Lettre-décision n° LET-AT-C-A-67-2019

le 1 octobre 2019

DEMANDE présentée par Suha Kormod (partie demanderesse) contre Porter Airlines Inc. (Porter)

Numéro de cas : 
18-07110

RÉSUMÉ

[1] La partie demanderesse, qui était accompagnée d’un animal de soutien émotionnel (ASE), a dû débarquer de l’aéronef à la demande du personnel de Porter lorsque ce dernier a déterminé que le comportement de l’ASE présentait un risque pour la sécurité. La partie demanderesse a déposé une demande auprès de l’Office des transports du Canada (Office) contre Porter en vertu :

  1. du paragraphe 172(1) de la Loi sur les transports au Canada, L.C., 1996, ch. 10, modifiée (LTC), concernant le fait que le transporteur n’a pas assuré le transport de la partie demanderesse et de l’ASE;
  2. du paragraphe 110(4) du Règlement sur les transports aériens DORS/88-58, modifié (RTA), concernant le refus de Porter de transporter la partie demanderesse.

[2] La partie demanderesse a reçu un remboursement partiel pour ses billets d’avion. Elle souhaite obtenir le remboursement intégral de ses billets d’avion, le remboursement de son billet de train de Toronto (Ontario) à Montréal (Québec), d’un montant de 166,11 CAD, ainsi qu’un billet gratuit pour se rendre partout où Porter voyage, avec l’autorisation d’être accompagnée de son ASE, ainsi que l’autorisation d’utiliser le siège à côté d’elle pour son ASE s’il y en a un de disponible. Elle demande également que le membre du personnel de Porter qui lui a dit de débarquer du vol de départ reçoive une réprimande et que cette personne suive une formation sur les ASE.

[3] L’Office se penchera sur les questions suivantes :

  1. Est-ce que la partie demanderesse est une personne ayant une déficience au sens de la partie V de la LTC?
  2. La partie demanderesse a-t-elle rencontré un obstacle à ses possibilités de déplacement?
  3. La partie demanderesse a-t-elle rencontré un obstacle abusif?
  4. Porter a-t-elle correctement appliqué les conditions énoncées à la règle 25 de son Canadian General Rules Tariff No. CGR-1 Containing Rules Governing the Transportation of Passengers and Baggage Applicable Between Points in Canada Between Points in the United States and Canada, NTA(A) No. 241 (tarif)?

[4] Pour les motifs énoncés ci-après, l’Office conclut ce qui suit :

  1. La partie demanderesse est une personne ayant une déficience au sens de la partie V de la LTC.
  2. La partie demanderesse a rencontré un obstacle à ses possibilités de déplacement lorsqu’on lui a demandé de débarquer de l’aéronef et n’a donc pas pu voyager avec son ASE.
  3. À titre préliminaire, il a été conclu que l’obstacle n’était pas abusif. La partie demanderesse doit justifier pourquoi l’Office ne devrait pas confirmer cette conclusion préliminaire.
  4. Porter a correctement appliqué les conditions énoncées à la règle 25 de son tarif et aucune indemnisation n’est due à la partie demanderesse.

CONTEXTE

[5] Le 3 novembre 2017, la partie demanderesse voyageait avec son ASE de Montréal à Newark, New Jersey, en passant par Toronto. Son retour était prévu le 5 novembre 2017. La partie demanderesse et son ASE ont fait le voyage de Montréal à Toronto, mais on leur a dit de débarquer de l’aéronef qui assurait le segment de vol entre Toronto et Newark lorsque le personnel de Porter a déterminé que le comportement de l’ASE présentait un risque pour la sécurité.

[6] La partie demanderesse soutient que, après cet incident, Porter a refusé de les laisser prendre un autre vol pour revenir à Montréal et qu’elle a dû acheter un billet de train pour revenir à Montréal.

QUESTIONS PRÉLIMINAIRES

[7] En ce qui a trait à la réparation demandée, la partie demanderesse exige un billet gratuit pour se rendre partout où Porter voyage. En ce qui concerne les incidents qui se sont produits avant l’entrée en vigueur de la Loi canadienne sur l’accessibilité, le 11 juillet 2019, l’Office n’a pas compétence pour ordonner le paiement d’une indemnisation pour de la douleur et de la souffrance ou un inconvénient, comme il l’a indiqué dans des décisions antérieures, par exemple la décision no 18‑C‑A‑2015 (Enisz c. Air Canada) et la décision no 55‑C‑A‑2014 (Brines c. Air Canada).

LA LOI ET LES DISPOSITIONS TARIFAIRES PERTINENTES

[8] La demande soulève des questions liées à la fois à l’accessibilité et à l’application du tarif de Porter quant au refus du transporteur d’assurer le transport de la partie demanderesse.

Accessibilité

[9] La partie de la demande portant sur l’accessibilité a été déposée en vertu du paragraphe 172(1) de la LTC, qui indique ce qui suit :

Même en l’absence de disposition réglementaire applicable, l’Office peut, sur demande, enquêter sur toute question relative à l’un des domaines visés au paragraphe 170(1) pour déterminer s’il existe un obstacle abusif aux possibilités de déplacement des personnes ayant une déficience.

[10] Comme le précise la lettre d’ouverture des plaidoiries, les premières étapes du traitement de cette demande consistent à déterminer si la partie demanderesse est une personne ayant une déficience au sens de la partie V de la LTC et, le cas échéant, si elle a rencontré un obstacle.

[11] Si l’Office détermine que la partie demanderesse a rencontré un obstacle, il donne à la partie défenderesse l’occasion :

  • soit d’expliquer comment elle propose d’éliminer l’obstacle grâce à une modification générale à la règle, à la politique, à la pratique ou à la structure physique ou, si la modification n’est pas possible, à une mesure d’accommodement;
  • soit de démontrer qu’elle ne peut pas éliminer l’obstacle sans se voir imposer une contrainte excessive.

Application du tarif

[12] En outre, le paragraphe 110(4) du RTA exige qu’un transporteur aérien applique, lors de l’exploitation d’un service international, les conditions de transport énoncées dans son tarif.

[13] Si l’Office conclut qu’un transporteur aérien n’a pas appliqué correctement son tarif, l’article 113.1 du RTA confère à l’Office le pouvoir d’ordonner au transporteur :

  1. de prendre les mesures correctives qu’il estime indiquées;
  2. de verser des indemnités à quiconque pour toutes dépenses qu’il a supportées en raison de la non-application de ces prix, taux, frais ou conditions de transport.

[14] La règle 25 du tarif de Porter précise ce qui suit :

[traduction]

Le transporteur se réserve le droit de refuser le transport ou de faire descendre tout passager pour tout vol et pour quelque raison que ce soit, entre autres, pour les raisons suivantes :

[…]

E. Conduite ou comportement du passager – Le transporteur peut imposer des sanctions à toute personne qui adopte ou a adopté une conduite ou un comportement à bord des aéronefs du transporteur, ou à la connaissance ou selon tout motif raisonnable du transporteur, sur le périmètre aéroportuaire ou à bord des aéronefs d’un autre transporteur, qui, selon le jugement raisonnable du transporteur, peut avoir un effet négatif sur la sécurité, le confort ou la santé de cette personne, des passagers, des employés ou des agents du transporteur, de l’équipage ou des aéronefs ou sur la sécurité de l’exploitation des aéronefs du transporteur (le « comportement interdit »).

1. Voici quelques exemples de comportements interdits qui pourraient donner lieu à l’imposition de sanctions :

[…]

e. le non-respect des instructions données par les employés du transporteur, y compris celles de mettre fin à un comportement interdit;

[…]

2. […] Malgré tout ce qui est écrit dans le présent tarif, la seule responsabilité du transporteur envers une personne que le transporteur refuse de transporter à la suite d’un incident de conduite interdite est de lui rembourser la ou les portions non utilisées du billet du passager.

EST-CE QUE LA PARTIE DEMANDERESSE EST UNE PERSONNE AYANT UNE DÉFICIENCE AU SENS DE LA PARTIE V DE LA LTC?

[15] La partie demanderesse déclare qu’elle a été impliquée dans un accident de voiture en tant que piétonne en 2011, ce qui lui a causé un traumatisme crânien grave. Le médecin de famille de la partie demanderesse indique que selon le DSM V, la partie demanderesse souffre d’un trouble neurocognitif majeur et que ses symptômes sont notamment : des maux de tête, des étourdissements, de la fatigue, de l’anxiété, de l’instabilité émotionnelle, de l’insomnie, des troubles du sommeil et de la mémoire visuelle. Un ASE a été prescrit à la partie demanderesse pour atténuer ses symptômes dans sa vie quotidienne et lors de ses déplacements. Porter ne conteste pas que la partie demanderesse est une personne ayant une déficience.

[16] À la lumière de ce qui précède, l’Office conclut que la partie demanderesse est une personne ayant une déficience au sens de la partie V de la LTC.

LA DEMANDERESSE A-T-ELLE RENCONTRÉ UN OBSTACLE À SES POSSIBILITÉS DE DÉPLACEMENT?

Position des parties

LA PARTIE DEMANDERESSE

[17] La partie demanderesse déclare avoir réservé un voyage de dernière minute, le jour même, avec Porter, lorsqu’elle a appris le décès d’un membre de sa famille. Son ASE, un berger allemand de 57 livres, n’avait jamais monté à bord d’un aéronef auparavant. La partie demanderesse indique que, pour le premier segment de vol de Montréal à Toronto, son chien était nerveux au décollage et à l’atterrissage. Elle affirme que l’équipage a permis au chien de s’asseoir sur le siège inoccupé à côté d’elle, et elle a fourni des photos du chien assis à côté d’elle sur ce qui semble être un siège d’aéronef.

[18] En ce qui concerne le deuxième segment de vol, de Toronto à Newark, la partie demanderesse prétend que l’agent de bord a déclaré que son ASE n’aurait pas dû être codé comme un animal de soutien émotionnel en raison de sa taille et devrait plutôt être un animal aidant, mais qu’il ne l’est pas, car il n’est pas dressé en tant qu’animal aidant. La partie demanderesse affirme que Porter n’impose aucune restriction de taille pour les ASE et affirme que le centre d’aide aux personnes handicapées a approuvé son ASE avant le voyage.

[19] La partie demanderesse fait valoir que l’agent de bord du deuxième segment de vol l’a informée qu’elle ne serait autorisée à garder le chien comme animal aidant que si elle pouvait l’empêcher de s’agiter et si elle pouvait le garder par terre pendant tout le vol.

[20] La partie demanderesse admet que son ASE était nerveux et agité. Elle affirme que, bien que l’agent de bord ait dit qu’elle aurait quelques minutes pour faire en sorte que son ASE reste sur le plancher, on ne lui a accordé qu’environ 30 secondes. La partie demanderesse déclare avoir dit à l’agent de bord que son ASE avait été autorisé à s’asseoir sur ses genoux ou sur le siège à côté d’elle pendant le premier segment de vol. Elle soutient que l’agent de bord ne l’a pas laissée utiliser un siège vide pour son chien et, au lieu de cela, a demandé que l’aéronef retourne à la porte d’embarquement où la partie demanderesse a dû débarquer avec son ASE.

PORTER

[21] Porter soutient que la partie demanderesse a téléphoné à son centre d’appel le 3 novembre 2017, et a déclaré qu’elle examinait sa politique sur les ASE et qu’elle l’a informée qu’elle souhaitait voyager plus tard dans la journée. La partie demanderesse a envoyé ses documents à Porter. Porter les a vérifiés et a approuvé son ASE. Cependant, Porter déclare que son courriel à la demanderesse qui approuve l’ASE comprenait également les renseignements suivants :

[traduction]

Le comportement de l’animal sera évalué à l’aéroport pour s’assurer que les exigences de sécurité sont respectées avant l’embarquement. Vous pouvez également demander que votre animal voyage sur vos genoux (le cas échéant), ce qui serait approuvé par l’équipage le jour du voyage, selon la taille de votre chien.

[22] En outre, Porter affirme que sa politique, qui est affichée sur son site Web, contient les déclarations suivantes :

  • Avant de vous autoriser à embarquer avec votre animal, nous évaluerons à l’aéroport les documents demandés ainsi que le comportement de l’animal pour assurer le respect des exigences liées à la sécurité.
  • Porter n’accepte pas les animaux qui pourraient présenter un risque pour la sécurité ou la santé publique.
  • Le transport d’un animal peut être refusé dans les cas suivants : l’animal présente un risque quelconque pour la santé et la sécurité; dépasse une taille et un poids sécuritaires; l’animal n’a pas été dressé pour se comporter correctement en public (il grogne, jappe ou manifeste d’autres comportements agressifs); l’animal risque de perturber de manière importante le service en cabine.
  • Votre animal d’assistance doit rester au sol devant votre place, ne bloquant ni l’allée ni les zones qui doivent demeurer libres pour toute situation d’urgence.
  • Aucun animal n’est autorisé à occuper un siège.
  • Pour des raisons de sécurité, votre animal d’assistance peut voyager sur vos genoux uniquement s’il ne dépasse pas la taille d’un bébé et s’il est confortablement installé sur vos genoux.

[23] Porter soutient qu’elle a élaboré sa politique en matière d’ASE en tenant compte des règles régissant le transport des animaux aidants (des animaux spécialement dressés, contrairement aux ASE, pour aider les personnes ayant une déficience) parce que les exigences législatives et réglementaires propres au transport des ASE sont encore en cours d’élaboration. Porter a fait référence à divers documents d’orientation et règlements, y compris des textes sur les ASE, notamment :

  • l’article 602.86 du Règlement de l’aviation canadien, DORS/96‑433 (RAC), qui exige que les bagages à main, l’équipement et le fret soient retenus pour les empêcher de se déplacer pendant le déplacement de l’aéronef au sol et pendant le décollage, l’atterrissage et les turbulences en vol, et qu’ils soient tenus à l’écart des allées, des sorties et des sorties de secours;
  • la décision no O‑3098-41 (Georgian Express c. Canada [ministre des Transports], 2007 TATCE 16) du Tribunal d’appel des transports du Canada (TATC) de 2007 concernant l’écrasement mortel d’un aéronef Cessna, qui a conclu que Georgian Express avait enfreint l’article 602.86 du RAC en permettant à de gros chiens de voyager dans la cabine sans être attachés;
  • le document Accessibilité des aéronefs pour les personnes handicapées : Code de pratiques pour des aéronefs à voilure fixe de 30 sièges passagers ou plus (Code de pratiques pour des aéronefs à voilure fixe de 30 sièges passagers ou plus) et la Circulaire d’information de 2009 de Transports Canada sur les Exigences en matière d’attribution des sièges et d’accessibilité des transports aériens, qui exigent tous deux que les transporteurs offrent un espace au plancher suffisant pour qu’un animal aidant puisse se coucher confortablement;
  • la lettre du 22 août 2016 de Transports Canada concernant la consultation réglementaire sur les animaux de soutien émotionnel sur les genoux d’un passager, qui résume les diverses décisions des tribunaux, les règlements et les directives suggérant que les transporteurs aériens ne devraient pas permettre aux passagers de transporter sur leurs genoux des animaux non attachés plus grands qu’un bébé sur les vols intérieurs ou à destination ou en provenance du Canada;
  • les renseignements fournis par Transports Canada dans le cadre d’une consultation réglementaire faisant référence aux directives du département des transports des États-Unis (DOT), qui indiquent que seuls les animaux aidants de la taille d’un nourrisson de moins de deux ans peuvent voyager sur des genoux.

[24] Porter déclare que, pour le premier segment de vol, la partie demanderesse a voyagé avec son ASE sans aucun incident. Porter nie que l’équipage a permis à l’ASE de la partie demanderesse de s’asseoir sur le siège à côté d’elle et fait valoir que, si l’animal l’a fait, c’est peut-être pendant le décollage, alors que l’équipage n’avait pas une vue directe de la situation. En ce qui concerne les photos soumises par la partie demanderesse, Porter ne sait pas quand et où elles ont été prises et soutient que deux des photos n’auraient pas pu être prises sur un vol de Porter en raison des tapis, des revêtements de sièges et d’autres caractéristiques de la cabine qui sont visibles.

[25] Porter soutient que son personnel a demandé à la partie demanderesse de débarquer de l’aéronef parce que son ASE était incapable de se reposer calmement sur le plancher, aux pieds de la partie demanderesse, soit la zone désignée pour le transport en toute sécurité des ASE. Porter indique également que, pour le deuxième segment de vol de la partie demanderesse, l’ASE était agité et qu’il n’était manifestement pas dressé, qu’il était nerveux et qu’il sautait sur les sièges, et que son comportement était instable. Le passager assis à côté de la partie demanderesse a dû être déplacé vers un autre siège en raison de la taille et du comportement de l’ASE. Porter déclare que la partie demanderesse a été informée qu’en raison de la taille de son ASE, celui-ci devait rester sur le plancher, à ses pieds, et ce, pendant toute la durée du vol pour assurer la sécurité dans l’aéronef. Porter mentionne également que la partie demanderesse a été informée que, si son ASE ne pouvait pas rester calme sur le plancher, il devrait débarquer de l’aéronef. Porter soutient que la partie demanderesse a donné son accord et que l’aéronef a quitté la porte d’embarquement. Porter déclare que son agent de bord a proposé de prendre le bagage à main de la partie demanderesse dans le compartiment de rangement supérieur pour qu’elle puisse donner des gâteries à son ASE afin d’essayer de le calmer. Porter soutient qu’elle a accordé à la partie demanderesse deux minutes supplémentaires pour le calmer, sans succès.

[26] Porter soutient que son refus de transporter la partie demanderesse et son ASE était motivé par son obligation d’assurer la sécurité des passagers et de l’équipage. Porter fait valoir qu’elle a suivi ses politiques et procédures et que la partie demanderesse était au courant de celles-ci avant de voyager.

Analyse et déterminations

[27] Les fournisseurs de services de transport sont tenus de prendre des mesures d’adaptation à l’égard des personnes ayant une déficience. Une personne ayant une déficience rencontre un obstacle à ses possibilités de déplacement si elle peut prouver qu’elle a besoin de mesures d’adaptation qui n’ont pas été prises à son égard, de sorte qu’on lui a refusé l’égalité d’accès aux services accessibles à d’autres passagers dans le réseau de transport fédéral.

[28] Il incombe à la partie demanderesse de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, qu’elle a une déficience et qu’elle a rencontré un obstacle lié à leur déficience. La prépondérance des probabilités signifie qu’il faut démontrer que chaque élément est « plus probable qu’improbable ».

[29] Il est incontestable que la partie demanderesse et son ASE ont dû débarquer de l’aéronef au début du deuxième segment de vol après que la partie demanderesse n’ait pas pu calmer son ASE.

[30] L’Office conclut que la partie demanderesse, n’ayant pas pu voyager avec son ASE comme prévu, a rencontré un obstacle à ses possibilités de déplacement.

LA PARTIE DEMANDERESSE A-T-ELLE RENCONTRÉ UN OBSTACLE ABUSIF?

Conclusion préliminaire

[31] Une fois que la partie demanderesse a établi l’existence d’un obstacle à ses possibilités de déplacement, la charge de la preuve incombe à la partie défenderesse :

  • soit d’expliquer comment elle propose d’éliminer l’obstacle grâce à une modification générale à la règle, à la politique, à la pratique ou à la structure physique ou, si la modification n’est pas possible, à une mesure d’accommodement;
  • soit de démontrer qu’elle ne peut pas éliminer l’obstacle sans se voir imposer une contrainte excessive.

[32] Porter a déjà fait valoir que le fait de l’obliger à prendre les mesures demandées par la partie demanderesse lui causerait un préjudice injustifié. Pour étayer cette affirmation, Porter fait référence aux considérations relatives à la sécurité énoncées dans sa politique sur les ASE.

[33] La jurisprudence la plus importante en matière d’évaluation d’une contrainte excessive est la décision de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Colombie-Britannique (Public Service Employee Relations Commission) c. British Columbia Government and Service Employees’ Union, [1999] 3 R.C.S. 3 et Colombie-Britannique (Superintendent of Motor Vehicles) c. Colombie-Britannique (Council of Human Rights), [1999] 3 R.C.S. 868. Cette jurisprudence se reflète dans les précédents de l’Office, comme la décision no 379-AT-R-2016 (Rector c. VIA),où l’Office a estimé que pour établir une contrainte excessive, un fournisseur de services doit démontrer :

  • que la source de l’obstacle est rationnellement liée à la fourniture du service de transport;
  • que la source de l’obstacle a été adoptée selon la conviction honnête et de bonne foi qu’elle était nécessaire pour fournir le service de transport;
  • qu’il ne peut fournir aucun accommodement sans se voir imposer une contrainte excessive.

[34] Dans le cadre normal des instances, l’Office ouvrirait les plaidoiries pour donner au transporteur la possibilité de présenter des preuves et des arguments sur l’élimination de l’obstacle ou de la contrainte excessive, et à la partie demanderesse la possibilité de répondre. Dans ce cas-ci, comme Porter a déjà présenté ses observations sur la contrainte excessive, l’Office fournit son analyse préliminaire afin que les deux parties puissent y répondre.

La source de l’obstacle, c’est-à-dire les exigences de la politique sur les ASE de Porter, est-elle rationnellement liée à la fourniture de services de transport?

[35] La politique sur les ASE de Porter définit les circonstances dans lesquelles elle accepte les ASE pour des déplacements aériens. L’argument de Porter selon lequel l’objectif de la politique est de chercher à éliminer les obstacles au voyage pour les personnes ayant une déficience, toujours sous réserve de l’obligation primordiale de garantir la sécurité de ses passagers, de son équipage et de son aéronef est convaincant. L’Office conclut donc à titre préliminaire qu’il existe un lien rationnel entre la politique sur les ASE et la fourniture de services de transport aux passagers de Porter.

Porter a-t-elle adopté les exigences de sa politique sur les ASE et les a-t-elle appliquées à l’égard de la partie demanderesse, de manière honnête et de bonne foi, en tenant compte du fait qu’elles sont nécessaires pour offrir ses services de transport?

[36] La politique de Porter sur les ASE indique que le comportement d’un ASE sera évalué à l’aéroport pour s’assurer que les exigences de sécurité sont respectées avant l’embarquement, et qu’un ASE peut se voir refuser le transport s’il représente une menace pour la sécurité, n’a pas été dressé pour se comporter convenablement dans un lieu public ou peut causer une perturbation importante au service de cabine. En fonction des considérations relatives à la sécurité, Porter ne permet pas à un ASE d’occuper un siège et exige qu’il demeure dans l’espace au plancher des passagers qui en ont besoin, à l’extérieur des allées ou de toute zone qui doit rester dégagée en cas d’urgence. Cette politique permet aux ASE de voyager assis sur les genoux d’une personne tant qu’ils ne sont pas plus grands qu’un nourrisson et qu’ils sont à l’aise sur les genoux du passager.

[37] Porter a fourni la preuve qu’elle a élaboré les dispositions de sécurité de sa politique sur les ASE conformément aux exigences réglementaires ou aux documents d’orientation publiés par Transports Canada, l’Office et le DOT des États-Unis.

[38] Comme tous les transporteurs aériens, Porter est responsable de la sécurité et de la sûreté des passagers sur leurs vols. En vertu du RAC, Porter doit refuser de transporter une personne qui pourrait présenter un risque pour la sécurité de l’aéronef, des personnes ou des biens :

602.46 Il est interdit à l’exploitant aérien ou à l’exploitant privé de transporter une personne dont les actes ou les déclarations, au moment de l’enregistrement ou de l’embarquement, indiquent qu’elle peut présenter un risque pour la sécurité de l’aéronef, des personnes ou des biens.

[39] Le comportement d’un ASE peut être considéré comme étant intégralement lié aux actions de son propriétaire aux fins de cette exigence.

[40] Dans sa lettre datée du 22 août 2016, Transports Canada précise qu’un animal aidant peut être assis sur les genoux d’une personne pendant toutes les phases de vol, y compris pendant le déplacement au sol, le décollage et l’atterrissage, à condition que l’animal en question n’ait pas une taille supérieure à celle d’un enfant pouvant être tenu sur les genoux (un enfant de moins de deux ans).

[41] Les règlements adoptés et les documents d’orientation publiés par l’Office soulignent à la fois l’importance primordiale de la sécurité et le droit des personnes qui, en raison de besoins liés à leur déficience, ont besoin d’un animal pour voyager à bord d’un aéronef, pourvu que les conditions appropriées soient satisfaites.

[42] L’article 149 du RTA se lit comme suit :

1. Sous réserve de l’article 151, le transporteur aérien doit accepter de transporter sans frais un animal aidant, à condition :

    1. d’une part, que la personne en ait besoin;
    2. d’autre part, qu’il soit attesté par certificat que l’animal a été dressé par un organisme professionnel de dressage des animaux aidants pour aider une personne.

2. Lorsque le transporteur aérien accepte de transporter un animal aidant aux termes du paragraphe (1), il doit permettre que l’animal, si celui-ci porte un harnais convenable selon les normes établies par un organisme professionnel de dressage des animaux aidants, accompagne la personne à bord de l’aéronef jusqu’à son siège passager et y demeure sur le plancher.

[43] Pour satisfaire cette obligation, l’Office exige que les transporteurs élaborent, pour leurs vols intérieurs, des politiques et des procédures pour veiller à ce qu’on assigne à une personne qui a besoin d’un animal aidant un siège qui offre suffisamment d’espace au plancher sans frais supplémentaire, et que la décision concernant le siège qui sera assigné soit prise par l’entremise d’un dialogue avec la personne concernée, comme le précise la décision no 327‑AT‑A‑2008 (East c. Air Canada et Jazz Air LP).

[44] La publication Voyager avec des animaux qui fournissent une assistance liée à une personne handicapée : Outil d’information pour les personnes handicapées, les transporteurs et les exploitants de gares et d’aérogares (Outil pour voyager avec des animaux) indique que les transporteurs doivent offrir suffisamment d’espace pour que les animaux aidants plus gros puissent se coucher, et reconnaît que les conditions liées à la sécurité doivent être satisfaites dans de telles situations; par exemple, s’assurer que l’animal ne bloque pas l’accès aux sorties de secours ou ne nuit pas à la capacité de l’équipage de se déplacer dans les allées.

[45] L’Outil pour voyager avec des animaux précise également que le passager doit maîtriser son animal en tout temps, et que « les transporteurs ont le droit d’obtenir l’assurance qu’ils peuvent transporter l’animal de façon sécuritaire, et que l’animal se comporte comme il se doit dans un endroit public », et qu’ils peuvent refuser de transporter un animal s’il affiche un comportement inapproprié ou qu’il constitue un danger pour les autres passagers ou le personnel.

[46] Finalement, le TATC, dans une décision citée par Porter (décision no O-3098-41), a conclu qu’il faut immobiliser les animaux pendant un vol afin de protéger les autres occupants de la cabine. Cela étant dit, cette décision est plus ou moins pertinente au cas puisqu’elle vise les déplacements à bord de très petits aéronefs et ne suppose pas le transport d’animaux comme mesure d’adaptation pour répondre aux besoins liés à une déficience.

[47] L’Office estime, à titre préliminaire, que les exigences relatives à la sécurité de la politique sur les ASE de Porter cadre avec les règles établies et l’orientation fixée par l’Office et Transports Canada, et qu’elles ont été adoptées de bonne foi dans le but d’éviter des obstacles aux déplacements des personnes ayant une déficience tout en assurant la sûreté et la sécurité des personnes qui voyagent à bord d’aéronefs de Porter.

[48] En ce qui concerne la façon dont Porter a appliqué sa politique sur les ASE à l’égard de la partie demanderesse, il est incontesté, pour le deuxième segment de vol, que l’ASE de la partie demanderesse était agité, sautait sur les sièges et refusait de rester sur le plancher de l’aéronef lorsque celui-ci a quitté la porte d’embarquement. Au début du vol, Porter a pris un certain nombre de mesures pour accommoder la partie demanderesse et son ASE : on a déplacé le passager assis à côté d’eux pour offrir un espace supplémentaire à l’ASE sur le plancher, on a donné à la partie demanderesse du temps additionnel pour calmer son ASE, et on a offert de l’aider en récupérant des gâteries de son bagage à main dans le compartiment de rangement supérieur. En même temps, conformément à sa politique, Porter a refusé la demande de la partie demanderesse de permettre à son ASE de s’asseoir sur le siège à côté d’elle.

[49] L’Office conclut, à titre préliminaire, que Porter a appliqué de bonne foi sa politique sur les ASE et que celle-ci a également été appliquée de bonne foi à l’égard de la partie demanderesse.

Porter pourrait-elle accueillir la partie demanderesse sans contraintes excessives?

[50] Dans certains cas, un fournisseur de services peut être tenu de modifier une politique ou une procédure de sécurité afin de garantir que les personnes ayant une déficience ont accès aux mêmes services que les autres voyageurs. Lorsqu’il détermine si une telle modification est nécessaire, l’Office :

  • appliquera le principe des droits de la personne selon lequel une personne ayant une déficience peut choisir d’assumer un certain niveau de risque pour obtenir l’égalité d’accès aux services et évaluer si ce risque est raisonnable;
  • examinera si le risque s’étend au-delà de la personne ayant une déficience et touche d’autres individus tels que les passagers, les employés du transport ou le public.

[51] Ces critères soulignent que, si l’obligation d’adaptation est vaste et profonde, elle peut atteindre sa limite si des risques matériels pour la sécurité en découlaient. Comme l’a déclaré la Cour suprême du Canada dans l’affaire Conseil des Canadiens avec déficiences c. VIA Rail Canada Inc. [2007] 1 R.C.S. 650, 2007 CSC 15, « une contrainte excessive peut être établie lorsqu’une norme ou un obstacle est “raisonnablement nécessaire” dans la mesure où il existe un “risque suffisant” qu’un objectif légitime, comme la sécurité, soit suffisamment menacé pour justifier le maintien de la norme discriminatoire ».

[52] La partie demanderesse fait valoir qu’elle aurait pu calmer son ASE si on lui avait accordé un délai supplémentaire avant le décollage ou si on lui avait permis d’asseoir son ASE sur le siège à côté d’elle ou sur ses genoux plutôt que sur le plancher. En effet, elle fait valoir que Porter aurait dû prévoir deux mesures d’adaptation supplémentaires, en plus de celles déjà offertes et en dépit de sa politique sur les ASE.

[53] En ce qui concerne la première mesure d’adaptation additionnelle (du temps additionnel), les preuves indiquent que l’ASE à bord de l’aéronef était agité, instable, sautait sur les sièges et ne pouvait pas demeurer calmement assis sur le plancher aux pieds de la partie demanderesse. Cette dernière admet que son ASE était nerveux et agité. Ce comportement comportait clairement des risques pour la sécurité. Même si la partie demanderesse était prête à assumer ces risques pour elle-même, il reste néanmoins que ces risques étaient importants et pouvaient menacer les autres passagers et l’équipage du vol. Rien ne permet d’affirmer que ces risques se seraient atténués au cours du vol et, même s’ils l’avaient été, Porter craignait que l’animal finisse par s’agiter à nouveau, ce qui aurait entraîné des risques pour la sécurité du vol.

[54] En ce qui concerne la deuxième mesure d’adaptation supplémentaire, qui est de permettre à l’ASE de s’asseoir sur le siège à côté de la partie demanderesse ou sur ses genoux, il est peu probable qu’un ASE de 57 livres agité puisse réellement s’asseoir calmement à l’un ou l’autre de ces endroits et, en tout état de cause, lui permettre de le faire aurait eu de graves conséquences sur la sécurité. En cas de turbulence ou d’urgence, un animal de cette taille non attaché et situé au-dessus du niveau du sol pourrait être projeté dans les airs, ce qui constituerait un risque pour la sécurité non seulement de la partie demanderesse, mais aussi celle des autres passagers du vol.

[55] L’Office conclut donc, à titre préliminaire, que les mesures d’adaptation supplémentaires demandées par la partie demanderesse auraient entraîné une contrainte excessive pour Porter et, pour cette raison, que Porter n’était pas obligée de les offrir et n’avait pas la possibilité d’éliminer l’obstacle. Par conséquent, l’obstacle n’était pas abusif.

PORTER A-T-ELLE CORRECTEMENT APPLIQUÉ LES CONDITIONS DE TRANSPORT ÉNONCÉES À LA RÈGLE 25 DE SON TARIF?

Position des parties

LA PARTIE DEMANDERESSE

[56] La partie demanderesse fait valoir que Porter lui a remboursé le montant des segments de vol prévus pour son vol de retour le 5 novembre 2017, et a payé son hébergement à l’hôtel. Elle indique que Porter n’a pas remboursé le prix de ses vols de Montréal à Toronto et de Toronto à Newark. De plus, elle affirme qu’elle a dû rentrer chez elle à Montréal en train, et que Porter ne lui a pas remboursé le prix de son billet de train, soit 166,11 CAD.

PORTER

[57] Porter soutient qu’elle a remboursé à la partie demanderesse le montant du deuxième segment de vol entre Toronto et Newark ainsi que son hébergement à l’hôtel. Porter déclare qu’elle est également disposée à rembourser à la partie demanderesse le prix du segment de vol de Montréal à Toronto.

Analyse et déterminations

[58] La règle 25(E)(1)(e) du tarif fait référence au « non-respect des instructions données par les employés du transporteur, y compris celles de mettre fin à une conduite interdite ». Bien que ce ne soit pas la conduite de la partie demanderesse elle-même qui ait mené au refus de transport, elle était responsable du comportement de son ASE et d’assurer que les instructions de Porter étaient suivies. Comme elle n’a pas pu se conformer aux instructions de garder son ASE calme et sur le plancher de l’aéronef, Porter était en droit de refuser de transporter la partie demanderesse et son ASE.

[59] Alors que la partie demanderesse déclare que Porter n’a remboursé que le billet de son vol de retour prévu le 5 novembre 2017, Porter indique qu’elle a également remboursé le deuxième segment de vol aller de la partie demanderesse, soit de Toronto à Newark, ce qui représente toutes les portions inutilisées du billet de la partie demanderesse. L’Office note que Porter a également offert de rembourser le premier segment du vol aller de la partie demanderesse, soit de Montréal à Toronto, ce que Porter n’est pas tenue de faire en vertu de son tarif.

[60] En ce qui concerne l’hébergement à l’hôtel et le billet de train, Porter n’a aucune obligation, en vertu de son tarif, de payer ou de rembourser ces dépenses. Toutefois, l’Office note que Porter a remboursé à la partie demanderesse le prix de son hébergement à l’hôtel, comme geste de bonne volonté.

[61] À la lumière de ce qui précède, l’Office conclut que Porter a correctement appliqué son tarif en remboursant la valeur de la partie inutilisée du billet de la partie demanderesse, conformément à la règle 25(E)(2), et qu’aucune autre indemnisation n’est requise.

DIRECTIVE DE FOURNIR UNE JUSTIFICATION

[62] Comme il est indiqué ci-dessus, l’Office conclut, à titre préliminaire, que l’obstacle aux possibilités de déplacement de la partie demanderesse ne peut être éliminé par le transporteur sans que celui-ci ne subisse une contrainte excessive. La partie demanderesse a jusqu’au 16 octobre 2019 pour justifier pourquoi l’Office ne devrait pas confirmer cette conclusion préliminaire. Porter disposera alors de cinq jours ouvrables à compter de la date de réception de la réponse de la partie demanderesse pour déposer sa réplique. La partie demanderesse disposera alors de trois jours ouvrables pour répondre à la réponse de Porter.

Membre(s)

Scott Streiner
Elizabeth C. Barker
Heather Smith
Date de modification :