Décision n° 60-AT-A-2003

le 6 février 2003

Suivi - décision no 327-AT-A-2006

le 6 février 2003

DEMANDE présentée par Kerstin Pedersen conformément au paragraphe 172(1) de la Loi sur les transports au Canada, L.C. (1996), ch. 10, concernant le fait que le personnel d'Air Canada ne lui a pas prêté assistance avec fauteuil roulant à l'aéroport de Calgary (Alberta) le 3 janvier 2001.

Référence no U3570/01-69


DEMANDE

Le 1er octobre 2001, Axel Pedersen, au nom de son épouse Kerstin Pedersen, a déposé auprès de l'Office des transports du Canada (ci-après l'Office) la demande énoncée dans l'intitulé.

En réponse aux demandes d'Air Canada, l'Office, par les décisions nos LET-AT-A-13-2002, LET-AT-A-48-2002 et LET-AT-A-56-2002, accordait à Air Canada les prolongations de délai jusqu'au 7 mars 2002 pour déposer sa réponse à la demande. Le 28 février 2002, Air Canada a déposé sa réponse et le 21 mars 2002, M. Pedersen y a répliqué.

Aux termes du paragraphe 29(1) de la Loi sur les transports au Canada (ci-après la LTC), l'Office est tenu de rendre sa décision au plus tard 120 jours après la date de réception de la demande, sauf s'il y a accord entre les parties pour une prolongation du délai. Dans le cas présent, les parties ont convenu de prolonger le délai pour une période indéterminée.

OBSERVATION PRÉLIMINAIRE

Bien que M. Pedersen ait fait parvenir sa réplique après le délai prescrit, l'Office, conformément à l'article 8 des Règles générales de l'Office national des transports, DORS/88-23, l'accepte la jugeant pertinente et nécessaire à son examen de la présente affaire.

QUESTION

L'Office doit déterminer si le fait que le personnel d'Air Canada n'a pas prêté assistance avec fauteuil roulant à Mme Pedersen à l'aéroport de Calgary a constitué un obstacle abusif à ses possibilités de déplacement et, le cas échéant, quelles mesures correctives devraient être prises.

FAITS

En octobre 2000, M. et Mme Pedersen ont réservé un voyage aller-retour et ont demandé de l'assistance avec fauteuil roulant d'Air Canada puisque Mme Pedersen avait une cheville cassée.

Le 3 janvier 2001, M. et Mme Pedersen devaient effectuer un voyage entre Calgary (Alberta) et Vancouver (Colombie-Britannique) et entre Vancouver (Colombie-Britannique) et Honolulu (Hawaï) avec Air Canada. Le vol de M. et de Mme Pedersen devait partir de Calgary à 17 h, le 3 janvier 2001. Toutefois, en raison de problèmes mécaniques, le vol a été retardé, puis annulé. M. et Mme Pedersen ont alors été dirigés par Air Canada vers une différente porte pour prendre un autre vol à destination de Vancouver.

M. Pedersen a demandé de l'assistance avec fauteuil roulant pour sa femme afin de se rendre à l'autre porte, mais aucun fauteuil roulant n'était disponible et aucune assistance n'a été prêtée par Air Canada.

ANALYSE ET CONSTATATIONS

Pour en arriver à ses constatations, l'Office a tenu compte de tous les éléments de preuve soumis par les parties au cours des plaidoiries.

Mme Pedersen est-elle une personne ayant une déficience?

La demande doit être présentée par une personne ayant une déficience ou en son nom. Dans le cas présent, Mme Pedersen a une mobilité réduite en raison d'une cheville cassée à laquelle on a fixé huit broches et a, pour cette raison, demandé de l'assistance avec fauteuil roulant.

Même si l'Office reconnaît que certaines définitions du terme « déficience » excluent les déficiences temporaires, l'Office estime qu'il convient d'adopter une méthode libérale et fonctionnelle dans l'interprétation de son mandat en vertu de la partie V de la LTC. Dans la décision no 482-AT-A-1998, l'Office a considéré que le terme « personnes ayant une déficience » comprend à la fois les déficiences permanentes et temporaires résultant, par exemple, de troubles médicaux.

Selon l'Office, Mme Pedersen, en raison de sa cheville cassée, a une déficience temporaire qui réduit sa mobilité. Compte tenu des décisions qu'il a rendues antérieurement et de son mandat, l'Office estime que Mme Pedersen est une personne ayant une déficience au sens du paragraphe 172(1) de la LTC.

Pour déterminer s'il existe un obstacle abusif aux possibilités de déplacement des personnes ayant une déficience au sens du paragraphe 172(1) de la LTC, l'Office doit d'abord déterminer si les possibilités de déplacement de la personne qui présente la demande ont été restreintes ou limitées par un obstacle. Le cas échéant, l'Office doit alors décider si l'obstacle était abusif. Pour répondre à ces questions, l'Office doit tenir compte des circonstances de l'affaire dont il est saisi.

Les possibilités de déplacement ont-elles été restreintes ou limitées par un obstacle ?

L'expression « obstacle » n'est pas définie dans la LTC, ce qui donne à penser que le Parlement ne voulait pas limiter la compétence de l'Office compte tenu de son mandat d'éliminer les obstacles abusifs dans le réseau de transport de compétence fédérale. De plus, le terme « obstacle » a un sens large et s'entend habituellement d'une chose qui entrave le progrès ou la réalisation.

Pour déterminer si une situation constitue ou non un « obstacle » aux possibilités de déplacement d'une personne ayant une déficience dans un cas donné, l'Office se penche sur les déplacements de cette personne qui sont relatés dans la demande. Dans le passé, l'Office a conclu qu'il y avait eu des obstacles dans plusieurs circonstances différentes. Par exemple, dans certains cas des personnes n'ont pas pu voyager, d'autres ont été blessées durant leurs déplacements (notamment quand l'absence d'installations convenables durant le déplacement affecte la condition physique du passager) et d'autres encore ont été privées de leurs aides à la mobilité endommagées pendant le transport. De plus, l'Office a identifié des obstacles dans les cas où des personnes ont finalement été en mesure de voyager, mais les circonstances découlant de l'expérience ont été telles qu'elles ont miné leur sentiment de confiance, de dignité, de sécurité, situation qui pourrait décourager ces personnes de voyager à l'avenir.

Le cas présent

D'après les preuves présentées par les parties, une demande d'assistance avec fauteuil roulant a été faite avant le voyage. Le 3 janvier 2001, le vol prévu à destination de Vancouver de M. et de Mme Pedersen a été annulé en raison de problèmes mécaniques. Les passagers, dont M. et Mme Pedersen, ont donc été dirigés vers une autre porte pour prendre un autre vol à destination de Vancouver. L'Office reconnaît que peu après cette annonce, M. Pedersen a demandé de l'assistance avec fauteuil roulant pour sa femme afin de se rendre à l'autre porte, mais aucun fauteuil n'était disponible et aucune assistance n'a été fournie par Air Canada. Pour ces raisons et puisque le départ de l'autre vol était imminent, Mme Pedersen a été obligée de marcher jusqu'à l'autre porte sur sa cheville cassée sans assistance puisque M. Pedersen transportait les bagages de cabine. En se rendant vers la porte, Mme Pedersen a éprouvé de la douleur à sa cheville cassée.

Compte tenu de ce qui précède, l'Office conclut que le fait que le personnel d'Air Canada n'a pas prêté d'assistance avec fauteuil roulant à Mme Pedersen à l'aéroport de Calgary a constitué un obstacle à ses possibilités de déplacement.

L'obstacle était-il abusif ?

À l'instar du terme « obstacle », l'expression « abusif » n'est pas définie dans la LTC, ce qui permet à l'Office d'exercer sa discrétion pour éliminer les obstacles abusifs dans le réseau de transport de compétence fédérale. Le mot « abusif » a également un sens large et signifie habituellement que quelque chose dépasse ou viole les convenances ou le bon usage (excessif, immodéré, exagéré). Comme une chose peut être jugée exagérée ou excessive dans un cas et non dans un autre, l'Office doit tenir compte du contexte de l'allégation d'obstacle abusif. Dans cette approche contextuelle, l'Office doit trouver un juste équilibre entre le droit des passagers ayant une déficience d'utiliser le réseau de transport de compétence fédérale sans rencontrer d'obstacles abusifs, et les considérations et responsabilités commerciales et opérationnelles des transporteurs. Cette interprétation est conforme à la politique nationale des transports établie à l'article 5 de la LTC et plus précisément au sous-alinéa 5g)(ii) de la LTC qui précise, entre autres, que les modalités en vertu desquelles les transporteurs ou modes de transport exercent leurs activités ne constituent pas, dans la mesure du possible, un obstacle abusif aux possibilités de déplacement des personnes ayant une déficience.

L'industrie des transports élabore ses services pour répondre aux besoins des utilisateurs. Les dispositions d'accessibilité de la LTC exigent quant à elles que les fournisseurs de services de transport du réseau de transport de compétence fédérale adaptent leurs services dans la mesure du possible aux besoins des personnes ayant une déficience. Certains empêchements doivent toutefois être pris en considération, par exemple les mesures de sécurité que les transporteurs doivent adopter et appliquer, les horaires qu'ils doivent s'efforcer de respecter pour des raisons commerciales, la configuration du matériel et les incidences d'ordre économique qu'aura l'adaptation d'un service sur les transporteurs aériens. Ces empêchements peuvent avoir une incidence sur les personnes ayant une déficience. Ainsi, ces personnes ne pourront pas nécessairement embarquer dans l'aéronef avec leur propre fauteuil roulant, elles peuvent devoir arriver à l'aérogare plus tôt aux fins de l'embarquement et elles peuvent devoir attendre plus longtemps pour obtenir de l'assistance au débarquement que les personnes n'ayant pas de déficience. Il est impossible d'établir une liste exhaustive des obstacles qu'un passager ayant une déficience peut rencontrer et des empêchements que les fournisseurs de services de transport connaissent dans leurs efforts pour répondre aux besoins des personnes ayant une déficience. Il faut en arriver à un équilibre entre les diverses responsabilités des fournisseurs de services de transport et le droit des personnes ayant une déficience à voyager sans rencontrer d'obstacle, et c'est dans cette recherche d'équilibre que l'Office applique le concept d'obstacle abusif.

Le cas présent

En ayant déterminé que le fait que le personnel d'Air Canada n'a pas prêté d'assistance avec fauteuil roulant à Mme Pedersen a constitué un obstacle à ses possibilités de déplacement, l'Office doit maintenant déterminer si l'obstacle était abusif.

L'Office souligne que M. et Mme Pedersen ont informé Air Canada du besoin d'assistance avec fauteuil roulant de Mme Pedersen à deux reprises, soit au moment de la réservation et à la porte de leur vol prévu à destination de Vancouver. Cela se reflète dans le dossier passager (ci-après DP), dont une copie a été déposée auprès de l'Office par Air Canada, et dans la déclaration de M. Pedersen qui indique que de l'assistance avec fauteuil roulant a été demandée immédiatement après l'annonce leur indiquant de se rendre à une nouvelle porte afin d'embarquer sur un autre vol à destination de Vancouver.

La politique d'Air Canada indique clairement, dans le cadre de services appliqués à des personnes ayant une déficience, que le transporteur assurera les services lorsqu'ils sont demandés 48 heures avant le départ - « Assistance pour se déplacer à l'intérieur de l'aéroport (aires publiques et d'embarquement) ».

L'Office estime qu'Air Canada n'a pas fourni l'assistance demandée par Mme Pedersen. En fait, Air Canada n'était pas en mesure de prêter assistance avec fauteuil roulant à Mme Pedersen même si la demande d'assistance a été faite plus de 48 heures à l'avance. De plus, une fois que la demande d'assistance a été faite par M. Pedersen à la porte le 3 janvier 2001, le personnel d'Air Canada n'a déployé aucun effort pour trouver une autre solution lorsqu'il a découvert qu'aucun fauteuil roulant n'était disponible.

Dans sa réponse à la demande, Air Canada affirme que : [traduction] « lorsque de l'assistance avec fauteuil roulant est requise par un passager, nous en assumons la responsabilité à partir du comptoir d'enregistrement jusqu'à la porte et à bord de l'aéronef. Dans le cas d'un changement d'aéronef ou de porte, nous fournirons de l'assistance d'une porte à une autre. Si les besoins spéciaux d'un passager, pour une raison ou une autre, ne sont malheureusement pas satisfaits alors il est de la responsabilité du passager d'être entièrement conscient de son état de santé afin de faire de son mieux pour demander l'assistance du personnel du transporteur aérien ».

Une telle déclaration laisse l'Office perplexe puisque les preuves indiquent clairement que M. Pedersen a bel et bien demandé l'assistance du personnel du transporteur aérien une fois qu'il a réalisé que l'assistance demandée au moment de la réservation ne serait pas fournie par Air Canada. Lorsqu'on a demandé des informations au personnel d'Air Canada sur la disponibilité du fauteuil roulant demandé, il n'a déployé aucun effort autre que d'aviser M. et Mme Pedersen qu'aucun fauteuil roulant n'était disponible. L'Office est d'avis qu'une telle conduite par Air Canada est inacceptable dans les circonstances.

L'Office est préoccupé par les cas comme celui-ci où les politiques et procédures en place pour assurer que les transporteurs répondent aux besoins des personnes ayant une déficience, comme le DP et les politiques et procédures internes, ne sont pas bien appliquées.

Compte tenu de ce qui précède, l'Office estime que le fait que le personnel d'Air Canada n'a pas prêté d'assistance avec fauteuil roulant à Mme Pedersen à Calgary a constitué un obstacle abusif à ses possibilités de déplacement.

Cette constatation est renforcée par les dispositions de la partie VII du Règlement sur les transports aériens, DORS/88-58, modifié (ci-après le RTA), qui sont applicables à toutes les routes nationales d'Air Canada. Les alinéas 147(1)b) et c) et le paragraphe 151(1) du RTA prévoient :

147. (1) Sous réserve de l'article 151, le transporteur aérien doit, sur demande, fournir les services suivants à la personne visée :

b) assistance pour se rendre à l'aire d'embarquement;
c) assistance à l'embarquement et au débarquement;

151. (1) Le transporteur aérien doit fournir tout service visé à la présente partie à la personne qui en fait la demande au moins 48 heures avant l'heure prévue pour le départ de son vol.

Les dispositions du RTA ci-dessus tout comme la politique d'Air Canada relative à l'assistance des personnes ayant une déficience indiquent clairement qu'on doit fournir de l'assistance à un passager pour se rendre à l'aire d'embarquement ainsi que de l'assistance à l'embarquement et au débarquement. De plus, l'échec d'Air Canada à prêter assistance à Mme Pedersen à l'aéroport de Calgary, malgré le fait que les employés du transporteur connaissaient son besoin d'assistance au moins 48 heures avant le départ démontre qu'Air Canada a omis de se conformer aux paragraphes 147(1) et 151(1) du RTA.

L'Office attire l'attention d'Air Canada sur le Règlement sur les textes désignés (Office des transports du Canada), DORS/99-244, qui désigne les dispositions de la LTC et les règlements associés pour lesquels une amende pourrait être exigible. Une contravention au paragraphe 147(1) ou 151(1) du RTA est désignée comme une infraction de niveau 3 qui s'accompagne d'une sanction pécuniaire de 10 000 $. Une première violation serait normalement sujette à un avertissement par un agent verbalisateur selon le programme de sanctions administratives pécuniaires.

M. et Mme Pedersen ont également soulevé diverses questions liées au service dans leur demande (file d'attente au comptoir d'enregistrement à Calgary, vols retardés et problèmes avec les bagages). L'Office peut comprendre comment cela pourrait être une expérience frustrante, mais estime que les difficultés éprouvées par Mme Pedersen ne sont pas liées au fait qu'elle est une personne ayant une déficience. Il s'agit plutôt d'un problème de service à la clientèle qui peut arriver à n'importe quel voyageur. Par conséquent, l'Office ne peut pas se prononcer sur cette question en vertu des dispositions d'accessibilité de la LTC et il ne peut donc pas déterminer que ces difficultés découlaient d'un obstacle abusif aux possibilités de déplacement d'une personne ayant une déficience. Toutefois, l'Office note qu'Air Canada reconnaît la défaillance de son service, a présenté ses excuses et a offert à M. et à Mme Pedersen 7 500 milles Aéroplan chacun à la lumière de l'incident.

INDEMNISATION

Comme il est mentionné ci-dessus, en déterminant s'il y a un obstacle abusif aux possibilités de déplacement d'une personne ayant une déficience, l'Office, en vertu du paragraphe 172(3) du RTA, peut exiger le versement d'une indemnité destinée à couvrir les frais encourus par une personne ayant une déficience en raison de l'obstacle en cause.

Dans le cas présent, M. et Mme Pedersen ont demandé 120 000 milles Aéroplan d'Air Canada. La compétence de l'Office à accorder une indemnité est limitée au remboursement des dépenses découlant d'un obstacle abusif engagées par ou au nom d'une personne ayant une déficience. Dans ce cas, les milles Aéroplan demandés par M. et Mme Pedersen sont exigés pour compenser le mauvais service offert par Air Canada et non à titre d'indemnisation pour les dépenses découlant d'un obstacle abusif. Par conséquent, la demande d'indemnisation est refusée par la présente.

CONCLUSION

À la lumière de ce qui précède, l'Office conclut que le fait que le personnel d'Air Canada n'a pas prêté d'assistance avec fauteuil roulant à Mme Pedersen à Calgary a constitué un obstacle abusif à ses possibilités de déplacement.

L'Office conclut qu'Air Canada n'a pas respecté les alinéas 147(1)b) et c) et le paragraphe 151(1) du RTA.

D'après les conclusions susmentionnées, l'Office ordonne à Air Canada de prendre les mesures suivantes dans les trente (30) jours suivant la date de la présente décision :

  • Publier un bulletin à l'intention de son personnel de Calgary qui souligne l'incident en mettant l'accent sur l'importance de fournir les services demandés à l'avance et remettre une copie de ce bulletin à l'Office.
  • Examiner avec ses employés de Calgary la politique interne d'Air Canada concernant l'assistance prêtée aux personnes ayant une déficience et informer l'Office de la manière dont on s'y est pris et du moment où cela a été fait.

En ce qui concerne les contraventions précitées, la délivrance de cette décision ne soustrait aucunement Air Canada à toute mesure qui pourrait être prise contre elle conformément au Règlement sur les textes désignés (Office des transports du Canada).

Date de modification :