Décision n° 426-C-A-2013
PLAINTE déposée par Marilyn Gibbins contre Société Air France exerçant son activité sous le nom d’Air France concernant la perte de bagages.
INTRODUCTION
[1] Marilyn Gibbins a déposé une plainte auprès de l’Office des transports du Canada (Office) contre Société Air France exerçant son activité sous le nom d’Air France (Air France) relativement aux difficultés qu’elle a éprouvées lors d’un voyage entre le Canada et l’Europe.
QUESTIONS
- Air France a-t-elle respecté les dispositions de son tarif intitulé International Passenger Rules and Fares Tariff NTA(A) No. 313 (tarif) relativement à la responsabilité en matière de bagages en refusant d’indemniser Mme Gibbins, contrevenant ainsi au paragraphe 110(4) du Règlement sur les transports aériens, DORS/88‑58, modifié (RTA)? Si oui, à quelle indemnisation Mme Gibbins a‑t‑elle droit?
- La règle 115(N)(1) du tarif d’Air France est-elle incompatible avec le paragraphe 2 de l’article 17 de la Convention pour l’unification de certaines règles relatives au transport aérien international – Convention de Montréal (Convention de Montréal), et par conséquent déraisonnable au sens du paragraphe 111(1) du RTA?
- La règle 55(D)(5)(a)(i) du tarif d’Air France est-elle incompatible avec le paragraphe 1 de l’article 35 de la Convention de Montréal, et par conséquent déraisonnable au sens du paragraphe 111(1) du RTA?
EXTRAITS LÉGISLATIFS APPLICABLES
[2] Les dispositions de la Convention de Montréal et les dispositions réglementaires pertinentes à cette affaire sont présentées en annexe.
POSITIONS DES PARTIES
Mme Gibbins
[3] Mme Gibbins fait valoir que son bagage n’est pas arrivé à Montréal avec le vol no AF348 d’Air France, et qu’elle a fait la file pendant un « long moment » à l’aéroport avant de pouvoir signaler la perte de son bagage. Elle indique qu’un employé d’Air France, Didier Vandeperre, lui a confirmé que le bagage avait été placé à bord de son vol à Paris; toutefois, selon Mme Gibbins, M. Vandeperre ne lui a offert aucune assistance et ne lui a pas remis de formulaire de réclamation, et lui a dit de chercher son bagage elle‑même. Mme Gibbins explique qu’elle s’est ensuite rendue aux toilettes avant de signaler son problème au service à la clientèle, car elle voulait absolument retrouver son bagage. Elle soutient que des « heures se sont écoulées » et que le personnel d’Air France ne lui offrait toujours aucune assistance.
[4] Mme Gibbins soutient que suivant le conseil du service à la clientèle, elle a utilisé un téléphone à ligne directe pour communiquer avec le service des bagages perdus d’Air France et qu’elle a été mise en attente à deux reprises. Selon Mme Gibbins, lorsqu’elle a parlé à M. Vandeperre du service des bagages perdus, elle a mentionné que cela faisait des heures qu’elle se trouvait à l’aéroport tentant de retrouver son bagage. Mme Gibbins affirme que M. Vandeperre l’a mise en attente encore une fois et qu’après 30 minutes la ligne a été coupée. Elle a tenté d’appeler de nouveau, mais la ligne était toujours occupée.
[5] Mme Gibbins indique qu’à son retour à la maison, elle a communiqué immédiatement avec le service central des bagages perdus d’Air France et qu’on lui a dit que puisqu’elle avait appelé dès son retour à la maison (dans les trois heures suivant son départ de l’aéroport), elle serait remboursée pour le bagage perdu et son contenu.
[6] Mme Gibbins soutient qu’Air France persiste à rejeter sa réclamation, même si on lui a indiqué précédemment qu’elle serait remboursée. Elle affirme qu’Air France, même si elle confirme que Mme Gibbins s’est plainte auprès du service des bagages perdus à l’aéroport, n’accepte pas sa réclamation, car elle n’a pas rempli un formulaire de réclamation. Mme Gibbins fait valoir que la seule raison pour laquelle le formulaire n’a pas été rempli est que M. Vandeperre a refusé de l’aider et ne lui a pas remis le formulaire nécessaire.
[7] Le ou vers le 29 juin 2012, Mme Gibbins a remis à Air France un formulaire de réclamation pour son bagage pour un montant total de 4 404,97 $.
Air France
[8] Air France reconnaît les faits suivants :
- Mme Gibbins a enregistré un bagage de 18 kg pour le vol no AF348;
- à son arrivée à Montréal, elle s’est présentée au comptoir des bagages (situé dans l’aire de récupération des bagages), prétendant que son bagage était manquant et demandant à remplir un rapport de perte matérielle (RPM);
- Mme Gibbins a été informée que les dossiers confirmaient que son bagage avait été placé sur le vol no AF348, qu’il était arrivé et qu’il était trop tôt pour ouvrir un RPM;
- Mme Gibbins a par la suite quitté l’aire de récupération des bagages et a appelé le comptoir des bagages (de l’intérieur de l’aérogare), prétendant qu’elle avait quitté la salle par inadvertance et qu’elle ne pouvait y retourner pour remplir un RPM en personne; elle a alors demandé que l’agent prenne ses renseignements au téléphone;
- l’agent l’a mise en attente, pendant qu’il est allé fouiller la salle pour trouver le bagage prétendument manquant;
- jusqu’à présent, Air France n’a pas réussi à retrouver le bagage prétendument manquant de Mme Gibbins.
Délais
[9] Air France soutient que Mme Gibbins insiste sur le fait qu’en plus du « long » moment qu’elle a passé à attendre ou à chercher son bagage, elle a aussi passé un temps considérable à faire la file au comptoir des bagages ou au téléphone pendant qu’on l’avait mise en attente. Air France fait remarquer que dans sa plainte du 19 septembre 2012 à l’Office, Mme Gibbins prétend précisément ce qui suit : [traduction] « j’ai passé des heures à l’aéroport à tenter de retrouver mon bagage (...), je voulais absolument retrouver mon bagage, etdes heures se sont écoulées, et le service et l’agent des bagages perdus d’Air France ne m’offraient toujours aucune aide (...), et j’ai été mise en attente à deux reprises. (...) Il m’a mise en attente encore une fois [NOTE : elle réfère ici à la seconde fois où elle prétend avoir été mise en attente] refusant de m’aider, etaprès avoir été en attente pendant environ 30 minutes, la ligne a été coupée ».
[10] Air France fait valoir que dans une plainte connexe contre Air France pour le prétendu manque d’assistance avec fauteuil roulant à l’aéroport, Mme Gibbins prétend aussi qu’elle a [traduction] « fait la file pendant au moins 20 minutes la première fois où elle s’est présentée au comptoir, a dû attendre en ligne ENCORE UNE FOIS pendant plus de 20 minutes, et a été mise en attente pendant au moins une demi‑heure ».
[11] Air France souligne que dans un message FIDELIO adressé à Air France le 27 août 2012, Mme Gibbins prétend avoir cherché son bagage et être demeurée en ligne pendant « TROIS HEURES ».
[12] Air France soutient que tout au plus 40 à 50 minutes se sont écoulées entre le moment où Mme Gibbins s’est présentée au carrousel à bagages et s’est mise à la recherche d’un chariot et le moment où la ligne a été coupée et où elle a présumément quitté l’aérogare. Air France explique que cela comprend le temps passé dans l’aire de récupération des bagages, et par la suite à l’extérieur dans l’aire ouverte au public d’où elle a fait son appel. Air France propose le scénario suivant relativement à cette question :
- le vol no AF348 a atterri à 20 h 48 et est arrivé à la porte à 20 h 52;
- le débarquement des passagers prend habituellement de 15 à 20 minutes, et on estime donc que Mme Gibbins a commencé à recevoir de l’aide de l’agent « d’accueil » vers 21 h 10;
- en tenant compte du temps requis pour passer les contrôles d’immigration (formalités d’entrée) et pour ensuite se rendre à l’aire de récupération des bagages, Mme Gibbins est arrivée au carrousel à bagages entre 21 h 20 et 21 h 25;
- vers 21 h 30, une annonce a été faite demandant à deux passagers (dont les bagages avaient été retardés) de se présenter au comptoir des bagages; à la suite de cette annonce, de nombreux passagers, y compris Mme Gibbins, se sont présentés au comptoir pour s’informer de leurs propres bagages;
- le quart de travail de M. Vandeperre, l’agent qui s’est occupé de Mme Gibbins au comptoir des bagages, s’est terminé à 22 h 15;
- M. Vandeperre et Minesh Patel, un employé de Manutention Swissport Canada Inc. qui se trouvait à proximité, se rappellent tous deux que Mme Gibbins a téléphoné au comptoir et parlé à M. Vandeperre 10 à 15 minutes avant la fin de son quart, ce qui place l’appel à environ 22 h.
[13] À l’appui de sa présentation, Air France a déposé des affidavits de M. Vandeperre et de M. Patel.
Suite des événements au comptoir des bagages
[14] Air France affirme Mme Gibbins s’est présentée une seule fois au comptoir des réclamations d’Air France dans l’aire de récupération des bagages pour se plaindre que son bagage était manquant. Air France fait remarquer que les vérifications faites à ce moment‑là ont montré que son bagage avait été placé à bord de son vol et qu’il était donc arrivé à Montréal (ce que confirment les affidavits déposés par Rémi Couturier et Martine Heiler, respectivement). Air France fait aussi remarquer que le bagage pouvait toujours se trouver sur le carrousel et qu’il a été déterminé qu’une autre tentative devait être faite pour retrouver le bagage de Mme Gibbins dans l’aire de récupération des bagages. Air France affirme que sa priorité était que Mme Gibbins retrouve son bagage, y compris les appareils médicaux qui pouvaient s’y trouver, avant qu’elle quitte les lieux.
[15] Air France fait valoir qu’elle a suggéré à Mme Gibbins de retourner vérifier le carrousel d’Air France, et aussi de vérifier le carrousel des bagages hors format, avant de revenir au comptoir. Air France indique que Mme Gibbins était mécontente de cette suggestion, puisque le fait de chercher son bagage signifiait qu’elle devrait quitter l’aéroport plus tard, alors que signaler sa perte signifiait qu’elle pourrait quitter immédiatement et s’attendre à ce que son bagage lui soit livré le jour suivant par Air France. Air France fait remarquer que Mme Gibbins a quitté l’aire de récupération des bagages sans se présenter de nouveau au comptoir.
Appel téléphonique subséquent de Mme Gibbins au comptoir des bagages
[16] Air France soutient que vers 22 h, Mme Gibbins a téléphoné à M. Vandeperre à partir de l’aire ouverte au public dans l’aérogare et que ce dernier n’a pas compris pourquoi elle avait quitté l’aire de récupération des bagages sans d’abord se présenter de nouveau au comptoir, comme on lui avait demandé de le faire. Air France souligne que Mme Gibbins a dit à M. Vandeperre qu’elle avait quitté la zone « par inadvertance » alors qu’elle cherchait les toilettes, et qu’il ne lui était plus permis d’y revenir par la suite et que, par conséquent, elle n’avait d’autre choix que de déposer un rapport de bagage perdu par téléphone. Air France prétend que Mme Gibbins a accusé M. Vandeperre d’avoir retardé son départ de l’aéroport en ne remplissant pas un rapport de bagage perdu lorsqu’elle lui a demandé de le faire, indiquant qu’il lui fallait faire trois heures de route pour retourner chez elle.
[17] Air France affirme que M. Vandeperre était convaincu que le bagage de Mme Gibbins était resté dans l’aire de récupération des bagages, et qu’il ne voulait pas qu’elle quitte l’aéroport sans son bagage, et lui a donc dit qu’il allait personnellement chercher son bagage. Air France souligne qu’il a mis Mme Gibbins en attente, qu’il s’est rendu à l’aire de récupération des bagages pour tenter de retrouver son bagage, qu’il n’y a trouvé aucun bagage restant et qu’il est revenu rapidement pour poursuivre sa conversation téléphonique avec Mme Gibbins, pour se rendre compte que la ligne avait été coupée. Air France explique que M. Vandeperre a attendu que Mme Gibbins téléphone de nouveau, mais qu’elle ne l’a jamais fait et qu’il n’y a eu par la suite aucun autre appel téléphonique ni aucune autre interaction entre eux.
[18] Air France fait valoir qu’il ne restait aucun bagage provenant du vol de Mme Gibbins dans l’aire de récupération des bagages ou dans la salle adjacente, où les conteneurs à bagages sont défaits après avoir été récupérés de la soute de l’aéronef.
[19] Air France reconnaît que de nombreuses raisons peuvent expliquer pourquoi un bagage est retardé ou manquant, notamment l’absence de lecture de l’étiquette du bagage, ce qui indiquerait que le bagage n’était pas sur le vol, ou un conteneur entier qui n’a pas été transporté. Air France soutient qu’aucune de ces situations ne s’applique dans le cas présent.
[20] Air France soutient avoir écarté la possibilité qu’il y ait eu méprise et qu’un passager ait pu confondre le bagage de Mme Gibbins avec le sien. Air France explique que lorsque l’on découvre qu’une valise semblable n’a pas été réclamée, le passager qui a fait l’erreur avise rapidement Air France de sorte que des dispositions puissent être prises pour que le bagage soit remis à son propriétaire légitime. Air France soutient que dans le cas présent, aucune méprise n’a été signalée, et aucun bagage n’a été laissé dans l’aire de récupération des bagages ou ailleurs dans l’aéroport.
[21] Air France fait valoir que bien qu’il soit reconnu que le transporteur est habituellement responsable de la perte d’un bagage enregistré survenue pendant le transport aérien, il incombe au passager de prouver qu’une telle perte a) a réellement eu lieu et b) qu’elle a eu lieu pendant que le bagage était sous le contrôle et la garde du transporteur. Air France explique qu’habituellement le passager signale simplement la perte du bagage enregistré au transporteur, que l’on présume toujours de la bonne foi du passager et que la déclaration est acceptée comme étant une preuve prima facie de cette perte. Air France fait remarquer que dans certains cas, les circonstances ou le comportement ou les déclarations d’un passager peuvent écarter cette présomption, et qu’en toute équité, un transporteur doit raisonnablement être en mesure de déterminer si une réclamation est valide avant d’y donner suite.
[22] Air France soutient que dans le cas présent l’ensemble de la preuve tend à démontrer que le bagage de Mme Gibbins a été livré au carrousel dans l’aire de récupération des bagages, et que le comportement et les déclarations de Mme Gibbins soulèvent un doute suffisant relativement à l’allégation selon laquelle le bagage a été perdu pendant qu’il était sous le contrôle et la garde du transporteur pour qu’Air France puisse raisonnablement conclure que Mme Gibbins ne s’est pas acquittée du fardeau de la preuve qui lui incombe.
[23] Air France fait valoir qu’un transporteur n’a pas à prouver au‑delà de tout doute raisonnable qu’aucune perte n’a eu lieu pendant que le bagage était sous son contrôle et sous sa garde. Le transporteur doit plutôt simplement démontrer qu’il y a suffisamment de preuves montrant que le bagage n’a peut‑être pas été perdu, ou que la déclaration du passager n’est peut‑être pas entièrement crédible, en particulier lorsque le passager, par son propre comportement, a fait en sorte de rendre difficile, voire impossible, sans justification raisonnable, de déterminer si la perte s’est produite ou non avant que le bagage soit livré à l’aire de récupération des bagages.
[24] Air France indique que la règle 55(D)(5)(a)(i) du tarif prévoit ce qui suit :
[traduction]
Tout bagage manquant doit impérativement être signalé au transporteur dès l’arrivée du vol. Toute déclaration effectuée ultérieurement pourra ne pas être prise en compte.
[25] Air France affirme qu’un transporteur doit être en mesure de déterminer si une réclamation est légitime et qu’il a le droit de faire des vérifications en temps opportun lorsqu’il reçoit une réclamation pour la perte d’un bagage.
[26] Air France soutient qu’en choisissant de quitter la salle, Mme Gibbins a fait en sorte qu’il devenait impossible pour Air France de faire enquête sur son allégation selon laquelle son bagage ne lui avait pas été remis.
Crédibilité
[27] Air France affirme qu’il y a certains éléments au cœur de la réclamation au titre des bagages de Mme Gibbins qui nuisent à sa crédibilité.
a) Raisons pour quitter l’aire de récupération des bagages
[28] Air France fait valoir que les raisons données par Mme Gibbins pour expliquer pourquoi elle n’est pas retournée au comptoir des bagages avant de quitter est qu’elle avait besoin d’utiliser les toilettes et qu’elle ne s’est pas rendue compte qu’elle quittait l’aire de récupération des bagages et qu’elle ne pourrait plus y revenir. Air France explique que l’aire de récupération des bagages dispose de toilettes publiques facilement accessibles et clairement indiquées, comme le montrent les photographies jointes à l’affidavit de Mme Heiler, et qu’il y a une seule sortie de l’aire de récupération des bagages, qui consiste en un corridor dans lequel les passagers font la file pour se prêter aux formalités douanières.
[29] Air France fait remarquer que l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) a installé plusieurs panneaux à l’entrée du corridor pour rappeler aux passagers de se préparer à se prêter aux formalités douanières, de vérifier qu’ils sont en possession de tous leurs bagages, et de bien s’assurer qu’il s’agit de leurs bagages et non ceux de quelqu’un d’autre. À cet égard, les photos de l’aire de récupération des bagages et de la sortie vers les aires ouvertes au public sont jointes à l’affidavit de Mme Heiler. Air France souligne que pour se rendre aux aires ouvertes au public, les passagers doivent remettre à un agent des douanes de l’ASFC un formulaire sur lequel ils ont indiqué les achats effectués pendant le voyage, et les exemptions qu’ils demandent. De plus, les passagers dont les bagages ne sont pas arrivés doivent aussi remettre le formulaire A23, qui autorise le transporteur à ouvrir les bagages retardés après leur arrivée, aux fins d’inspection douanière, sans que le passager n’ait à être présent. Air France soutient que Mme Gibbins n’avait pas ce formulaire, qui doit être rempli conjointement par le transporteur et le passager (comme le confirme un courriel du 28 mai 2013 de Marc Banville, chef intérimaire de l’exploitation à l’aéroport de Montréal pour l’ASFC, fourni par Air France). Air France soutient qu’elle n’a pas soumis de formulaire A23 relativement au bagage de Mme Gibbins, ni le 12 juin 2012, ni ultérieurement.
[30] Air France fait valoir qu’il est très difficile d’imaginer comment un passager, et encore moins une voyageuse expérimentée comme semble l’être Mme Gibbins (Air France fait remarquer que Mme Gibbins affirme voyager plusieurs fois par année), peut passer les douanes, remettre à un agent de l’ASFC au moins le formulaire de déclaration des achats et passer ensuite aux aires ouvertes au public sans se rendre compte de ce qu’il fait. Air France ajoute que Mme Gibbins n’a fourni aucune explication quant à savoir comment elle a pu passer les douanes et quitter l’aire de récupération des bagages sans présenter le formulaire A23.
b) Appareils médicaux
[31] Air France fait valoir que les documents fournis par Mme Gibbins indiquent que ses appareils médicaux étaient vieux de 17 mois et à la fin de leur vie utile lorsqu’ils auraient été perdus par Air France.
[32] Air France indique qu’en octobre 2012, on a demandé à Mme Gibbins une copie de sa facture pour le remplacement des appareils médicaux, et qu’elle a immédiatement répondu qu’elle n’avait pas encore remplacé ces appareils, en donnant l’explication suivante :
[traduction]
De plus, j’ai fourni les reçus des appareils médicaux perdus dans mon bagage,mais comme j’ai des revenus limités, j’ai été forcée d’attendre un règlement avec Air France pour remplacer ces articles en raison de leur coût élevé. Entre‑temps, j’ai tenté d’utiliser mes anciens appareils médicaux, mais j’ai de la difficulté et cela m’est dommageable. Cela sera aussi retenu contre Air France.
[33] Air France fait également valoir que malgré ses revenus prétendument limités, Mme Gibbins voyage fréquemment.
[34] Air France fait remarquer que dans la décision no LET‑AT‑A‑65‑2013, l’Office a décidé de ne pas inclure la plainte de Mme Gibbins concernant ses prétendus appareils manquants dans le contexte de sa demande d’accessibilité connexe en énonçant ce qui suit :
[traduction]
Dans la présente affaire, Mme Gibbins n’a pas démontré que les appareils médicaux qui selon elle se trouvaient dans son bagage étaient requis pour avoir accès au réseau de transport fédéral. Au contraire, les appareils se trouvaient dans un bagage enregistré, qui n’aurait pas été accessible entre l’enregistrement et l’arrivée, ce qui montre que les appareils n’étaient pas requis pour que Mme Gibbins puisse avoir accès au réseau de transport fédéral. Il faut aussi noter que si le contenu du bagage était requis pendant le voyage, les articles n’auraient pas dû être enregistrés avec celui‑ci. Par conséquent, l’Office conclut que les appareils médicaux que Mme Gibbins prétend avoir perdus avec son bagage feront l’objet de sa réclamation relative à la perte de son bagage.
[35] Air France soutient qu’il est difficile de concilier les allégations de Mme Gibbins selon lesquelles les appareils médicaux étaient essentiels à ses activités quotidiennes et les faits suivants :
- son empressement à signaler que son bagage était manquant, malgré le fait qu’on lui ait dit d’attendre lorsqu’elle s’est présentée au comptoir des bagages et qu’un agent l’aiderait à trouver ce bagage;
- son empressement à quitter l’aéroport et à retourner chez elle, malgré le fait que M. Vandeperre lui ait dit qu’il allait chercher son bagage dans l’aire de récupération des bagages;
- son allégation selon laquelle elle ne peut se permettre de dépenser les 540 $ nécessaires pour l’achat des appareils médicaux de remplacement, bien qu’elle ait la chance de pouvoir voyager plusieurs fois par année.
c) Autres incohérences
[36] Air France soutient que bien que Mme Gibbins prétende actuellement qu’elle s’est présentée deux fois au comptoir, ce n’est pas ce qu’elle avait signalé initialement dans les rapports de plainte FIDELIO d’Air France déposés respectivement les 13 juin (le jour suivant le vol) et le 21 juin 2012. Air France fait remarquer que ce n’est qu’après que sa réclamation ait été rejetée en juillet 2012 qu’elle a commencé à alléguer qu’Air France avait admis qu’il y avait eu une seconde visite. Air France réitère que Mme Gibbins s’est présentée au comptoir une seule fois avant de quitter les lieux.
[37] Par ailleurs, Air France estime qu’elle a rempli ses obligations envers la passagère en ce qui a trait à la livraison du bagage enregistré.
[38] Air France fait valoir que la règle 115(N)(1) de son tarif prévoit ce qui suit :
[traduction]
Le transporteur n’est pas tenu de vérifier si le porteur du bulletin de bagage et de l’étiquette (de récupération) de bagage est habilité à retirer le bagage livré, et le transporteur n’est responsable d’aucune perte, d’aucun dommage ou d’aucune dépense découlant de la livraison du bagage ou en rapport avec celle-ci.
[39] Air France soutient qu’en général, et à l’aéroport de Montréal en particulier, les transporteurs aériens livrent les bagages enregistrés aux passagers en les mettant sur un carrousel dans l’aire de récupération des bagages, où leurs propriétaires peuvent en prendre possession. Air France fait valoir qu’il s’agit d’une norme de l’industrie, conforme aux principes de l’Organisation de l’aviation civile internationale, en particulier ceux qui portent sur la facilitation, les aérodromes et les questions connexes. Air France indique que les passagers savent que leur bagage sera livré de cette manière, et qu’ils s’y attendent.
[40] Air France affirme qu’il lui serait virtuellement impossible d’exiger que les passagers montrent leur reçu de bagage avant d’être autorisés à passer à l’aire des douanes. Air France fait valoir que si tel était le cas, cela lui causerait un désavantage concurrentiel grave et injuste, à moins que tous les transporteurs soient assujettis à la même obligation. Air France affirme que cela déplacerait le problème, car l’aéroport de Montréal serait pointé comme étant un aéroport à éviter en raison de la lourde procédure de sortie. Air France soutient que le passager, et non le transporteur, est le mieux placé pour reconnaître son bagage et le récupérer du carrousel. Air France indique qu’à ce moment‑là, le bagage enregistré n’est plus sous le contrôle et la garde du transporteur, et que si le bagage est manquant après avoir été placé sur le carrousel, cela est attribuable aux actions d’une tierce partie, à l’égard desquelles le transporteur n’exerce aucun contrôle et n’accepte aucune responsabilité. Air France conclut donc qu’elle a rempli son obligation de livrer le bagage enregistré de Mme Gibbins en faisant en sorte qu’elle y ait accès dans l’aire de récupération des bagages à l’aéroport de Montréal.
Mme Gibbins
[41] Mme Gibbins affirme qu’Air France a admis les faits suivants dans diverses présentations et divers affidavits déposés auprès de l’Office, et dans les déclarations que les employés et les superviseurs au service central des bagages perdus lui ont faites les nombreuses fois où elle s’est adressée à eux au cours de la dernière année :
- Air France a perdu son bagage;
- Air France n’a pu retrouver le bagage au moment où elle a signalé sa perte à l’aéroport ou par la suite;
- elle a signalé la perte à M. Vandeperre au service des bagages perdus à plusieurs reprises avant de quitter l’aéroport;
- elle a signalé la perte au service central des bagages perdus d’Air France dès son retour à la maison et dans les délais requis par Air France;
- M. Vandeperre aurait dû lui remettre un rapport/formulaire de bagage perdu et ne l’a pas fait;
- M. Vandeperre aurait dû lui remettre le formulaire à fournir aux douanes, et ne l’a pas fait;
- Air France allait la rembourser pour la perte du bagage et de son contenu, et lui a donc transmis les formulaires à remplir et à retourner, ce qu’elle a fait, et les formulaires ont été acceptés.
[42] Mme Gibbins fait valoir que selon ces admissions, l’Office doit conclure qu’Air France a perdu son bagage et qu’Air France a la responsabilité de lui rembourser le contenu du bagage.
[43] Mme Gibbins soutient que la crédibilité d’Air France est douteuse étant donné sa façon d’agir, notamment :
- les déclarations contradictoires dans ses présentations; p. ex., pourquoi M. Vandeperre, l’agent à l’aéroport, a déclaré qu’il pouvait voir que son bagage avait été placé à bord de l’aéronef à Paris, alors que le service central des bagages perdus insistait pour dire que son système informatique indiquait que le bagage n’avait pas été placé à bord de l’aéronef;
- le temps qu’il a fallu initialement avant qu’elle se penche sur la situation;
- les retards délibérés pour régler la situation une fois son avocat impliqué, même après l’avoir informée qu’elle allait la rembourser et lui avoir envoyé les formulaires de réclamation;
- le refus de suivre son propre protocole et son tarif lorsqu’elle traite de la perte d’un bagage, notamment fournir les formulaires appropriés, chercher le bagage perdu, aider le passager lorsque la perte du bagage est signalée, téléphoner au passager pour répondre aux questions concernant le bagage perdu, etc.
[44] Mme Gibbins soutient qu’elle a fait la file pendant un long moment pour signaler que son bagage n’était pas sur le carrousel, et que M. Vandeperre n’a été d’aucune aide et qu’il avait une attitude hostile. Elle affirme qu’il a vérifié dans le système informatique le numéro d’étiquette de bagage qu’elle lui a donné et qu’il pouvait lui dire que son bagage avait été placé à bord de l’aéronef à Paris, mais cela va directement à l’encontre des déclarations des employés et des superviseurs au service central des bagages perdus, selon lesquelles même le jour suivant ils ne pouvaient lui dire initialement si le bagage avait été placé à bord de l’aéronef.
[45] Mme Gibbins soutient que M. Vandeperre n’a pas quitté le comptoir pour chercher son bagage, même après que tous les passagers aient quitté la zone et qu’il n’y avait pas de passagers au comptoir des bagages perdus. Elle affirme que M. Vandeperre ne lui a pas dit qu’il allait chercher son bagage, et que s’il était pour l’aider, il lui aurait dit qu’il y avait un formulaire à remplir et qu’elle devrait attendre à l’aéroport, mais il ne l’a pas fait. Elle fait valoir que si M. Vandeperre avait l’intention de l’aider ou de chercher son bagage, il lui aurait indiqué qu’il serait difficile de lui remettre son bagage ou de lui faire signer le formulaire une fois qu’elle aurait quitté l’aire de récupération des bagages, mais il ne l’a pas fait. Mme Gibbins soutient que M. Vandeperre n’a pas mentionné qu’elle devait présenter un formulaire à l’agent des douanes, même s’il savait qu’elle avait quitté l’aire de récupération des bagages à accès restreint pour utiliser les toilettes. Mme Gibbins réitère que M. Vandeperre ne lui a pas dit qu’il y avait des formulaires à remplir, et elle a supposé, puisqu’il avait entré le numéro de son étiquette de bagage dans l’ordinateur et qu’il avait accès à ses renseignements, qu’il avait entré les renseignements requis dans le système informatique.
[46] Mme Gibbins fait valoir qu’avant de passer aux douanes, elle a demandé à l’agent des douanes de lui indiquer où étaient situées les toilettes les plus proches, et qu’il ne lui a pas dit qu’elle quittait une zone réglementée, qu’elle ne pourrait pas retourner à l’aire de récupération des bagages après l’avoir quittée et qu’elle avait besoin d’un formulaire, et qu’il ne lui a pas demandé si elle avait perdu un bagage.
[47] Mme Gibbins affirme qu’après être revenue à la maison et avoir signalé la perte du bagage au service central des bagages d’Air France et après avoir téléphoné plusieurs fois par jour au cours des jours et des semaines qui ont suivi tant au service central des bagages qu’à l’aéroport même, Air France a déclaré à plusieurs reprises que l’agent à Montréal s’est montré négligent en ne lui fournissant pas le formulaire approprié, mais que cela ne compromettait pas sa réclamation. Mme Gibbins mentionne qu’elle a reçu des formulaires pour indiquer le contenu de son bagage, qu’elle a remplis et retournés. Elle indique qu’il n’a jamais été fait mention d’un formulaire des douanes que l’agent était censé lui avoir donné, et qu’Air France ne lui a jamais dit que l’agent avait cherché son bagage, malgré qu’Air France ait insisté à plusieurs reprises sur le fait qu’elle avait mené une enquête complète des événements et qu’elle avait parlé plusieurs fois à M. Vandeperre au cours de cette enquête.
[48] Mme Gibbins soutient qu’Air France a admis que M. Vandeperre avait la responsabilité de lui fournir les formulaires pour le bagage perdu et pour les douanes, mais qu’il ne l’a pas fait, et qu’après l’enquête menée par le service central des bagages perdus, on a estimé qu’Air France avait la responsabilité de la rembourser pour le bagage et son contenu. Mme Gibbins fait valoir que le fait qu’Air France lui ait transmis les formulaires à remplir démontre qu’Air France accepte sa responsabilité et son intention de la rembourser. Elle ajoute que les superviseurs ont été impliqués dans cette décision, qui n’a été prise qu’après une enquête exhaustive, et que ces superviseurs ont parlé à M. Vandeperre. Mme Gibbins soutient que M. Vandeperre cherche à se protéger en n’admettant aucune responsabilité relativement à la perte de son bagage, pour éviter d’être tenu responsable de la rembourser.
ANALYSE ET CONSTATATIONS
Question 1 : Air France a-t-elle respecté les dispositions de son tarif relativement à la responsabilité en matière de bagages en refusant d’indemniser Mme Gibbins, contrevenant ainsi au paragraphe 110(4) du RTA? Si oui, à quelle indemnisation Mme Gibbins a‑t‑elle droit?
[49] La disposition du tarif d’Air France régissant sa limite de responsabilité en matière de bagages perdus [règle 55(D)(4)(c)(i)] prévoit ce qui suit :
[traduction]
Montant du dommage réparable :
(i) Pour les bagages enregistrés et à l’exception d’actes ou d’omissions faits avec l’intention de causer un dommage ou imprudemment et avec la conscience qu’un dommage pourrait en résulter, la responsabilité du transporteur en cas de dommage sera limitée à 1 131 DTS par passager. Si une valeur supérieure a été déclarée, la responsabilité du transporteur sera limitée à la valeur déclarée, à moins qu’il ne puisse apporter la preuve que cette valeur est supérieure à l’intérêt réel du passager à la livraison.
[50] Dans la décision no 227‑C‑A‑2008 (Kelly McCabe c. Air Canada), l’Office a indiqué ce qui suit :
[...] si un transporteur accepte de transporter les bagages enregistrés et que ceux‑ci sont sous la garde et le contrôle du transporteur, ce dernier est responsable de ces bagages dans l’éventualité de perte ou d’avarie, [...].
[51] Par conséquent, pour que la plainte de Mme Gibbins soit accueillie, il lui incombe d’établir, selon la prépondérance des probabilités, que la perte de son bagage s’est produite pendant qu’il était sous la garde et le contrôle d’Air France.
[52] L’Office accepte la preuve soumise par Air France démontrant que le bagage de Mme Gibbins été placé sur le vol no AF348, mais ce fait en soi ne permet pas de soustraire Air France à sa responsabilité.
[53] Air France soutient qu’elle présume habituellement de la bonne foi du passager qui déclare la perte d’un bagage enregistré, et que la déclaration du passager est acceptée comme étant une preuve prima facie de cette perte. Air France affirme que, dans certains cas, les circonstances ou le comportement ou les déclarations d’un passager peuvent écarter cette présomption, et qu’un transporteur doit raisonnablement être en mesure de déterminer si une réclamation est valide.
[54] L’Office note qu’il y a des différences notables entre les présentations déposées par Mme Gibbins et celles d’Air France, notamment : le temps que Mme Gibbins aurait passé à l’aéroport de Montréal à tenter de retrouver son bagage; dans quelle mesure le personnel d’Air France l’a aidée à tenter de récupérer son bagage; et la nature et l’étendue de l’interaction entre Mme Gibbins et le personnel d’Air France relativement à cette affaire. L’Office note aussi qu’Air France doute des affirmations de Mme Gibbins concernant son départ de l’aire de récupération des bagages à accès restreint pour chercher des toilettes, et les formalités douanières de l’ASFC qui ont suivi.
[55] Lorsque des versions contradictoires des événements sont présentées par les parties, l’Office a statué précédemment, et récemment dans la décision no 444‑C‑A‑2012 (Boutin c. Air Canada), qu’il incombe au plaignant d’établir que sa version est la plus probable. Lorsqu’il examine les éléments de preuve, l’Office doit déterminer laquelle des versions est la plus probable, selon la prépondérance des probabilités.
[56] Pour déterminer quelle version est la plus probable, l’Office s’appuie sur l’arrêt Faryna c. Chorny, [1951] B.C.J. no 152 (CA.C.-B.) (QL); [1952] 2 D.L.R. 354, qui définit clairement le critère à appliquer quand une question de crédibilité est en litige. Le passage suivant de Faryna c. Chorny au paragraphe 11 présente le critère à appliquer :
[traduction]
[...]Le critère à appliquer consiste à faire un examen raisonnable de son récit afin de déterminer s’il est compatible avec les probabilités entourant les faits en l’espèce. Pour résumer, le véritable critère à appliquer pour confirmer la véracité des déclarations d’un témoin dans une affaire donnée consiste à examiner la compatibilité de ces déclarations avec la prépondérance des probabilités qu’une personne éclairée et sensée peut d’emblée reconnaître comme étant raisonnables dans telle situation et telles circonstances. Ce n’est qu’ainsi que le tribunal peut évaluer de façon satisfaisante la déposition de témoins à l’esprit alerte, sûrs d’eux-mêmes et expérimentés, ainsi que de ces personnes astucieuses qui s’y entendent en matière de demi‑mensonge et s’appuient sur une longue et fructueuse expérience dans l’art de l’exagération habile et l’occultation partielle de la vérité. En outre, il peut arriver qu’un témoin dise ce qu’il croit sincèrement être la vérité, mais se trompe en toute honnêteté [...].
[57] Lorsqu’il considère la crédibilité des parties, l’Office évalue la preuve et les présentations des deux parties. Lorsqu’il évalue les éléments de preuve, l’Office peut tirer des conclusions en se fondant sur une évaluation raisonnable et en rejetant les éléments de preuve incohérents.
[58] L’Office a examiné la preuve et conclut que la version des événements fournie par Air France est plus probable que celle présentée par Mme Gibbins. Air France a fourni des renseignements détaillés liés à cette affaire, avec des affidavits des employés en cause. L’Office conclut que les éléments de preuve fournis par Air France sont logiques et cohérents, et qu’ils soutiennent la version d’Air France quant à ce qui s’est produit. Par contre, les présentations de Mme Gibbins manquent de cohérence, par exemple en ce qui a trait au temps qu’elle a passé à l’aéroport de Montréal pour retrouver son bagage, et pour signaler sa prétendue perte.
[59] En particulier, la période que Mme Gibbins pourrait avoir passée à l’aéroport de Montréal pour tenter de retrouver son bagage est troublante. Mme Gibbins affirme dans sa plainte qu’elle a dû « faire la file à deux reprises pendant un long moment », qu’elle a dû « faire la file à plusieurs reprises et parcourir en marchant de longues distances », qu’elle voulait absolument trouver son bagage et que des « heures se sont écoulées » et qu’elle a passé « des heures à l’aéroport » pour tenter de trouver son bagage. Les faits, tels qu’ils ont été présentés par Air France de façon crédible et acceptés par l’Office, démontrent que l’aéronef a atterri à 20 h 48. Mme Gibbins s’est présentée au carrousel à bagages entre 21 h 20 et 21 h 25 approximativement. Vers 21 h 30, Mme Gibbins a signalé pour la première fois la perte de son bagage. Vers 22 h, elle a appelé Air France de l’extérieur de l’aire de récupération des bagages à accès restreint afin de signaler la perte de son bagage pour une seconde fois, après être passée aux douanes. Il semble que Mme Gibbins a fait peu d’effort pour retrouver son bagage avant de le déclarer perdu. L’Office se serait attendu à ce qu’une voyageuse comme Mme Gibbins prenne des mesures raisonnables pour retrouver le bagage avant de quitter l’aire de récupération des bagages à accès restreint. De plus, l’Office tire une conclusion défavorable de la version de Mme Gibbins avec ses descriptions exagérées relativement au temps écoulé et aux événements.
[60] Le manque de plausibilité des présentations de Mme Gibbins, combiné aux différences notables entre les présentations qu’elle a déposées et celles déposées par Air France, amène l’Office à douter de la crédibilité de Mme Gibbins.
[61] Selon la prépondérance des probabilités, l’Office conclut que Mme Gibbins n’a pas réussi à démontrer que la perte de son bagage s’est produite pendant qu’il était sous le contrôle d’Air France.
[62] L’Office conclut que Mme Gibbins ne s’est pas acquittée du fardeau de la preuve de démontrer qu’Air France a enfreint le paragraphe 110(4) du RTA et, par conséquent, rejette la demande d’indemnisation de Mme Gibbins.
Question 2 : La règle 115(N)(1) du tarif d’Air France est-elle incompatible avec le paragraphe 2 de l’article 17 de la Convention de Montréal, et par conséquent déraisonnable au sens du paragraphe 111(1) du RTA?
[63] Air France soutient qu’elle a rempli son obligation de livrer le bagage de Mme Gibbins en le plaçant sur le carrousel. À cet égard, Air France se rapporte à la règle 115(N)(1) de son tarif qui prévoit ce qui suit :
[traduction]
Le transporteur n’est pas tenu de vérifier si le porteur du bulletin de bagage et de l’étiquette (de récupération) de bagage est habilité à retirer le bagage livré, et le transporteur n’est responsable d’aucune perte, d’aucun dommage ou d’aucune dépense découlant de la livraison du bagage ou en rapport avec celle‑ci.
[64] La Convention de Montréal s’applique en l’espèce et a préséance sur toute condition de transport qui est contraire à la Convention. Le paragraphe 2 de l’article 17 de la Convention de Montréal prévoit notamment ce qui suit :
Le transporteur est responsable du dommage survenu en cas de destruction, perte ou avarie de bagages enregistrés, par cela seul que le fait qui a causé la destruction, la perte ou l’avarie s’est produit à bord de l’aéronef ou au cours de toute période durant laquelle le transporteur avait la garde des bagages enregistrés.
[65] Dans des décisions antérieures, l’Office s’est penché sur l’étendue de la responsabilité du transporteur en ce qui a trait à la livraison des bagages.
[66] Au paragraphe 26 de la décision no 211‑C‑A‑2004 (Zimmerman c. Skyservice), l’Office a déclaré ce qui suit :
Il est plus difficile de déterminer à quel moment le transport des bagages prend fin. La responsabilité du transporteur ne se termine pas au moment où les bagages sont remis à une tierce partie (p. ex. au personnel chargé des services d’escale dans les aéroports). Le transporteur ne peut prétendre être libéré de ses obligations vis‑à‑vis un requérant admissible à cet instant, car la période qui vient après l’atterrissage et au cours de laquelle les bagages sont entreposés auprès d’une tierce partie (dans les limites de l’aéroport), jusqu’à ce qu’ils soient remis au passager, est comprise dans le transport aérien (Elmar Giermulla et al., Warsaw Convention ‑ Commentary, La Haye, Pays‑Bas, Kluwer Law International, 1998, art. 18, à la page 25 [suppl. 15 (janvier 2002)], para. 35 [Référence à la note en bas de page no 2 OLG Cologne, 1982, TranspR 43 et 1982 ZLW 167]).
[67] De plus, au paragraphe 24 de la décision no 371‑C‑A‑2005 (Pednault c. Kelowna Flightcraft), l’Office a conclu ce qui suit :
Ainsi, un transporteur est responsable des soins et de la bonne garde des bagages qui lui sont confiés jusqu’à ce que les voyageurs récupèrent leurs bagages. Par conséquent, un transporteur est responsable de toute perte de bagages ou d’articles contenus dans les bagages au cours de cette période, y compris la période pendant laquelle les bagages sont confiés à une tierce partie. Le manque de diligence du transporteur et de ses agents dans un tel cas peut mener directement à la perte de biens sans qu’il n’y ait faute ou négligence de la part du passager.
[68] En outre, au paragraphe 88 de la 467‑C‑A-2012">décision no 467‑C‑A-2012 (Lukács c. United), l’Office a conclu ce qui suit :
[...]L’Office estime qu’au cours de la période où le bagage est soumis à des inspections de sûreté, il est sous la garde du transporteur. L’énoncé à la règle 28(D)(4) qui prévoit que United n’est pas responsable de la destruction, de la perte, de l’avarie ou du retard des bagages se produisant au cours de cette période est une disposition qui exonère United de sa responsabilité pour la destruction, la perte ou l’avarie des bagages d’une façon qui va à l’encontre du paragraphe 17(2) de la Convention de Montréal.
[69] Dans ces décisions, l’Office a conclu, entre autres, que le transporteur respecte son obligation contractuelle seulement lorsque le voyageur récupère son bagage. L’Office note que l’allégation d’Air France selon laquelle elle a respecté son obligation de livrer le bagage de Mme Gibbins en le plaçant sur le carrousel contredit ce principe.
[70] À la lumière de ce qui précède, l’Office est d’avis, à titre préliminaire, que la règle 115(N)(1) du tarif d’Air France est incompatible avec le paragraphe 2 de l’article 17 de la Convention de Montréal, et par conséquent déraisonnable au sens du paragraphe 111(1) du RTA.
Question 3 : La règle 55(D)(5)(a)(i) du tarif d’Air France est-elle incompatible avec le paragraphe 1 de l’article 35 de la Convention de Montréal, et par conséquent déraisonnable au sens du paragraphe 111(1) du RTA?
[71] Air France soutient, en référence à la règle 55(D)(5)(a)(i) de son tarif, qu’en quittant l’aire de récupération des bagages, Mme Gibbins a fait en sorte qu’il était impossible pour Air France d’enquêter sur son allégation selon laquelle son bagage ne lui a pas été livré dans l’aire de récupération des bagages.
[72] La règle 55(D)(5)(a)(i) du tarif d’Air France prévoit ce qui suit :
[traduction]
[…]Tout bagage manquant doit impérativement être signalé au transporteur dès l’arrivée du vol. Toute déclaration effectuée ultérieurement pourra ne pas être prise en compte.[…]
[73] La Convention de Montréal ne prévoit pas d’exigence concernant la transmission d’un avis pour signaler la perte d’un bagage. Le seul délai imposé par la Convention de Montréal concernant les réclamations relatives à la perte d’un bagage est prévu au paragraphe 1 de l’article 35, qui s’applique de manière générale aux actions intentées en vertu de la Convention. Le paragraphe 1 de l’article 35 prévoit ce qui suit :
L’action en responsabilité doit être intentée, sous peine de déchéance, dans le délai de deux ans à compter de l’arrivée à destination, ou du jour où l’aéronef aurait dû arriver, ou de l’arrêt du transport. Le mode du calcul du délai est déterminé par la loi du tribunal saisi.
[74] À la lumière de ce qui précède, l’Office est d’avis, à titre préliminaire, que la règle 55(D)(5)(a)(i) du tarif d’Air France est incompatible avec le paragraphe 1 de l’article 35 de la Convention de Montréal, et par conséquent déraisonnable sens du paragraphe 111(1) du RTA.
SOMMAIRE DES CONCLUSIONS
Question 1
[75] L’Office conclut que Mme Gibbins ne s’est pas acquittée du fardeau de la preuve de démontrer qu’Air France a contrevenu au paragraphe 110(4) du RTA et, par conséquent, rejette sa demande d’indemnisation pour la perte alléguée de son bagage.
Question 2
[76] L’Office conclut, à titre préliminaire, que la règle 115(N)(1) du tarif d’Air France est incompatible avec le paragraphe 2 de l’article 17 de la Convention de Montréal, et par conséquent déraisonnable au sens du paragraphe 111(1) du RTA.
Question 3
[77] L’Office conclut, à titre préliminaire, que la règle 55(D)(5)(a)(i) du tarif d’Air France est incompatible avec le paragraphe 1 de l’article 35 de la Convention de Montréal, et par conséquent déraisonnable au sens du paragraphe 111(1) du RTA.
DEMANDE DE JUSTIFICATION
[78] L’Office donne à Air France l’occasion de justifier d’ici le (dans les 30 jours suivant la date de cette décision) les raisons pour lesquelles l’Office ne devrait pas rejeter les règles 115(N)(1) et 55(D)(5)(a)(i) de son tarif au motif qu’elles sont incompatibles avec le paragraphe 2 de l’article 17 et avec le paragraphe 1 de l’article 35 de la Convention de Montréal, respectivement, et par conséquent déraisonnables au sens du paragraphe 111(1) du RTA.
[79] Si Air France ne répond pas à la demande de justification, les règles 115(N)(1) et 55(D)(5)(a)(i) seront rejetées à compter du 9 décembre 2013. Air France devra, dans ce cas, retirer de son site Web tout renvoi à ces dispositions à compter de cette date.
ANNEXE
Règlement sur les transports aériens
Paragraphe 110(4)
Lorsqu’un tarif déposé porte une date de publication et une date d’entrée en vigueur et qu’il est conforme au présent règlement et aux arrêtés de l’Office, les taxes et les conditions de transport qu’il contient, sous réserve de leur rejet, de leur refus ou de leur suspension par l’Office, ou de leur remplacement par un nouveau tarif, prennent effet à la date indiquée dans le tarif, et le transporteur aérien doit les appliquer à compter de cette date.
Paragraphe 111(1)
Les taxes et les conditions de transport établies par le transporteur aérien, y compris le transport à titre gratuit ou à taux réduit, doivent être justes et raisonnables et doivent, dans des circonstances et des conditions sensiblement analogues, être imposées uniformément pour tout le trafic du même genre.
La Convention de Montréal
Article 17 – Mort ou lésion subie par le passager - Dommage causé aux bagages
2. Le transporteur est responsable du dommage survenu en cas de destruction, perte ou avarie de bagages enregistrés, par cela seul que le fait qui a causé la destruction, la perte ou l’avarie s’est produit à bord de l’aéronef ou au cours de toute période durant laquelle le transporteur avait la garde des bagages enregistrés. Toutefois, le transporteur n’est pas responsable si et dans la mesure où le dommage résulte de la nature ou du vice propre des bagages. Dans le cas des bagages non enregistrés, notamment des effets personnels, le transporteur est responsable si le dommage résulte de sa faute ou de celle de ses préposés ou mandataires.
Article 35 - Délai de recours
1. L’action en responsabilité doit être intentée, sous peine de déchéance, dans le délai de deux ans à compter de l’arrivée à destination, ou du jour où l’aéronef aurait dû arriver, ou de l’arrêt du transport.
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