Décision n° 565-C-A-2008

le 3 novembre 2008

le 3 novembre 2008

RELATIVE à une plainte déposée par le Centre pour la défense de l'intérêt public contre Air Canada.

Référence no M4120-3/08-03881


INTRODUCTION ET QUESTION

[1] Le Centre pour la défense de l'intérêt public (CDIP) a déposé une plainte auprès de l'Office des transports du Canada (l'Office) alléguant que le programme d'Air Canada « J'y serai » (le programme) est injustement discriminatoire, injuste ou déraisonnable. Le programme est un service d'assistance voyage qui peut être acheté moyennant des frais supplémentaires.

[2] Les frais et les conditions de transport se rapportant au programme établis dans le tarif intérieur d'Air Canada et dans le tarif transfrontalier d'Air Canada, NTA(A) No. 241 (les tarifs) sont-ils injustement discriminatoires et injustes et déraisonnables?

[3] Comme l'indiquent les motifs qui suivent, l'Office conclut que les dispositions d'Air Canada régissant le programme sont justes et raisonnables, et qu'elles ne sont pas injustement discriminatoires.

FAITS

[4] Le programme est entré en vigueur en Amérique du Nord le 13 mai 2008 et est offert au coût de 25 $CAN pour les vols court-courriers (jusqu'à 1 609 km/1 000 milles) ou de 35 $CAN pour les vols long-courriers (plus de 1 609 km/1 000 milles) par trajet simple. Il offre des services supplémentaires aux passagers lorsqu'il y a interruption d'un vol d'Air Canada ou d'Air Canada Jazz, peu importe la raison.

[5] Si un vol d'Air Canada ou d'Air Canada Jazz est interrompu, les voyageurs qui ont souscrit au programme ont accès à un groupe d'agents spécialement formés qui répondent aux besoins de transport de chacun, effectuent un changement de réservation pour un autre vol et, au besoin, leur fournissent une chambre d'hôtel, une voiture ou tout autre mode de transport terrestre, de même que des bons de repas.

PREUVES ET MÉMOIRES

[6] Le CDIP fait valoir que le programme est contraire aux obligations habituelles d'un transporteur lors d'une interruption de vol, car il donne lieu à différents niveaux de service et, par conséquent, il désavantage les passagers qui n'y ont pas souscrit. Le CDIP prétend que les passagers qui n'ont pas souscrit au programme seront nettement désavantagés dans le processus de changement de réservation.

[7] Le CDIP est d'avis que le programme est une tentative du transporteur de transformer une obligation en source de revenus. Il allègue que les services offerts dans le cadre du programme diffèrent très peu des attentes qu'ont toujours eues les passagers d'Air Canada à l'égard du service à la clientèle, et que ces services étaient auparavant offerts sans frais supplémentaires.

[8] Le CDIP soutient qu'il n'y a aucun lien entre les frais imposés pour le programme et les services fournis. Il fait valoir qu'Air Canada n'offre pas de garantie de niveau de service et qu'elle exerce un monopole comme fournisseur des services prévus par le programme. Le CDIP signale que le transporteur n'a pas établi de niveaux de service ou de procédures de remboursement dans l'éventualité où les clients ne sont pas satisfaits des services reçus dans le cadre du programme.

[9] Le CDIP indique que les services fournis par le programme sont des services de base obligatoires afférents à l'exploitation d'un transporteur aérien, et que ce programme confère aux passagers différents droits selon qu'ils souscrivent ou non au programme. Le CDIP soutient que cette structure à deux niveaux n'est pas raisonnable. Il ajoute que ce programme contrevient à la réglementation, car les conditions de transport doivent être appliquées sans préférence ou discrimination.

[10] Air Canada fait valoir que le programme est un service à volets multiples visant à fournir de l'assistance voyage en cas d'interruption d'un vol. Elle indique que les passagers qui choisissent de se prévaloir de cette assistance recevront rapidement une assistance personnalisée, et que les avantages du programme sont disponibles sans égard à la cause de l'interruption. Air Canada soutient aussi que le programme offre plus de souplesse aux passagers en ce qui a trait au changement de réservation.

[11] Air Canada indique que le programme est un service novateur mis en place après réception des commentaires des consommateurs qui exigent des services au-delà des normes de l'industrie et au-delà des exigences minimales prévues par la loi dans la règle 240 des tarifs. Air Canada cite également la décision de l'Office no 171-C-A-2007, dans laquelle ce dernier conclut que la règle 240 du transporteur est juste et raisonnable en ce qui a trait à la protection accordée aux passagers dans l'éventualité d'une interruption de vol.

[12] Air Canada fait valoir que ses obligations concernant l'offre de repas et d'hébergement ne s'appliquent qu'en cas de retard ou d'annulation d'un vol qui lui est imputable. Elle ajoute que ses obligations ne s'étendent pas aux interruptions de vol indépendantes de sa volonté comme les retards causés par le mauvais temps ou le contrôle de la circulation aérienne, et que cette position est conforme à la Convention de Montréal et à la position de l'Association du transport aérien international.

[13] Air Canada soutient que le programme a été conçu pour répondre aux besoins des passagers qui ne souhaitent pas engager de dépenses imprévues en cas d'interruption d'un vol, et qu'elle offre ce service en plus de ses obligations de base envers les passagers. Elle indique que ce programme offre plus de services en ce qui a trait aux options de transport, aux repas et à l'hébergement et que les frais imposés ne visent qu'à couvrir les dépenses engagées par le transporteur pour offrir ces avantages aux passagers ayant souscrit au programme. Air Canada ajoute que le programme est un service supplémentaire, qui s'apparente à l'achat d'un billet en classe affaires plutôt qu'en classe économique.

[14] Air Canada fait valoir que lorsqu'il y a interruption d'un vol, elle est tenue d'offrir ses propres services de transport à l'ensemble de ses passagers ou les services d'autres transporteurs avec lesquels elle a une entente. Air Canada indique que dans le cadre du programme, elle se procurera des billets auprès de tout transporteur offrant le service d'achat de billets électroniques, qu'elle ait ou non une entente avec celui-ci, ou, si un transport terrestre est acceptable, elle le fournira sans frais additionnels. Air Canada réfute la prétention du CDIP voulant que le transporteur réserve certains sièges pour les bénéficiaires du programme, et que ce produit lui accorde un monopole et soit discriminatoire.

[15] Air Canada fait valoir que le programme coïncide avec la position de l'Office selon laquelle les transporteurs aériens doivent être en mesure d'établir leurs conditions de transport comme bon leur semble, et selon l'essence de l'Accord relatif au transport aérien entre le gouvernement du Canada et le gouvernement des États-Unis d'Amérique qui vise à permettre la concurrence sur le marché en réduisant au minimum la réglementation gouvernementale et à élaborer et à mettre en œuvre des structures tarifaires novatrices et concurrentielles.

[16] Le CDIP fait valoir que les services offerts dans le cadre du programme font partie intégrante de la responsabilité du transporteur et que les passagers sont en droit de s'y attendre dans l'éventualité d'une interruption de leur vol.

[17] Le CDIP conteste la position d'Air Canada voulant que les passagers qui n'ont pas souscrit au programme auront toujours le même accès aux services qu'auparavant. Le CDIP estime que les passagers qui ont souscrit au programme bénéficient d'un net avantage en ce qui a trait au changement de réservation et à l'hébergement, car ils ont accès aux services d'un agent spécialement formé à cet effet. Le CDIP continue de croire que les passagers qui ne souscrivent pas au programme obtiendront un niveau de service inférieur.

[18] Le CDIP fait valoir que ce produit entraînera une érosion des droits des passagers et que ceux-ci n'auront d'autre choix que de souscrire au programme.

ANALYSE ET CONSTATATIONS

[19] La compétence de l'Office en ce qui a trait au tarif d'un transporteur aérien est définie à l'article 67.2 de la Loi sur les transports au Canada, L.C. (1996), ch. 10, modifiée, et à l'article 111 du Règlement sur les transports aériens, DORS/88-58, modifié (le RTA), qui autorisent l'Office à déterminer si une condition de transport publiée ou déposée par un transporteur aérien est juste et raisonnable et non injustement discriminatoire.

[20] Aux termes du RTA, un transporteur doit clairement énoncer sa politique dans ses conditions de transport. Dans le cas présent, les dispositions requises touchent le réacheminement des passagers, le défaut d'exploiter le service et le non-respect de l'horaire.

[21] L'Office est d'avis qu'en général, les transporteurs aériens devraient être libres d'établir leurs conditions de transport comme bon leur semble, sous réserve des contraintes législatives ou réglementaires. À cet égard, un transporteur aérien est tenu de publier un tarif qui établit clairement les conditions de transport pour le transport intérieur et de déposer un tarif auprès de l'Office pour le transport international.

Les conditions de transport du programme « J'y serai » d'Air Canada sont-elles justes et raisonnables?

[22] Lorsqu'il s'agit de déterminer si une condition de transport est juste et raisonnable, un équilibre doit être établi entre, d'une part, les droits du passager à des conditions de transport justes et raisonnables et, d'autre part, les obligations commerciales, opérationnelles et imposées par la loi du transporteur aérien en cause. Pour déterminer si un tel équilibre a été établi dans le cas présent, l'Office doit être convaincu que l'introduction du programme ne porte pas atteinte aux droits des passagers qui ont choisi de ne pas souscrire au programme.

[23] Les obligations d'Air Canada envers ses passagers et leurs droits en ce qui a trait aux interruptions de vol sont définies dans la règle 240 du transporteur. Cette règle énonce les procédures que le transporteur doit suivre et les services qu'il doit assurer, de même que les recours qui s'offrent aux passagers. Dans la décision no 171-C-A-2007, l'Office a déterminé que les dispositions de la règle 240 « constituent une façon acceptable de répondre aux besoins des passagers en cas d'irrégularité d'horaire », et que la « …règle 240AC est juste et raisonnable… ».

[24] L'Office conclut que les dispositions de la règle 250 régissant le programme sont justes et raisonnables. Toutefois, l'Office est d'avis qu'Air Canada doit veiller à ce que les dispositions soient énoncées dans ses tarifs et dans ses communications d'entreprise de manière à établir une nette distinction entre les droits des passagers en vertu de la règle 240 et ceux en vertu de la règle 250. L'Office est également d'avis qu'Air Canada doit veiller à ce que ses tarifs établissent clairement qu'en cas d'interruption de vol, ses centres d'appels et ses agents du service à la clientèle traiteront les passagers ayant souscrit au programme et ceux qui n'y ont pas souscrit sur un pied d'égalité au moment d'effectuer des changements de réservations pour les prochains vols disponibles.

Les conditions de transport du programme « J'y serai » d'Air Canada sont-elles injustement discriminatoires?

[25] La détermination du caractère « injustement discriminatoire » d'une condition de transport appliquée par un transporteur est un processus en deux étapes. L'Office doit d'abord déterminer si la condition de transport appliquée est « discriminatoire ». Si l'Office conclut que la condition de transport appliquée par le transporteur est discriminatoire, il doit ensuite déterminer si cette discrimination est « injuste ».

[26] L'Office est d'avis que pour déterminer si une condition de transport appliquée par un transporteur est « injustement discriminatoire », il y a lieu d'adopter une méthode contextuelle qui permet d'établir un équilibre entre, d'une part, le droit des voyageurs et, d'autre part, les obligations opérationnelles, commerciales et imposées par la loi des transporteurs aériens.

[27] Une condition est qualifiée de « discriminatoire » si elle fait la distinction entre une catégorie particulière de passagers et si elle lui accorde un traitement différent sans motifs valables. Dans le cas présent, tous les passagers peuvent souscrire au programme, et les conditions qui le régissent s'appliquent sans exception à tous les passagers qui y ont souscrit. Par conséquent, l'Office conclut qu'aucun élément de preuve qui lui a été présenté ne laisse croire que le programme est discriminatoire ou qu'il a été appliqué de façon discriminatoire.

[28] Puisque l'Office conclut que les dispositions de la règle régissant le programme ne sont pas discriminatoires, la détermination de son caractère « injustement discriminatoire » ne se pose pas.

Les frais et les services du programme « J'y serai » d'Air Canada sont-ils raisonnables?

[29] Le CDIP fait valoir que la tarification associée au programme est injuste et déraisonnable. Toutefois, le CDIP n'a soumis aucun élément de preuve pour justifier ses allégations.

[30] L'Office note que le CDIP se demande si Air Canada remboursera les clients qui ont souscrit au programme, mais qui ne sont pas satisfaits du service. Le tarif d'Air Canada prévoit que les frais d'adhésion au programme ne sont pas remboursables. Le transporteur est tenu d'appliquer les conditions de transport publiées ou déposées auprès de l'Office, et les passagers peuvent invoquer tout manquement à cet égard pour demander réparation.

CONCLUSION

[31] Les conclusions de l'Office dans cette plainte sont les suivantes :

  1. les conditions du programme établies dans les tarifs intérieur et transfrontalier d'Air Canada sont raisonnables et justes;
  2. le programme n'est pas discriminatoire;
  3. aucun élément de preuve soumis ne permet de conclure que la tarification du programme est injuste et déraisonnable.

[32] Par conséquent, la plainte du CDIP est rejetée.

[33] Bien que l'Office conclue que les dispositions de la règle régissant le programme sont justes et raisonnables, il enjoint à Air Canada de faire en sorte que, dans les 30 jours suivant la décision, ces dispositions soient énoncées dans ses tarifs et dans ses communications d'entreprise de manière à établir clairement la distinction entre les droits de passagers en vertu de la règle 240 et ceux en vertu de la règle 250. De plus, l'Office ordonne à Air Canada de veiller à ce que ses règles indiquent clairement qu'en cas d'interruption d'un vol, les passagers ayant souscrit au programme et ceux qui n'y ont pas souscrit auront le même accès aux centres d'appels et aux agents du service à la clientèle afin de faire des changements de réservation pour les prochains vols disponibles.

Membres

  • Geoffrey C. Hare
  • Raymon J. Kaduck
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