Décision n° 111-AT-A-2022
DEMANDE présentée par LL contre Air Transat A.T. Inc. (Air Transat), au titre du paragraphe 172(1) de la Loi sur les transports au Canada, LC 1996, c 10 (LTC), concernant ses besoins liés à son handicap.
RÉSUMÉ
[1] LL a déposé une demande dans laquelle elle soutient qu’en raison de son anxiété et de son trouble du déficit de l’attention avec hyperactivité (TDAH), le défaut d’Air Transat de corriger la politique figurant sur son site Web concernant les voyageurs dispensés de porter le masque l’a forcée à annuler sa réservation pour un vol prévu en janvier 2021.
[2] Elle réclame une indemnité de 40 000 CAD pour ses souffrances et douleurs ainsi que diverses mesures correctives visant à améliorer le traitement par Air Transat des demandes d’accommodement.
[3] L’Office des transports du Canada (Office) se penchera sur les questions suivantes :
- Est-ce que LL est une personne handicapée?
- Est-ce que LL a rencontré un obstacle à ses possibilités de déplacement?
[4] Pour les motifs énoncés ci-après, l’Office conclut que LL est une personne handicapée, mais qu’elle n’a pas rencontré d’obstacle à ses possibilités de déplacement. Par conséquent, l’Office rejette la demande.
CONTEXTE
[5] LL, qui possède un certificat médical attestant de son incapacité à porter un masque, devait prendre un vol avec Air Transat de Toronto (Ontario) à Cancún, Mexique, dont le départ était prévu le 16 janvier 2021, et le retour, le 30 janvier 2021. Lorsque LL a consulté le site Web d’Air Transat en décembre 2020, la politique concernant les masques qui s’y trouvait énonçait que les voyageurs dispensés de l’exigence de porter le masque devaient remplir le formulaire médical d’Air Transat et le présenter au moment d’embarquer sur l’aéronef.
[6] D’après sa correspondance avec Transports Canada, LL a conclu qu’au titre de l’arrêté d’urgence de Transports CanadaNote 1, seul un certificat médical était nécessaire pour voyager sans masque. Elle en a fait part à Air Transat par courriel le 23 décembre 2020. Le 24 décembre 2020, LL a demandé à Air Transat de mettre à jour son site Web. Air Transat a confirmé par écrit, plus tard le jour même, qu’un certificat médical était suffisant et qu’elle mettrait son site Web à jour en conséquence. Cependant, elle ne l’avait toujours pas fait à la fin du mois de décembre 2020 malgré le fait qu’elle avait apporté d’autres mises à jour à son site Web au cours de la même période. LL a donc envoyé un courriel à Air Transat le 31 décembre 2020 lui déclarant son intention d’annuler sa réservation.
[7] Le 4 janvier 2021, Air Transat a confirmé qu’un certificat médical était suffisant, mais LL a quand même décidé d’annuler sa réservation plutôt que de risquer de se voir refuser le transport sans avoir rempli le formulaire médical d’Air Transat.
[8] LL réclame une indemnité totale de 40 000 CAD pour le stress émotionnel et physique qu’elle et sa famille ont subi; la perte d’occasions d’affaires; son incapacité à se réadapter; l’augmentation de sa consommation de substances; les dépenses liées à ses déplacements; et le temps consacré à la présente demande (en plus d’autres difficultés)
[9] De plus, elle demande qu’Air Transat soit pleinement informée des règlements de Transports Canada; en apprenne davantage sur les déficiences non apparentes comme le TDAH; forme ses employés sur la signification d’une communication claire pour les personnes ayant des problèmes cognitifs; et établisse des politiques en matière d’accommodement et une équipe formée dont le mandat serait de répondre immédiatement aux demandes.
[10] L’Office a ouvert les actes de procédure pour la demande de LL dans la décision LET‑AT‑A-18-2022 et y a également autorisé sa requête d’anonymat. Air Transat a déposé une réponse, et LL a déposé une réplique.
LA LOI
[11] Le paragraphe 172(1) de la LTC prévoit que :
Même en l’absence de disposition réglementaire applicable, l’Office peut, sur demande, enquêter sur toute question relative à l’un des domaines visés au paragraphe 170(1) pour déterminer s’il existe un obstacle abusif aux possibilités de déplacement des personnes handicapées.
[12] Comme il a été énoncé dans la décision LET-AT-A-18-2022, l’Office détermine s’il existe un obstacle abusif aux possibilités de déplacement d’une personne handicapée en utilisant une approche en deux parties :
Partie 1 : Il incombe au demandeur de démontrer, selon la prépondérance des probabilités :
- qu’il a un handicap, c’est-à-dire toute déficience, notamment physique, intellectuelle, cognitive, mentale ou sensorielle, trouble d’apprentissage ou de la communication ou limitation fonctionnelle, de nature permanente, temporaire ou épisodique, manifeste ou non et dont l’interaction avec un obstacle nuit à la participation pleine et égale d’une personne dans la société;
et
- qu’il a rencontré un obstacle, c’est-à-dire tout élément — notamment un élément de nature physique ou architecturale, qui est relatif à l’information, aux communications, aux comportements ou à la technologie ou qui est le résultat d’une politique ou d’une pratique — qui nuit à la participation pleine et égale dans la société des personnes ayant des déficiences notamment physiques, intellectuelles, cognitives, mentales ou sensorielles, des troubles d’apprentissage ou de la communication ou des limitations fonctionnelles. Il doit y avoir un certain lien entre le handicap et l’obstacle.
Partie 2 : Si l’Office détermine que le demandeur a un handicap et qu’il a rencontré un obstacle, il incombe alors au défendeur de prendre l’une ou l’autre des mesures suivantes :
- expliquer, en tenant compte de toute proposition faite par le demandeur, comment il propose d’éliminer l’obstacle en apportant une modification générale à la règle, à la politique, à la pratique, à la technologie, à la structure physique visée ou à n’importe quel autre élément constituant un obstacle ou, si une modification générale n’est pas possible, en adoptant une mesure d’accommodement personnalisée;
- ou
- démontrer, selon la prépondérance des probabilités, qu’il ne peut pas éliminer l’obstacle sans se voir imposer une contrainte excessive.
[13] La présente décision se penchera sur la première partie de l’approche susmentionnée.
QUESTION 1 : EST-CE QUE LL EST UNE PERSONNE HANDICAPÉE?
Positions des parties
LL
[14] LL a fourni un certificat médical et le formulaire de renseignements médicaux de l’Office attestant de son anxiété et de son TDAH grave et décrivant ses troubles, ainsi que plusieurs documents expliquant ses symptômes connexes, comme une dysphorie sensible au rejet et un trouble émotif. Elle soutient également qu’elle souffre de dépression et de dépendance.
[15] Selon les documents fournis par LL, un TDAH est un trouble du traitement cognitif et des fonctions exécutives qui lui rend difficile de contrôler et d’organiser ses idées et ses actions, notamment de comprendre les renseignements et de communiquer avec les autres. Elle a également de la difficulté à s’adapter à de nouvelles circonstances imprévues, à contrôler ses impulsions et ses émotions, et à gérer le rejet, entre autres symptômes. LL explique que ces symptômes sont aggravés par son anxiété et que, lorsqu’ils sont déclenchés, elle devient obnubilée par une seule idée, ce qui a une incidence sur sa capacité de s’occuper de son enfant et d’elle-même.
[16] LL soutient que ces déficiences ont eu une incidence sur sa capacité de voyager, de concert avec les obstacles auxquelles elle a fait face, et que le défaut d’Air Transat de lui fournir des renseignements de manière accessible a aggravé son TDAH et déclenché ses symptômes connexes, ce qui l’a empêché de se sentir assez en sécurité pour voyager.
AIR TRANSAT
[17] Air Transat conteste l’affirmation selon laquelle le TDAH et l’anxiété de LL représentent un handicap au sens de la LTC. Air Transat s’appuie sur la décision 4-AT-A-2010 (Nugent c Air Canada), dans laquelle l’Office a déterminé qu’une déficience à elle seule ne permet pas d’établir l’existence d’un handicap, et soutient que LL n’a pas fourni d’éléments de preuve démontrant que son trouble nuit à sa participation pleine et égale dans la société ou, plus précisément, à ses déplacements par transport aérien dans le réseau de transport fédéral.
Analyse et déterminations
[18] Il incombe au demandeur de démontrer qu’il a un handicap tel que défini par la LTC.
[19] Lorsqu’un handicap est contesté ou possède un vaste éventail de gravités et de symptômes pouvant nuire à la capacité d’une personne de voyager dans le réseau de transport fédéral, l’Office s’appuie sur le modèle de la Classification internationale du fonctionnement, du handicap et de la santé (CIF) de l’Organisation mondiale de la santé. Selon ce modèle, on considère qu’un handicap compte trois facettes : la déficience, la limitation d’activité et la restriction de participation. Puisque, dans le cas présent, le handicap de LL est contesté et que le TDAH et l’anxiété ont un vaste éventail de symptômes, l’Office adoptera la définition de « handicap » du modèle de la CIF.
INVALIDITÉ
[20] La déficience est définie par la CIF comme étant une perte ou une anomalie d’une fonction psychologique. D’après les preuves médicales de LL attestant d’anomalies au traitement cognitif normal et l’absence d’arguments de la part d’Air Transat à cet effet, l’Office conclut que LL a démontré que son TDAH et son anxiété représentent une déficience.
[21] Cependant, l’Office conclut que LL n’a pas démontré qu’elle avait une déficience causée par la dépression ou la dépendance puisque ces troubles ne sont pas étayés dans ses preuves médicales et qu’ils ne sont soulevés qu’en ce qui a trait à la justification de son indemnisation.
LIMITATION D’ACTIVITÉ
[22] La limitation d’activité relevant d’une déficience désigne la présentation de symptômes et les difficultés qui en résultent, quel que soit le contexte. L’Office a déjà souligné qu’une limitation d’activité, même légère, doit être suffisamment importante pour entraîner une difficulté inhérente à accomplir une tâche ou une action.
[23] Les preuves médicales de LL indiquent que son TDAH se manifeste dans sa vie quotidienne, entraînant une difficulté inhérente à contrôler et à organiser ses pensées et ses actions. Le médecin de LL confirme qu’elle gère son dysfonctionnement exécutif en partie en demandant à ce que les renseignements soient écrits pour qu’elle puisse les comprendre et que ses difficultés en matière de communication peuvent avoir une incidence négative sur son impulsivité, sa maîtrise émotionnelle, sa souplesse cognitive et son contrôle personnel.
[24] De plus, les preuves médicales de LL indiquent qu’elle n’est pas en mesure de porter un masque pour des raisons liées à son TDAH et à son anxiété, sans fournir d’autres détails.
[25] À la lumière de ce qui précède, l’Office conclut que LL a une limitation d’activité causée par son TDAH et son anxiété.
RESTRICTION DE PARTICIPATION
[26] La restriction de participation est définie par la CIF comme étant un problème qu’une personne peut éprouver dans des situations particulières. Par conséquent, l’Office détermine l’existence d’une restriction de participation en comparant l’accès d’une personne au réseau de transport fédéral avec celui d’une personne qui ne se heurte pas à une limitation d’activité.
[27] Étant donné que l’arrêté d’urgence établit des exigences supplémentaires pour tous et qu’il dispense certains voyageurs de porter le masque, l’Office conclut que l’incapacité de LL de porter le masque ne restreint pas sa participation au réseau de transport fédéral.
[28] Cependant, l’Office reconnaît que la dysfonction exécutive ayant une incidence sur la capacité de LL de comprendre les renseignements et de maîtriser ses réactions émotives face au rejet qu’elle perçoit l’empêche de participer à des discussions rationnelles et productives concernant les exigences relatives aux voyages. Puisque les transporteurs aériens peuvent refuser le transport aux passagers qui ne respectent pas les exigences législatives ou les politiques du transporteur, ou qui se comportent de façon indisciplinée, le fait que LL a de la difficulté à comprendre les exigences relatives aux voyages et à en discuter pourrait l’avoir empêché de voyager et, par conséquent, avoir restreint sa participation au transport aérien. Bien que le transport puisse également être refusé à des personnes n’ayant pas la limitation d’activité présumée de LL pour ces mêmes raisons, l’incertitude créée par des renseignements incohérents semble avoir une incidence particulière sur le sentiment de sécurité de LL, ce qui exacerbe ses symptômes et fait croître sa crainte du rejet.
[29] Par conséquent, l’Office conclut que LL a une restriction de participation.
[30] Puisque LL respecte les critères adaptés à partir du modèle de handicap de la CIF, l’Office conclut qu’elle est une personne handicapée.
QUESTION 2 : EST-CE QUE LL A RENCONTRÉ UN OBSTACLE À SES POSSIBILITÉS DE DÉPLACEMENT?
Positions des parties
LL
[31] LL affirme que le fait qu’Air Transat ait indiqué en ligne que son formulaire médical doit être rempli pour voyager sans porter de masque, et que le transporteur n’ait pas retiré ce renseignement de son site Web a créé un obstacle à ses possibilités de déplacement puisque l’absence de communications claires et en temps opportun a empêché qu’on réponde aux besoins liés à son handicap. LL affirme qu’une confirmation écrite de la part d’Air Transat selon laquelle le formulaire médical ne serait pas nécessaire n’était pas une mesure d’accommodement suffisante puisque les employés d’Air Transat auraient pu se référer au site Web du transporteur et lui refuser le transport à son arrivée à la porte d’embarquement.
[32] LL explique que la situation lui a causé une rigidité mentale, symptôme de son TDAH, et qu’elle est devenue hyperconcentrée sur l’idée qu’Air Transat faisait quelque chose de mal. Une telle hyperconcentration exacerbe sa difficulté à participer à une conversation puisqu’elle arrive mal à entendre et à comprendre les mots et leur sens voulu sans personne ou rien en particulier pour la distraire.
[33] De plus, LL soutient qu’elle a commencé à être obsédée par la possibilité que le transport lui soit refusé à l’aéroport et par sa réaction possible à ce rejet. Plus précisément, elle craignait que cela n’exacerbe son trouble émotif et qu’elle devienne visiblement en colère en raison de son anxiété. En raison des politiques sur les comportements indisciplinés d’Air Transat, LL craignait d’être ensuite escortée par la sécurité ou de recevoir une amende pour son inconduite, ce qui aurait une incidence négative sur sa santé mentale, son enfant et sa réputation.
[34] Entre l’hyperconcentration et les pensées obsessives entraînées par l’exigence concernant le formulaire médical demeurant sur le site Web, LL ne se sentait pas assez en sécurité pour voyager.
AIR TRANSAT
[35] Air Transat affirme que LL n’a pas fourni d’éléments de preuve indiquant que le renseignement figurant sur son site Web représentait un obstacle l’empêchant de voyager, compte tenu notamment du fait qu’elle a confirmé l’accommodement demandé par écrit à deux reprises. De plus, Air Transat affirme que LL a été traitée de la même façon que d’autres voyageurs éventuels.
Analyse et détermination
[36] Au sens de l’article 169.5 de la LTC, un obstacle est tout élément « qui nuit à la participation pleine et égale dans la société des personnes ayant des déficiences », y compris, mais sans s’y limiter, tout élément qui est relatif à l’information ou aux communications.
[37] Le site Web d’Air Transat ne reflétait pas le fait qu’un certificat médical était acceptable pour voyager sans masque, une option confirmée dans un courriel envoyé par Air Transat à LL. L’Office reconnaît depuis longtemps que les personnes handicapées doivent avoir l’assurance que le transporteur répondra de façon raisonnable aux besoins liés à leur handicap pendant leurs déplacements. Des renseignements incohérents et une mauvaise communication peuvent représenter un obstacle pour tout voyageur, et l’incertitude de LL concernant sa capacité de voyager comme prévu l’a rendue considérablement anxieuse, ce qui a déclenché et aggravé ses symptômes.
[38] Cependant, l’Office a aussi conclu (dans la décision 38-AT-C-A-2021, par exemple) qu’un passager doit clairement faire une demande d’accommodement permettant de répondre aux besoins liés à son handicap pour que le transporteur puisse connaître son obligation de l’accommoder. Dans le cas présent, la correspondance au dossier entre LL et Air Transat indique que bien que LL ait mentionné avoir un trouble d’apprentissage, elle n’a pas expliqué que sa demande à Air Transat de modifier immédiatement son site Web était dans le but d’accommoder un besoin lié à son handicap. Sans avoir de plus amples renseignements concernant la nature du handicap de LL et des communications claires concernant l’accommodement nécessaire, Air Transat n’était pas en mesure de comprendre le lien entre la nécessité que son site Web soit mis à jour et le handicap de LL, notamment parce qu’elle avait envoyé deux courriels à LL reconnaissant l’erreur et confirmant qu’un certificat médical était suffisant.
[39] Moins de deux semaines se sont écoulées entre le moment où LL a avisé Air Transat de l’erreur sur son site Web et le moment où elle a déclaré son intention d’annuler sa réservation. De plus, cette période était pendant le congé des Fêtes, lors duquel il y a un plus grand volume de déplacements aériens. À la lumière de ce qui précède et, notamment, en l’absence d’une demande clairement définie d’accommodement liée à un handicap, l’Office conclut qu’Air Transat a répondu de façon raisonnable à LL lorsqu’elle a reconnu l’erreur que LL avait ciblée sur son site Web et qu’elle lui a envoyé deux courriels lui confirmant pouvoir voyager sans présenter ledit formulaire médical.
[40] Par conséquent, l’Office conclut que LL n’a pas rencontré d’obstacle à ses possibilités de déplacement.
CONCLUSION
[41] L’Office conclut que LL est une personne handicapée, mais qu’elle n’a pas rencontré d’obstacle à ses possibilités de déplacement. Par conséquent, l’Office rejette la demande.
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