Lettre-décision n° LET-R-39-2022

le 27 septembre 2022

Demandes de traitement confidentiel par la Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique (CP), au titre de la section 4 de l’Annexe A des Lignes directrices relatives aux demandes de détermination de la valeur nette de récupération (Lignes directrices).

Numéro de cas : 
18-04065

CONTEXTE

[1] Le 12 juillet 2022, l’Office des transports du Canada (Office) a émis la décision LET-R-26-2022, dans laquelle il s’est penché sur les demandes de traitement confidentiel déposées par la Ville de Vancouver (Vancouver) et CP concernant certains renseignements et documents à l’appui déposés en ce qui a trait à la valeur nette de récupération (VNR) de l’embranchement Van Horne et de la voie d’accès industrielle.

[2] En ce qui a trait à la demande de traitement confidentiel de CP concernant le rapport d’évaluation et l’évaluation environnementale, l’Office a conclu que CP n’avait pas adapté sa demande pour qu’elle ait une incidence minimale sur le principe de publicité des débats judiciaires et que la confidentialité de l’intégralité du rapport d’évaluation et de l’évaluation environnementale ne satisferait pas au critère établi dans Sherman (Succession)Note 1

[3] L’Office a donné à CP l’occasion de déposer des versions publiques et confidentielles du rapport d’évaluation et de l’évaluation environnementale ainsi que des commentaires supplémentaires concernant les renseignements désignés comme étant confidentiels pour permettre à l’Office d’examiner la demande de CP en fonction du cadre établi dans Sherman (Succession).

[4] Le 27 juillet 2022, CP a déposé sa présentation en réponse à la décision LET-R-26-2022.

PRÉSENTATION DE CP

[5] En ce qui a trait au rapport d’évaluation, CP affirme qu’elle n’a pas d’autre présentation à déposer et que la version confidentielle qu’elle avait précédemment déposée peut être versée dans les archives publiques de l’Office.

[6] CP a déposé de nouvelles versions confidentielles et publiques de l’évaluation environnementale dans lesquelles elle indique et supprime les renseignements désignés comme étant confidentiels.

[7] Plus particulièrement, CP demande à ce que les sections suivantes de l’évaluation environnementale restent confidentielles :

  • les zones éventuellement préoccupantes pour l’environnement
  • les résultats du programme limité d’échantillonnage des sols effectué sur la partie de Vancouver de l’emprise de chemin de fer
  • les rapports environnementaux précédents
  • la reconnaissance des sols
  • le résumé des préoccupations à la suite de l’inspection du site
  • le résumé des constatations de la phase 1 de l’évaluation environnementale du site
  • l’évaluation limitée du sol
  • le programme sur le terrain et les méthodologies
  • l’assurance de la qualité et le contrôle de la qualité
  • les conclusions

[8] CP affirme que ces sections comportent des preuves sous forme d’opinions de Teranis Consulting Ltd. (Teranis) qui pourraient être contestées et qui ne devraient pas être publiées sans le contexte approprié. CP affirme qu’il n’est pas nécessaire de mettre ces opinions à la disposition du public. De plus, elle affirme que, bien que l’évaluation environnementale puisse avoir une incidence sur la détermination par l’Office de la valeur, les détails de l’analyse et des données sous-jacentes ne sont pas essentiels pour que le public puisse comprendre la décision de l’Office et leur divulgation pourrait causer un préjudice ou un malentendu s’ils n’étaient pas publiés de façon convenable.

[9] En outre, CP soutient que la confidentialité de l’énoncé de l’objet de l’évaluation environnementale qui figure dans son introduction devrait être préservée. Cependant, elle ne fournit aucune explication et n’a pas supprimé un énoncé similaire ailleurs dans le document, à savoir dans le sommaire.

[10] CP a supprimé le nom des auteurs de l’évaluation environnementale. Elle affirme que le public n’a pas à connaître l’identité des auteurs pour comprendre les décisions de l’Office et que les auteurs ont droit à une certaine protection de leurs renseignements personnels en ce qui concerne leur contribution. CP a supprimé ces noms à la page 69, mais ne l’a pas fait à la page 67. Pour les mêmes raisons, CP a également supprimé le nom des personnes ayant contribué aux rapports de laboratoire qui figurent à l’annexe D (certificats d’analyses de laboratoire).

[11] CP affirme que le public n’a pas besoin des renseignements suivants pour comprendre la décision de l’Office en ce qui a trait à la VNR :

  • la section des figures de l’évaluation environnementale, qui comprend des images et des cartes annotées par Teranis. CP affirme que ces figures comprennent certaines images aériennes ou données appartenant à Teranis;
  • la section des tableaux sommaires de l’évaluation environnementale, qui comprend des données recueillies par Teranis sous forme de tableau;
  • l’annexe A de l’évaluation environnementale (photographies du site);
  • les tableaux et les graphiques de l’annexe D, qui comprennent des données recueillies par ALS Environmental aux fins du rapport d’analyse d’ASL Environmental, les renseignements de référence, le Rapport de contrôle de la qualité et le rapport de répartition des hydrocarbures pour les hydrocarbures de pétrole extractibles de la Colombie-Britannique. CP affirme que les renseignements contenus dans certains ensembles de données pourraient être contestés;
  • l’annexe e (registres des activités sur le terrain). De façon similaire, elle affirme que ces renseignements pourraient être contestés.

LA LOI ET LES LIGNES DIRECTRICES

[12] Selon le principe de la publicité des débats judiciaires, à quelques exceptions près, les instances et les dossiers connexes doivent être rendus publics. Ce principe s’applique à l’Office lorsque celui-ci entame une instance de règlement d’un différend en sa qualité de tribunal quasi judiciaire. Par conséquent, l’Office doit verser toute présentation déposée ou tout document déposé dans le cadre de l’instance dans ses archives publiques à moins qu’une demande de traitement confidentiel n’ait été présentée et acceptée par l’Office.

[13] L’article 4 de l’Annexe A des Lignes directrices reflète ce principe en énonçant que l’Office verse dans ses archives publiques les documents concernant une instance qui sont déposés auprès de lui, à moins que la personne qui les dépose ne présente une demande de traitement confidentiel conformément au présent article et que l’Office n’accepte cette demande de traitement confidentiel. Il établit la procédure qui s’applique aux demandes de traitement confidentiel présentées dans le cadre d’une instance portant sur une VNR. Les dispositions pertinentes des Lignes directrices sont énoncées à l’annexe.

[14] Au moment d’évaluer la confidentialité des renseignements, l’Office évalue d’abord si ceux-ci sont pertinents à l’égard de l’instance. Si l’Office détermine que les renseignements ne sont pas pertinents, il peut décider de ne pas les verser dans ses archives. S’il juge que les renseignements sont pertinents, l’Office doit appliquer les critères relatifs aux limites discrétionnaires à la publicité des débats judiciaires.

[15] L’article 25 de la Loi sur les transports au CanadaNote 2confère à l’Office de vastes pouvoirs, y compris le pouvoir d’émettre des ordonnances concernant la confidentialité des documents. L’Office exerce ce pouvoir d’une manière compatible avec la jurisprudence de la Cour suprême du Canada.

 

[16] La Cour suprême du Canada a récemment examiné les exigences relatives aux limites discrétionnaires à la publicité des débats judiciaires au public et aux médias dans Sherman (Succession), et elle y a reformulé le critère de confidentialité. Selon les principes établis dans Sherman (Succession), la personne qui demande de limiter la présomption de publicité doit établir que :

  1. la publicité des débats judiciaires pose un risque sérieux pour un intérêt public important;
  2. l’ordonnance sollicitée est nécessaire pour écarter ce risque sérieux pour l’intérêt mis en évidence, car d’autres mesures raisonnables ne permettront pas d’écarter ce risque;
  3. du point de vue de la proportionnalité, les avantages de l’ordonnance l’emportent sur ses effets négatifs.

ANALYSE ET DÉTERMINATIONS

[17] Étant donné que le CP a retiré sa demande visant à ce que le rapport d’évaluation soit protégé par une ordonnance de confidentialité, l’Office versera la version confidentielle antérieure, dans son intégralité, dans les archives publiques.

[18] En ce qui a trait à l’évaluation environnementale, l’Office a conclu dans la décision LET‑R-26-2022 qu’elle est pertinente à l’égard de la présente instance étant donné qu’elle fait partie de la preuve en ce qui a trait aux considérations environnementales dont l’Office doit tenir compte en vue de déterminer si des coûts de remédiation devraient être considérés dans la détermination globale de la VNR. Par conséquent, l’Office appliquera le critère établi dans Sherman (Succession) aux renseignements compris dans l’évaluation environnementale pour laquelle CP demande un traitement confidentiel.

[19] Pour les motifs énoncés ci-après, l’Office conclut que les demandes de traitement confidentiel de CP ne satisfont pas aux exigences élevées pour l’emporter sur la forte présomption en faveur de la publicité des débats judiciaires.

[20] Pour l’emporter sur l’intérêt public dans le contexte de la publicité des débats judiciaires, l’intérêt relatif à la confidentialité des renseignements commerciaux ne doit pas se rapporter uniquement et spécifiquement à la partie qui demande l’ordonnance de confidentialité, comme l’indique Sherman (Succession),Note3laquelle cite l’arrêt Sierra Club. Note 4Un principe général doit entrer en jeu.

 

[21] Dans le cas présent, CP n’a pas ciblé un tel principe général. CP soutient essentiellement que la divulgation de l’analyse, des données et des images sur lesquelles est fondée l’évaluation environnementale n’est pas nécessaire et qu’elle aurait une incidence négative sur ses propres intérêts commerciaux. L’Office conclut que ces préoccupations relatives à cette divulgation sont propres à CP et ne sont pas liées à un élément d’intérêt public, ce qui est nécessaire pour constituer un intérêt commercial suffisamment important pour justifier une ordonnance de confidentialité.

 

[22] De plus, même si l’intérêt de CP à préserver la confidentialité de ces renseignements pouvait être qualifié d’intérêt public important, cet intérêt ne serait pas exposé à un risque sérieux à la suite d’une divulgation. CP n’a pas ciblé de risque réel et important bien soutenu par une preuve qui menace gravement l’intérêt commercial en question, comme l’indique Sierra ClubNote 5 Les demandes de traitement confidentiel de CP concernant l’analyse, les données et les images sont plutôt fondées sur de simples affirmations et constituent une préoccupation généralisée.

[23] La demande de traitement confidentiel de CP concernant l’énoncé de l’objet de l’évaluation environnementale ne cible également pas un risque sérieux pour un intérêt public important. CP n’a pas expliqué cette demande.

 

[24] En ce qui a trait à la demande de traitement confidentiel de CP concernant le nom des personnes ayant contribué à l’évaluation environnementale, l’Office conclut que ces renseignements personnels ne sont pas de nature assez sensible que leur divulgation entraînerait une atteinte à la dignité de ces personnes, comme l’indique Sherman (Succession).Note 6 Par conséquent, cette demande n’atteint pas le seuil nécessaire pour établir qu’il y a un risque sérieux pour l’intérêt public à l’égard de la vie privée.

[25] De plus, l’Office note que CP a déposé à titre d’élément de preuve un rapport d’experts dans l’espoir que l’Office s’y fie pour déterminer la VNR. Par conséquent, il est clairement dans l’intérêt public de veiller à ce que cet élément de preuve, y compris l’identité de ses auteurs, soit versé dans les archives publiques. Enfin, rien ne suggère dans l’évaluation environnementale que les renseignements qu’elle contient ont toujours été traités comme des renseignements confidentiels, ni qu’ils ont été recueillis dans l’attente raisonnable qu’ils resteront confidentiels, comme l’indique Sierra ClubNote 7

[26] À la lumière de ce qui précède, l’Office conclut que CP n’a pas établi comment la divulgation des renseignements qu’elle a désignés comme étant confidentiels poserait un risque sérieux pour un intérêt public important. À lui seul, ce fait est suffisant pour conclure que les demandes de CP ne respectent pas le critère établi dans Sherman (Succession).

 

CONCLUSION

[27] Par conséquent, l’Office rejette la demande de confidentialité de CP pour les renseignements contenus dans l’Évaluation environnementale et verse le document, dans sa totalité, aux archives publiques.

[28] Toute correspondance et tout acte de procédure doit référer au cas 18-04065 et être déposé par l’intermédiaire de l’adresse courriel du Secrétariat de l’Office à secretariat@otc-cta.gc.ca.

 


ANNEXE À LA DÉCISION LET-R-39-2022

La section 4 de l’Annexe A des Lignes directrices prévoit :

1. L’Office verse dans ses archives publiques les documents concernant une instance qui sont déposés auprès de lui, à moins que la personne qui les dépose ne présente une demande de traitement confidentiel conformément au présent article et que l’Office n’accepte cette demande de traitement confidentiel.

2. Nul ne peut refuser de déposer un document en se fondant uniquement sur le fait qu’une demande de traitement confidentiel a été présentée à son égard.

3. Quiconque présente une demande de traitement confidentiel doit déposer :

a. une version des documents desquels les renseignements confidentiels ont été retirés, qu’une opposition ait été présentée ou non aux termes de l’alinéa (4)(b);

b. une version des documents qui porte la mention « contient des renseignements confidentiels » au haut de chaque page et qui indique les passages qui ont été retirés de la version visée à l’alinéa (3)(a).

4. La personne qui demande le traitement confidentiel doit indiquer :

a. les raisons de sa demande et, le cas échéant, la nature et l’ampleur du préjudice direct que lui causerait vraisemblablement la divulgation du document;

b. les raisons qu’elle a, le cas échéant, de s’opposer à ce que soit versée dans les archives publiques la version des documents desquels les renseignements confidentiels ont été retirés.

5. L’Office verse dans ses archives publiques le document faisant l’objet d’une demande de traitement confidentiel s’il estime que le document est pertinent à l’égard de l’instance et que sa divulgation ne causerait vraisemblablement pas de préjudice direct, ou que l’intérêt du public à le divulguer l’emporte sur le préjudice direct qui pourrait en résulter.

6. Si l’Office conclut que le document faisant l’objet de la demande de traitement confidentiel n’est pas pertinent à l’égard de l’instance, le document ne sera pas versé aux archives publiques et l’Office le retournera.

7. Si l’Office conclut que le document faisant l’objet de la demande de traitement confidentiel est pertinent à l’égard de l’instance et qu’une telle demande est justifiée en raison du préjudice direct que pourrait causer sa divulgation, il peut, selon le cas :

a. ordonner que le document ne soit pas versé dans ses archives publiques mais qu’il soit conservé de façon à en préserver la confidentialité;

b. ordonner qu’une version ou une partie du document ne contenant pas de renseignements confidentiels soit versée dans les archives publiques;

c. ordonner que tout ou une partie du document soit fourni aux parties ou à leurs avocats seulement, et que le document ne soit pas versé dans les archives publiques;

d. prendre tout autre arrêté qu’il juge indiqué.

Membre(s)

Elizabeth C. Barker
Mary Tobin Oates
Mark MacKeigan
Date de modification :