Décision n° 75-C-A-2020
DEMANDE présentée par Jaspreet Bal contre WestJet conformément au paragraphe 110(4) du Règlement sur les transports aériens, DORS/88-58 (RTA), concernant des frais de bagages enregistrés et des allégations de discrimination.
RÉSUMÉ
[1] Jaspreet Bal a déposé une demande auprès de l’Office des transports du Canada (Office) contre WestJet concernant son obligation de payer l’enregistrement d’un bagage de dimension cabine parce que celui-ci contenait un kirpan. Mme Bal s’est enregistrée en ligne la veille de son vol et a payé les frais d’enregistrement de son bagage à ce moment-là. Elle affirme cependant qu’une option permettait d’enregistrer gratuitement les bagages de dimension cabine à la borne libre-service de l’aéroport, option dont elle n’a pas été informée.
[2] Mme Bal demande que WestJet reconnaisse qu’elle a été victime de discrimination, qu’elle lui présente des excuses et qu’elle admette que son expérience, en tant qu’être humain et en tant que sikhe, est réelle et enracinée dans son expérience vécue et non le fruit de son imagination. De plus, Mme Bal demande à WestJet d’informer les passagers, au moment de l’enregistrement en ligne, qu’ils peuvent enregistrer leurs bagages gratuitement à l’aéroport.
[3] L’Office se penchera sur les questions suivantes :
- WestJet a-t-elle correctement appliqué les conditions énoncées dans son tarif intitulé International/Transborder Passenger Fares and Rules Tariff No. WS-1 Containing Local and Joint Rules, Fares and Charges on Behalf of WestJet Airlines, LTD Applicable to the Transportation of Passengers and Baggage Between Points in the United States/Canada and Points in Area 1/2/[N]3 and Between Points in the US and Points in Canada, NTA(A) No. 518 (tarif) en ce qui a trait aux bagages enregistrés, comme l’exige le paragraphe 110(4) du Règlement sur les transports aériens, DORS/88-58 (RTA)?
- Le tarif de WestJet établit-il une distinction injuste au sens de l’article 111 du RTA?
[4] Pour les motifs énoncés ci-après, l’Office conclut que WestJet a correctement appliqué les conditions énoncées à la règle 85(B) du tarif de WestJet et que cette règle, concernant les bagages enregistrés, n’établit pas de distinction injuste. L’Office rejette donc la demande.
CONTEXTE
[5] Mme Bal avait acheté un billet pour un vol de Toronto (Ontario) à Londres, Royaume-Uni, dont le départ était prévu le 9 juillet 2019 et le retour le 16 juillet 2019.
[6] Mme Bal s’est enregistrée en ligne le 15 juillet 2019 et a payé l’enregistrement de son bagage de dimension cabine parce qu’elle y avait placé son kirpan, article interdit qui n’aurait pas pu passer le contrôle de sécurité.
[7] Mme Bal déclare avoir utilisé la borne libre-service pour imprimer l’étiquette de son bagage à son arrivée à l’aéroport de Londres. C’est alors qu’elle a été invitée à enregistrer gratuitement une pièce de bagage de dimension cabine.
[8] À son retour chez elle, Mme Bal explique qu’elle a communiqué avec WestJet par courriel et par téléphone, car elle estimait que le fait d’avoir dû payer l’enregistrement de son bagage la veille du vol parce que ce dernier contenait son kirpan, alors qu’elle aurait pu le faire gratuitement à l’aéroport le jour même, constituait un traitement injuste.
LA LOI ET LES DISPOSITIONS TARIFAIRES PERTINENTES
[9] Le paragraphe 110(4) du RTA exige qu’un transporteur aérien applique correctement, lors de l’exploitation d’un service international, les conditions de transport énoncées dans son tarif.
[10] Le paragraphe 111 du RTA prévoit ce qui suit :
(1) Les taxes et les conditions de transport établies par le transporteur aérien, y compris le transport à titre gratuit ou à taux réduit, doivent être justes et raisonnables et doivent, dans des circonstances et des conditions sensiblement analogues, être imposées uniformément pour tout le trafic du même genre.
(2) En ce qui concerne les taxes et les conditions de transport, il est interdit au transporteur aérien :
a) d’établir une distinction injuste à l’endroit de toute personne ou de tout autre transporteur aérien;
b) d’accorder une préférence ou un avantage indu ou déraisonnable, de quelque nature que ce soit, à l’égard ou en faveur d’une personne ou d’un autre transporteur aérien;
c) de soumettre une personne, un autre transporteur aérien ou un genre de trafic à un désavantage ou à un préjudice indu ou déraisonnable de quelque nature que ce soit.
(3) L’Office peut décider si le trafic doit être, est ou a été acheminé dans des circonstances et à des conditions sensiblement analogues et s’il y a ou s’il y a eu une distinction injuste, une préférence ou un avantage indu ou déraisonnable, ou encore un préjudice ou un désavantage au sens du présent article, ou si le transporteur aérien s’est conformé au présent article ou à l’article 110.
[11] Si l’Office conclut qu’un transporteur aérien n’a pas correctement appliqué son tarif, l’article 113.1 du RTA confère à l’Office le pouvoir d’ordonner au transporteur :
a) de prendre les mesures correctives qu’il estime indiquées;
b) de verser des indemnités à quiconque pour toutes dépenses qu’il a supportées en raison de la non-application de ces prix, taux, frais ou conditions de transport.
[12] Les dispositions pertinentes du tarif du transporteur se trouvent à l’annexe.
OBSERVATION PRÉLIMINAIRE
[13] Concernant les excuses demandées par Mme Bal à WestJet, la Loi sur les transports au Canada, LC 1996, c 10 ne confère pas à l’Office le pouvoir d’ordonner une telle mesure de réparation.
POSITIONS DES PARTIES
Mme Bal
[14] Mme Bal affirme qu’elle a été victime de discrimination en tant que personne de confession sikhe, étant donné qu’elle a dû payer 18,32 GBP (30 CAD) pour enregistrer son bagage parce qu’il contenait son kirpan, bien que celui-ci ait été un bagage de dimension cabine. Elle déclare que les voyageurs non sikhs ont eu la possibilité d’enregistrer gratuitement leurs bagages de dimension cabine à la borne libre-service le jour du vol.
[15] Mme Bal affirme, en outre, que WestJet ne communique pas ce renseignement aux passagers qui s’enregistrent en ligne. Les passagers ne disposant pas de ce renseignement paient ainsi des frais de bagages, tandis que les autres n’ont pas besoin de payer l’enregistrement de leurs bagages de dimension cabine s’ils effectuent celui-ci à la borne libre-service de l’aéroport le jour du vol.
WestJet
[16] WestJet soutient que Mme Bal a dû entendre l’agent du service à la clientèle de la compagnie faire une annonce à la porte d’embarquement (c’est-à-dire après le contrôle de sécurité) pour informer les passagers qu’ils pouvaient enregistrer gratuitement leurs bagages de cabine. WestJet appelle cela l’enregistrement à la porte d’embarquement; il s’agit d’un type d’enregistrement mis en œuvre pour s’assurer qu’il y a suffisamment d’espace dans la cabine pour accepter tous les bagages de cabine que les passagers ont l’intention d’emporter à bord.
[17] WestJet suppose que Mme Bal est irritée par le fait que d’autres passagers ont pu enregistrer gratuitement leurs bagages de cabine à la porte d’embarquement, alors qu’elle a dû payer pour enregistrer son bagage.
[18] WestJet souligne que, même si les dimensions du bagage de Mme Bal en faisaient un bagage de cabine, elle savait que celui-ci contenait un article interdit qui n’aurait pas pu passer le contrôle de sécurité, et qu’elle était par conséquent tenue de l’enregistrer.
[19] WestJet rappelle que le kirpan de Mme Bal est un article interdit qui ne peut pas être transporté dans un bagage de cabine. WestJet explique qu’elle suit les directives de Transports Canada, de l’Administration canadienne de la sûreté du transport aérien et de l’autorité de l’aviation civile du Royaume-Uni en ce qui a trait aux articles interdits qui doivent être enregistrés. Selon ces directives, un kirpan de plus de 6 centimètres est considéré comme un article interdit. Étant donné que le kirpan de Mme Bal mesurait plus de 6 centimètres, le bagage a dû être enregistré avant le contrôle de sécurité et les frais d’enregistrement du bagage ont été appliqués. WestJet affirme que, si Mme Bal n’avait pas eu un article interdit dans son bagage de cabine, elle aurait pu l’emporter à bord de l’aéronef ou se voir offrir l’option de l’enregistrer sans frais à la porte d’embarquement.
[20] WestJet fait également valoir que tout passager emportant des marchandises dangereuses ou des articles interdits serait tenu de suivre les mêmes règles en ce qui a trait aux bagages et que ses actions ne sont donc pas discriminatoires.
[21] Enfin, à la suite de plusieurs appels téléphoniques et de plusieurs échanges de courriels avec Mme Bal, WestJet indique qu’elle lui a remboursé les frais pour l’enregistrement de son bagage en geste de bonne volonté, mais qu’elle l’a également informée que le processus avait été correctement suivi et qu’à aucun moment l’enregistrement sans frais des bagages de dimension cabine n’avait été proposé avant la porte d’embarquement.
ANALYSE ET DÉTERMINATIONS
WestJet a-t-elle correctement appliqué les conditions énoncées dans son tarif en ce qui a trait aux bagages enregistrés, comme l’exige le paragraphe 110(4) du RTA?
[22] Le fardeau de la preuve repose sur le demandeur, qui doit établir, selon la prépondérance des probabilités, que le transporteur n’a pas appliqué correctement les conditions de transport énoncées dans son tarif.
[23] Même si Mme Bal voyageait avec un bagage répondant aux exigences de WestJet en matière de bagage de cabine, celui-ci contenait un article interdit. Étant donné que l’article interdit n’aurait pas passé le contrôle de sécurité en raison des directives du gouvernement, Mme Bal a dû enregistrer son bagage avant le contrôle de sécurité.
[24] Mme Bal avait réservé un billet de catégorie Econo. Selon les règles tarifaires applicables à son billet et comme l’énonce la règle 85(B) du tarif, elle devait payer 30 CAD pour sa première pièce de bagage enregistré. L’enregistrement gratuit de son bagage le jour de son vol aurait entraîné une exception à la règle tarifaire. Par conséquent, l’Office conclut que WestJet a correctement appliqué son tarif lorsqu’elle a exigé le paiement de frais pour l’enregistrement du bagage.
Le tarif de WestJet établit-il une distinction injuste au sens de l’article 111 du RTA?
[25] En ce qui a trait aux allégations de discrimination pour des motifs tels que la religion, la race ou l’origine nationale, la compétence de l’Office est limitée aux conditions de transport telles qu’elles sont énoncées dans les tarifs ou dans d’autres documents du transporteur.
[26] Pour déterminer si une condition établit une distinction injuste, l’Office applique le cadre accepté des droits de la personne, y compris le concept des conséquences défavorables (c’est-à-dire des politiques ou des pratiques qui peuvent paraître neutres à première vue, mais qui ont des conséquences différentes, souvent involontaires, sur les membres de certains groupes) et le devoir des transporteurs est d’accommoder les voyageurs tant que ces mesures d’accommodement ne constituent pas une contrainte excessive.
[27] Dans Andrews c Law Society (British Columbia), [1989] 1 RCS 143, la Cour suprême du Canada (CSC) a statué que « […] la discrimination peut se décrire comme une distinction, intentionnelle ou non, mais fondée sur des motifs relatifs à des caractéristiques personnelles d’un individu ou d’un groupe d’individus, qui a pour effet d’imposer à cet individu ou à ce groupe des fardeaux, des obligations ou des désavantages non imposés à d’autres ou d’empêcher ou de restreindre l’accès aux possibilités, aux bénéfices et aux avantages offerts à d’autres membres de la société. »
[28] La jurisprudence relative aux droits de la personne a établi les fardeaux respectifs des plaignants et des défendeurs en cas d’allégations de discrimination. Il incombe initialement au plaignant d’établir, à première vue, qu’il a été victime de discrimination. Dans Moore c Colombie-Britannique (Éducation), 2012 CSC 61 [Moore], la CSC précise, au paragraphe 33, que pour établir à première vue l’existence de discrimination, les plaignants doivent démontrer qu’ils possèdent une caractéristique protégée contre la discrimination, qu’ils ont subi un effet préjudiciable et que la caractéristique protégée a constitué un facteur dans la manifestation de l’effet préjudiciable.
[29] Dans Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c Bombardier Inc. (Bombardier Aéronautique Centre de formation), 2015 CSC 39 [Bombardier], la CSC explique, au paragraphe 59, que l’expression « prima facie » ou « à première vue » ne renvoie qu’au premier volet de la démarche à suivre et ne modifie ni ne diminue le degré de preuve applicable dans les procédures civiles, à savoir la prépondérance des probabilités. Cela signifie qu’il faut démontrer que chaque élément est « plus probable qu’improbable ».
[30] Lorsque le demandeur satisfait aux exigences de preuve à première vue, il incombe au défendeur d’expliquer pourquoi les conséquences défavorables ne peuvent être supprimées. Comme l’explique la CSC dans Moore, au paragraphe 33, « [u]ne fois la discrimination établie à première vue, l’intimé [défendeur] a alors le fardeau de justifier la conduite ou la pratique […]. Si la conduite ou la pratique ne peut être justifiée, le tribunal conclura à l’existence de la discrimination. » (voir également Bombardier, au paragraphe 37).
[31] Conformément à cette jurisprudence, lors de l’examen de demandes alléguant qu’une condition de transport établit une distinction injuste, l’Office emploie une approche en deux étapes :
1) L’Office détermine d’abord si le demandeur a démontré, à première vue, que la condition de transport établit une distinction. Une condition établit une distinction si elle impose un fardeau, une obligation ou un désavantage à certains voyageurs, mais pas à d’autres pour des raisons liées à des caractéristiques protégées telles que la religion, la race ou l’origine nationale, y compris si cela résulte de conséquences défavorables plutôt que d’une discrimination plus directe.
2) Si l’Office conclut qu’une condition de transport établit une distinction, il détermine si cette distinction est « injuste ». La distinction dans ce contexte est considérée comme « injuste » sauf si son élimination engendre une contrainte excessive pour le transporteur. À ce stade, il incombe au demandeur d’expliquer soit comment il propose d’éliminer la distinction, soit la raison pour laquelle son élimination engendrerait une contrainte excessive.
[32] Dans la décision no 9-C-A-2019 (Pieters c WestJet), le demandeur, Selwyn Pieters, a demandé à l’Office d’émettre une conclusion générale statuant que le transporteur avait fait preuve de discrimination envers lui, sans toutefois indiquer la condition du tarif du transporteur qu’il considérait comme potentiellement discriminatoire. M. Pieters n’a pas indiqué la condition spécifique qu’il jugeait comme établissant une distinction injuste. L’Office a conclu qu’il n’avait pas compétence pour émettre une conclusion générale de discrimination sans lien avec une condition de transport et, par conséquent, il n’a rendu aucune ordonnance.
[33] De la même manière, Mme Bal n’a pas indiqué de condition de transport spécifique que l’Office pourrait évaluer en utilisant l’approche en deux étapes décrite ci-dessus. Sa plainte porte plutôt sur l’offre présumée d’enregistrement gratuit des bagages de cabine à la borne libre-service de l’aéroport.
[34] Même si l’Office devait concentrer son analyse sur les conséquences défavorables potentielles que pourraient avoir les conditions tarifaires liées aux frais de bagages enregistrés afin de conclure à une discrimination à première vue (et ce, en dépit du fait que Mme Bal n’affirme pas explicitement que leur libellé est discriminatoire), il lui faudrait notamment déterminer si les passagers se sont vu offrir l’enregistrement gratuit de leur bagage de dimension cabine au moment de l’enregistrement, comme le suggère Mme Bal, ou si cette possibilité leur a été offerte seulement à la porte d’embarquement. Selon la prépondérance des probabilités, l’Office conclut que les affirmations de WestJet sont les plus susceptibles d’être exactes, étant donné que le personnel de WestJet et les bornes libre-service à l’étape de l’enregistrement avant le passage au contrôle de sécurité sont tenus d’appliquer les règles et les frais de bagages normaux associés à la catégorie de billet de chaque passager.
[35] Cependant, le seuil, pour établir un cas de discrimination à première vue, pourrait être atteint si une prochaine demande mentionnait une disposition tarifaire spécifique exigeant un paiement pour l’enregistrement d’une pièce de bagage qui pourrait être transportée en cabine sans frais si elle ne contenait pas un article interdit, en l’absence de toute mesure d’accommodement de la part du transporteur alors que l’article en question est lié à une religion. Dans de telles circonstances, les mesures d’accommodement pourraient inclure la renonciation aux frais de bagage, en tant que politique et non simplement en tant que geste de bonne volonté, comme cela a été fait pour Mme Bal.
[36] Dans la mesure où, dans le cas présent, Mme Bal n’a ni indiqué de condition spécifique comme étant discriminatoire ni établi la discrimination à première vue, il n’est pas nécessaire de déterminer si WestJet a rempli son obligation d’offrir des mesures d’accommodement tant que celles-ci ne constituent pas une contrainte excessive.
CONCLUSION
À la lumière de ce qui précède, l’Office rejette la demande.
ANNEXE À LA DÉCISION No 75-C-A-2020
International/Transborder Passenger Fares and Rules Tariff No. WS-1 Containing Local and Joint Rules, Fares and Charges on Behalf of WestJet Airlines, LTD Applicable to the Transportation of Passengers and Baggage Between Points in the United States/Canada and Points in Area 1/2/[N]3 and Between Points in the US and Points in Canada, NTA(A) No. 518
Remarque : Le tarif de WestJet a été déposé en anglais seulement.
Rule 85(B)
(B) ACCEPTANCE OF CHECKED BAGGAGE
….
Fare Type First Note Second Third Note 2/3/4
Note 2/3 Note 2/3
Currency CAD/USD CAD/USD CAD/USD
….
Econo fare $30 $50 $100 (per item)
Note 6
…
….
….
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