Décision n° 9-C-A-2018

le 2 février 2018

DEMANDE présentée par Asif Uz Zaman, en son nom et aux noms de son épouse, Jehan Jamir Rumkey, et de leurs enfants mineurs (demandeurs) contre Saudi Arabian Airlines Corporation exerçant son activité sous le nom de Saudi Arabian Airline (SAA).

Numéro de cas : 
17-03027

RÉSUMÉ

[1] Les demandeurs ont déposé une demande auprès de l’Office des transports du Canada (Office) contre SAA concernant l’annulation du vol n° SV0060 de Toronto (Ontario), Canada, à Jeddah, Arabie Saoudite, le 21 décembre 2016.

[2] Les demandeurs réclament une indemnisation de 80 000 $CA, soit le remboursement du prix de leurs billets d’avion et des dépenses supportées en conséquence du retard, ainsi qu’une indemnisation pour de la douleur et de la souffrance, des inconvénients et la perte de jouissance.

[3] L’Office se penchera sur la question suivante :

SAA a-t-elle correctement appliqué les conditions énoncées dans son tarif intitulé International Passenger Rules and Fares Tariff, NTA(A) No. 324 (tarif), qui incorpore par renvoi la Convention pour l’unification de certaines règles relatives au transport aérien international – Convention de Montréal (Convention de Montréal), en ce qui a trait à la responsabilité des transporteurs relativement aux changements d’horaire, comme l’exige le paragraphe 110(4) du Règlement sur les transports aériens, DORS/88-58, modifié (RTA)? Si SAA n’a pas correctement appliqué les conditions énoncées dans son tarif, quel recours, le cas échéant, est à la disposition des demandeurs?

[4] Pour les motifs énoncés ci-après, l’Office conclut que SAA n’a pas correctement appliqué les conditions de la règle 55(B)(4) de son tarif et ordonne à SAA de verser aux demandeurs une indemnisation de 250,07 $CA, qui représente les dépenses supportées en conséquence du retard. SAA doit payer ce montant aux demandeurs le plus tôt possible, mais au plus tard le 16 mars 2018.

CONTEXTE

[5] L’itinéraire des demandeurs comprenait un vol direct de SAA qui devait partir de l’aéroport international Pearson de Toronto (aéroport de Toronto) à 12 h 45, le 21 décembre 2017, et arriver à l’aéroport international Zing Abdulaziz de Jeddah (Jeddah) à 8 h 30, le 22 décembre 2017 (vol n° SV0060).

[6] Le vol n° SV0060 a été annulé après l’embarquement en raison de dommages causés à l’une des ailes de l’aéronef. Les demandeurs ont été réacheminés à bord du vol n° SV2031, qui est parti de Toronto à 11 h, le 22 décembre 2017, et est arrivé à Jeddah vers 6 h 45, le 23 décembre 2016. L’annulation du vol n° SV0060 a donc entraîné un retard d’environ 22 heures et 15 minutes.

OBSERVATION PRÉLIMINAIRE

Compétence de l’Office sur la qualité du service, la douleur et la souffrance, et la perte de jouissance

[7] Les demandeurs font valoir que l’annulation du vol n° SV0060, leur arrivée retardée à la destination finale, la nourriture inadéquate qu’on leur a servie durant le retard et à l’hôtel, ainsi que le mauvais traitement par SAA, ont fait en sorte que les quatre passagers ont été malades et ont subi de la souffrance morale. Ils ajoutent que pendant qu’ils étaient à bord de l’aéronef, Mme Rumkey a été malade et un médecin lui a administré une injection. À leur arrivée à Jeddah, l’équipage de conduite a ensuite fourni une assistance à Mme Rumkey jusqu’à la clinique de l’aéroport. De plus, tous les membres de la famille ont été malades et ont eu des problèmes gastro‑intestinaux à leur arrivée à Jeddah. M. Zaman et Mme Rumkey ont reçu des antibiotiques et les enfants ont été cloués au lit pendant les trois premiers jours de leur séjour à Jeddah.

[8] Les demandeurs se rendaient à Jeddah pour participer à une oumra, un pèlerinage religieux au cours duquel on récite des prières particulières. Ils affirment qu’en conséquence de leur état de santé, ils ont raté la oumra, ce qui leur a causé une importante souffrance morale et un traumatisme.

[9] En conséquence, les demandeurs réclament le remboursement complet de leurs billets, et des dommages-intérêts pour la douleur et la souffrance qu’ils ont endurées. Toutefois, l’Office n’a pas la compétence pour ordonner une indemnisation pour des éléments comme la qualité du service, la douleur et la souffrance, ou encore la perte de jouissance (décision no 18‑C‑A-2015 et décision no 55‑C‑A‑2014). Par conséquent, l’Office ne se penchera pas sur ces questions.

LA LOI

[10] Le paragraphe 110(4) du RTA exige que le transporteur aérien qui exploite un service international applique les conditions de transport énoncées dans son tarif :

Lorsqu’un tarif déposé porte une date de publication et une date d’entrée en vigueur et qu’il est conforme au présent règlement et aux arrêtés de l’Office, les taxes et les conditions de transport qu’il contient, sous réserve de leur rejet, de leur refus ou de leur suspension par l’Office, ou de leur remplacement par un nouveau tarif, prennent effet à la date indiquée dans le tarif, et le transporteur aérien doit les appliquer à compter de cette date.

[11] Si l’Office conclut qu’un transporteur aérien n’a pas correctement appliqué son tarif, l’article 113.1 du RTA confère à l’Office le pouvoir d’enjoindre au transporteur :

  1. de prendre les mesures correctives qu’il estime indiquées;
  2. de verser des indemnités à quiconque pour toutes dépenses qu’il a supportées en raison de la non-application de ces prix, taux, frais ou conditions de transport.

[12] La règle 85(B)(2) du tarif de SAA énonce comme suit les obligations du transporteur en ce qui a trait aux annulations de vol :

[traduction]

Le transporteur peut, sans préavis, annuler un vol, y mettre fin, le dérouter, le reporter ou le retarder. En outre, il peut annuler tout droit de transport à destination ou de réservation de siège et décider si un départ ou un atterrissage devrait être effectué, sans autre responsabilité que celle du remboursement, selon son tarif, du coût des billets et de transport des bagages pour toute partie inutilisée du billet s’il y a lieu de le faire :

a. […]

b. en raison de tout fait qui n’a pas été prévu, anticipé ou prédit; ou […].

[13] La règle 55(B)(4) du tarif incorpore par renvoi la Convention de Montréal et prévoit ce qui suit :

[traduction]

(Applicable à AT/[N]GF/IB/MA/MS/OA/PK/RO/SU/SV) Aux fins du transport international régi par la Convention de Montréal, les règles de responsabilité prévues dans celle-ci font partie intégrante du présent texte et prévalent sur, voire remplacent, toutes les dispositions du présent tarif qui seraient contraires auxdites règles. 

[14] L’article 19 de la Convention de Montréal énonce la responsabilité du transporteur en cas de retard de voyageurs, de bagages ou de marchandises :

Le transporteur est responsable du dommage résultant d’un retard dans le transport aérien de voyageurs, bagages ou marchandises. Cependant, le transporteur n’est pas responsable du dommage causé par un retard s’il prouve que lui, ses préposés et mandataires ont pris toutes les mesures qui pouvaient raisonnablement s’imposer pour éviter le dommage, ou qu’il leur était impossible de les prendre.

POSITIONS DES PARTIES ET CONSTATATIONS DE FAITS

Position des demandeurs

[15] Les demandeurs affirment être embarqués à bord du vol n° SV0060 vers midi, et y être restés pendant environ quatre heures sans nourriture ni information à propos du retard. Ils affirment que vers 16 h, ils ont été débarqués de l’aéronef et ramenés à l’aérogare où, pendant plusieurs heures, ils ont dû faire la file à plusieurs reprises avant d’être transportés à un hôtel.

[16] Les demandeurs fait valoir qu’on leur a facturé des frais de 250,07 $CA du fait qu’ils ont manqué la première nuitée (22 décembre 2016) de leur séjour à l’hôtel à Mecca, en Arabie Saoudite.

Position de SAA

[17] SAA affirme que l’horaire du vol n° SV0060 a été modifié parce qu’un véhicule de service au sol a endommagé l’une des ailes de l’aéronef. SAA rejette la responsabilité du retard des passagers, puisqu’il découlait d’un événement en dehors de son contrôle, qu’il lui était impossible de prévoir ou d’anticiper.

[18] SAA indique que lorsqu’il est devenu évident que le vol n° SV0060 ne pourrait pas décoller comme prévu le 21 décembre 2016, elle a offert aux passagers l’hébergement à l’hôtel, des repas et le transport. SAA affirme que ces services aux demandeurs lui ont coûté 786,80 $CA, même s’ils habitent à Mississauga, la municipalité dans laquelle est situé l’aéroport de Toronto.

[19] SAA affirme avoir en fait réussi à réacheminer certains passagers sur des vols d’autres transporteurs. Elle n’a toutefois pas trouvé de place pour les demandeurs, car aucun des autres vols vers Jeddah n’avait quatre sièges libres. SAA ajoute que l’Arabie Saoudite a des exigences de visas précises qui exigent que les visiteurs pour une oumra entrent au pays en passant par Jeddah, et qu’elle est la seule à offrir des vols directs entre Toronto et Jeddah.

[20] Finalement, SAA affirme que si on la tient responsable des dépenses supportées en conséquence du retard, de tels dommages-intérêts devraient s’annuler par le fait que SAA a fourni l’hébergement à l’hôtel et des repas pour les voyageurs à Toronto. L’indemnisation des demandeurs devrait donc être limitée à 100 SAR (riyals saoudiens), somme qui représente la différence entre les frais d’absence de 700 SAR et les frais de 600 SAR pour une nuitée qu’ils auraient eu à payer s’ils avaient passé la nuit à l’hôtel le 22 décembre 2016 comme prévu.

Constatations de faits

[21] L’Office conclut que le retard était inévitable et qu’il n’aurait pas pu être raisonnablement prédit, car il résultait de dommages à une aile de l’aéronef causés par un véhicule au sol. L’Office considère qu’il s’agit d’un cas de force majeure.

[22] Aucune des parties n’a fait de présentations à savoir si SAA a offert aux demandeurs des options qui leur auraient permis de prendre un vol le même jour. L’Office conclut donc que les demandeurs n’ont eu d’autre choix que d’accepter le nouvel horaire.

ANALYSE ET DÉTERMINATIONS

[23] Lorsqu’une demande est déposée auprès de l’Office, il incombe au demandeur de prouver, selon la prépondérance des probabilités, que le transporteur n’a pas correctement appliqué, ou n’a pas appliqué de façon uniforme, les conditions de transport énoncées dans son tarif, comme l’exige le paragraphe 110(4) du RTA.

[24] Selon la règle 85(B)(2) de son tarif, SAA peut annuler des vols si nécessaire dans des situations en dehors de son contrôle, y compris dans des cas qu’elle n’aurait pas pu prévoir ni anticiper, comme le cas de force majeure qui s’est produit lorsque l’aile de l’aéronef a été endommagée. Toutefois, l’Office a récemment indiqué ce qui suit dans la détermination n° A-2017-194 : « Pour qu’un cas de force majeure permette à un transporteur de s’exonérer de sa responsabilité s’il n’a pas respecté une obligation, ce cas doit avoir un certain lien avec l’inexécution de cette obligation ». SAA ne peut donc pas être tenue responsable de l’annulation du vol n° SV0060, comme le prévoit l’article 19 de la Convention de Montréal.

[25] Même si SAA ne peut pas être tenue responsable de l’annulation du vol n° SV0060, elle a néanmoins l’obligation de prendre toutes les mesures pour éviter le retard et atténuer les dommages occasionnés par le retard. L’Office reconnaît que SAA a fourni aux passagers des repas, le transport et l’hébergement à l’hôtel durant le retard. L’Office accepte également le fait qu’elle a fait tout son possible pour réacheminer autant de passagers que possible sur des vols d’autres transporteurs, mais elle n’a pas réussi à trouver des sièges pour les demandeurs, pour diverses raisons. Ainsi, SAA a décidé unilatéralement des mesures qu’elle prendrait pour atténuer les dommages causés aux passagers en raison du retard. Lorsqu’elle a déterminé comment elle réacheminerait les demandeurs, au lieu de leur présenter les options possibles, SAA a présumé qu’ils n’auraient pas accepté de voyager séparément ni de prendre un vol avec escale. Les demandeurs n’ont donc eu d’autre choix que d’accepter l’hébergement fourni à Toronto et de prendre un vol le lendemain.

[26] En conséquence, l’Office conclut que SAA n’a pas pris toutes les mesures qui pouvaient s’imposer pour éviter le dommage causé par le retard. SAA est donc responsable des dépenses que les demandeurs ont supportées en conséquence du retard.

[27] En ce qui a trait à l’indemnisation, même si SAA a assumé les coûts des repas et de l’hébergement à l’hôtel à Toronto pour réduire les dépenses supportées par les demandeurs en conséquence du retard, elle ne peut se dégager de sa responsabilité pour les dépenses supplémentaires qu’ils ont supportées (voir la décision n° 91‑C-A-2017).

[28] L’Office conclut donc que SAA est responsable du montant complet des frais d’absence facturés aux demandeurs (100 SAR, l’équivalent de 250,07 $CA).

CONCLUSION

[29] En vertu de l’alinéa 113.1b) du RTA, l’Office ordonne à SAA de verser aux demandeurs une indemnisation de 250,07 $CA. SAA doit payer ce montant aux demandeurs le plus tôt possible, mais au plus tard le 16 mars 2018.

Membre(s)

P. Paul Fitzgerald
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