Décision n° 49-C-A-2020

le 2 juillet 2020

DEMANDE présentée par Deborah Jones-Fabbri (partie demanderesse) contre WestJet au titre de du paragraphe 67(3) de la Loi sur les transports au Canada, LC 1996, c 10 (CTA).

Numéro de cas : 
19-02881

RÉSUMÉ

[1] La partie demanderesse a déposé une demande auprès de l’Office des transports du Canada (Office) contre WestJet concernant le refus de WestJet de la transporter sur le vol no WS652.

[2] La partie demanderesse demande une indemnisation d’un montant de 178,51 CAD pour l’hébergement à l’hôtel et de 95 CAD pour les frais de taxi jusqu’à l’aéroport de Calgary. Elle demande également un remboursement du coût de son billet, d’un montant de 588,65 CAD.

[3] L’Office se penchera sur la question de savoir si WestJet a correctement appliqué les conditions énoncées dans la règle 105 de son tarif intitulé Local Domestic Tariff, CTA(A) No 1 (tarif), comme l’exige le paragraphe 67(3) de la LTC.

[4] Pour les motifs énoncés ci-après, l’Office conclut que WestJet a correctement appliqué les conditions énoncées à la règle 105 de son tarif lorsqu’elle a refusé de transporter la demanderesse. La demande est donc rejetée.

CONTEXTE

[5] La partie demanderesse devait prendre le vol no WS652 de WestJet le 5 janvier 2019 de Calgary (Alberta) à Toronto (Ontario). Après être montée à bord de l’avion, elle s’est vu refuser le transport sur ce vol à la suite d’une dispute qu’elle a eue avec un agent de bord au sujet d’une demande qu’elle avait faite de changer de siège pour passer du siège du milieu à un siège côté hublot ou côté allée.

[6] Après s’être vu refuser le transport, la partie demanderesse a été réacheminée par WestJet sur le vol n° WS670 et a pu prendre son vol le lendemain. Le billet du vol initial a été échangé, de sorte qu’elle n’a pas reçu de remboursement pour le vol initial ni payé de sa poche pour le nouveau vol.

OBSERVATION PRÉLIMINAIRE

[7] L’Office constate que la partie demanderesse a demandé le remboursement de son billet. Toutefois, WestJet a fait en sorte qu’elle puisse terminer son voyage sur l’un de ses vols subséquents. Conformément à la décision no 53-C-A-2018 (Rotilio c Air Canada), l’Office peut accorder une indemnisation pour les dépenses supportées en raison de la non-application du tarif d’un transporteur, mais il n’ordonne pas le remboursement du billet dans les cas où le demandeur a terminé son voyage.

LA LOI ET LES DISPOSITIONS TARIFAIRES PERTINENTES

[8] Le paragraphe 67(3) de la LTC indique ce qui suit :

Le titulaire d’une licence intérieure ne peut appliquer à l’égard d’un service intérieur que le prix, le taux, les frais ou les conditions de transport applicables figurant dans le tarif en vigueur publié ou affiché conformément au paragraphe (1).

[9] L’article 67.1 de la LTC indique ce qui suit :

S’il conclut, sur dépôt d’une plainte, que le titulaire d’une licence intérieure a, contrairement au paragraphe 67(3), appliqué à l’un de ses services intérieurs un prix, un taux, des frais ou d’autres conditions de transport ne figurant pas au tarif, l’Office peut, par ordonnance, lui enjoindre :

a) d’appliquer un prix, un taux, des frais ou d’autres conditions de transport figurant au tarif;

b) d’indemniser toute personne lésée des dépenses qu’elle a supportées consécutivement à la non-application du prix, du taux, des frais ou des autres conditions qui figuraient au tarif;

c) de prendre toute autre mesure corrective indiquée.

[10] Les dispositions pertinentes du tarif de WestJet sont énoncées à l’annexe.

POSITIONS DES PARTIES ET CONSTATATION DE FAITS

La partie demanderesse

[11] La partie demanderesse déclare qu’elle était montée à bord du vol n° WS652 pour rentrer chez elle à Toronto depuis Calgary, avec un billet acheté à un tarif de deuil suite au décès de sa mère, lorsque le refus de transport est survenu. La partie demanderesse fait valoir qu’elle a été maltraitée par l’agent de bord lorsqu’elle a été expulsée du vol.

[12] La partie demanderesse déclare qu’elle a demandé à changer de siège parce que le siège qui lui avait été attribué était le siège du milieu dans la rangée de secours, au-dessus de l’aile. Elle a d’abord demandé à l’agent au comptoir, mais sa demande a été refusée. La demanderesse a de nouveau demandé à bord de l’avion lorsqu’elle a vu que deux autres passagers dans la rangée devant la sienne changeaient de sièges, mais sa demande a été refusée. Elle affirme qu’on lui a refusé l’assistance pour un changement de siège qui avait pourtant été proposé aux autres passagers.

[13] La partie demanderesse soutient que l’agent de bord avec lequel elle a interagi l’a traitée de manière impolie, s’est montré agressif et lui a parlé d’une voix excessivement forte. La partie demanderesse décrit plusieurs exemples où l’agent de bord lui a parlé de façon impolie au sujet de l’entreposage de son manteau et d’autres problèmes. La partie demanderesse déclare que l’agent de bord lui a finalement dit : [traduction] « Je n’aime pas votre attitude et je veux que vous descendiez de cet avion ». Elle affirme que des commentaires ont été faits sur le fait qu’elle voyageait sur un billet acheté à un tarif de deuil. La partie demanderesse ajoute qu’elle a finalement quitté l’aéronef quand l’équipage a menacé d’appeler la police.

[14] La partie demanderesse a été accueillie par un employé de WestJet une fois qu’elle est débarquée de l’aéronef. Selon la partie demanderesse, cet employé l’a accusée d’être en état d’ébriété. La partie demanderesse conteste qu’elle était en état d’ébriété et déclare qu’elle n’a bu qu’un seul verre de vin au souper.

[15] La partie demanderesse a alors demandé à obtenir une réservation sur le prochain vol disponible. Plus précisément, on lui avait parlé d’un vol qui partait bientôt et qui avait deux places disponibles. Toutefois, ce vol était complet au moment où elle a été expulsée de l’aéronef et elle n’a pu obtenir une nouvelle réservation que le jour suivant, sur le vol n° WS670. La partie demanderesse déclare qu’elle et son mari se sont renseignés par téléphone au sujet d’autres vols offerts par d’autres transporteurs, mais qu’elle a décidé de prendre un vol avec WestJet pour éviter des frais supplémentaires.

[16] La partie demanderesse déclare qu’elle a ensuite appelé le 911 parce qu’elle avait peur et qu’elle voulait que la situation soit documentée. Elle ajoute que la police est arrivée dans un délai de 5 à 7 minutes et que cette dernière l’a aidée à localiser l’hôtel de l’aéroport.

[17] La partie demanderesse a pris le vol n° WS670 le lendemain. Elle soutient qu’elle a également été maltraitée sur ce vol et qu’on lui a donné un mauvais siège. En outre, la partie demanderesse fait valoir que si elle était vraiment indisciplinée, il n’est pas logique que WestJet ait accepté de la réacheminer sur un autre vol si peu de temps après l’incident.

[18] En ce qui concerne les preuves fournies par le transporteur, la partie demanderesse fait valoir que les différentes déclarations sous serment des employés de WestJet sont remplies d’incohérences et qu’elle conteste dans une large mesure la manière dont WestJet a caractérisé son comportement.

WestJet

[19] Conformément aux instructions de l’Office, WestJet a déposé les documents de vol et les déclarations sous serment de son personnel qui a interagi avec la partie demanderesse lorsque le transport lui a été refusé. Plus précisément, WestJet a déposé des déclarations sous serment du personnel suivant :

  • l’agent de bord qui a interagi avec la partie demanderesse à bord de l’avion;
  • l’agent du service à la clientèle qui a interagi avec la partie demanderesse à la porte;
  • le responsable des opérations qui a parlé à la partie demanderesse au moment où elle est débarquée de l’aéronef.

[20] Selon WestJet, la partie demanderesse a demandé à être déplacée d’un siège du milieu vers un siège côté allée. WestJet soutient qu’elle n’a pas pu satisfaire à la demande de la partie demanderesse en raison de l’absence de places disponibles dans l’aéronef. Elle ajoute que la partie demanderesse s’est vu offrir une place sur le prochain vol (vol n° WS804) qui devait partir peu après le vol n° WS652 et dans lequel des sièges côté hublot et côté allée étaient encore disponibles si elle le souhaitait. Toutefois, la partie demanderesse a refusé cette offre.

[21] WestJet soutient que la partie demanderesse s’est mise en colère contre l’agent de bord et lui a parlé d’une manière désagréable et agressive. Elle déclare qu’à ce stade, la décision a été prise de refuser de transporter la partie demanderesse. Cette dernière a été informée que la police locale serait appelée. La partie demanderesse est ensuite débarquée de l’aéronef.

[22] Toutefois, une fois débarquée de l’aéronef, la partie demanderesse a appelé le 911 pour tenter de remonter dans l’aéronef. Le service de police de Calgary est arrivé et a informé la partie demanderesse qu’il ne pouvait pas faire en sorte que l’équipage de WestJet l’autorise à voyager.

[23] WestJet a ensuite réacheminé la partie demanderesse sur un vol partant le lendemain (vol n° WS670). La partie demanderesse a été escortée hors de la zone sécurisée par le service de police de Calgary.

Constatation de faits

[24] Il est incontesté qu’après une dispute avec l’agent de bord concernant le changement de siège, la partie demanderesse s’est vu refuser le transport. Bien que WestJet ait offert à la partie demanderesse un siège côté hublot ou côté allée sur un autre vol partant ce soir-là (vol n° WS804), ce vol n’était plus disponible au moment où le transporteur lui a refusé le transport et l’a réacheminée. Il est également incontesté que la partie demanderesse a été réacheminée sur un vol le lendemain (vol n° WS670) sans frais supplémentaires.

ANALYSE ET DÉTERMINATIONS

[25] Le fardeau de la preuve repose sur la partie demanderesse, qui doit établir, selon la prépondérance des probabilités, que le transporteur aérien n’a pas appliqué correctement les conditions de transport énoncées dans son tarif. Dans le cas présent, le fardeau de la preuve revient à la partie demanderesse, qui doit établir qu’il était déraisonnable de la part de WestJet d’exercer son pouvoir discrétionnaire de refuser de la transporter en raison de son comportement.

[26] L’Office a soigneusement examiné les faits et les éléments de preuve présentés et il conclut que la partie demanderesse ne s’est pas acquittée du fardeau de la preuve qui lui incombait d’établir que le transport lui a été refusé de manière déraisonnable. La documentation de WestJet, qui comprend les déclarations sous serment des employés et les données du dossier passager associé, est cohérente en ce qui concerne l’incident. Bien que l’aéronef était plein et que WestJet n’avait pas d’autre siège disponible à offrir à la partie demanderesse, WestJet a cherché une autre place sur un vol ultérieur qui aurait pu répondre à ses besoins. La partie demanderesse a toutefois rejeté cette offre. Malgré cela, d’après les éléments de preuve présentés par WestJet, la partie demanderesse a continué à demander de manière agressive un changement de siège une fois à bord de l’aéronef, bien qu’on lui ait déjà dit qu’il était plein.

[27] Dans la décision no 61-C-A-2018 (Brighouse c Air Canada), l’Office a noté que la décision de refuser le transport doit être prise par l’équipage en temps réel et rapidement lors de l’embarquement, et que la sécurité de l’aéronef et des passagers est primordiale. La sécurité et la sûreté aériennes sont régies par de nombreuses exigences législatives. Bien qu’il ne revienne pas à l’Office d’examiner la conformité à ces exigences, celles-ci demeurent utiles pour comprendre le contexte de la sûreté aérienne dans lequel les transporteurs aériens mènent leurs activités et les passagers doivent voyager. Plus précisément, le transporteur est tenu, en vertu de l’article 602.46 du Règlement de l’aviation canadien, DORS/96-433 (RAC), de refuser de transporter une personne si les actes ou les déclarations de la personne, au moment de l’enregistrement ou de l’embarquement, indiquent qu’elle peut présenter un risque pour la sécurité de l’aéronef, des personnes ou des biens. Au titre du paragraphe 602.05(1) du RAC, le passager est également tenu de se conformer à toutes les directives et instructions de l’équipage.

[28] Les éléments de preuve présentés par WestJet indiquent une opinion raisonnable de la part de l’équipage selon laquelle la partie demanderesse serait indisciplinée et peu disposée à se conformer à toutes les directives et instructions de l’équipage. Il est bien sûr primordial que la décision de refuser le transport soit raisonnable, fondée sur des faits et prise de bonne foi. Rien dans le dossier n’indique que ce n’était pas le cas en l’espèce. Par conséquent, l’Office conclut que la décision de WestJet de refuser de transporter la partie demanderesse en raison de son comportement était raisonnable.

[29] Bien que la partie demanderesse fasse valoir que la volonté de WestJet de la réacheminer sur le prochain vol disponible est la preuve qu’elle n’était pas indisciplinée, l’Office est d’avis que la mesure prise par WestJet était proportionnelle à l’incident. Les mesures prises par WestJet dans le cas présent reflètent les évaluations du comportement et des faits à un moment précis et n’impliquent pas nécessairement, en soi, une quelconque opinion quant à un comportement futur qui empêcherait la partie demanderesse d’être transportée sans incident par WestJet sur un vol ultérieur.

[30] Bien que la partie demanderesse voyageait dans des circonstances difficiles et stressantes à la suite du décès de sa mère, l’Office est néanmoins convaincu que WestJet avait des motifs raisonnables de refuser de transporter la partie demanderesse et qu’elle n’a droit à aucun remboursement des frais supportés conformément au tarif. Comme mentionné ci-dessus, la demanderesse a terminé son voyage avec WestJet le jour suivant, sans frais supplémentaires. Par conséquent, aucune partie inutilisée du billet n’avait à être remboursée à la partie demanderesse au titre de la règle 105.

CONCLUSION

[31] À la lumière de ce qui précède, l’Office rejette la demande.


ANNEXE À LA DÉCISION No 49-C-A-2020

Le tarif de Westjet intitulé Local Domestic Tariff, CTA(A) No. 1

La règle 105(B)(1)(b) indique que le transporteur peut refuser le transport à un passager pour des raisons de comportement, comme : « une conduite abusive, offensante, menaçante, intimidante, violente ou autrement désordonnée, et, de l’avis raisonnable du transporteur, s’il est possible que ce passager perturbe le confort ou la sécurité des autres passagers ou des employés du transporteur, ou y porte gravement atteinte, entrave l’exécution des tâches d’un membre d’équipage ou mette autrement en péril l’exploitation sécuritaire et adéquate du vol. »

La règle 105(B)(1)(d) indique qu’un passager peut aussi se voir refuser le transport s’il « fait défaut de se conformer aux directives du transporteur et de ses employés, y compris celle de cesser toute conduite interdite. »

La règle 105(C)(1) limite la responsabilité du transporteur ainsi :

[Traduction]

La responsabilité du transporteur dans les cas où il refuse de transporter un passager pour un vol particulier ou qu’il décide de faire descendre un passager en cours de route pour quelque raison que ce soit, précisée dans les paragraphes qui précèdent, se limite au remboursement de la partie inutilisée du billet du passager, comme le prévoit la règle 125.

Membre(s)

Elizabeth C. Barker
J. Mark MacKeigan
Date de modification :