Décision n° 57-AT-A-2019
DEMANDE présentée par Deborah Battrum (partie demanderesse) contre WestJet, en vertu du paragraphe 172(1) de la Loi sur les transports au Canada, L.C., 1996, ch. 10, modifiée (LTC), concernant ses besoins liés à sa déficience.
RÉSUMÉ
[1] La partie demanderesse a déposé une demande auprès de l’Office des transports du Canada (l’Office) contre WestJet en vertu du paragraphe 172(1) de la LTC concernant le manquement présumé par le transporteur de lui fournir un siège approprié.
[2] La partie demanderesse réclame le remboursement complet de son billet et des excuses de la part de WestJet ainsi que du responsable à la porte d’embarquement qui a traité sa plainte après le vol.
[3] L’Office se penchera sur les questions suivantes :
- La partie demanderesse est-elle une personne ayant une déficience aux termes de la partie V de la LTC?
- La demanderesse a-t-elle rencontré un obstacle à ses possibilités de déplacement?
[4] Pour les motifs énoncés ci-après, l’Office conclut que la partie demanderesse est une personne ayant une déficience aux termes de la partie V de la LTC, mais qu’elle n’a pas rencontré d’obstacle à ses possibilités de déplacement.
CONTEXTE
[5] Le 30 novembre 2018, la partie demanderesse a fait un vol d’aller-retour de Kelowna à Vancouver (Colombie-Britannique). Elle indique qu’elle avait payé pour un siège surclassé pour avoir plus d’espace pour ses bras et ses jambes.
[6] Lors du vol retour, la partie demanderesse prétend qu’elle était assise à côté d’une passagère obèse qui occupait plus de la moitié de son siège. Elle indique que cela rendait impossibles ses déplacements et l’utilisation des toilettes, auxquelles elle doit se rendre fréquemment en raison de sa déficience, selon ses affirmations.
[7] À l’arrivée à Kelowna, la partie demanderesse s’est plainte auprès de l’agent de bord au sujet de son attribution de siège et a été dirigée vers un responsable à la porte d’embarquement de WestJet. La partie demanderesse s’est sentie maltraitée par ce responsable à la porte d’embarquement de WestJet.
OBSERVATION PRÉLIMINAIRE
Compétence de l’Office en cas de douleur et de souffrance
[8] Dans sa demande, la partie demanderesse fait état d’un piètre service à la clientèle et de mauvais traitements de la part du personnel de WestJet, les raisons pour lesquelles la partie demanderesse réclame le remboursement intégral de son billet d’avion. Les pouvoirs de l’Office sont clairement définis dans la LTC, ce qui n’habilite pas l’Office à ordonner le versement d’une indemnisation pour préjudice moral, comme il est indiqué dans des décisions précédentes, notamment la décision no 18-C-A-2015 (Enisz c. Air Canada) et la décision no 55-C-A-2014 (Brines c. Air Canada).
Compétence de l’Office pour ordonner la présentation d’excuses
[9] La partie demanderesse exige également des excuses de la part de WestJet. La LTC ne donne pas compétence à l’Office pour ordonner des excuses. De même, et conformément à la décision de la Cour fédérale dans l’affaire Canada (Procureur général) contre Stevenson, 2003 FCT 341, l’Office n’a pas compétence pour ordonner à un transporteur de présenter des excuses à la partie demanderesse.
LA LOI
[10] La demande a été déposée en vertu du paragraphe 172(1) de la LTC, qui indique ce qui suit :
Même en l’absence de disposition réglementaire applicable, l’Office peut, sur demande, enquêter sur toute question relative à l’un des domaines visés au paragraphe 170(1) pour déterminer s’il existe un obstacle abusif aux possibilités de déplacement des personnes ayant une déficience.
[11] L’Office détermine s’il y a un obstacle abusif aux possibilités de déplacement d’une personne ayant une déficience au moyen d’une approche en trois parties :
Partie 1 : L’Office se penchera sur la question de savoir si la partie demanderesse est une personne ayant une déficience au sens de la partie V de la LTC.
Partie 2 : Si l’Office détermine que la partie demanderesse est une personne ayant une déficience aux termes de la partie V de la LTC, l’Office déterminera si elle a rencontré un obstacle. Un obstacle est une règle, une politique, une pratique ou une structure physique ayant pour effet de priver une personne ayant une déficience de l’égalité d’accès aux services qui sont normalement accessibles aux autres utilisateurs du réseau de transport fédéral.
Partie 3 : Si l’Office détermine que la partie demanderesse est une personne ayant une déficience et qu’elle a rencontré un obstacle, l’Office donne à la partie défenderesse l’occasion :
-
- d’expliquer comment elle propose d’éliminer l’obstacle en apportant une modification générale à la règle, à la politique, à la pratique ou à la structure physique visée ou, si la modification générale n’est pas possible, à une mesure d’accommodement;
- de démontrer qu’elle ne peut pas éliminer l’obstacle sans se voir imposer une contrainte excessive.
[12] Dans cette décision, l’Office traitera les questions des deux premières parties de l’approche décrite ci-dessus.
1. LA PARTIE DEMANDERESSE EST-ELLE UNE PERSONNE AYANT UNE DÉFICIENCE AUX TERMES DE LA PARTIE V DE LA LTC?
[13] La partie demanderesse souffre de dommages neurologiques permanents et ne peut pas se déplacer sans béquilles ou autre dispositif d’aide au déplacement. WestJet reconnaît que la partie demanderesse est une personne ayant une déficience.
[14] À la lumière de ce qui précède, l’Office conclut que la partie demanderesse est une personne ayant une déficience aux termes de la partie V de la LTC.
2. LA DEMANDERESSE A-T-ELLE RENCONTRÉ UN OBSTACLE À SES POSSIBILITÉS DE DÉPLACEMENT?
Position des parties
LA PARTIE DEMANDERESSE
[15] La partie demanderesse a payé pour un surclassement de siège afin de disposer de davantage d’espace pour ses bras et ses jambes. Elle prétend qu’une passagère obèse était assise à côté d’elle, après avoir été déplacée d’un siège situé près d’une sortie. La partie demanderesse indique que la femme [traduction] « était littéralement assise sur moi ainsi que sur son propre siège ». Par conséquent, elle déclare avoir passé 90 minutes coincée contre la paroi intérieure du fuselage. La partie demanderesse ajoute qu’elle aurait demandé à être déplacée, mais que le vol était complet.
[16] Elle prétend qu’elle n’a pas pu bouger de son siège ni se rendre aux toilettes auxquelles elle doit se rendre fréquemment en raison de sa déficience. La partie demanderesse craignait également de tomber si elle était parvenue à se frayer un chemin jusqu’à l’allée.
[17] La partie demanderesse indique que lorsqu’elle a été dirigée vers le responsable à la porte d’embarquement de WestJet pour se plaindre de la situation, elle s’attendait à recevoir des excuses pour cette mauvaise expérience avec WestJet. Au lieu de cela, le responsable à la porte d’embarquement lui a vivement reproché d’avoir traité la passagère assise à côté d’elle de [traduction] « baleineau ».
[18] Selon la partie demanderesse, elle était si bouleversée après la discussion avec le responsable à la porte d’embarquement de WestJet que les roues avant de son dispositif d’aide à la mobilité se sont prises dans le tapis, ce qui a entraîné sa chute. La partie demanderesse attribue cet incident à WestJet en raison de ce qu’elle caractérise comme un comportement abusif de la part du responsable à la porte d’embarquement de WestJet.
WESTJET
[19] WestJet indique qu’au moment de la réservation, la partie demanderesse a demandé une assistance en fauteuil roulant (« WCHR ») pour se déplacer dans les deux aérogares, mais qu’elle n’a pas demandé un autre service spécial.
[20] WestJet indique qu’en règle générale, les passagers qui occupent un siège du milieu ou côté hublot demandent à ceux assis à côté d’eux de bien vouloir les laisser passer afin de se rendre aux toilettes. Si la demande est faite à un passager qui refuse ou ignore la demande, le passager faisant la demande est encouragé à demander au personnel de l’aider à cette fin. WestJet n’a aucune preuve que la partie demanderesse a fait une telle demande à la passagère assise à côté d’elle ni qu’une demande d’assistance a été faite auprès des agents de bord durant le vol.
[21] WestJet n’accorde pas une attention particulière aux sièges des passagers dont l’accès à l’allée est limité ou bloqué par un autre passager et déclare que ce serait discriminatoire d’indemniser un passager ayant une déficience, mais de ne pas indemniser un « passager physiquement apte » dans les mêmes circonstances.
[22] WestJet explique que, malgré le fait que son agent principal de soutien aux passagers ait offert une indemnité pour l’expérience négative, la compagnie indique que la partie demanderesse ne présente pas les conditions requises pour une indemnité ou des excuses, car tous les services achetés ont été reçus.
[23] WestJet est d’avis qu’elle a rempli ses obligations dans le cadre de son tarif et qu’elle a satisfait aux arrangements et aux services achetés par la partie demanderesse, et, par conséquent, elle demande le rejet de la plainte.
Analyse et déterminations
[24] Les fournisseurs de services de transport ont l’obligation d’offrir un accommodement aux personnes ayant une déficience. Une personne ayant une déficience rencontre un obstacle à ses possibilités de déplacement si elle démontre qu’elle a besoin d’un accommodement qu’on ne lui a pas fourni, ce qui revient à la priver de l’égalité d’accès aux services accessibles aux autres passagers dans le réseau de transport fédéral.
[25] Il incombe à la partie demanderesse de fournir des preuves suffisamment convaincantes pour établir son besoin d’accommodement et prouver que ce besoin n’a pas été satisfait ainsi que de démontrer qu’elle a rencontré un obstacle. Le fardeau de la preuve qui s’applique dans ce cas est l’équilibre des probabilités, ce qui signifie que la partie demanderesse doit établir que sa position est plus probable que celle de la partie adverse.
[26] Il est incontestable que la partie demanderesse a payé pour un siège offrant davantage d’espace et que cet espace était partiellement occupé par une personne obèse, qui ne semble pas avoir reçu un accommodement (un siège supplémentaire) pour sa déficience. Le paiement pour le surclassement de siège indique que la réservation a été faite comme une préférence personnelle pour avoir plus d’espace et non comme un accommodement en raison d’une déficience. S’il s’agissait d’un accommodement pour un besoin lié à une déficience, la partie demanderesse n’aurait pas eu à payer pour l’espace requis ni le choix d’un siège. Lorsque la partie demanderesse a demandé l’assistance en fauteuil roulant au moment de la réservation du vol, elle n’a pas demandé d’autres accommodements liés à sa déficience.
[27] Ainsi, l’Office conclut qu’en ce qui a trait au manque d’espace à son siège, la partie demanderesse se trouve dans la même situation que n’importe quel autre passager ayant payé pour un surclassement de siège. L’Office a toujours maintenu que pour qu’un obstacle existe, le problème doit être lié à la déficience de la personne. Un problème de service à la clientèle ne devient pas un obstacle du simple fait qu’il est éprouvé par une personne ayant une déficience.
[28] La partie demanderesse prétend également qu’elle n’a pas pu accéder aux toilettes pendant le vol, parce qu’elle ne pouvait pas passer le siège de la passagère assise à côté d’elle. Elle a également exprimé son inquiétude de tomber en raison de sa déficience si elle parvenait à se rendre à l’allée. L’Office indique qu’il est très rare d’accéder facilement à un siège situé près de la fenêtre dans un avion ou d’en sortir facilement. Presque tous les passagers occupant des sièges côté hublot doivent demander aux passagers assis à côté d’eux de les laisser passer ou de se déplacer afin qu’ils puissent accéder à l’allée. Il n’y a pas de preuve que la partie demanderesse a fait une telle demande à la passagère assise à côté d’elle. Il n’y a pas de preuve non plus qu’elle a demandé de l’aide au personnel de bord ni qu’une telle assistance lui a été refusée.
[29] Enfin, la partie demanderesse déclare avoir subi des violences verbales de la part du responsable de WestJet au terminal, que cet incident a entraîné sa chute alors qu’elle se rendait aux toilettes et qu’aucune assistance ne lui a été offerte par le personnel de WestJet. Toutefois, il n’est pas raisonnable de penser que le vocabulaire irrespectueux utilisé pour désigner la passagère voisine n’aurait pas été remis en question par le prestataire de services, et bien que la chute de la partie demanderesse soit malencontreuse, l’Office pense qu’elle n’a pas été causée par les actions ni les inactions du personnel de WestJet. L’Office accepte également la preuve de WestJet contenue dans le dossier de la partie demanderesse que de l’aide lui a été offerte par le personnel de WestJet, mais qu’elle l’a refusée.
[30] Sur la base des faits susmentionnés, l’Office estime que, bien que la partie demanderesse ait eu un voyage déplaisant, elle n’a pas rencontré d’obstacle à ses possibilités de déplacement qui serait dû à son siège ou au traitement par le personnel de WestJet. L’Office considère le manque d’espace à son siège comme une question de service à la clientèle. Comme il est indiqué dans des décisions précédentes, l’Office n’a pas les pouvoirs d’ordonner une indemnisation pour des questions de service à la clientèle. Par conséquent, l’Office rejette la demande. Compte tenu des besoins identifiés dans cette procédure, l’Office encourage la partie demanderesse à demander d’autres arrangements en plus de l’assistance en fauteuil roulant lorsqu’elle voyage par avion, comme la présélection d’une place côté allée.
CONCLUSION
L’Office rejette la demande.
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