Décision n° 74-C-A-2021
DEMANDE présentée par Cynthia Roorda contre Air Canada et EVA Airways Corporation (EVA Air), au titre du paragraphe 110(4) du Règlement sur les transports aériens, DORS/88-58 (RTA), concernant un refus de transport.
RÉSUMÉ
[1] Cynthia Roorda a déposé une demande auprès de l’Office des transports du Canada (Office) contre Air Canada concernant le refus d’EVA Air de la transporter sur le vol no BR872 depuis Hong Kong, Chine, le 8 décembre 2018.
[2] Mme Roorda réclame une indemnisation pour les dépenses suivantes :
- 4 162,28 CAD pour le billet en classe affaires acheté auprès d’EVA Air pour un vol de Hong Kong à Vancouver (Colombie-Britannique), via Taipei (Taïwan);
- 363,43 CAD pour le billet en classe économique acheté auprès d’Air Canada pour un vol de Vancouver à Calgary (Alberta);
- 100,00 CAD pour les appels interurbains.
[3] Dans la présente décision, l’Office se penchera sur la question suivante :
EVA Air a-t-elle correctement appliqué les conditions énoncées dans son tarif intitulé International Passenger Rules and Fares Tariff No. BR1 containing Local Rules, Fares & Charges on behalf of EVA Airways Corporation Applicable to the Transportation of Passengers and Baggage Between Points in Canada/USA and Points in Area 1/2/3, NTA(A) No. 435 (tarif), comme l’exige le paragraphe 110(4) du RTA?
[4] Pour les motifs énoncés ci-après, l’Office conclut qu’EVA Air a correctement appliqué les conditions énoncées à la règle 25(A)(1)(d) de son tarif lorsqu’elle a refusé de transporter Mme Roorda. Par conséquent, l’Office rejette la demande présentée contre EVA Air.
CONTEXTE
[5] Mme Roorda et son mari, Jacob Roorda, ont échangé des points Aéroplan pour se procurer un billet intercompagnies d’EVA Air et Air Canada pour un vol aller simple de Hong Kong à Calgary, via Taipei et Vancouver, dont le départ était prévu le 8 décembre 2018.
[6] Lorsque Mme Roorda a tenté de s’enregistrer pour son vol au départ de Hong Kong, le vol n° BR872, EVA Air a remarqué qu’il y avait un problème avec le nom figurant sur son billet. Le nom apparaissait comme « Jacoband Roorda » alors que son passeport portait le nom de « Cynthia Louise Roorda ». On lui a demandé de présenter une pièce d’identité portant le nom de « Jacoband Roorda », mais comme elle n’a pas pu le faire, EVA Air a refusé de la transporter.
[7] Mme Roorda a tenté de communiquer avec Aéroplan pour résoudre le problème, mais en raison du décalage horaire, elle n’a pas pu le faire. Elle a également tenté de résoudre le problème auprès d’Air Canada, qui n’a toutefois pas été en mesure de modifier le billet.
[8] En conséquence, Mme Roorda a acheté de nouveaux billets auprès d’EVA Air et d’Air Canada, sur le même itinéraire.
[9] Aéroplan a remboursé à Mme Roorda les milles et les taxes payés pour la partie non utilisée de ses billets.
[10] Le 9 novembre 2020, l’Office a ouvert les actes de procédure sur la demande contre Air Canada.
[11] Le 4 février 2021, dans la décision no LET-C-A-6-2021, l’Office a ajouté EVA en tant que défenderesse à la demande.
OBSERVATIONS PRÉLIMINAIRES
Tarif applicable
[12] Même si Air Canada était le transporteur qui a émis les billets, le billet de Mme Roorda était pour un itinéraire intercompagnies avec des vols exploités par Air Canada et EVA Air. Dans la décision no 150-C-A-2013 (Forsythe c Air Canada), l’Office a établi la différence entre les billets intercompagnies et les billets en partage de codes. Dans cette décision, l’Office déclarait ce qui suit :
Les conditions d’un transporteur s’appliquent pour le transport effectué par un autre transporteur seulement dans le cas d’un billet à codes partagés. Un billet à codes partagés est un billet pour un voyage vendu sous le code ou l’identité d’un transporteur, mais effectué par deux transporteurs ou plus aux termes d’ententes contractuelles particulières entre les transporteurs qui régissent de tels vols, et où le tarif du transporteur qui commercialise le billet s’applique à l’ensemble du voyage.
[...] Un voyage intercompagnies comprend des vols exploités par deux ou plusieurs transporteurs selon leurs propres conditions. Pour accommoder un passager et les transporteurs participants, tous les segments d’un voyage intercompagnies apparaissent sur le même billet, et les droits de transport pour le voyage sont payés au transporteur qui délivre le billet, et ensuite distribués entre les transporteurs qui fournissent le transport. Toutefois, le transport n’est pas commercialisé par un seul transporteur.
[13] Au moment de déterminer quel est le tarif du transporteur qui s’applique aux billets intercompagnies, l’Office a constaté que le tarif de chaque transporteur s’applique à leurs vols respectifs de l’itinéraire.
[14] Dans le cas présent, Mme Roorda s’est vu refuser le transport sur son premier segment, le vol n° BR872, exploité par EVA Air. Par conséquent, l’Office conclut que le tarif d’EVA Air s’applique.
[15] Par ailleurs, EVA Air fait référence à ses conditions de transport qui se trouvent sur son site Web. L’Office souligne que selon le paragraphe 110(4) du RTA, les voyages à destination et en provenance du Canada sont régis par le tarif du transporteur déposé auprès de l’Office. Par conséquent, le tarif d’EVA Air s’applique à l’affaire présente, et non ses conditions de transport.
Demande contre Air Canada
[16] Mme Roorda prétend que la « petite coquille » était la faute d’Aéroplan et a donc déposé sa demande contre Air Canada. Cependant, comme le montrent le document des observations des agents principaux d’Aéroplan figurant au dossier et l’historique du dossier passager déposé par Air Canada, la réservation a été effectuée en ligne par le biais du portail de réservation en ligne d’Aéroplan. Par conséquent, c’est Mme Roorda ou M. Roorda qui a saisi son nom de manière incorrecte dans les champs de réservation, et non Aéroplan. De plus, à la réception, le 19 décembre 2017 ou autour de cette date, du billet électronique indiquant le nom de Jacoband Roorda, Mme Roorda n’a pas communiqué avec Aéroplan pour corriger l’erreur. Par conséquent, l’Office conclut que ni Air Canada ni Aéroplan ne sont responsables du fait que le nom de Mme Roorda n’a pas été correctement inscrit sur son billet.
[17] Enfin, il incontestable qu’EVA Air a refusé de transporter Mme Roorda et, comme il a été constaté ci-dessus, que le tarif d’EVA Air s’applique. Compte tenu de ce qui précède, l’Office rejette la demande présentée contre Air Canada.
Stress et perte de temps
[18] Mme Roorda soutient qu’elle a subi un stress important et qu’elle a perdu trois heures à essayer de résoudre le « simple problème » du nom figurant sur son billet avec EVA Air, Air Canada et Aéroplan.
[19] Cependant, l’Office n’est pas un tribunal de compétence générale. Il est limité dans son pouvoir par sa loi, la Loi sur les transports au Canada, LC 1996, c 10. En conséquence, l’Office peut uniquement accorder une indemnisation à un passager pour les dépenses supportées découlant directement du fait qu’un transporteur n’a pas correctement appliqué les conditions de transport énoncées dans son tarif. Il ne peut pas ordonner une indemnisation pour le stress et la perte de temps.
[20] L’Office ne se penchera pas sur cette question.
LA LOI ET LES DISPOSITIONS TARIFAIRES PERTINENTES
[21] Le paragraphe 110(4) du RTA exige que, lors de l’exploitation d’un service international, le transporteur aérien applique correctement les conditions de transport énoncées dans son tarif.
[22] Si l’Office conclut qu’un transporteur aérien n’a pas correctement appliqué son tarif, l’article 113.1 du RTA confère à l’Office le pouvoir de lui ordonner :
a) de prendre des mesures correctives qu’il estime indiquées;
b) de verser des indemnités à quiconque pour toutes dépenses qu’il a supportées en raison de la non-application de ces prix, taux, frais ou conditions prévus au tarif.
[23] Les dispositions pertinentes du tarif figurent à l’annexe.
POSITION DES PARTIES
Mme Roorda
[24] Mme Roorda fait valoir qu’elle a été confrontée à un « simple problème » avec son billet, car il portait le nom de « Mme Jacoband Roorda ». Elle affirme que l’erreur dans son nom constituait un écart important pour EVA Air, l’empêchant ainsi de s’enregistrer.
[25] Mme Roorda fait valoir qu’elle et son mari ont présenté à EVA Air des éléments prouvant qu’elle était en fait « Mme Jacob Roorda ». À savoir leurs passeports, leurs permis de conduire, leur itinéraire, l’adresse de leur domicile et leurs alliances. Elle soutient que les renseignements présentés auraient dû être suffisants pour qu’EVA Air l’autorise à embarquer sur le vol.
[26] Mme Roorda déclare qu’au moment de l’incident, elle a appelé Aéroplan pour tenter de résoudre le problème, mais qu’il n’y a pas eu de réponse parce qu’elle appelait après les heures de bureau. Elle déclare également qu’elle a parlé à l’agent local d’Air Canada à Hong Kong, mais qu’il n’a pas pu l’aider. Elle a ensuite appelé Air Canada au Canada, qui n’a pas non plus été en mesure de corriger le nom figurant sur le billet et qui aurait refusé de saisir ses supérieurs de l’affaire pour qu’elle soit résolue ni de lui proposer des « solutions de rechange raisonnables » pour lui permettre de voyager.
EVA Air
[27] Selon EVA Air, et la déclaration sous serment de Ling Ho, agente d’enregistrement, lorsque Mme Roorda s’est enregistrée pour le vol n° BR872, le billet de Mme Roorda comportait une « anomalie majeure et très préoccupante », car le nom ne correspondait pas à celui inscrit dans le passeport canadien de Mme Roorda. EVA Air déclare que le nom figurant sur le passeport de Mme Roorda était Cynthia Louise Roorda alors que le nom figurant sur son billet était Mme Jacoband Roorda.
[28] EVA Air soutient que son personnel a demandé à Mme Roorda de fournir des documents prouvant que Jacoband Roorda et Cynthia Louise Roorda étaient une seule et même personne, afin de satisfaire au processus de vérification des documents de voyage requis. Elle affirme que Mme Roorda n’a pas pu présenter une identification positive prouvant qu’elle était bien Jacoband Roorda et que, par conséquent, son personnel n’a pas pu accepter que Mme Roorda voyage avec ce billet.
[29] EVA Air soutient que selon la règle 25 de son tarif, elle peut refuser le transport à un passager si ce dernier présente un billet qui a été acquis illégalement, qui a été acheté auprès d’une entité autre qu’Eva Air ou de son agent autorisé, qui a été déclaré perdu ou volé, qui est contrefait ou si le passager ne peut pas prouver qu’il est la personne nommée sur le billet.
[30] EVA Air fait valoir qu’en raison des différences entre les noms figurant sur le passeport canadien de Mme Roorda et le billet électronique, elle les a considérés comme des identités différentes. EVA Air fait valoir qu’elle ne pouvait donc pas assurer le transport dans de telles circonstances, car cela contreviendrait à son tarif.
[31] EVA Air fait de plus valoir que, puisque le billet de Mme Roorda a été délivré par Air Canada au nom d’Aéroplan, EVA Air ne pouvait pas changer le nom figurant sur le billet.
ANALYSE ET DÉTERMINATIONS
[32] Le fardeau de la preuve repose sur le demandeur, qui doit établir, selon la prépondérance des probabilités, que le transporteur n’a pas correctement appliqué les conditions de transport énoncées dans son tarif.
[33] Dans sa réponse, EVA Air fait référence aux conditions de la règle 25 de son tarif actuel. Toutefois, le tarif applicable est celui qui était en vigueur au moment de l’incident.
[34] La règle 25(A)(1)(d) du tarif, en vigueur au moment de l’incident, énonce qu’EVA Air refusera le transport à un passager si ce dernier ne peut fournir une identification positive. De plus, le Règlement sur la sûreté des déplacements aériens, DORS/2015-181 exige que les transporteurs vérifient les documents de voyage. Enfin, Sécurité publique Canada informe les voyageurs sur son site Web que le nom figurant sur leur pièce d’identité doit correspondre au nom figurant sur leur billet.
[35] Dans le cas présent, le prénom figurant sur le billet de Mme Roorda était Jacoband, alors que sur son passeport, le prénom et le second prénom étaient respectivement Cynthia et Louise. L’Office reconnaît que Mme Roorda est mariée à Jacob Roorda et qu’elle a pu s’identifier comme Mme Jacob Roorda; cependant, elle n’a pas été en mesure de fournir à EVA Air une pièce d’identité portant le nom de Jacoband Roorda comme indiqué sur son billet. Compte tenu de ce qui précède, l’Office conclut qu’EVA Air a correctement appliqué la règle 25(A)(1)(d) de son tarif lorsqu’elle a refusé de transporter Mme Roorda sur le vol no BR872.
[36] L’Office distingue cette affaire de la décision no 18-C-A-2019 (Meyer c Wow air), dans laquelle l’Office a conclu que Wow air n’a pas correctement appliqué son tarif lorsqu’elle a refusé de transporter Mme Meyer. Dans ce cas-là, le nom de famille figurant sur son passeport canadien ne correspondait pas au nom de famille figurant sur son billet; cependant, Mme Meyer a fourni à Wow air son passeport français au moment de l’enregistrement, lequel portait le même nom de famille que celui figurant sur son billet. Dans cette décision, l’Office a également conclu qu’il était du ressort de Wow air de changer le nom sur le billet de Mme Meyer, puisque Wow air était le transporteur qui a délivré les billets.
[37] Cependant, dans le cas présent, Mme Roorda n’a pas fourni de pièce d’identité correspondant au nom figurant sur son billet. De plus, elle voyageait avec un billet d’échange de points Aéroplan émis par Air Canada. Par conséquent, à l’instar de la situation de fait dans la décision n° 10-C-A-2018 (Baiou c. Air Canada), qui concernait également un tiers non-transporteur émettant le billet, EVA Air ne pouvait pas modifier le nom figurant sur le billet de Mme Roorda.
[38] Dans les circonstances de la présente demande, plusieurs éléments ont empêché Mme Roorda d’obtenir un changement de nom sur son billet et d’être transportée sur le vol initialement prévu : (i) le fait qu’un tiers, soit Aéroplan, plutôt que le transporteur, avait émis le billet; (ii) le fait qu’il ne s’agissait pas d’un vol à partage de codes, empêchant EVA de modifier le nom sur le billet, compte tenu du segment subséquent exploité par Air Canada; et, surtout, (iii) le fait que Mme Roorda n’a pas été en mesure de fournir des documents pour une identification positive.
[39] L’Office reconnaît que, malgré le remboursement des milles et des taxes par Aéroplan, Mme Roorda a subi des inconvénients, des contrariétés et des dépenses imprévues pour son transport.
CONCLUSION
[40] Compte tenu de ce qui précède, l’Office conclut qu’EVA Air a correctement appliqué les conditions énoncées à la règle 25(A)(1)(d) de son tarif lorsqu’elle a refusé de transporter Mme Roorda. Par conséquent, l’Office rejette la demande présentée contre EVA Air.
ANNEXE À LA DÉCISION No 74-C-A-2021
International Passenger Rules and Fares Tariff No. BR1 containing Local Rules, Fares & Charges on behalf of EVA Airways Corporation applicable to the Transportation of Passengers and Baggage between points in Canada/USA and points in Area 1/2/3, NTA(A) No. 435
Remarque : Le tarif d’EVA Air a été déposé en anglais seulement.
Rule 25 – REFUSAL TO TRANSPORT – LIMITATIONS OF CARRIAGE
(A) REFUSAL, CANCELLATION
(1) Carrier will refuse to carry, cancel the reserved space of, or remove en route any passenger:
….
(d) when the passenger refuses on request to produce positive identification;
NOTE: Carrier shall have the right, but is not be obligated, to require positive identification of passengers purchasing tickets and/or presenting ticket(s) for the purpose of boarding an aircraft.
Membre(s)
- Date de modification :