Décision n° 95-AT-A-2022

le 21 juillet 2022

DEMANDE présentée par Marcia Yale contre Air Canada, au titre du paragraphe 172(1) de la Loi sur les transports au Canada, LC 1996, c 10 (LTC), concernant ses besoins liés à son handicap, et l'élargissement de la politique « une personne, un tarif » (1P1T) aux vols internationaux.

Numéro de cas : 
19-50074

RÉSUMÉ

[1] Marcia Yale a déposé une demande auprès de l’Office des transports du Canada (Office) contre Air Canada concernant, d’une part, l’absence d’une politique 1P1T pour les vols internationaux, afin qu’elle puisse obtenir un siège supplémentaire sans frais pour que son chien d’assistance ait plus d’espace sur le plancher et, d’autre part, le présumé manquement du transporteur de l’informer à l’avance qu’elle obtiendrait effectivement ce siège supplémentaire.

[2] Le 21 février 2020, l’Office a émis la décision LET-AT-A-11-2020 informant qu’il suspendait le traitement de la plainte en attendant que soit finalisée la deuxième phase du Règlement sur les transports accessibles aux personnes handicapées (RTAPH)Note 1. Puisque c’est maintenant chose faite, l’Office lève la suspension.

[3] Pour les motifs énoncés ci-après, l’Office décide de ne pas se prononcer sur cette demande, comme le lui permet l’article 37 de la LTC. En conséquence, l’Office n’émettra aucune décision sur le fond de cette demande et ferme le dossier.

CONTEXTE

[4] En juin 2019, Mme Yale, qui est aveugle et se déplace avec un chien-guide, a acheté un billet aller-retour auprès d’Air Canada pour un vol de Toronto (Ontario) à Portland, États-Unis, via Vancouver (Colombie-Britannique), dont le départ était prévu le 17 octobre 2019 et le retour, le 21 octobre 2019. Mme Yale indique avoir demandé un siège supplémentaire, sans frais, afin que son chien puisse avoir plus d’espace sur le plancher, mais Air Canada l’a informée n’avoir aucune obligation de fournir un tel accommodement à bord de vols internationaux.

[5] Mme Yale affirme que la veille de son départ, Air Canada l’a informée qu’un siège supplémentaire serait mis à sa disposition pour son chien. Mme Yale soutient que de recevoir cette information seulement une journée avant son vol constituait un obstacle, car elle n’était pas certaine que son chien aurait assez d’espace sur le plancher pour être confortable pendant le vol.

OBSERVATION PRÉLIMINAIRE

[6] Mme Yale est préoccupée du fait qu’Air Canada puisse lui refuser cette demande de siège supplémentaire sans frais pour son chien, sur le segment de son itinéraire entre Toronto et Vancouver, seulement parce que son vol de correspondance était international.

[7] La LTC ne définit pas le terme « transport international », mais la Loi sur le transport aérienNote 2 incorpore par renvoi la définition qu’en donne la Convention de MontréalNote 3 pour le traitement des questions liées aux réclamations de passagers en cas de mort ou de blessure, ou encore de dommages à des biens. Un vol est international si le point de départ et le point d’arrivée, que le trajet soit interrompu ou non, sont situés soit sur le territoire de deux pays différents, soit sur le territoire d’un seul pays si une escale est prévue sur le territoire d’un autre pays. D’après cette définition, tous les segments de vol de l’itinéraire international d’un passager forment ensemble le transport international, même les vols effectués dans un seul pays, lesquels seraient autrement considérés comme étant des vols intérieurs.

[8] La Convention de Montréal est incorporée par renvoi dans la règle 5(A)(2) du tarif d’Air Canada Note 4, et cette règle renvoie précisément à la définition d’un transport international figurant à la règle 1. Cette définition s’applique de la même manière partout dans l’industrie du transport aérien. Les dispositions pertinentes de la Convention de Montréal et du tarif se trouvent à l’annexe.

[9] À la lumière de ce qui précède, l’Office détermine que le segment de Toronto à Vancouver de l’itinéraire de Mme Yale fait partie d’un itinéraire de transport international, puisque la dernière destination était dans un autre pays, soit aux États-Unis.

LA LOI

[10] Le paragraphe 51(1) du RTAPH prévoit ce qui suit :

Sous réserve du paragraphe (2), le transporteur accepte, à la demande de la personne handicapée qui a besoin de voyager avec un chien d’assistance, de transporter le chien d’assistance et permet que l’animal accompagne la personne à bord.

 [11] Le paragraphe 51(4) du RTAPH prévoit ce qui suit :

Le transporteur fournit à la personne handicapée un siège passager adjacent à son siège pour que le chien d’assistance puisse s’étendre aux pieds de la personne de manière à assurer la sécurité et le bien-être de la personne et du chien si le siège passager de la personne n’offre pas assez d’espace au plancher en raison de la taille du chien.

[12] L’article 31 du RTAPH prévoit ce qui suit :

(1) Sous réserve du paragraphe (2), il est interdit au transporteur d’exiger un prix ou tout autre frais pour tout service qu’il fournit aux termes de la présente partie.

(2) L’interdiction prévue au paragraphe (1) ne vise pas le transporteur à l’égard de tout service qu’il est tenu de fournir sous le régime des articles 50, 51 ou 52, si le service est fourni dans le cadre d’un service de transport de passagers entre le Canada et un pays étranger.

[13] L’article 37 de la LTC prévoit ce qui suit :

L’Office peut enquêter sur une plainte, l’entendre et en décider lorsqu’elle porte sur une question relevant d’une loi fédérale qu’il est chargé d’appliquer en tout ou en partie.

[14] La Cour suprême du Canada a confirmé, dans Delta Air Lines Inc. c Lukács, 2018 SCC 2, que l’article 37 permet à l’Office de décider s’il compte entendre une plainte ou non. La Cour a soutenu que, s’il décide de ne pas entendre une demande, l’Office peut tout de même vérifier si la plainte a été portée de bonne foi, et si elle est opportune, vexatoire ou redondante. Il pourrait aussi se demander si la plainte soulève une question sérieuse à juger ou si elle est fondée sur une preuve suffisante. La Cour a également déterminé que l’Office pouvait se demander si la plainte est conforme à sa charge de travail et à sa hiérarchisation des dossiers.

CONSIDÉRATIONS

Positions des parties

MME YALE

[15] Mme Yale soutient que pour des vols précédents, Air Canada a convenu que son chien-guide avait besoin de l’espace au plancher d’un siège adjacent pour être en sécurité et confortable durant le vol, et elle lui a donc fourni un siège supplémentaire sans frais lors de vols au Canada. Le bureau médical d’Air Canada a informé Mme Yale que ce privilège ne s’appliquait pas aux vols internationaux.

[16] Mme Yale fait valoir que ses besoins ou le besoin de son chien d’avoir plus d’espace sur le plancher ne changent pas, qu’elle voyage au Canada ou à l’étranger, et elle demande à obtenir un siège supplémentaire sans frais à bord de ses vols internationaux.

[17] Même si, au bout du compte, Air Canada lui a fourni un siège supplémentaire sans frais pour son trajet de Toronto à Portland, via Vancouver, Mme Yale soutient que d’être informée seulement une journée avant son vol qu’on répondra à son besoin constitue un obstacle. Mme Yale explique qu’elle a été stressée pendant quatre mois parce qu’elle ne savait pas si son chien-guide aurait assez d’espace pour s’allonger confortablement au sol pendant les vols.

AIR CANADA

[18] Air Canada affirme que l’espace supplémentaire sur le plancher pour les chiens-guides est fourni sans frais seulement dans le cas d’itinéraires intérieurs. Elle indique toutefois qu’elle a pu répondre au besoin de Mme Yale à bord de son vol international afin de lui offrir un bon service à la clientèle. Air Canada soutient donc que la plainte devrait être rejetée, car Mme Yale a pu prendre son vol et n’a pas rencontré d’obstacle.

[19] Air Canada affirme que la demande pour que la politique 1P1T s’applique également aux vols internationaux est une question complexe qui suscite bien de la controverse, et que c’est la raison pour laquelle le RTAPH la limite aux transports intérieurs. Air Canada fait également référence à la décision 327-AT-A-2008 (East c Air Canada et Jazz Air S.E.C) et à la décision 324-AT-A-2015 (Cheung c WestJet) dans lesquelles l’Office a limité aux vols intérieurs l’obligation des transporteurs de fournir sans frais de l’espace additionnel pour les animaux aidants.

[20] Air Canada soutient qu’une affaire de cette envergure ne peut pas être réglée dans le cadre d’une seule plainte contre un seul transporteur, car cela viderait le processus réglementaire de tout son sens.

ANALYSE

[21] La politique 1P1T a évolué au Canada au fil du temps. Elle a notamment été élargie à la plupart des vols intérieurs au Canada en 2008 à la suite de la décision 6-AT-A-2008 (Succession d’Eric Norman, Joanne Neubauer et le Conseil des Canadiens avec déficience contre Air Canada, Air Canada Jazz, WestJet, l’Administration de l’aéroport international de Gander et l’Association du transport aérien du Canada). Cette décision a été rendue à l’issue d’une instance complexe et coûteuse qui a nécessité la participation de nombreux intervenants, dont le Conseil des Canadiens avec déficience, trois transporteurs aériens canadiens (transportant plus de 90 % des passagers canadiens) et une administration aéroportuaire canadienne.

[22] Même si, dans des demandes précédentes en matière d’accessibilité, des plaignants ont demandé à l’Office d’ordonner l’élargissement de la 1P1T aux vols internationaux à titre de mesure corrective, il a conclu que de le faire dans le contexte d’une seule demande ne serait pas avisé. Dans Cheung c WestJet, l’Office a pris en compte les facteurs uniques soulevés dans le contexte international et a expliqué que l’application du principe 1P1T au-delà des frontières canadiennes constituerait une solution systémique qui aurait de vastes conséquences qui ne pourraient pas être examinées séparément. 

[23] En 2016, lorsqu’il a lancé son Initiative de modernisation de la réglementation (IMR), l’Office a demandé à des intervenants, à des experts et au public canadien de lui soumettre des commentaires concernant la mise à jour et l’amélioration des règlements qu’il est chargé d’appliquer. Ainsi, il pourrait suivre le rythme des changements dans les modèles d’affaires, les attentes des utilisateurs et les pratiques exemplaires dans le domaine de la réglementation. Comme la politique 1P1T devait être étudiée dans le cadre de l’IMR, l’Office a suspendu les trois demandes traitant d’accessibilité dans lesquelles les plaignants réclamaient une politique 1P1T d’application internationale à titre de mesure corrective. À la fin de la première phase d’élaboration de textes sur l’accessibilité, le RTAPH a été adopté. Il y était exigé que tous les transporteurs canadiens appliquent le principe 1P1T aux vols (ou aux transports) intérieurs. L’Office a indiqué son intention d’ouvrir le dossier de la politique 1P1T internationale au cours de la deuxième phase. Il a donc mené des consultations sur l’application de la politique 1P1T aux vols internationaux.

[24] Durant la deuxième phase des consultations, des transporteurs intérieurs et étrangers ont laissé entendre que l’application de la politique 1P1T au transport international viendrait interférer avec l’établissement des prix. L’établissement des prix est un élément clé des accords bilatéraux de transport aérien entre les pays qui sont tenus de respecter les dispositions qu’ils renferment. Ces accords bilatéraux sont les bases sur lesquelles repose le fonctionnement du transport aérien.

[25] En conséquence, si l’Office étudie la possibilité d’une politique 1P1T internationale, il doit tenir compte des contraintes établies dans les nombreux accords bilatéraux de transport aérien auxquels le Canada est partie. Ces traités internationaux renferment les obligations détaillées en matière de transport aérien commercial que le Canada et ses partenaires commerciaux doivent respecter. Selon ces traités, les transporteurs étrangers peuvent souvent se prononcer contre des politiques qui ne laisseraient pas les prix être fixés par les forces du marché. Plus important encore, si le Canada impose, dans les tarifs, une exigence qu’un gouvernement étranger désapprouve, ce gouvernement peut rejeter la disposition.

[26] Pour le moment, il n’y a pas de consensus international parmi les gouvernements sur une politique 1P1T qui s’appliquerait au transport international. Seulement quelques administrations, dont les États-Unis, l’Europe et le Royaume-Uni, exigent que les transporteurs aériens fournissent un siège adjacent supplémentaire pour répondre à certains besoins liés à un handicap, ou qu’ils fassent tout leur possible pour le fournir. Toutefois, aucune n’interdit que des frais soient perçus pour ce service.

[27] Si l’Office devait conclure que la politique 1P1T doit être imposée pour le transport international, les opinions divergentes à l’échelle internationale amèneraient fort probablement d’autres pays à se prévaloir des dispositions sur le règlement des différends ou sur la possibilité de refus qui sont prévues dans les accords de transport aérien. Devant des normes internationales incohérentes, des passagers handicapés vivraient de grandes incertitudes, surtout dans le cas de vols en partage de codes, ou si un ou des gouvernements décidaient de rejeter les dispositions de la politique. De plus, en raison de telles incohérences, des transporteurs aériens canadiens subiraient un désavantage concurrentiel par rapport à des transporteurs étrangers, puisque les coûts pour appliquer la politique 1P1T afin de répondre aux besoins de personnes handicapées seront assumés par les transporteurs canadiens et non par leurs concurrents directs. Compte tenu des objectifs de la Politique nationale des transports énoncée à l’article 5 de la LTC, dans laquelle il est déclaré que le système de transport national du Canada doit être compétitif, l’Office n’est pas prêt à imposer une telle obligation aux transporteurs canadiens, sauf si les transporteurs étrangers sont tenus à la même obligation. Sinon, ce type de désavantage concurrentiel imposera une contrainte excessive aux transporteurs canadiens.

[28] Il convient de noter que, même si l’Office peut maintenant lancer de sa propre initiative le type d’enquête à grande échelle mentionnée dans Cheung c WestJet, il ne pourra pas surmonter les difficultés qui existent en raison de la portée internationale de la mesure réclamée, décrite ci-dessus.

[29] En conséquence, pour que le Canada puisse respecter ses engagements envers d’autres pays, l’Office conclut que la demande pour que la politique 1P1T s’applique au transport international a de meilleures chances de succès si l’on continue d’appeler les gouvernements étrangers à coopérer et à harmoniser leurs politiques. L’Office continuera de souligner l’importance d’une politique 1P1T internationale unifiée pour les transports lorsqu’il participera à différents forums sur les transports, comme celui de l’Organisation de l’aviation civile internationale. Il continuera également d’influencer de manière proactive le milieu de l’aviation civile internationale afin d’inciter les intervenants à être plus à l’écoute des besoins des personnes handicapées.

CONCLUSION

[30] Comme la seule mesure corrective réclamée dans la présente demande est que la politique 1P1T s’applique au transport international, l’Office utilise le pouvoir discrétionnaire que lui confère l’article 37 de la LTC et décide de ne pas se prononcer sur cette demande.
 


ANNEXE À LA DÉCISION NO 95-AT-A-2022

Convention pour l'unification de certaines règles relatives au transport aérien international –Convention de Montréal

L’article 1(2) énonce ce qui suit :

Au sens de la présente convention, l’expression transport international s’entend de tout transport dans lequel, d’après les stipulations des parties, le point de départ et le point de destination, qu’il y ait ou non interruption de transport ou transbordement, sont situés soit sur le territoire de deux États parties, soit sur le territoire d’un seul État partie si une escale est prévue sur le territoire d’un autre État, même si cet État n’est pas un État partie. Le transport sans une telle escale entre deux points du territoire d’un seul État partie n’est pas considéré comme international au sens de la présente convention.

International Passenger Rules and Fares Tariff AC-2 Containing Local and Joint Rules, Regulations, Fares and Charges on behalf of Air Canada Applicable to the Transportation of Passengers and Baggage Between Points in Canada/USA and Points in Areas 1/2/3 and Between the USA and Canada, NTA(A) 458

Remarque: Le tarif d’Air Canada a été déposé en anglais seulement.

La règle 1 définit le transport international :

International carriage means (except when the Convention is applicable) carriage in which, according to the contract of carriage, the place of departure and any place of landing are situated in more than one state. As used in this definition, the term “state” includes all territory subject to the sovereignty, suzerainty, mandate, authority or trusteeship thereof. International carriage as defined by the Convention means any carriage in which, according to the contract of carriage, the place of departure and the place of destination, whether or not there be a break in the carriage or a transshipment, are situated either within the territories of two High Contracting Parties to the Convention or within the territory of a single High Contracting Party to the convention, if there is an agreed stopping place within a territory subject to the sovereignty, suzerainty, mandate or authority of another power even though that power is not a party to the

Convention.

La règle 5(A)(2) énonce que;

International transportation shall be subject to the rules relating to liability established by, and to all other provisions of the Convention for the Unification of Certain Rules Relating to International Transportation by Air, signed at Warsaw, October 12, 1929, or the Convention for the Unification of Certain Rules International Carriage by Air (Montreal Convention of 1999) or such convention as amended, whichever may be applicable to the transportation hereunder. Any provision of these rules which is inconsistent with any provision of said Convention shall, to that extent, but only to that extent, be inapplicable to international transportation.

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France Pégeot
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