ont été mis à la disposition des diverses agences de voyage auprès desquelles les plaignants ont acheté les billets qui ont par la suite été annulés.

[5] Swiss soutient que même si l’Office a demandé les renseignements précis énoncés ci-dessus aux fins de l’audience, d’autres faits et circonstances entourant la décision sont survenus en raison de l’enquête en cours de Swiss dans cette affaire et qui sont pertinents pour la question.

[6] Swiss présente les faits nouveaux et les nouvelles circonstances présumés suivants à l’appui de sa demande de révision :

  1. Le fait que M. Kwok avait pris connaissance du « prix attribuable à une erreur » et qu’il l’a mentionné dans ses billets de blogue des 3 et 17 juin 2013;
  2. La Cour supérieure du New Jersey, États-Unis d’Amérique, a émis une ordonnance et une lettre d’opinion le 20 juin 2013 rejetant la demande d’un plaignant contre Swiss découlant de circonstances presque identiques à celles du cas présent.

Plaignants

M. Brewer

[7] M. Brewer indique que l’affirmation de Swiss est en grande partie une reformulation d’arguments déjà présentés, qui ne constituent pas des faits nouveaux ou une évolution des circonstances. M. Brewer affirme qu’il n’arrive pas à saisir la pertinence des billets de blogue de M. Kwok en ce qui a trait aux questions examinées dans la plainte, et que Swiss a simplement démontré que M. Kwok préconise la prudence lors de la réservation de soi-disant « prix attribuables à une erreur » après que l’Office ait statué en faveur des plaignants.

[8] M. Brewer soutient que la décision d’un tribunal étranger ne constitue pas « un fait nouveau ou une évolution des circonstances ».

M. Jow

[9] M. Jow fait valoir que les points soulevés par Swiss ont déjà été soulevés et démontrent en grande partie qu’il n’y a pas eu de faits nouveaux ou une évolution des circonstances. M. Jow soutient que l’opinion de M. Kwok n’a aucune conséquence sur cette instance ni sur les billets en classe affaires et en première classe de M. Jow. Ce dernier allègue en outre que le fait qu’un ou plusieurs blogueurs proclament qu’un prix est une erreur ne signifie pas que c’est réellement le cas. M. Jow ajoute qu’Internet étant ce qu’il est, n’importe qui peut proclamer n’importe quoi, et Swiss ne devrait pas présumer que le blogueur savait de quoi il parlait à moins qu’elle ait une preuve que le blogueur avait accès à de l’information de l’Airline Tariff Publishing Company (ATPCo) et de l’Association du transport aérien international (IATA). M. Jow indique que Swiss ne devrait pas conclure que tous les clients qui ont acheté des billets à ce prix savaient qu’il s’agissait d’un prix attribuable à une erreur à moins qu’elle puisse en fournir la preuve.

[10] M. Jow fait valoir que les instances dans d’autres juridictions sont sans pertinence pour la présente affaire. Il soutient que l’Office n’a pas le pouvoir de considérer des lois étrangères lorsqu’il prend une décision en vertu de sa loi habilitante, et qu’il ne s’agit pas « d’un fait nouveau ou d’une « évolution des circonstances » qui justifient la réouverture de la décision de l’Office.

M. Liu

[11] M. Liu soutient qu’il n’y a pas « de faits nouveaux ou une évolution des circonstances » en l’espèce, et que tout ce qui se trouve dans la présentation de Swiss a été présenté et plaidé de façon répétitive par Swiss dans ses présentations précédentes. M. Liu ne comprend pas pourquoi les commentaires personnels de M. Kwok sur son propre blogue auraient un rapport avec le cas de M. Liu, et selon M. Liu, cela n’est pas pertinent.

[12] M. Liu fait également valoir qu’il n’est pas pertinent de faire référence à un cas civil qui a eu lieu aux États-Unis d’Amérique.

M. Jacobs

[13] M. Jacobs s’oppose à la demande puisque, selon lui, il n’y a pas eu de nouveaux motifs ou de nouvelles circonstances depuis que la décision a été rendue. M. Jacobs fait valoir qu’il est presque impossible pour les clients de faire la différence entre les prix de vente ou les prix fortement réduits et des « prix attribuables à une erreur », car les prix peuvent varier grandement et rapidement.

[14] En ce qui a trait aux développements dans d’autres juridictions, M. Jacobs affirme qu’ils ne sont pas pertinents en l’espèce. Il soutient que si Swiss souhaite faire référence à des décisions dans d’autres juridictions, elle doit faire référence à toutes les décisions relatives aux bas prix des vols en partance de Yangon, Myanmar, et non seulement à celles qui étaient en faveur de Swiss.

ANALYSE ET CONSTATATIONS

[15] Conformément à l’article 32 de la LTC, l’Office peut réviser, annuler ou modifier une décision qu’il a rendue en raison de faits nouveaux ou en cas d’évolution, selon son appréciation, des circonstances de l’affaire visée par cette décision.

[16] La procédure de révision prévue à l’article 32 de la LTC n’accorde à l’Office qu’un pouvoir limité de revenir sur ses décisions. En fait, l’Office ne peut exercer le pouvoir qui lui est conféré en vertu de cet article que s’il y a eu des faits nouveaux ou une évolution des circonstances entourant l’affaire visée par une décision en particulier depuis que celle-ci a été rendue. Il ne s’agit pas non plus d’un mécanisme d’appel. Les parties qui souhaitent interjeter appel d’une décision de l’Office peuvent le faire devant la Cour d’appel fédérale en vertu de l’article 41 de la LTC.

[17] La pratique de l’Office a été élaborée dans la décision no 488-C-A-2010. L’Office doit commencer par déterminer s’il y a eu un changement des faits ou une évolution des circonstances de l’affaire visée par la décision. Si aucun changement de ce type n’existe, la décision reste valable. Si, en revanche, l’Office conclut qu’il y a eu des faits nouveaux ou une évolution des circonstances depuis que la décision a été rendue, il doit alors déterminer si ce changement est suffisant pour justifier une révision, une annulation ou une modification de la décision.

[18] Le libellé de l’article 32 doit généralement être interprété comme intéressant seulement les faits ou les circonstances qui n’existaient pas au moment de l’audience initiale ou qui n’étaient pas susceptibles d’être découverts par le demandeur par l’exercice d’une diligence raisonnable à ce moment.

[19] Le fardeau de la preuve incombe à la partie qui demande la révision de fournir à l’Office des éléments de preuve et des explications démontrant qu’il y a eu des faits nouveaux ou une évolution des circonstances depuis que la décision a été rendue. La partie qui demande la révision doit aussi expliquer en quoi le changement présumé a une incidence sur l’issue de l’affaire.

[20] L’Office a examiné les éléments de preuve déposés par les parties. Il incombe à Swiss de démontrer qu’il y a eu des faits nouveaux ou une évolution des circonstances depuis que la décision a été rendue. L’Office est d’avis que Swiss ne s’est pas acquittée de ce fardeau.

[21] En ce qui a trait aux billets de blogue de M. Kwok des 3 et 17 juin 2013, ceux-ci ont été affichés après la fermeture des actes de procédure, mais avant que la décision soit rendue. En faisant preuve de diligence, Swiss aurait pu les découvrir avant que la décision soit rendue. Rien n’a empêché Swiss de déposer une motion pour rouvrir les actes de procédure et de présenter ses arguments relativement au « prix attribuable à une erreur ».

[22] L’importance présumée de ces billets de blogue est liée à une allégation de Swiss selon laquelle des « consommateurs prédateurs » cherchent délibérément des « prix attribuables à une erreur » et réservent des billets. Swiss prétend que cette pratique est illégale aux termes du droit contractuel, mais cela n’est pas la question visée dans la décision.

[23] Par conséquent, l’Office conclut que les billets de blogue de M. Kwok des 3 et 17 juin 2013 ne constituent pas des faits nouveaux ou une évolution des circonstances, et il n’est donc pas nécessaire de se pencher sur la deuxième étape du critère.

[24] En ce qui a trait à la décision de la Cour supérieure du New Jersey mentionnée par Swiss, cette décision a été rendue le 20 juin 2013, après la décision. Swiss fait valoir que cette décision devrait être considérée comme un fait nouveau ou une évolution des circonstances et que ses conclusions devraient être suivies en fonction de l’uniformité internationale. Swiss affirme aussi que le règlement 49 CFR 41712 partie 399.88(a) du département des Transports des É.-U., la loi fédérale des É.-U. gouvernant la hausse par les transporteurs aériens du prix des billets après achat, ne s’applique pas aux faits et ne s’applique pas au Canada, et ne relève pas de la compétence de l’Office. L’Office n’est pas convaincu des raisons pour lesquelles Swiss est d’avis que l’Office devrait s’en remettre à une décision unique d’un tribunal d’État, mais devrait ignorer le Code of Federal Regulations des É.-U. et les documents d’orientation publiés par l’Office of the Assistant General Counsel for Aviation Enforcement and Proceedings, qui indique qu’une disposition d’un contrat transport qui permet l’annulation de billets achetés ne rend pas la pratique légale, même lorsque le transporteur offre par erreur un tarif aérien en raison d’un problème informatique ou d’une erreur humaine. Sans statuer sur l’affaire, il est suffisant aux fins de la présente instance d’indiquer que la décision d’un seul tribunal étranger n’est pas une raison, en elle-même, pour annuler ou réviser une décision en vertu du droit canadien, surtout lorsqu’il existe des éléments de preuve qui pourraient entrer en conflit avec les décisions de l’autorité aéronautique du même pays. La première étape du critère, pour une demande déposée en vertu de l’article 32 de la LTC, est de déterminer s’il y a eu « des faits nouveaux ou une évolution des circonstances ». Les décisions individuelles des tribunaux dans des juridictions étrangères n’entrent généralement pas dans cette catégorie.

[25] L’Office a conclu dans la décision que Swiss n’avait pas démontré qu’une erreur technique s’était réellement produite et, par conséquent, que Swiss n’a pas correctement appliqué la règle tarifaire 5(F). C’est la question qui, selon Swiss, devrait être examinée. Lors de l’audience qui a mené à la décision, l’Office a précisément demandé à Swiss de produire la preuve d’une erreur technique, mais elle ne l’a pas fait. Les détails de cette prétendue erreur technique ont été découverts par Swiss en septembre 2012, et Swiss l’a corrigée à ce moment-là. Les causes générales de cette prétendue erreur ont été discutées au cours des actes de procédure du cas initial en mars 2013, mais la preuve précise requise par l’Office n’a pas été fournie. Aucun « fait nouveau ou aucune évolution des circonstances » ayant trait à cette affaire n’a été présenté par Swiss, et l’Office conclut que Swiss n’a pas démontré qu’il y a eu « des faits nouveaux ou une évolution des circonstances » qui justifieraient une révision de la décision.

CONCLUSION

[26] L’Office rejette la demande de Swiss, en vertu de l’article 32 de la LTC, visant à réviser, à annuler ou à modifier la décision, ou à entendre à nouveau cette demande, laquelle décision exige que Swiss indemnise un plaignant pour toutes les dépenses engagées en raison de l’annulation de son billet, au plus tard le 18 juillet 2013; et permette à tous les autres plaignants d’être transportés selon les mêmes conditions et au même prix que le billet qu’ils ont réservé à l’origine, au plus tard le 18 juin 2014.

[27] En réponse à une demande visant la suspension de la décision jusqu’à ce que l’Office fasse une détermination sur la demande de révision de Swiss en vertu de l’article 32 de la LTC et jusqu’à ce que la demande d’autorisation d’interjeter appel devant la Cour d’appel fédérale de Swiss soit réglée, l’Office a suspendu la décision, à l’exception de la demande de justification. L’Office note que la Cour d’appel fédérale a rejeté la demande d’autorisation d’appel de Swiss. La présente décision s’agit de la décision finale sur la demande de Swiss en vertu de l’article 32 de la LTC. Par conséquent, l’Office lève la suspension de la décision, dès maintenant.

[28] De plus, l’Office prolonge le délai imposé à Swiss pour verser une indemnisation à M. Brewer au 29 novembre 2013. L’Office prolonge également le délai imposé à Swiss pour transporter les plaignants à n’importe quelle date précisée par chaque plaignant, au plus tard le 30 octobre 2014.

Membre(s)

Sam Barone
Raymon J. Kaduck
Date de modification :