Décision n° 671-AT-A-2002
le 17 décembre 2002
Référence no U3570/01-19
Demande
Le 24 janvier 2001, Arleen Reinsborough a déposé auprès de l'Office des transports du Canada (ci-après l'Office) la demande énoncée dans l'intitulé. L'Office a aussi reçu à cette même date une copie d'une plainte que Mme Reinsborough a envoyée électroniquement à Transports Canada concernant le vol à bord duquel elle a voyagé le 23 janvier 2001, à laquelle étaient jointes des copies de la correspondance que Mme Reinsborough a fait parvenir antérieurement au service de Relations clientèle d'Air Canada au sujet de ses besoins en matière de sièges et des difficultés qu'elle a éprouvées dans le passé relativement aux sièges que lui a assignés Air Canada.
L'Office, dans la décision no LET-AT-A-93-2001 du 26 février 2001, a informé les parties au dossier que la demande de Mme Reinsborough soulevait des questions similaires à celles que l'Office examinait déjà dans son examen d'une autre demande, déposée par Linda McKay-Panos contre Air Canada. L'Office a noté, dans le cas de Mme McKay-Panos, qu'il avait déjà annoncé son intention de tenir une audience plus tard cette année-là afin d'entendre les témoignages d'experts pour lui permettre de rendre une décision sur la question de juridiction préliminaire à savoir si l'obésité constitue une déficience aux termes des dispositions sur le transport accessible contenues dans la partie V de la Loi sur les transports au Canada (ci-après la LTC). L'Office a donc déterminé que son enquête sur la demande de Mme Reinsborough serait suspendue et que le commencement des plaidoiries dans son cas serait reporté jusqu'au moment où l'Office rendrait sa décision sur la question de juridiction préliminaire dans le cas de Mme McKay-Panos.
Dans une lettre datée du 28 février 2001, Air Canada a accepté que le délai qu'impose la LTC à l'Office pour rendre une décision sur la présente demande soit prolongé pour une période indéfinie et a indiqué qu'elle croyait que le vol faisant l'objet de la plainte a eu lieu le 24 janvier 2001.
Dans une lettre datée du 1er mars 2001, Mme Reinsborough a confirmé que le vol en question a eu lieu le 23 janvier 2001 et a soumis des renseignements supplémentaires concernant ses troubles médicaux.
Le 4 mai 2001, l'Office a rendu la décision no LET-AT-A-223-2001, dans laquelle il confirmait son intention d'aller de l'avant avec le cas de Mme McKay-Panos et de suspendre les procédures du cas de Mme Reinsborough en attendant sa décision sur ladite question de juridiction préliminaire.
Le 8 mai 2001, Mme Reinsborough a déposé d'autres commentaires portant sur ses troubles médicaux.
À la suite de l'audience tenue à Calgary (Alberta) du 24 au 27 septembre et du 1er au 3 octobre 2001 pour aborder la question de juridiction préliminaire soulevée par la demande de Linda McKay-Panos, à savoir si l'obésité est une déficience aux termes des dispositions sur le transport accessible de la LTC, l'Office a rendu la décision no 646-AT-A-2001 le 12 décembre 2001 (ci-après la décision de Calgary). Dans la décision de Calgary, l'Office, après avoir analysé les témoignages d'experts entendus et contestés au cours de l'audience, a conclu que l'obésité, proprement dite, ne constitue pas une déficience aux termes de la partie V de la LTC, mais que certaines personnes obèses peuvent avoir une déficience en raison de leur obésité. L'Office a aussi indiqué qu'il allait donc étudier, en fonction de chaque cas pris individuellement, la question à savoir si une personne qui est obèse est aussi une personne ayant une déficience aux termes des dispositions sur le transport accessible de la LTC.
Conformément à la décision de Calgary, l'Office, par la décision no LET-AT-A-488-2001 du 18 décembre 2001, a ouvert les plaidoiries sur la question à savoir si Mme Reinsborough a une déficience aux termes des dispositions sur le transport accessible de la LTC. L'Office a indiqué à ce moment que s'il déterminait alors que Mme Reinsborough avait une déficience au sens de la partie V de la LTC, il ouvrirait les plaidoiries pour savoir si elle a fait face à un obstacle à ses possibilités de déplacement et, dans l'affirmative, si cet obstacle était abusif.
Le 1er février 2002, Mme Reinsborough a déposé son mémoire auprès de l'Office et celui-ci l'a accepté en dépit de son dépôt tardif en vertu de la décision no LET-AT-A-55-2002 du 20 février 2002.
Le 22 mars 2002, Air Canada a déposé sa réponse à la demande originale et au mémoire déposé par Mme Reinsborough le 1er février 2002. Mme Reinsborough déposé sa réplique à la réponse du transporteur le 4 avril 2002, et fourni des rapports médicaux concernant son état de santé.
Dans une lettre datée du 10 mai 2002, Air Canada a demandé la permission à l'Office de déposer une réfutation à la réplique de Mme Reinsborough qui a été accordée par l'Office le 14 mai 2002 dans la décision no LET-AT-A-147-2002.
Le 15 mai 2002, Air Canada a déposé sa réfutation, traitant des questions de déficience, d'obstacle et de caractère abusif. Mme Reinsborough a soumis des commentaires concernant la réfutation d'Air Canada le 21 mai 2002.
Observation préliminaire
L'Office, dans la décision no LET-AT-A-488-2001, a exprimé son intention d'ouvrir les plaidoiries, et de rendre une décision, sur la question de déficience avant de commencer les plaidoiries sur la demande originale. Cependant, après avoir examiné les plaidoiries déposées par les parties en réponse à la décision no LET-AT-A-488-2001 et, en particulier, le mémoire d'Air Canada du 22 mars 2002 dans lequel elle affirme répondre à la plainte originale de Mme Reinsborough et à son mémoire ultérieur du 1er février 2002 en ce qui concerne la question de déficience, et le mémoire d'Air Canada du 15 mai 2002 dans lequel elle traite précisément des questions d'obstacle et de caractère abusif, l'Office est d'avis que les parties ont déposé des éléments de preuve de fond sur la question de déficience et sur les questions soulevées dans la demande originale de Mme Reinsborough. Par conséquent, l'Office estime que de commencer les plaidoiries de la demande originale n'est maintenant plus nécessaire et il procédera maintenant à l'examen intégral de la demande de Mme Reinsborough.
Questions
L'Office doit déterminer si Mme Reinsborough a une déficience aux termes de la partie V de la LTC et, le cas échéant, si elle a fait face à un obstacle abusif à ses possibilités de déplacement.
Faits
Mme Reinsborough a de l'ostéo-arthrite dans la colonne vertébrale, dans les deux genoux et dans les coudes et un ligament déchiré dans son genou gauche. Elle a aussi une fasciite plantaire et des protubérances aux pieds. De plus, elle a une colite ulcéreuse et de nombreux autres troubles médicaux, y compris des douleurs chroniques au bas du dos à cause d'une discopathie dégénérative et des douleurs provoquées par un coup de fouet cervical de niveau 3 causé par un accident de voiture en 1999. Le 29 mars 2000, elle a commencé à prendre un stéroïde, qu'elle a pris jusqu'au 23 janvier 2001 et par la suite. Le stéroïde entraîne, entre autres effets secondaires, un gain de poids. L'un des effets secondaires du stéroïde est le gain de poids et Mme Reinsborough a pris 100 livres en moins d'un an après avoir commencé à prendre ce stéroïde. Un de ses docteurs a noté dans un rapport daté du 25 juin 2000 que sa colite était traitée de façon intermittente avec des stéroïdes et qu'elle était « [traduction] manifestement obèse ».
De plus, Mme Reinsborough a un permis de stationnement pour personnes ayant une déficience émis par le ministère des Transports de la province d'Ontario à cause de son ostéo-arthrite. Elle a besoin d'un support cervical lorsqu'elle est dans un véhicule en marche et elle utilise une canne ou un fauteuil roulant pour se déplacer.
Le mari de Mme Reinsborough a fait des réservations directement auprès d'Air Canada afin qu'ils puissent voyager de Toronto (Ontario) à St. John's (Terre-Neuve) sur le vol no 630 le 22 janvier 2001. Il a demandé et obtenu des sièges près cloison pour le vol.
Le vol a été retardé d'une journée à cause des conditions météorologiques défavorables. Le 23 janvier 2001, Mme Reinsborough a réalisé, une fois à bord de l'aéronef, que son siège était celui du centre dans une rangée de trois sièges et qu'elle ne pouvait y prendre place sans être très indisposée ou sans déranger les autres passagers assis à côté d'elle. Elle a demandé d'être transférée dans deux sièges de la classe économique munis d'un accoudoir relevable entre eux ou dans un siège de la classe affaires. On l'a éventuellement transférée dans un siège de la classe affaires pour la durée du vol.
Positions des parties
Arleen Reinsborough
1. Déficience
Même si Mme Reinsborough croit qu'être obèse, en soi, est une déficience importante dans plusieurs secteurs, y compris les voyages par avion, elle souligne aussi qu'elle avait une déficience bien avant de présenter une obésité morbide découlant des stéroïdes qu'elle a pris pour l'un de ses troubles médicaux. Elle indique qu'elle a pris 100 livres peu de temps après avoir pris un stéroïde en mars 2000 et, après avoir cessé de prendre le stéroïde au mois d'octobre 2001, elle a perdu 80 livres (en date du 21 mai 2002). Elle affirme qu'elle peut maintenant prendre place dans un siège de la classe économique. Cependant, elle devra probablement recommencer l'utilisation de stéroïdes puisque ses troubles sont chroniques et, en conséquence, son poids augmentera de nouveau de façon similaire.
2. Obstacle
Mme Reinsborough affirme que son mari a fait les réservations pour le voyage directement avec Air Canada, par téléphone et en sa présence. Elle indique qu'il a avisé Air Canada de sa déficience et de son poids et qu'il a spécifiquement avisé l'agent de réservation qu'elle avait récemment eu de la difficulté à prendre place dans un siège d'aéronef et qu'elle voulait éviter ce problème. Mme Reinsborough déclare que l'agent de réservation a suggéré qu'elle achète deux sièges, mais, finalement, ils ont demandé et obtenu des réservations pour des sièges dans la rangée près cloison.
Mme Reinsborough explique que, le 23 janvier 2001, elle a embarqué dans l'aéronef et a remarqué que le siège qui lui était assigné dans la classe économique était situé au milieu d'une rangée de trois sièges et que des passagers étaient assis dans les sièges adjacents. Elle affirme qu'elle ne pouvait pas occuper ce siège et qu'elle a dû être forcée dans le siège par trois personnes; que la personne assise à côté d'elle s'est plainte qu'elle prenait trop de place même si elle avait les bras croisés; que la ceinture ne se bouclait pas même en utilisant une extension; et qu'elle a dû être sortie du siège par deux personnes. Mme Reinsborough fait savoir qu'en raison des douleurs ressenties dans ses jambes à cause de la situation, elle a demandé d'être assise dans la classe affaires. Une discussion a ensuite suivi, ce qui a entraîné un retard de huit minutes du vol en question. Mme Reinsborough soutient que des passagers ont refusé d'aller s'asseoir ailleurs afin qu'elle puisse prendre place dans deux sièges munis d'un accoudoir relevable entre eux à l'avant de l'aéronef. Mme Reinsborough indique qu'elle est incapable de s'asseoir à l'arrière dans les aéronefs parce qu'elle a la phobie des transports aériens.
Éventuellement, Mme Reinsborough a obtenu un siège en classe affaires pour le vol. Cependant, elle affirme qu'elle a été très mal traitée par l'équipage de bord. Elle soutient qu'elle a été intimidée, embarrassée, traitée impoliment et que l'expérience l'a amenée au bord des larmes. Elle ajoute qu'un agent de bord l'a obligée à signer un document indiquant qu'elle était la cause du départ retardé du vol.
Mme Reinsborough indique qu'une fois qu'elle a avisé un agent de bord de ses nombreux troubles médicaux, cet agent a été plus sympathique et compréhensif. À cet égard, Mme Reinsborough fait savoir qu'elle a trouvé que sa vie privée avait été violée par le fait qu'elle a dû décrire en détail ses troubles médicaux à l'équipage afin d'être traitée avec dignité.
Mme Reinsborough soutient qu'elle s'était déjà plainte à Air Canada à propos du même problème en 2000 et qu'elle avait reçu une réponse du service de Relations clientèle d'Air Canada indiquant qu'elle pouvait demander et obtenir un siège en classe affaires lorsque cette dernière n'était pas complète. Mme Reinsborough affirme toutefois avoir perdu cette lettre du transporteur et tenté d'obtenir une copie d'Air Canada ou une nouvelle lettre pour remplacer celle qu'elle avait perdue afin de s'en prévaloir au moment de l'assignation des sièges pour le voyage du 23 janvier 2001, mais elle n'a reçu aucune réponse d'Air Canada.
Air Canada
1. Déficience
Dans sa réponse originale déposée le 22 mars 2002, Air Canada fait valoir que l'Office devrait être guidé par son mandat que l'on retrouve à l'article 170 de la LTC et que Mme Reinsborough n'a pas établi qu'elle est une personne ayant une déficience aux termes de la partie V de la LTC. Le transporteur affirme que Mme Reinsborough n'avait pas fourni de documentation médicale attestant qu'elle a de l'ostéo-arthrite ou préciser qu'elle prenait un stéroïde et la dose qu'elle prenait.
De plus, Air Canada soutient que l'Office ne peut pas tenir compte de l'obstacle au moment de déterminer si Mme Reinsborough a une déficience et il ne peut pas examiner la structure tarifaire d'Air Canada à cette étape puisque ces facteurs sont seulement pertinents au moment de l'analyse du caractère abusif de l'obstacle. Air Canada affirme que si l'Office accepte cette approche, cela rendrait inefficace l'exigence d'une déficience à l'article 170 de la LTC.
Cependant, dans sa réfutation déposée le 15 mai 2002, Air Canada indique qu'après avoir examiné l'information fournie par Mme Reinsborough dans sa réplique du 4 avril 2002, elle est « [traduction] prête à admettre que Mme Reinsborough a une déficience en ce qui concerne ses possibilités de déplacement en raison de l'ostéo-arthrite et des œdèmes présents dans ses deux jambes ».
2. Obstacle
Air Canada affirme que lorsqu'une personne obèse ou ayant une stature anormale fait face à un obstacle à ses possibilités de déplacement dans le réseau de transport, elle ne devient pas une personne ayant une déficience et que, au mieux, cette personne a fait face à un obstacle. Air Canada est prête à admettre que Mme Reinsborough était « [traduction] probablement inconfortable dans le siège de la classe économique et qu'elle avait absolument besoin d'une extension pour la ceinture ». Air Canada soutient que ses registres montrent qu'elle n'a pas demandé une extension pour la ceinture et, en fait, qu'elle a refusé d'en utiliser une. Air Canada affirme que ses registres reflètent aussi que la classe économique était complète et, donc, qu'elle ne pouvait pas lui assigner un autre siège dans la classe économique situé à côté d'un siège libre. Cependant, Air Canada déclare que, pour faire un geste de bonne volonté, elle a offert à Mme Reinsborough un siège dans la classe plein services parce qu'il y en avait un de disponible.
Analyse et constatations
Pour en arriver à ses constatations, l'Office a tenu compte de tous les éléments de preuve soumis par les parties au cours des plaidoiries.
La demande doit être présentée par une personne ayant une déficience ou en son nom. D'après la preuve produite par Mme Reinsborough concernant ses troubles médicaux, l'Office estime que Mme Reinsborough est clairement une personne ayant une déficience aux fins de l'application des dispositions sur le transport accessible de la LTC. L'Office note l'admission d'Air Canada que Mme Reinsborough a une déficience. Cependant, l'Office reconnaît que l'admission d'Air Canada était précisément limitée à sa mobilité réduite causée par deux de ses troubles médicaux, soit l'ostéo-arthrite et les œdèmes présents dans ses jambes.
Pour déterminer s'il existe un obstacle abusif aux possibilités de déplacement des personnes ayant une déficience au sens du paragraphe 172(1) de la LTC, l'Office doit d'abord déterminer si les possibilités de déplacement de la personne qui présente la demande ont été restreintes ou limitées par un obstacle. Le cas échéant, l'Office doit alors décider si l'obstacle était abusif. Pour répondre à ces questions, l'Office doit tenir compte des circonstances de l'affaire dont il est saisi.
Les possibilités de déplacement ont-elles été restreintes ou limitées par un obstacle ?
L'expression « obstacle » n'est pas définie dans la LTC, ce qui donne à penser que le Parlement ne voulait pas limiter la compétence de l'Office compte tenu de son mandat d'éliminer les obstacles abusifs dans le réseau de transport de compétence fédérale. De plus, le terme « obstacle » a un sens large et s'entend habituellement d'une chose qui entrave le progrès ou la réalisation.
Pour déterminer si une situation constitue ou non un « obstacle » aux possibilités de déplacement d'une personne ayant une déficience dans un cas donné, l'Office se penche sur les déplacements de cette personne qui sont relatés dans la demande. Dans le passé, l'Office a conclu qu'il y avait eu des obstacles dans plusieurs circonstances différentes. Par exemple, dans certains cas des personnes n'ont pas pu voyager, d'autres ont été blessées durant leurs déplacements (notamment quand l'absence d'installations convenables durant le déplacement affecte la condition physique du passager) et d'autres encore ont été privées de leurs aides à la mobilité endommagées pendant le transport. De plus, l'Office a identifié des obstacles dans les cas où des personnes ont finalement été en mesure de voyager, mais les circonstances découlant de l'expérience ont été telles qu'elles ont miné leur sentiment de confiance, de dignité, de sécurité, situation qui pourrait décourager ces personnes de voyager à l'avenir.
Le cas présent
L'Office reconnaît que Mme Reinsborough ait pu ressentir de l'inconfort en raison du siège qui lui a d'abord été assigné à bord du vol, mais l'Office constate aussi que, dans ce cas, Air Canada a répondu aux besoins de Mme Reinsborough en lui permettant de s'asseoir dans un siège libre de la classe affaires sans frais supplémentaires. Ainsi, Air Canada a éventuellement pris des mesures appropriées pour satisfaire les besoins de Mme Reinsborough. Par conséquent, l'Office détermine que l'expérience vécue par Mme Reinsborough n'a pas constitué un obstacle abusif à ses possibilités de déplacement.
Opinion dissidente de Gilles Dufault, membre
J'ai examiné avec soin tous les éléments de preuve versés au dossier et j'ai lu la décision de la majorité dans ce cas.
Je suis d'accord avec la conclusion rendue par les membres établissant que Mme Reinsborough a une déficience aux termes de la partie V de la LTC. Cependant, (comme je l'ai mentionné dans ma récente opinion dissidente à l'égard de la demande de Linda McKay-Panos - Décision no 567-AT-A-2002, ou comme l'a reconnu l'Office dans le passé) l'obésité n'est pas une déficience évidente. Par conséquent, je ne peux que conclure que Mme Reinsborough a une déficience aux termes de la partie V de la LTC après avoir utilisé le modèle d'analyse des déficiences contenu dans la classification internationale du fonctionnement, du handicap et de la santé (ci-après la CIF) de l'Organisation mondiale de la santé pour l'examen du cas de Mme Reinsborough.
On devrait noter que même si Mme Reinsborough a plusieurs troubles médicaux et problèmes qui pourraient amener à la considérer comme une personne ayant une déficience, sa plainte concerne son incapacité d'utiliser le siège qui lui a été assigné à bord d'un aéronef à cause de son obésité. Par conséquent, il doit y avoir dans ce cas une détermination que son obésité est une déficience aux termes de la partie V de la LTC et, pour cette raison, l'admission d'Air Canada que Mme Reinsborough est une personne ayant une déficience selon certains critères est inutile.
Finalement, je ne peux pas être d'accord avec la décision de la majorité qui conclut que Mme Reinsborough n'a pas fait face à un obstacle à ses possibilités de déplacement.
1. Déficience
Le 12 décembre 2001, dans le cas de Mme McKay-Panos, l'Office a rendu la décision no 646-AT-A-2001 (ci-après la décision de Calgary) sur la question préliminaire à savoir si l'obésité est une déficience. L'Office a rendu cette décision après avoir entendu des témoignages d'experts détaillés sur le sujet et la décision de Calgary a établi plusieurs constatations basées sur le modèle de la CIF d'analyse des déficiences qui, de fait, fournit un test pour déterminer si une personne qui est obèse a une déficience aux termes de la partie V de la LTC.
Comme je l'ai mentionné dans mon opinion dissidente à l'égard de la demande de Linda McKay-Panos, j'estime que le modèle de la CIF fournit un cadre d'analyse utile, approprié et important pour l'Office au moment d'évaluer si les conditions physiques qui ne sont pas des déficiences évidentes, comme l'obésité, sont des déficiences aux termes de la partie V de la LTC. Je renvoie le lecteur aux décisions no 646-AT-A-2001 et no 567-AT-A-2002 pour une discussion plus détaillée sur le cadre d'analyse.
Conformément à mon opinion dissidente dans le cas de Mme McKay-Panos, je prendrai chaque aspect du test établi dans la décision de Calgary et je les appliquerai au cas de Mme Reinsborough.
(i) il faut qu'il y ait invalidité pour qu'il y ait une déficience aux termes de la partie V de la LTC;
La CIF, que l'Office, dans la décision de Calgary, a reconnue comme un outil utile dans l'analyse des questions de déficience, offre les définitions suivantes :
Les déficiences désignent des problèmes des fonctions organiques ou des structures anatomiques, comme un écart ou une perte importante. Le terme organique se réfère à l'ensemble de l'organisme humain et englobe donc le cerveau et ses fonctions. Les fonctions organiques désignent les fonctions physiologiques des systèmes organiques, y compris les fonctions psychologiques. Les structures anatomiques désignent les parties du corps humain, telles que les organes, les membres et leurs composantes. Les déficiences représentent des écarts par rapport à certaines normes généralement acceptées de l'état biomédical du corps et de ses fonctions. (CIH, page 10)
Dans la CIF, les problèmes de poids sont considérés comme étant une fonction du corps et sont classés sous la catégorie « Fonctions des systèmes digestif, métabolique et endocrinien ». Dans la classification no b530 « Fonctions de maintien du poids », la CIF inclut les fonctions de maintien d'un indice de masse corporelle (IMC) acceptable et les déficiences comme l'insuffisance pondérale, la cachexie, l'amaigrissement, l'excès pondéral, l'émaciation ainsi que l'obésité primaire et secondaire. (CIH, page 65) Donc, selon la CIF, les personnes obèses ont une invalidité.
Mme Reinsborough a différents troubles médicaux graves et affirme qu'elle a pris plus de 100 livres en un an après avoir utilisé un stéroïde. Elle a déposé une lettre signée par son docteur en juillet 2000 confirmant qu'elle était « [traduction] manifestement obèse ». Air Canada n'a pas contredit cette preuve.
La preuve recueillie par l'Office à l'audience de Calgary appuie clairement l'affirmation que l'obésité manifeste, ou l'obésité morbide, entraîne un haut niveau de difficulté fonctionnelle. Selon la CIF, elle « représente une déviation de certaines normes généralement acceptées par la population dans la structure biomédicale du corps et de ses fonctions ».
D'après ce qui précède, j'accepte que Mme Reinsborough a une invalidité.
(ii) une invalidité à elle seule ne suffit pas à conclure que l'obésité est une déficience aux termes de la partie V de la LTC;
À la lumière de ma conclusion en (i), j'examinerai maintenant les prochaines étapes de l'analyse.
(iii) pour déterminer qu'une personne obèse a une déficience aux termes de la LTC, il est nécessaire de démontrer que la personne se heurte à des limitations d'activités et/ou des restrictions de participation dans le cadre du réseau fédéral de transport;
(iv) une preuve factuelle de l'existence de limitations d'activités et/ou de restrictions de participation est nécessaire pour conclure qu'une personne obèse est une personne ayant une déficience.
La CIF définit les limitations d'activités comme étant les difficultés qu'une personne peut éprouver, lorsqu'elle exécute une tâche, en raison d'une invalidité, évaluées par rapport à la norme généralement acceptée par la population. La norme par rapport à laquelle la capacité ou le rendement d'une personne est évaluée consiste en la capacité ou le rendement d'une personne qui n'a pas un problème de santé similaire. La CIF dit clairement que l'analyse de la déficience doit prendre en compte l'objectif qu'une personne a en tête et, en acceptant d'utiliser le modèle comme guide, on doit regarder les activités de la personne.
Selon la CIF, les restrictions de participation sont des problèmes auxquels une personne peut se heurter dans la vie de tous les jours à la suite de limitations d'activités. L'objectif des restrictions de participation est d'évaluer comment les limitations d'activités affectent la capacité d'une personne à participer à des situations de la vraie vie. Comme pour les limitations d'activités, la CIF évalue les restrictions de participation par rapport à la norme généralement acceptée par la population. De cette façon, si une personne, à cause de ses limitations d'activités, a des difficultés lors de son voyage qu'une personne normale n'a pas, on peut dire que cette personne éprouve des restrictions de participation.
Dans le transport aérien, un voyageur achète un billet pour aller du point A au point B et ce billet lui donne le droit d'occuper un siège et d'accéder à toutes les caractéristiques et les commodités qui y sont associées. Un siège d'aéronef est l'espace dans lequel le passager vit pour la durée du vol et le siège a été conçu et construit dans ce but. À cause de l'espace limité dans un aéronef et des règles de sécurité aérienne qui exigent que le passager soit assis dans ce siège et qu'il boucle sa ceinture dans les circonstances prescrites, toutes les activités et le bien-être du passager sont centrés autour du siège que le passager occupe.
S'asseoir dans le siège et accéder aux caractéristiques ou aux commodités intégrées constituent les activités essentielles d'un passager à bord d'un aéronef durant la plus grande partie du voyage et, en conséquence, le siège doit être considéré en relation à sa conception et aux commodités qu'il offre à un passager moyen. Les sièges d'un aéronef comme celui à bord duquel Mme Reinsborough a voyagé en janvier 2001 ont été conçus pour que les passagers moyens puissent effectuer les fonctions suivantes :
- s'asseoir dans le siège et en sortir facilement pour des raisons de sécurité;
- s'asseoir dans le siège sans être inconfortable ou ressentir de la douleur;
- brancher des écouteurs et/ou un ordinateur;
- incliner le siège;
- utiliser la tablette pour lire, écrire ou manger;
- respecter les règles de sécurité à bord de l'aéronef qui demandent que les passagers soient assis et qu'ils aient bouclé leur ceinture dans les circonstances prescrites.
Pour déterminer si un passager ayant une invalidité a fait face à des limitations d'activités, il faut d'abord établir si le passager peut effectuer les fonctions susmentionnées. La preuve présentée par Mme Reinsborough sur les difficultés auxquelles elle a fait face en prenant place dans le siège qui lui a été assigné me mène à conclure qu'elle ne pouvait pas effectuer la plupart des fonctions susmentionnées. Elle ne pouvait pas utiliser ce siège d'aéronef comme la personne moyenne pour qui le siège est conçu. Elle s'est donc heurtée à des limitations d'activités.
De plus, l'impact de ces difficultés sur la capacité de Mme Reinsborough de voyager est important. Elle a été incapable de terminer le vol dans le siège qui lui était assigné et, donc, elle s'est aussi heurtée à des restrictions de participation.
Constatation
Pour les raisons susmentionnées, je conclus que Mme Reinsborough est une personne obèse ayant une déficience aux termes de la partie V de la LTC.
2. Obstacle
Selon moi, trois questions devraient être examinées :
- le siège assigné à Mme Reinsborough;
- la manière dont elle a été traitée par le personnel d'Air Canada;
- la politique d'Air Canada sur l'assignation de sièges qui fournissent plus d'espace aux passagers qui ont besoin de cet espace en raison de leur déficience.
La preuve incontestée de Mme Reinsborough était qu'elle avait déjà eu des problèmes pour s'asseoir dans un siège de la classe économique à bord d'un aéronef. Elle a déposé auprès de l'Office des copies de la correspondance qu'elle a fait parvenir antérieurement à Air Canada comme preuve de ses plaintes.
En raison de ses expériences antérieures en cours de vol, le mari de Mme Reinsborough a mentionné le fait qu'elle est obèse lorsqu'il a fait les réservations avec Air Canada afin d'essayer d'obtenir un siège qui serait adapté à son besoin d'espace supplémentaire et pour éviter la gêne que sa femme avait subie auparavant parce que les sièges assignés ne répondaient pas à ses besoins. Cependant, malgré le fait qu'il ait eu une conversation avec l'agent de réservation à propos des besoins de sa femme, on a assigné au couple des sièges près cloison qui, même s'ils fournissent plus d'espace devant le siège pour les jambes, ne fournissaient pas un espace plus large que d'autres sièges en classe économique. De plus, on a assigné à Mme Reinsborough un siège au milieu d'une rangée de trois sièges et, puisque la section économique était complète, les sièges de chaque côté d'elle avaient été assignés à d'autres passagers.
Ce siège, de toute évidence, ne répondait pas aux besoins de Mme Reinsborough. On a dû demander l'aide d'autres personnes pour l'aider à prendre place dans son siège et à le quitter. Pour le peu de temps qu'elle a été assise dans le siège, cela lui a causé de la douleur dans les jambes et le passager assis à côté d'elle s'est plaint de la mesure dans laquelle Mme Reinsborough empiétait dans son espace. Mme Reinsborough a trouvé l'expérience gênante et humiliante. Je n'éprouve donc aucune difficulté à conclure que le siège assigné à Mme Reinsborough a constitué un obstacle à ses possibilités de déplacement.
Cependant, je reconnais qu'Air Canada a atténué le problème en transférant Mme Reinsborough à un siège dans la classe affaires qui répondait à ses besoins. Par conséquent, j'estime que l'obstacle créé par le siège assigné n'était pas abusif dans ce cas. Cela dit, je comprend que cette mesure a seulement été prise à la dernière minute et qu'elle a été rendue possible uniquement parce qu'il y avait un siège de disponible dans la classe affaires. Ainsi, cela ne fournit pas à Mme Reinsborough la certitude que ses préparatifs de voyage satisferont à ses besoins et n'a qu'une certaine valeur comme solution permanente à son problème.
L'inconfort de Mme Reinsborough a été aggravé par l'insensibilité par l'équipage de bord du transporteur face à sa situation. Malgré la gêne déjà causée à Mme Reinsborough lorsqu'elle a essayé de s'asseoir dans son siège assigné, y compris le fait d'être l'objet d'une plainte d'un autre passager, elle n'a pas été installée rapidement dans un autre siège plus approprié. Au lieu de cela, une longue discussion a suivi entre Mme Reinsborough et des membres de l'équipage, ce qui a apparemment joué un rôle dans le retard du départ du vol de huit minutes. De plus, même si on a révélé plus tard que d'autres facteurs ont contribué au retard du départ dudit vol, un agent de bord a blâmé, devant tout le monde, Mme Reinsborough pour le retard et lui a demandé de signer un document reconnaissant son rôle dans le retard du départ. Mme Reinsborough a reconnu que l'agent de bord l'a traitée avec plus de sympathie au cours du vol, mais seulement après que Mme Reinsborough lui ait tout révélé ses troubles médicaux. Air Canada n'a pas traité de la question concernant la façon dont l'équipage de bord a traité Mme Reinsborough.
Il est, sans aucun doute, difficile pour un équipage de s'occuper des problèmes de siège de dernière minute à bord de l'aéronef. Cependant, jusqu'à ce qu'elle révèle ses autres déficiences à l'agent de bord, Mme Reinsborough a été mal traitée à cause de son obésité. Lorsqu'elle a informé l'agent de bord de ses autres problèmes de santé, l'attitude de l'équipage a changé. Toutefois, j'accepte l'affirmation de Mme Reinsborough selon laquelle elle a été humiliée et gênée lorsqu'elle était simplement perçue comme une personne obèse. Selon moi, cela a constitué un obstacle à ses possibilités de déplacement. De plus, j'estime que cet obstacle était abusif puisqu'il aurait pu facilement être évité si l'équipage de bord avait été plus sensible et courtois.
Finalement, je considère que la politique d'Air Canada qui consiste à imposer des frais plus élevés aux passagers qui requièrent plus d'espace assis en raison de leur obésité est pertinente à l'examen de la présente affaire puisque son application a empêché Mme Reinsborough d'obtenir le siège qu'elle avait demandé au moment de la réservation.
Mme Reinsborough a indiqué qu'on a avisé son mari qu'elle pouvait acheter deux sièges pour répondre à ses besoins. Cependant, Mme Reinsborough affirme qu'elle et son mari n'ont pas choisi cette solution puisqu'elle croit que l'achat de deux sièges est un prix déraisonnable à payer pour satisfaire à ses besoins.
Contrairement à l'information que l'agent de réservation d'Air Canada a fournie au mari de Mme Reinsborough, Air Canada soutient que sa politique aurait permis à Mme Reinsborough d'acheter deux sièges pour une fois et demie le prix d'un siège au moment de la réservation.
En 1993, dans le cas d'une demande déposée par Maureen Buchholz contre Air Canada, le tribunal de l'Office national des transports, l'un des prédécesseurs de l'Office, a déterminé que les personnes ayant une déficience devraient avoir droit de voyager sans avoir à payer une sanction pécuniaire en raison de leurs besoins. Dans ce cas, le tribunal a appliqué le principe de « une personne - un prix » en enjoignant à Air Canada de permettre à une personne ayant une déficience qui avait besoin de trois sièges de payer un seul prix pour le voyage. Conformément à ce principe, le fait d'exiger de Mme Reinsborough qu'elle paie une fois et demie le prix afin d'obtenir un siège qui répondrait à ses besoins serait, en fait, un obstacle à ses possibilités de déplacement.
Cependant, je ne suis pas en mesure de soupeser les intérêts en jeux afin d'évaluer si cela a constitué un obstacle abusif à ses possibilités de déplacement compte tenu de la preuve au dossier.
Conclusion
Pour les raisons susmentionnées, je conclus que Mme Reinsborough est une personne ayant une déficience aux termes de la partie V de la LTC qui a fait face à trois obstacle à ses possibilités de déplacement dans le cas présenté à l'Office, soit sur le plan de l'assignation des sièges, de la façon dont elle a été traitée par le personnel d'Air Canada et de la politique d'Air Canada l'obligeant à payer une fois et demie le prix pour un siège qui aurait répondu à ses besoins. De plus, même si j'ai constaté que l'obstacle imposé par la manière dont elle a été traitée par le personnel était abusif, j'estime que l'assignation du siège n'était pas abusif et je n'ai pas été en mesure de déterminer le caractère abusif de l'obstacle créé par la politique d'Air Canada puisqu'il n'y avait pas suffisamment de preuve pour l'évaluer. Par conséquent, j'aurais cherché à obtenir plus de preuve de la part d'Air Canada afin d'examiner la dernière question à savoir si la politique est abusive.
Membre
- Gilles Dufault
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