Décision n° 11-AT-A-2024

le 18 juillet 2024

Demande présentée par Christopher Basaraba contre WestJet concernant un obstacle à ses possibilités de déplacement lié à une exemption du port du masque

Numéro de cas : 
23-19389

Résumé

[1] Christopher Basaraba a déposé une demande auprès de l’Office des transports du Canada (Office) contre WestJet concernant le fait que cette dernière a rejeté sa demande d’exemption du port du masque pendant la pandémie de COVID‑19.

[2] M. Basaraba devait prendre un vol avec WestJet de Fort McMurray (Alberta) à Calgary (Alberta) le 3 avril 2022. Après être monté à bord de l’aéronef, il a présenté aux agents et au commandant de bord une note médicale l’exemptant de porter un masque. Néanmoins, on a demandé à M. Basaraba de débarquer de l’aéronef et on lui a refusé le transport.

[3] M. Basaraba réclame une indemnité de 20 000 CAD pour les souffrances et les douleurs qu’il a subies, une indemnité spéciale de 20 000 CAD et un montant non précisé pour les dépenses qu’il a supportées pour louer un véhicule et conduire de Fort McMurray à Calgary afin de se présenter à un rendez-vous médical important le 4 avril 2022. Le montant non précisé comprendrait également la somme payée pour l’essence et les repas.

[4] Dans la décision LET-AT-A-8-2024 (décision sur la partie 1) émise le 21 février 2024, l’Office a conclu que M. Basaraba est une personne handicapée et qu’il a rencontré un obstacle lorsque WestJet a refusé d’accepter la note médicale qu’il a présentée à l’appui de sa demande d’exemption du port du masque, ce qui l’a empêché de prendre son vol prévu. L’Office a également conclu qu’aucun règlement en matière d’accessibilité pris au titre de la Loi sur les transports au Canada (LTC) ne s’applique à cet incident.

[5] Pour les motifs énoncés ci-après, l’Office conclut que l’obstacle défini dans la décision sur la partie 1 ne pouvait être éliminé sans que WestJet se voie imposer de contrainte excessive et il rejette la demande.

Observation préliminaire

[6] Dans la décision sur la partie 1, l’Office a conclu que M. Basaraba est une personne handicapée en raison d’une diminution de sa fonction pulmonaire. WestJet soutient toutefois que le médecin qui a signé la note médicale originale de M. Basaraba a indiqué dans le formulaire de WestJet pour une demande d’exemption du port du masque, rempli après l’incident, que c’est un trouble de l’anxiété, et non pas une réduction de sa fonction pulmonaire, qui l’empêche de porter un masque.

[7] M. Basaraba affirme qu’il n’avait pas remarqué cette erreur. Après avoir demandé des clarifications auprès de son médecin le 24 avril 2024, il a obtenu une note médicale rectifiée dans laquelle il est indiqué qu’il a de la difficulté à respirer et qu’il a le souffle court lorsqu’il porte un masque, puisqu’il a subi une résection cunéiforme vidéoassitée au poumon droit en conséquence d’un cancer avec métastases.

[8]  Au moment de l’incident, ni le formulaire d’exemption du port du masque ni la note médicale rectifiée n’avaient été remplis ou envoyés. L’Office conclut que la note médicale rectifiée reçue de M. Basaraba n’a aucune incidence sur la détermination d’un handicap par l’Office, car il est indiqué sur les deux notes que lorsqu’il porte un masque, M. Basaraba a de la difficulté à respirer en raison d’un problème de santé.

La loi

Accessibilité

[9] L’Office a le pouvoir de se prononcer sur des demandes dans lesquelles une personne affirme qu’il existe un obstacle abusif aux possibilités de déplacement des personnes handicapées dans le réseau de transport fédéral. L’Office détermine s’il existe un obstacle abusif aux possibilités de déplacement d’une personne handicapée au moyen d’une approche en deux parties.

Partie 1 : Il revient au demandeur de démontrer, selon la prépondérance des probabilités :

    • qu’il a un handicap. Un handicap est une déficience notamment physique, intellectuelle, cognitive, mentale ou sensorielle, trouble d’apprentissage ou de la communication ou limitation fonctionnelle, de nature permanente, temporaire ou épisodique, manifeste ou non et dont l’interaction avec un obstacle nuit à la participation pleine et égale d’une personne dans la société.

et

    • qu’il a rencontré un obstacle. Un obstacle est tout élément — notamment celui qui est de nature physique ou architecturale, qui est relatif à l’information, aux communications, aux comportements ou à la technologie ou qui est le résultat d’une politique ou d’une pratique — qui nuit à la participation pleine et égale dans la société des personnes ayant des déficiences notamment physiques, intellectuelles, cognitives, mentales ou sensorielles, des troubles d’apprentissage ou de la communication ou des limitations fonctionnelles. Il doit y avoir un certain lien entre le handicap et l’obstacle.

Partie 2 : Si l’Office détermine qu’un demandeur a un handicap et qu’il a rencontré un obstacle, il incombe alors à la défenderesse de prendre l’une ou l’autre des mesures suivantes :

    • expliquer, en tenant compte des solutions proposées par le demandeur, comment elle propose d’éliminer l’obstacle en apportant une modification générale à la règle, à la politique, à la pratique, à la technologie ou à la structure physique visée, ou à tout autre élément constituant un obstacle, ou, si la modification générale n’est pas possible, en adoptant une mesure d’accommodement personnalisée;

ou

    • démontrer, selon la prépondérance des probabilités, qu’elle ne peut pas éliminer l’obstacle sans se voir imposer une contrainte excessive.

[10] Dans la présente décision, l’Office se penchera sur la partie 2 de son approche en deux parties.

Contrainte excessive

[11] La jurisprudence qui fait autorité en matière d’évaluation de contraintes excessives est constituée de deux décisions de la Cour suprême du Canada : Colombie-Britannique (Public Service Employee Relations Commission) c British Columbia Government and Service Employees’ Union, et Colombie-Britannique (Superintendent of Motor Vehicles) c Colombie-Britannique (Council of Human Rights). Cette jurisprudence se reflète dans les décisions antérieures de l’Office comme la décision LET-AT-A-19-2015 (Bavin c Air Canada) et la décision 48-AT-A-2021 (McAllister c Air Transat), où l’Office a conclu que pour justifier l’existence d’un obstacle, un transporteur doit démontrer :

  • que la source de l’obstacle est rationnellement liée à la fourniture du service de transport;
  • que la source de l’obstacle a été adoptée selon la conviction honnête et de bonne foi qu’elle était nécessaire pour fournir le service de transport;
  • qu’il y a des contraintes qui rendraient l’élimination de l’obstacle déraisonnable, peu pratique, ou impossible (contrainte excessive).

Étape 1 : Lien rationnel

Position de WestJet

[12] WestJet fait remarquer que, en 2020, en raison de la pandémie de COVID‑19, Transports Canada a ordonné que tous les passagers portent un masque durant les vols, à moins qu’ils n’aient fourni un certificat médical attestant qu’ils ne pouvaient pas en porter un. Cette obligation est d’abord entrée en vigueur par l’Arrêté d’urgence 5 visant certaines exigences relatives à l’aviation civile en raison de la COVID‑19 (arrêté d’urgence 5), du 7 août 2020. L’Arrêté d’urgence 58 visant certaines exigences relatives à l’aviation civile en raison de la COVID‑19 (arrêté d’urgence 58), publié par Transports Canada le 24 mars 2022, était en vigueur lorsque M. Basaraba devait prendre son vol avec WestJet, et il renfermait les mêmes dispositions concernant le port du masque que celles prévues dans l’arrêté d’urgence 5.

[13] WestJet indique qu’elle a créé son propre formulaire d’exemption du port du masque avec les mêmes champs et attestations obligatoires que le formulaire 26‑0012E de Transports Canada. Elle a également indiqué dans son formulaire d’exemption que le passager serait tenu de présenter la preuve d’un résultat négatif valide à un test de dépistage de la COVID‑19 pris selon l’intervalle prévue avant le départ du vol pour être autorisé à ne pas porter un couvre‑visage.

[14] WestJet affirme qu’elle a adopté sa politique sur les exemptions du port du masque afin de se conformer à ses obligations conformément à l’arrêté d’urgence et de respecter les directives prévues dans le formulaire 26‑0012E. Sa politique, également conçue et appliquée pour assurer la sécurité des autres passagers, prévoyait que le passager qui prend un vol sans masque devait présenter la preuve d’un résultat négatif à un test de dépistage, ou d’un test antérieur positif à la COVID‑19.

[15] Par conséquent, WestJet soutient qu’elle a été obligée de refuser le transport à M. Basaraba afin de se conformer au Règlement de l’aviation canadien (RAC), qui prévoit ce qui suit : « Il est interdit à l’exploitant aérien et à l’exploitant privé de transporter une personne dont les actes ou les déclarations, au moment de l’enregistrement ou de l’embarquement, indiquent qu’elle peut présenter un risque pour la sécurité de l’aéronef, des personnes ou des biens ».

Position de M. Basaraba

[16] M. Basaraba convient que certains renseignements demandés dans le formulaire de WestJet pour l’exemption du port du masque sont liés de façon rationnelle à la fourniture de services de transport. M. Basaraba soutient toutefois que le numéro ID Récompenses WestJet demandé sur le formulaire concerne des renseignements commerciaux pour un programme de marketing. Selon M. Basaraba, le fait de demander à une personne handicapée de présenter ce formulaire au lieu d’accepter une note médicale ajoute à la collecte de renseignements commerciaux. M. Basaraba prétend donc qu’il est raisonnable de penser qu’une partie de la raison derrière l’obstacle consistait à recueillir encore plus de renseignements à valeur commerciale pour WestJet qui n’avaient aucun lien rationnel ou justifiable avec l’objectif du formulaire.

Analyse et détermination

[17] À la lumière de l’obligation de WestJet de se conformer à l’arrêté d’urgence 58 du gouvernement fédéral, l’Office conclut que la politique de WestJet sur l’exemption du port du masque était liée de façon rationnelle à la fourniture de services de transport et répondait surtout aux besoins en matière de sécurité de son équipage de conduite et des autres passagers. Le fait que le champ où inscrire un numéro ID Récompenses était optionnel dans le formulaire de WestJet ne change rien à cette conclusion. Un numéro ID Récompenses est un moyen commun d’identifier un passager et de le lier à son dossier de passager, cet unique registre sur les réservations de vol associé au nom du passager, et dont les transporteurs se servent dans diverses situations, entre autres aux guichets d’enregistrement, au lieu d’entrer le nom du passager ou son numéro de dossier.

Étape 2 : Conviction honnête et de bonne foi

Position de WestJet

[18] WestJet indique qu’elle a adopté sa politique en ayant la conviction honnête et de bonne foi qu’elle était nécessaire pour fournir des services de transport sécuritaires, puisqu’elle l’a établie pour se conformer à l’arrêté d’urgence 58, et en se fondant sur les documents d’orientation publiés par Transports Canada.

Position de M. Basaraba

[19] M. Basaraba soutient que WestJet n’a pas expliqué pourquoi ni exactement quand cette politique est entrée en vigueur puisque, plus tôt durant la pandémie, l’exigence semblable de Transports Canada existait déjà, mais pas la politique.

[20] M. Basaraba soutient que la règle de Transports Canada concernant l’exemption du port du masque a été en vigueur pendant près de 20 mois avant l’incident, et il fait valoir que WestJet n’a pas présenté de preuve qu’elle exigeait son formulaire d’exemption du port du masque au lieu d’une note médicale au cours de cette période. Même si WestJet affirme que ces renseignements étaient sur son site Web en mars et en avril 2022, M. Basaraba soutient qu’on ne sait pas trop si WestJet veut dire que ces renseignements étaient uniquement disponibles en mars et en avril 2022 ou s’ils ont été publiés avant et retirés plus tard. M. Basaraba laisse entendre que WestJet serait restée vague sur cette question parce que si elle admet qu’elle a mené ses activités durant de longs mois conformément à une obligation concernant le port du masque formulée mot pour mot comme celle de Transports Canada, mais sans appliquer sa politique, cela nuirait à son argument de contrainte excessive. M. Basaraba soutient que WestJet ne peut pas démontrer qu’elle a toujours exigé le formulaire d’exemption du port du masque parce que cela n’a pas toujours été son interprétation, d’après sa déclaration selon laquelle WestJet a accepté sa note médicale lors d’autres vols durant la pandémie.

Analyse et détermination

[21] L’Office est convaincu que WestJet a adopté sa politique en ayant la conviction honnête et de bonne foi qu’elle était nécessaire pour fournir le service de transport conformément aux arrêtés d’urgence, et qu’elle a suivi les directives des documents d’orientation publiés par Transports Canada, afin d’assurer la sécurité de tous les passagers. L’arrêté d’urgence 58 était en vigueur au moment de l’incident et WestJet était obligée de l’appliquer. L’Office conclut donc que l’application, par WestJet, des directives fournies par l’autorité de réglementation de la sécurité aérienne était totalement raisonnable dans les circonstances.

Étape 3 : Contrainte excessive

Position de WestJet

[22] WestJet affirme qu’il est incontesté que M. Basaraba n’a pris aucune mesure avant son arrivée à l’aéroport pour se conformer aux exigences prévues afin d’être autorisé à prendre un vol sans masque, ni pour présenter un préavis. WestJet réfute l’affirmation de M. Basaraba selon laquelle elle aurait refusé de le transporter parce qu’il n’a pas présenté sa requête pour une exemption du port du masque 14 jours avant son vol. WestJet maintient que, comme il était indiqué dans les rapports d’incident et les déclarations de témoin présentés pendant la partie 1 de son approche en deux parties, le transport a été refusé à M. Basaraba parce que sa note médicale ne constituait pas une documentation suffisante pour garantir le respect de l’arrêté d’urgence 58. WestJet soutient qu’elle avait une obligation envers les autres passagers de vérifier que la note médicale de M. Basaraba était valide et suffisante pour éviter de les placer devant un risque potentiellement accru de contracter la COVID‑19, et pour s’assurer qu’il était apte à prendre le vol avec un masque, compte tenu de ses problèmes de santé.

[23] La seule documentation présentée par M. Basaraba le jour de son vol était sa note médicale. WestJet souligne que la note médicale datait de plus d’un an avant le vol en question de M. Basaraba et qu’elle n’était pas conforme au formulaire 26‑0012E. En effet, il manquait la date de naissance de M. Basaraba, le numéro de permis du médecin, une attestation officielle selon laquelle l’état de santé de M. Basaraba n’était pas lié à la COVID‑19 ni à une autre atteinte infectieuse, ainsi qu’une attestation ou une déclaration officielle que le contenu de la note était véridique et exact. WestJet affirme qu’il n’y a pas non plus de preuve que M. Basaraba détenait un résultat négatif à un test de dépistage de la COVID‑19 qui aurait pu rassurer WestJet que son incapacité à porter le masque ne présenterait pas un risque pour les autres passagers. Par ailleurs, comme il est indiqué dans la décision sur la partie 1, à un certain moment, M. Basaraba a accepté de porter un masque, mais le commandant a remarqué que la respiration de M. Basaraba semblait assez laborieuse. Il était préoccupé que la santé de M. Basaraba puisse être affectée par le port du masque, et ne l’a pas autorisé à prendre le vol.

[24] WestJet ajoute que l’arrêté d’urgence 58 ne définit pas précisément ce qu’est un certificat médical, mais exige qu’il y soit attesté que le passager est incapable de porter un masque pour une raison médicale. WestJet soutient qu’une note d’un médecin qui ne renferme pas cette attestation est insuffisante pour répondre à cette exigence, et que la note médicale de M. Basaraba ne respecte pas ce critère.

[25] WestJet affirme qu’en l’absence d’un certificat médical valide, elle ne pouvait pas autoriser M. Basaraba à prendre le vol sans masque, car autrement, elle aurait contrevenu à l’arrêté d’urgence 58, dont la violation était passible d’une sanction administrative pécuniaire pouvant atteindre 25 000 CAD, et elle aurait mis les autres passagers à risque de contracter une maladie grave.

[26] WestJet fait référence à l’affaire McAllister, dans laquelle l’Office a conclu qu’il y avait un lien rationnel entre, d’une part, la politique d’Air Transat d’interdire aux personnes handicapées d’être assises dans la rangée des issues de secours et, d’autre part, la fourniture de services de transport. La politique d’Air Transat était basée sur le RAC ainsi que sur la Circulaire d’information sur les exigences en matière d’attribution des sièges et d’accessibilité des transports aériens, publiée par Transports Canada. L’Office a conclu que si Air Transat était tenue de changer sa politique pour permettre à toute personne de s’asseoir dans la rangée des issues de secours, quelles que soient ses capacités, cela ferait en sorte qu’Air Transat contreviendrait aux exigences réglementaires en matière de sécurité, ce qui lui imposerait une contrainte excessive. De même, WestJet soutient que, comme elle avait l’obligation de respecter les articles de l’arrêté d’urgence 58 portant sur les exigences concernant le port du masque, le fait de lui imposer de changer sa politique afin d’accepter la note médicale de M. Basaraba lui aurait fait contrevenir aux exigences réglementaires et l’aurait placée devant une contrainte excessive.

[27] WestJet ajoute que le fait de transporter M. Basaraba sans un masque et sans preuve d’un résultat négatif à un test de dépistage de la COVID‑19 aurait constitué une contrainte excessive en raison du risque de sanctions administratives pécuniaires et des risques pour la santé et la sécurité des autres passagers durant une pandémie mondiale.

[28] WestJet soutient que l’Office ne peut pas tenir compte des affirmations sans preuve de M. Basaraba à savoir qu’il aurait déjà pris un vol après avoir présenté sa note médicale et que l’Administration canadienne de la sûreté du transport aérien (ACSTA) aurait déterminé que la note était suffisante. Si l’ACSTA ou tout autre transporteur aérien avaient décidé d’autoriser M. Basaraba à prendre un vol sur la foi de cette note médicale, ils se seraient exposés à de possibles sanctions administratives pécuniaires.

Position de M. Basaraba

[29] M. Basaraba soutient que l’acceptation de sa note médicale était une option raisonnable, donc que cela ne constituait pas une contrainte excessive. M. Basaraba affirme que WestJet n’a pas appuyé son argument selon lequel une note médicale n’est pas un certificat médical au sens de l’arrêté d’urgence ou que Transports Canada aurait imposé une amende à quiconque aurait accepté une note médicale pour une exemption du port du masque, tandis que des arrêtés d’urgence étaient en vigueur. M. Basaraba ajoute que la note médicale présentait toutes les caractéristiques d’une note médicale normale, dont les coordonnées du médecin et sa signature, et il fait valoir qu’une personne raisonnable le prendrait comme si le médecin se portait garant de la déclaration.

[30] M. Basaraba affirme que les renseignements demandés dans le formulaire 26‑0012E, mais qui ne figuraient pas dans sa note médicale, étaient sa date de naissance et le numéro de permis du médecin. Il fait valoir que la seule justification à y inscrire sa date de naissance aurait été de confirmer son identité, mais rien n’indique que son identité était mise en question. M. Basaraba ajoute que rien ne donne à penser que le personnel de WestJet mettait en doute le fait que le médecin ayant signé la note médicale était un professionnel de la santé qualifié qui détenait un permis de pratique, soit la seule raison pour laquelle son numéro de permis aurait été obligatoire. Dans tous les cas, si le personnel avait eu des doutes, il aurait pu consulter le site Web du College of Physicians and Surgeons de l’Alberta ou appeler au bureau du médecin au numéro qui se trouvait sur la note médicale.

[31] M. Basaraba soutient que WestJet, d’une part, se réfère au formulaire 26‑0012E pour obtenir la liste stricte des exigences et, d’autre part, n’explique pas pourquoi il est exigé dans son formulaire d’exemption du port du masque que les personnes handicapées présentent plus de renseignements personnels que ce que prévoit le formulaire 26‑0012E, notamment une adresse courriel, un numéro de téléphone, l’état de santé qui fait en sorte que la personne est incapable de porter un masque, ainsi que le numéro ID Récompenses WestJet. M. Basaraba affirme que WestJet n’a pas justifié la collecte de tels renseignements à titre de condition préalable à des exemptions pour raison médicale.

[32] M. Basaraba soutient que l’affirmation de WestJet quant à la contrainte excessive est également sans fondement devant la preuve selon laquelle l’ACSTA a accepté sa note médicale. Selon l’arrêté d’urgence 58, les responsables du contrôle de sûreté devaient également vérifier que les passagers portaient un masque lorsqu’ils passaient au point de contrôle de sécurité, sous réserve d’une exemption médicale formulée de la même façon.

Analyse et détermination

[33] L’Office reconnaît que l’arrêté d’urgence 58 exige précisément qu’il soit attesté sur le certificat médical que le passager est incapable de porter un masque pour une raison médicale. La note médicale de M. Basaraba ne renfermait pas l’attestation nécessaire, et si WestJet avec accepté la note, elle aurait contrevenu aux exigences réglementaires en matière de sécurité, ce qui lui aurait imposé une contrainte excessive.

[34] De plus, le formulaire 26‑0012E publié par Transports Canada servait de directive pour les transporteurs. Même si la note médicale de M. Basaraba renfermait certains des renseignements exigés par l’arrêté d’urgence 58 et dans les documents d’orientation, l’Office conclut qu’il y manquait certains des éléments essentiels. Plus particulièrement, il n’était pas mentionné dans la note médicale si l’état de santé de M. Basaraba était lié à la COVID‑19 ou à une autre maladie infectieuse, ce que l’Office conclut comme étant un élément raisonnable et essentiel puisque M. Basaraba avait de la difficulté à respirer et puisque le transporteur avait la responsabilité, selon le RAC, de protéger les autres passagers à bord du vol et de refuser le transport aux passagers qui risquaient de compromettre la sécurité de l’ensemble des passagers et des membres d’équipage, surtout durant la pandémie de COVID‑19. Par conséquent, même si le formulaire 26‑0012E n’était pas obligatoire, il était raisonnable que WestJet s’appuie sur des directives de Transports Canada, d’autant plus qu’il était nécessaire d’écarter les risques que présentait une personne sans masque pour les autres passagers.

[35] Les passagers ont la responsabilité de vérifier qu’ils satisfont à toutes les exigences concernant les documents de voyage. WestJet a publié sur son site Web les exigences que devaient respecter les passagers concernant les exemptions du port du masque avant de prendre un vol, et même si M. Basaraba a pris un vol de dernière minute, cela ne le dégageait pas de sa responsabilité de vérifier les exigences concernant ses documents de voyage à ce moment-là.

[36] Même si M. Basaraba n’a pas communiqué avec WestJet pour connaître les exigences sur l’exemption du port du masque avant son vol, l’Office conclut que WestJet a fait tous les efforts raisonnables, conformément au Règlement sur les transports accessibles aux personnes handicapées, pour répondre aux besoins de M. Basaraba le jour de son vol. WestJet l’a autorisé à se rendre à la porte d’embarquement, puis jusqu’à l’aéronef, et elle a pris le temps de regarder sa note médicale, de discuter avec lui et de demander conseil auprès de la division responsable des normes de vol (pilotes affectés à des fonctions de gestion qui peuvent être consultés au besoin).

[37] S’il s’avère, avant un vol, qu’une note médicale est insuffisante, l’Office s’attend à ce que le bureau médical du transporteur demande les renseignements manquants avant de rejeter une note médicale ou une demande d’accommodement. Toutefois, dans ce cas‑ci, aucune demande préalable d’accommodement n’a été reçue et le transporteur a dû évaluer la note médicale au moment de l’embarquement. L’Office rejette la proposition de M. Basaraba à savoir que WestJet aurait dû appeler le médecin pour vérifier la note et obtenir les renseignements manquants, car cela aurait imposé un fardeau déraisonnable dans un contexte de contraintes de temps durant l’embarquement. Comme il est indiqué dans la décision 61-C-A-2018 (Brighouse c Air Canada), les décisions prises par l’équipage de conduite doivent être examinées à la lumière du contexte de la sûreté aérienne, du régime juridique et du contexte opérationnel dans lequel se fait l’embarquement, au cours duquel un grand nombre de passagers doivent rapidement s’asseoir et ranger leurs bagages dans un espace restreint. Dans le cas présent, l’Office a déjà conclu que WestJet a fait tous les efforts raisonnables pour répondre aux besoins de M. Basaraba lorsqu’elle l’a autorisé à monter dans l’aéronef pendant que sa note était examinée, a discuté avec lui et a demandé conseil auprès de la division responsable des normes de vol. L’Office conclut que rien ne prouve que l’équipage de conduite ait agi déraisonnablement devant le peu de renseignements dont il disposait dans les circonstances, entre autres l’embarquement et le départ imminent. Par conséquent, l’Office conclut que WestJet ne pouvait pas éliminer l’obstacle sans se voir imposer une contrainte excessive.

[38] Même si M. Basaraba fait des allégations sur des pratiques antérieures de WestJet et sur la question de savoir si elle s’est conformée aux exigences concernant le port du masque en vigueur à ce moment‑là, l’Office reconnaît que la pandémie de COVID‑19 était un événement extraordinaire au cours duquel les circonstances changeaient rapidement, comme l’élaboration de nouvelles exigences et directives par l’autorité de réglementation de la sécurité, ainsi que la nécessité, pour les fournisseurs de services de transport, d’établir et de changer des politiques de temps à autre pour répondre à ces exigences. L’Office doit tenir compte des circonstances de l’incident du 3 avril 2022, notamment des exigences et des directives fédérales en vigueur à cette date, de même que des politiques adoptées par le transporteur pour s’y conformer. Le fait de savoir si les politiques et les procédures du transporteur satisfaisaient aux exigences à tout autre moment dans le passé n’est pas pertinent à la présente instance, et même s’il avait été démontré que le transporteur avait contrevenu à quelconques exigences fédérales dans le passé, cela ne justifierait certainement pas un état de non-conformité continu, comme M. Basaraba semble le laisser entendre. Comme il a été noté précédemment, le non-respect des règles était passible de sévères mesures fédérales d’application de la loi. Dans le même ordre d’idée, le fait de savoir si d’autres transporteurs ou l’ACSTA se conformaient à l’arrêté d’urgence 58 et aux directives de Transports Canada n’est pas pertinent à la présente demande contre WestJet. Les éventuelles erreurs ou contraventions par d’autres parties ne justifient aucunement qu’elles puissent contourner les règles de l’autorité de réglementation de la sécurité aérienne.

Conclusion

[39] L’Office conclut que WestJet ne pouvait pas éliminer l’obstacle sans se voir imposer une contrainte excessive, donc que l’obstacle n’est pas abusif. Par conséquent, l’Office rejette la demande.

Dispositions en référence Identifiant numérique (article, paragraphe, règle, etc.)
Loi sur les transports au Canada, LC 1996, c 10 169.5; 172(1); 172(2)
Colombie-Britannique (Public Service Employee Relations Commission) c British Columbia Government and Service Employees’ Union [1999] 3 RCS 3 54
Colombie-Britannique (Superintendent of Motor Vehicles) c Colombie-Britannique (Council of Human Rights) [1999] 3 RCS 868 20
Arrêté d’urgence 5 visant certaines exigences relatives à l’aviation civile en raison de la COVID-19 31; 32; 34
Arrêté d’urgence 58 visant certaines exigences relatives à l’aviation civile en raison de la COVID-19 18(1)c); 19; 21; 29(1)c)
Règlement de l’aviation canadien 602.46
Règlement sur les transports accessibles aux personnes handicapées, DORS/2019-244 32(4)
Circulaire d’information 700-014 Tous

Membre(s)

Elizabeth C. Barker
Mark MacKeigan
Date de modification :