Décision n° 123-AT-A-2023

le 11 août 2023

Demande présentée par Timothy Rose contre Air Canada concernant une mesure d’accommodement pour répondre à ses besoins liés à son handicap

Numéro de cas : 
18-50077

Résumé

[1] Timothy Rose a déposé une demande auprès de l’Office des transports du Canada (Office) contre Air Canada parce que les aéronefs qu’elle utilise pour transporter des passagers de Toronto (Ontario) à Cleveland (Ohio), et pour effectuer plusieurs autres itinéraires transfrontaliers, ne permettent pas le transport de son fauteuil roulant électrique.

[2] Dans la décision LET-AT-A-28-2019, l’Office a conclu que M. Rose était une personne handicapée et qu’il rencontrait un obstacle à ses possibilités de déplacement puisqu’Air Canada utilisait exclusivement des aéronefs qui ne permettaient pas le transport de son fauteuil roulant électrique pour ses vols de Toronto à Cleveland. L’Office a également conclu que la décision d’Air Canada d’utiliser exclusivement des aéronefs qui ne permettent pas le transport d’aides à la mobilité de grande dimension sur d’autres itinéraires transfrontaliers de son réseau crée un obstacle aux possibilités de déplacement de toutes les personnes qui les utilisent.

[3] Dans la décision LET-AT-A-25-2022 (décision de demande de justification), l’Office a conclu que ces obstacles étaient abusifs. L’Office a donné l’occasion à Air Canada de justifier pourquoi il ne devrait pas lui ordonner de prendre les mesures correctives suivantes :

a) répondre aux besoins des personnes qui utilisent un fauteuil roulant électrique qui, une fois plié, excède la hauteur de la porte de soute de l’aéronef utilisé pour un vol sur un réseau transfrontalier à la suite de la réception d’un préavis de 10 jours ouvrables. Pour ce faire, Air Canada pourrait choisir parmi un éventail de mesures, notamment le remplacement de l’aéronef par un aéronef accessible pour l’itinéraire en question si elle ne peut pas répondre aux besoins du passager à l’aide d’une autre solution raisonnable;

b) indiquer clairement, dans son plan sur l’accessibilité établi au titre de la Loi canadienne sur l’accessibilité (LCA), comment elle tient compte de l’accessibilité pour les personnes handicapées qui utilisent un fauteuil roulant électrique lors de l’acquisition d’aéronefs pour son réseau transfrontalier, la sélection d’aéronefs pour ses itinéraires transfrontaliers et la conception de ses services de transport transfrontaliers.

[4] L’Office a également donné l’occasion à M. Rose de formuler des commentaires sur les présentations d’Air Canada. À la suite d’un examen approfondi des actes de procédure des parties en réponse à la décision de demande de justification, l’Office conclut qu’Air Canada n’a pas démontré qu’elle subirait une contrainte excessive si elle devait mettre en œuvre les mesures correctives proposées dans cette décision, sous réserve de l’apport de certaines modifications à la période de préavis et à la date limite pour leur incorporation à son plan sur l’accessibilité établi au titre de la LCA.

[5] Par conséquent, et pour les motifs énoncés ci-après, l’Office ordonne à Air Canada de mettre en œuvre les mesures correctives décrites à la section Ordonnance de la présente décision.

Observation préliminaire

[6] Air Canada offre d’organiser le transport terrestre des passagers dans la situation de M. Rose. L’Office ne tiendra pas compte de cette question puisqu’il a conclu, dans la décision de demande de justification, que le transport terrestre n’est pas une mesure d’accommodement convenable dans le cas présent.

La loi

[7] Au titre de la version de la Loi sur les transports au Canada (LTC) en vigueur au moment de l’incident, si l’Office détermine qu’il existe un obstacle abusif aux possibilités de déplacement des personnes handicapées, il peut ordonner au transporteur de prendre les mesures correctives indiquées.

Positions des parties

Air Canada

[8] Air Canada conteste la conclusion de l’Office selon laquelle elle n’a pas tenu compte de l’accessibilité lors de la planification de son réseau et affirme qu’elle considère, lors de sa planification, les questions d’accessibilité dont elle connaît l’existence et son obligation de respecter la réglementation applicable. Air Canada ne traite pas les mesures correctives proposées concernant son plan sur l’accessibilité.

[9] De même, Air Canada ne traite pas les mesures correctives proposées visant à réacheminer les passagers qui utilisent un fauteuil roulant électrique de grande dimension sur des vols qui suivent des itinéraires comparables ou qui ont lieu à des dates comparables, ou qui sont exploités par d’autres transporteurs.

[10] Les présentations d’Air Canada sont axées sur l’exigence proposée qui l’obligerait à remplacer son aéronef par un aéronef accessible à la suite de la réception d’un préavis de 10 jours ouvrables si elle ne peut pas répondre aux besoins du passager à l’aide d’une autre solution raisonnable. Elle affirme que cette exigence est disproportionnée, incommode et déraisonnable quant au maintien d’un équilibre entre les exigences et les intérêts des passagers qui nécessitent des mesures d’accommodement et ceux des autres passagers et d’Air Canada. Elle soutient également qu’elle ne pourrait pas mettre en œuvre cette mesure proposée en raison des considérations, des facteurs, des obstacles et des incidences ciblées dans l’affidavit de Cale Daniels, directeur principal, Contrôle de l’exploitation réseau (Affidavit).

[11] Air Canada affirme que la jurisprudence établit qu’une analyse des contraintes excessives devrait tenir compte de facteurs comme la sécurité, l’incidence sur les droits des autres et la qualité des services, et des importants coûts financiers supplémentaires. Elle soutient également que l’incidence d’une situation factuelle est un facteur important dont l’Office doit tenir compte afin de déterminer si une mesure proposée est proportionnelle, commode et raisonnable. Elle affirme qu’au moment de l’audience, elle n’avait jamais refusé le transport à un passager se déplaçant en fauteuil roulant électrique en raison de la dimension de la porte de soute d’un aéronef. En effet, M. Rose était le seul exemple de refus de transport à un passager se déplaçant avec un fauteuil roulant électrique sur un itinéraire transfrontalier pour cette raison.

[12] S’appuyant sur les éléments de preuve déposés lors de l’audience sur les contraintes excessives et après celle-ci, l’Affidavit décrit les difficultés liées à l’utilisation ponctuelle d’un aéronef de remplacement pour répondre aux besoins des passagers dans la situation de M. Rose pour un vol aller-retour de Toronto à Cleveland (itinéraire Toronto-Cleveland), notamment en matière de planification, de préférences et de la demande du marché, et de permissions, d’équipements au sol, de la disponibilité du personnel et de formation convenables.

[13] Air Canada fait valoir que :

  • l’utilisation de l’un de ses aéronefs de remplacement de façon ponctuelle rendrait cet aéronef indisponible en cas de situation inhabituelle, ce qui menacerait l’intégrité de son réseau et pourrait mener à l’abandon des milliers de passagers touchés directement ou indirectement par une telle situation. Air Canada soutient que ces incidences sont particulièrement graves dans le contexte du bouleversement sans précédent causé par la reprise des activités à la suite de la pandémie de COVID-19;
  • l’affectation d’un aéronef qui devait être utilisé à d’autres fins à l’itinéraire Toronto-Cleveland signifie qu’un autre aéronef devra être utilisé pour le remplacer, ce qui peut mener aux incidences susmentionnées;
  • le CRJ-200 à plus petite capacité est habituellement utilisé pour l’itinéraire Toronto-Cleveland. Le remplacement de cet aéronef par un aéronef accessible pour les vols qui nécessitent des mesures d’accommodement aurait une incidence sur l’ensemble de l’utilisation de cet aéronef, y compris sur plusieurs vols et passagers;
  • l’offre d’une aide et d’un réacheminement aux passagers touchés nécessiterait d’importantes ressources structurelles, humaines et financières de sa part;
  • le remplacement d’un aéronef avec un préavis de 10 jours ouvrables l’obligerait, à moins que l’Office déclare que ces événements sont indépendants de sa volonté, à indemniser les passagers touchés qui seraient informés du remplacement de l’aéronef 14 jours ou moins avant leur départ conformément au Règlement sur la protection des passagers aériens (RPPA);
  • ensemble, ces considérations, ces facteurs, ces obstacles et ces incidences seraient décuplés une fois appliqués aux importantes permutations des itinéraires transfrontaliers de son réseau, qui comprend plusieurs stations canadiennes et américaines. Les itinéraires qui ne sont pas en partance d’une station centrale canadienne pourraient nécessiter des mesures d’accommodement pour les segments de vols intérieurs ainsi que pour les vols transfrontaliers. Un effet de multiplication similaire se ferait sentir si plus d’un passager faisait une telle demande et que plusieurs demandes étaient présentées au cours d’une période similaire ou au fil du temps.

[14] Air Canada a présenté des éléments de preuve qui indiquent le coût minimal de l’utilisation d’un aéronef de remplacement pour l’itinéraire Toronto-Cleveland, y compris le coût des vols de convoyage, des deux vols aller-retour de l’aéronef de remplacement de Toronto à Cleveland, et le coût de la formation de 28 agents de service d’escale à l’aéroport de Cleveland. Conformément à la décision LET-AT-A-52-2022, ce montant a été versé aux archives confidentielles de l’Office.

[15] De plus, l’Affidavit explique les incidences du remplacement du CRJ-200 par un autre aéronef sur le personnel. Un tel remplacement perturberait les horaires des pilotes, qui sont établis au moins un mois à l’avance, et entraînerait des coûts supplémentaires puisqu’il faudrait faire appel à des pilotes pour exploiter différents types d’équipement. Un plus grand aéronef nécessiterait deux agents de bord, tandis qu’un seul est nécessaire pour exploiter le CRJ-200. Air Canada soutient également que puisqu’une demande de mesure d’accommodement pourrait être présentée à tout moment et viser n’importe quel aéroport de son réseau transfrontalier, la mise en œuvre de cette exigence nécessiterait une formation de toutes les entreprises de service d’escale aux aéroports américains et de l’ensemble du personnel aux aéroports canadiens pour tous les aéronefs de sa flotte plutôt que seulement pour l’aéronef dont l’utilisation est régulièrement prévue à une certaine station.

[16] Air Canada affirme que si le CRJ-200 ne peut pas être utilisé pour l’itinéraire Toronto-Cleveland, elle annule habituellement le vol et réachemine les passagers sur des vols exploités par d’autres transporteurs. Cependant, Air Canada affirme également, sans fournir davantage de précisions, qu’en août 2022, un A319 a été utilisé de façon exceptionnelle à deux stations satellites américaines.

[17] Enfin, Air Canada fait valoir que le remplacement ponctuel d’aéronefs proposé par l’Office la désavantagerait sur le plan concurrentiel puisque les autres transporteurs qui desservent le réseau transfrontalier ne sont pas assujettis à cette même obligation. Elle soutient que l’Office ne devrait pas imposer une obligation à un transporteur canadien à moins et avant que les transporteurs internationaux soient assujettis à la même obligation conformément à la conclusion et au raisonnement de l’Office dans la décision 95-AT-A-2022 (Yale c Air Canada).

M. Rose

[18] M. Rose soutient qu’Air Canada n’a pas démontré les raisons pour lesquelles les mesures correctives proposées ne peuvent pas être mises en œuvre. Il affirme qu’Air Canada choisit de prioriser les situations inhabituelles plutôt que de s’acquitter de ses obligations en matière d’accommodement des personnes handicapées.

[19] Pour les motifs énoncés ci-après, M. Rose affirme qu’Air Canada a démontré que l’utilisation ponctuelle d’un aéronef de remplacement aux fins d’accommodement d’une personne handicapée n’est pas pratique, mais qu’elle n’a pas démontré qu’un tel remplacement serait plus coûteux, moins sécuritaire ou moins réalisable que dans un autre contexte inhabituel :

  • La preuve de l’Affidavit est composée d’opinions de personnes non initiées et de spéculation, et peu de poids devrait lui être accordé. Air Canada n’a pas admis M. Daniels comme témoin expert. Ce dernier n’a pas une connaissance directe des événements qui ont donné lieu à la présente affaire, et l’Affidavit s’appuie sur des renseignements provenant d’autres employés d’Air Canada qui n’ont pas fait de déclaration sous serment;
  • Les éléments de preuve présentés par Air Canada sont semblables à ceux qu’elle avait présentés à l’audience, qui n’étaient pas suffisants pour établir qu’elle subirait une contrainte excessive selon les conclusions de l’Office;
  • Air Canada n’explique pas en quoi le coût, l’imprévisibilité et le fait que ce ne sont pas tous les pilotes qui sont formés pour tous les types d’aéronefs rendent impossible le remplacement ponctuel d’aéronefs lorsqu’il est question de mesures d’accommodement liées à un handicap, mais qu’un tel remplacement est possible en cas de situation inhabituelle;
  • Puisque les droits de la personne ont un statut quasi constitutionnel, Air Canada doit accorder la priorité à ses obligations en matière d’accommodement des personnes handicapées plutôt qu’aux situations inhabituelles;
  • Air Canada n’a pas déposé d’élément de preuve objectif et tangible témoignant d’un désavantage sur le plan concurrentiel, particulièrement en ce qui concerne son affirmation qu’un nombre limité de personnes ferait appel aux mesures d’accommodement proposées;
  • La période de préavis proposée de 10 jours ouvrables équivaut à la période de préavis de 14 jours civils prévue par le RPPA. Puisque le RPPA établit clairement qu’il ne limite pas les obligations du transporteur envers les personnes handicapées, les perturbations de vol attribuables au remplacement ponctuel d’un aéronef par un aéronef accessible doivent être considérées comme étant indépendantes de la volonté du transporteur en ce qui concerne les obligations d’Air Canada au titre du RPPA;
  • Air Canada n’a pas présenté d’élément de preuve objectif et tangible témoignant de la façon dont la pandémie de COVID-19 a eu une incidence sur ses activités ou sur ses services à un point tel qu’il serait impossible de mettre en œuvre les mesures proposées.

[20] M. Rose affirme qu’Air Canada n’a pas démontré que les mesures correctives proposées représentent une contrainte excessive ou qu’elles sont impossibles à mettre en œuvre, et demande à l’Office d’ordonner à Air Canada de mettre en œuvre toutes les mesures correctives de façon définitive.

Analyse et déterminations

[21] Dans le cas présent, le principe de l’équité procédurale voulait qu’Air Canada ait l’occasion de formuler des commentaires sur les mesures correctives proposées par l’Office dans la décision de demande de justification étant donné que ses activités sont complexes et dynamiques et que la pandémie de COVID‑19 a eu, et continue d’avoir, une incidence sur celles-ci.

[22] À cette étape des actes de procédure, le fardeau de la preuve repose sur Air Canada qui doit démontrer qu’elle est dans l’impossibilité de mettre en œuvre les mesures correctives proposées, ou qu’elle subirait une contrainte excessive en raison de leur mise en œuvre, à la lumière de ses activités à l’heure actuelle et dans un avenir rapproché. Ses présentations réitèrent et détaillent les arguments liés à une contrainte excessive sur le plan opérationnel et financier examinés dans la décision de demande de justification.

[23] Air Canada ne conteste pas les mesures proposées qui visent à réacheminer les passagers qui utilisent un fauteuil roulant électrique de grande dimension sur des itinéraires ou à des dates comparables à bord de vols de leur choix, soit de vols de son propre réseau ou de vols exploités par d’autres transporteurs. Dans tous ces scénarios, Air Canada payerait la différence de prix entre l’itinéraire initial choisi par la personne handicapée et l’itinéraire offert à titre de solution de remplacement. Par conséquent, l’Office conclut que ces mesures correctives n’imposeraient pas de contrainte excessive à Air Canada.

[24] Air Canada présente plusieurs facteurs, considérations et obstacles qui, selon elle, rendraient impossible le remplacement ponctuel d’un aéronef aux fins d’accommodement d’une personne handicapée. Cependant, elle n’explique pas comment ou pourquoi les facteurs présentés comme des obstacles à un tel remplacement ne l’empêchent pas de faire appel à un aéronef de remplacement en cas de situation inhabituelle, ce qu’elle fait quotidiennement. De même, puisqu’Air Canada remplace régulièrement des aéronefs en cas de situation inhabituelle, il est peu probable qu’un remplacement visant à répondre aux besoins d’une personne handicapée ait une incidence grave sur les autres passagers ou sur la capacité d’Air Canada à fournir un service à la clientèle. Air Canada n’a pas démontré que ce serait le cas.

[25] Certaines affirmations formulées par Air Canada ne sont pas étayées par les éléments de preuve qu’elle a déposés. Il en est ainsi de son affirmation selon laquelle, une demande de mesure d’accommodement pourrait être présentée à tout moment et dans n’importe quel aéroport de son réseau transfrontalier, ce qui la contraindrait à former tout son personnel des aéroports canadiens et les entreprises de service d’escale des aéroports américains de son réseau pour tous les aéronefs de sa flotte. Dans les éléments de preuve qu’elle a déposés plus tôt dans les actes de procédure, Air Canada affirme que les aéronefs à turbopropulseur ne sont pas les préférés des passagers des vols transfrontaliers et qu’aucun gros-porteur ne dessert l’aéroport de Cleveland. En date de février 2021, Air Canada a indiqué que des sept types d’appareils à couloir unique de sa flotte, trois sont accessibles pour M. Rose : les Airbus A319, A320 et A321.

[26] Air Canada affirme qu’elle annule habituellement le vol si le Bombardier CRJ-200 assigné à l’itinéraire Toronto-Cleveland ne peut pas être exploité. Cependant, elle affirme qu’elle a déjà utilisé un plus gros aéronef sur des itinéraires transfrontaliers existants à des stations satellites à titre exceptionnel. Elle n’explique pas pourquoi elle a pu procéder ainsi à deux reprises en août 2022, mais qu’elle ne pourrait pas effectuer un remplacement similaire à des fins d’accommodement, même si l’aéronef de remplacement qui a été utilisé à ces occasions, un Airbus A319, est accessible pour les passagers comme M. Rose. Par conséquent, même si le remplacement ponctuel d’un aéronef est peut-être l’arrangement le moins avantageux pour répondre aux besoins des passagers dans la situation de M. Rose, l’Office conclut qu’Air Canada n’a pas démontré qu’il lui est impossible, sur le plan opérationnel, de le faire. Air Canada a décidé de faire des situations inhabituelles sa priorité plutôt que son obligation fondamentale de répondre aux besoins des personnes handicapées en rendant ses services les plus accessibles possible.

[27] Dans l’Affidavit, Air Canada fournit des éléments de preuve confidentiels concernant le coût du remplacement du CRJ-200 par un aéronef accessible pour l’itinéraire Toronto-Cleveland. Des coûts supplémentaires peuvent permettre de démontrer que des mesures d’accommodement ne peuvent pas être mises en œuvre si la preuve indique que ces nouveaux coûts sont si importants qu’ils créeraient une contrainte excessive. Dans le cas présent, Air Canada n’a pas fourni suffisamment de contexte pour permettre à l’Office d’évaluer si les coûts documentés représentent un coût supplémentaire important ou prohibitif par rapport au coût du remplacement ponctuel d’un aéronef en cas de situation inhabituelle, au budget de fonctionnement d’Air Canada ou à sa situation financière générale. Sans élément de preuve convaincant en ce qui a trait aux obstacles économiques qui pourraient avoir une incidence grave sur la viabilité d’Air Canada ou sur sa capacité à absorber les coûts supplémentaires l’Office conclut qu’il n’a pas de motif raisonnable pour déterminer que le remplacement ponctuel d’un aéronef par un aéronef accessible lui causerait une contrainte excessive.

[28] Air Canada affirme qu’elle subirait un préjudice et un désavantage sur le plan concurrentiel si elle devait remplacer un aéronef pour répondre aux besoins des passagers dans une situation semblable à celle de M. Rose. Malgré le fait que l’Office a conclu, dans la décision de demande de justification, qu’il y a probablement d’autres personnes handicapées qui ne peuvent pas se déplacer à bord des aéronefs utilisés pour ces itinéraires en raison de la dimension de leur fauteuil roulant électrique, l’Office est convaincu, à la lumière de l’ensemble des éléments de preuve présentés par Air Canada, que les personnes dans la situation de M. Rose sont rares et que, dans la plupart des cas, Air Canada est en mesure de réacheminer les passagers sur d’autres itinéraires, comme le prévoient l’éventail de mesures établies par l’Office.

[29] Air Canada soutient que l’Office devrait appliquer le raisonnement et la conclusion de la décision Yale c Air Canada à la présente affaire et ne pas imposer d’obligation à un transporteur canadien à moins que les transporteurs internationaux y soient également assujettis. La mesure visée par cette décision était d’offrir un siège supplémentaire sans frais (conformément au principe « une personne, un tarif ») aux passagers handicapés qui se déplacent à bord de vols internationaux. Dans cette décision, l’Office indique qu’il considère le principe « une personne, un tarif », auquel les passagers font régulièrement appel pour différentes raisons, comme une solution systémique ayant une incidence importante sur le secteur aérien international. Dans le cas présent, le remplacement ponctuel d’un aéronef ne serait nécessaire que lorsqu’Air Canada ne peut pas répondre aux besoins du passager à l’aide d’une autre solution raisonnable, après que toutes les autres mesures d’accommodement ont été écartées. Par conséquent, l’Office ne considère pas que les circonstances du cas présent sont comparables au contexte de la décision Yale c Air Canada.

[30] Pour ces raisons, l’Office conclut qu’Air Canada n’a pas démontré que le remplacement ponctuel d’un aéronef en vue de répondre aux besoins d’une personne handicapée lorsqu’elle n’y arrive pas à l’aide d’une autre solution raisonnable est impossible sur le plan financier.

[31] Il est reconnu que les transporteurs ont l’obligation positive de veiller à ce que les personnes handicapées aient un accès égal à leurs services. Les décisions de planification à long terme d’Air Canada limitent sa capacité à répondre aux besoins des personnes handicapées de façon pleinement intégrée. Les mesures correctives de l’Office offrent à Air Canada un éventail de solutions pour répondre aux besoins des passagers handicapés. Cependant, Air Canada pourrait également devoir examiner d’autres moyens de s’acquitter de ses obligations en la matière. Par exemple, en raison de la variabilité de sa flotte et des modifications qui y sont régulièrement apportées lorsqu’elle y ajoute ou en retire des aéronefs, Air Canada pourrait examiner la composition de sa flotte d’aéronefs accessibles de remplacement à court ou à moyen terme plutôt que d’attendre d’améliorer l’accessibilité à long terme lors du renouvellement de sa flotte.

[32] Puisque les équipements achetés par Air Canada et les décisions qu’elle a prises en matière de planification ont créé des itinéraires qui ne sont pas accessibles et qui pourraient nécessiter le remplacement ponctuel d’un aéronef pour répondre aux besoins d’un passager handicapé s’il est impossible d’y arriver à l’aide d’une autre solution raisonnable, l’Office est d’avis qu’il est probable que toute perturbation de vol qui en découle soit considérée comme étant attribuable à Air Canada en ce qui concerne les obligations prévues par le RPPA en matière d’indemnisation.

[33] L’Office convient que, pour éviter de contracter diverses obligations au titre du RPPA, Air Canada aurait besoin d’un préavis de plus de 10 jours pour mettre en œuvre des mesures d’accommodement pour les passagers qui se trouvent dans la même situation que M. Rose. La preuve du cas présent indique qu’Air Canada a pris plusieurs jours avant d’examiner les solutions pour répondre aux besoins de M. Rose. De plus, l’Office note que les obligations du transporteur au titre du RPPA, particulièrement en ce qui concerne l’indemnisation, les remboursements et les arrangements de voyage alternatifs, deviennent beaucoup plus onéreuses lorsque les passagers sont informés d’une perturbation de vol moins de 14 jours civils avant leur départ.

[34] Par conséquent, l’Office est d’avis que l’incidence cumulative des réparations qui pourraient être demandées au titre du RPPA par de nombreux passagers en raison d’un remplacement d’aéronef effectué moins de 10 jours ouvrables avant leur départ est déraisonnable et peut être qualifiée de contrainte excessive. L’Office conclut donc qu’il est approprié d’établir une période de préavis de 21 jours civils.

[35] Air Canada conteste la conclusion de l’Office selon laquelle elle n’a pas tenu compte de l’accessibilité lors de la planification de son réseau ou de l’achat de nouveaux aéronefs; cependant, la preuve à cet égard est claire. La réponse d’Air Canada à la décision de demande de justification n’a pas convaincu l’Office autrement.

[36] Air Canada affirme qu’elle ne peut pas tenir compte d’une question précise en matière d’accessibilité dans le cadre de sa planification si elle n’en connaît pas l’existence. Cependant, la question de savoir si les portes de soute peuvent accueillir des aides à la mobilité existe depuis longtemps au sein du secteur de l’aviation, comme l’Office l’indique dans la décision de demande de justification. Les éléments de preuve déposés par Air Canada démontrent qu’elle était consciente du fait que ce ne sont pas tous les fauteuils roulants électriques qui peuvent entrer dans les portes de soute de tous ses aéronefs. L’incompatibilité de la conception des aéronefs et des aides à la mobilité est indépendante de la volonté des transporteurs individuels. Cependant, Air Canada peut demander à ce qu’un aéronef soit universellement plus accessible lors de son achat. De plus, l’Office indique dans la décision 140-AT-A-2003 (Conseil des Canadiens avec déficiences c Air Nova) que les transporteurs ne devraient pas remplacer de gros aéronefs-navettes par de plus petits sans tenir dûment compte du maintien d’un niveau d’accessibilité approprié pour les personnes handicapées.

[37] Puisqu’Air Canada ne formule aucun autre argument sur les mesures correctives proposées en ce qui concerne sa planification de l’accessibilité, l’Office conclut qu’elle n’a pas démontré qu’il serait impossible de mettre en œuvre de telles mesures. Cependant, depuis la fin des actes de procédure liés à la décision de demande de justification, Air Canada a publié son premier plan sur l’accessibilité, qui ne traite pas précisément les problèmes relevés par l’Office. Par conséquent, l’Office conclut qu’il est convenable d’appliquer l’ordonnance à la première mise à jour du plan sur l’accessibilité d’Air Canada.

Ordonnance

Mesures correctives

[38] L’Office ordonne à Air Canada de mettre en œuvre les mesures suivantes et de confirmer auprès du directeur général, Déterminations et conformité, de l’Office, par l’entremise du Secrétariat de l’Office, que son personnel a achevé la formation portant sur ces mesures dès que possible et au plus tard le 20 décembre 2023 :

a) À la suite de la réception d’un préavis d’au moins 21 jours civils de la part de M. Rose ou de toute autre personne qui utilise un fauteuil
    roulant électrique qui, une fois plié, ne peut pas entrer dans la porte de soute de l’aéronef prévu pour son vol :

    1. Air Canada doit transporter le passager et son fauteuil roulant électrique le jour où le passager souhaite prendre un vol, à une heure semblable à l’heure à laquelle il souhaite se déplacer;
    2. si cela n’est pas raisonnablement possible, Air Canada doit transporter le passager et son fauteuil roulant électrique le jour précédant ou le jour suivant celui où le passager souhaite prendre un vol.

Air Canada peut choisir les mesures qu’elle mettra en œuvre afin de répondre aux besoins des passagers, mais ces mesures doivent au moins comprendre les suivantes :

    • tenter de trouver un ou des vols similaires sur un itinéraire différent, mais semblable dans son réseau;
    • tenter de trouver un ou des vols similaires auprès d’un autre transporteur sur le même itinéraire ou sur un itinéraire différent, mais semblable;
    • remplacer l’aéronef prévu pour le vol en question par un aéronef accessible lorsqu’Air Canada ne peut pas répondre aux besoins du passager à l’aide d’une autre solution raisonnable.

Si Air Canada décide de réacheminer le passager sur un ou des vols d’un autre transporteur, elle doit payer la différence entre les prix.

Il arrive qu’une personne qui utilise un fauteuil roulant électrique qui, une fois plié, ne peut pas entrer dans la porte de soute de l’aéronef prévu pour le vol ne soit pas en mesure de fournir un préavis suffisant. Dans ce cas, Air Canada doit faire tous les efforts raisonnables pour répondre aux besoins de la personne conformément aux dispositions du Règlement sur les transports accessibles aux personnes handicapées concernant les situations dans lesquelles un préavis obligatoire n’est pas fourni;

b) L’Office ordonne à Air Canada de traiter précisément, dans la mise à jour de son plan sur l’accessibilité au titre de la LCA qui doit être publiée au plus tard le 1er juin 2026, comment elle tient compte de l’accessibilité pour les personnes handicapées qui utilisent un fauteuil roulant électrique dans le cadre de :

1. l’acquisition d’aéronefs pour son réseau transfrontalier, sous forme de location ou d’achat,

2. la sélection d’aéronefs pour ses itinéraires transfrontaliers,

3. la conception de ses services transfrontaliers, notamment la sélection de transporteurs régionaux et les négociations contractuelles avec ceux-ci.


Dispositions en référence Identifiant numérique (article, paragraphe, règle, etc.)
Loi sur les transports au Canada, LC 1996, c 10 172(3)
Loi canadienne sur l’accessibilité, LC 2019, c 10 42
Règlement sur les transports accessibles aux personnes handicapées, DORS/2019-244 32(4)
Règlement sur la protection des passagers aériens, DORS/2019-150 Tous pertinents

Membre(s)

Elizabeth C. Barker
Heather Smith
Mary Tobin Oates
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