Décision n° 324-AT-A-2015

le 13 octobre 2015

DEMANDE présentée par Sarah Cheung contre WestJet.

Numéro de cas : 
14-50321

INTRODUCTION

[1] Sarah Cheung, qui a une amyotrophie musculaire spinale, a déposé une demande auprès de l’Office des transports du Canada (Office) en vertu du paragraphe 172(1) de la Loi sur les transports au Canada, L.C. (1996), ch. 10, modifiée (LTC) contre WestJet concernant des difficultés qu’elle a rencontrées relativement à un voyage international entre Vancouver (Colombie-Britannique), Canada et Honolulu, Hawaï, États-Unis d’Amérique.

[2] Mme Cheung demande l’accommodement suivant lorsqu’elle voyage par avion à l’étranger avec WestJet :

  1. l’utilisation de son orthèse de positionnement;
  2. un siège supplémentaire, sans frais, pour un accompagnateur.

[3] Si elle ne peut utiliser son orthèse de positionnement, Mme Cheung demande qu’on lui fournisse, sans frais, trois sièges (deux sièges pour deux accompagnateurs et un autre pour lui permettre de s’allonger).

LA LOI

[4] Lorsqu’il doit statuer sur une demande en vertu du paragraphe 172(1) de la LTC, l’Office applique une procédure particulière en trois temps pour déterminer s’il y a eu obstacle abusif aux possibilités de déplacement d’une personne ayant une déficience. L’Office doit déterminer :

  1. si la personne qui est l’auteur de la demande a une déficience aux fins de la LTC;
  2. si la personne a rencontré un obstacle du fait qu’on ne lui a pas fourni un accommodement approprié pour répondre aux besoins liés à sa déficience;
  3. si l’obstacle est « abusif » parce que le fournisseur de services de transport n’a pas justifié l’existence de l’obstacle en prouvant :

(i) qu’il est rationnellement lié à la fourniture des services de transport;

(ii)  qu’il a été adopté selon la conviction honnête et de bonne foi qu’elle était nécessaire pour fournir le service de transport;

(iii) qu’il y a des contraintes qui rendraient l’élimination de l’obstacle déraisonnable, peu pratique, ou impossible (contrainte excessive)

QUESTIONS

  • Mme Cheung est-elle une personne ayant une déficience aux termes de la partie V de la LTC?
  • Le défaut de WestJet de permettre à Mme Cheung d’utiliser son orthèse de positionnement durant le vol et de fournir un siège supplémentaire sans frais pour un accompagnateur a‑t‑il constitué un obstacle abusif aux possibilités de déplacement de Mme Cheung?
  • Le cas échéant, quelles mesures correctives devraient être imposées, s’il y a lieu?

[5] Dans un premier temps, l’Office déterminera si Mme Cheung est une personne ayant une déficience.

[6] L’Office établira ensuite si Mme Cheung a rencontré des obstacles, y compris la détermination des mesures d’accommodement appropriées pour répondre aux besoins liés à sa déficience.

[7] Enfin, l’Office décidera si les obstacles rencontrés par Mme Cheung sont abusifs et, le cas échéant, quelles mesures correctives doivent être imposées, s’il y a lieu. L’Office examinera également la demande de WestJet voulant que l’Office rejette la partie de la demande visant la fourniture d’un siège supplémentaire, sans, frais pour un accompagnateur, et se penchera sur le contexte de la décision no 6-AT-A-2008, dans laquelle Air Canada, Air Canada Jazz et WestJet ont été enjointes de ne pas percevoir de frais pour des sièges supplémentaires requis par des personnes ayant une déficience ou pour leurs accompagnateurs en raison de leur déficience, dans le cadre de leurs services aériens intérieurs.

MME CHEUNG EST-ELLE UNE PERSONNE AYANT UNE DÉFICIENCE AUX TERMES DE LA PARTIE V DE LA LTC?

[8] Pour déterminer s’il y a obstacle aux possibilités de déplacement des personnes ayant une déficience au sens du paragraphe 172(1) de la LTC, l’Office doit d’abord déterminer si la demande a été déposée par une personne ayant une déficience ou en son nom.

[9] Mme Cheung a une amyotrophie musculaire spinale et ne peut pas bouger son corps, à l’exception d’un mouvement limité de ses doigts. Mme Cheung utilise un fauteuil roulant ainsi qu’une orthèse de positionnement faite sur mesure et amovible pour supporter le poids de son corps. Sans cette orthèse, Mme Cheung ne peut s’asseoir bien droit sans aide sans éprouver un inconfort et une douleur extrêmes. Mme Cheung a également besoin d’assistance durant le vol pour recevoir sa médication et pour des soins personnels. Elle voyage donc avec un accompagnateur.

[10] WestJet n’a pas contesté le fait que Mme Cheung est une personne ayant une déficience.

Constatation

[11] L’Office conclut que Mme Cheung est une personne ayant une déficience aux fins de la partie V de la LTC.

LES QUESTIONS SOULEVÉES DANS LA DEMANDE DE MME CHEUNG CONSTITUENT-ELLES DES OBSTACLES À SES POSSIBILITÉS DE DÉPLACEMENT?

[12] Afin de déterminer si les questions soulevées dans la demande de Mme Cheung constituent des obstacles abusifs à ses possibilités de déplacement, l’Office doit déterminer en premier lieu si ces questions constituent des obstacles à ses possibilités de déplacement.

Démarche de l’Office pour conclure à l’existence d’un obstacle

[13] Un obstacle est une règle, une politique, une pratique, un obstacle physique, etc. qui est :

  • soit direct, c’est-à-dire qu’il s’applique à une personne ayant une déficience;
  • soit indirect, c’est-à-dire que, bien qu’il soit le même pour tous, il a pour effet de priver une personne ayant une déficience d’un avantage;
  • et qui prive une personne ayant une déficience de l’égalité d’accès aux services accessibles aux autres voyageurs de sorte que le fournisseur de services doit fournir un accommodement.

[14] Il incombe à la personne ayant une déficience de prouver, selon la prépondérance des probabilités, qu’elle avait besoin d’un accommodement approprié qui répond aux besoins liés à sa déficience, mais que ces besoins n’ont pas été satisfaits.

[15] L’Office se penchera sur les besoins liés à la déficience de Mme Cheung et sur la mesure d’accommodement appropriée pour répondre à ces besoins et déterminera ensuite si ces besoins ont été satisfaits.

Besoins liés à la déficience

[16] Mme Cheung a fourni des preuves provenant de son médecin de famille au sujet des besoins suivants liés à sa déficience :

  • Les muscles du tronc et des membres de Mme Cheung sont extrêmement faibles et ses hanches présentent une luxation bilatérale, ce qui fait en sorte qu’elle a besoin d’un système de siège adapté à ses besoins pour la soutenir en position assise, soit son orthèse de positionnement, sans laquelle elle devrait rester en position allongée ou être soutenue par un accompagnateur. De plus, Mme Cheung a besoin d’un accompagnateur pour lui administrer ses médicaments et assurer ses soins personnels durant le vol.
  • Si elle n’est pas autorisée à utiliser son orthèse de positionnement, Mme Cheung a besoin de deux accompagnateurs : un accompagnateur qui supporte le poids de son corps tout au long du vol et un autre qui lui prodigue des soins personnels et lui administre ses médicaments durant le vol. En outre, Mme Cheung a besoin d’un siège supplémentaire pour lui permettre de s’allonger, puisqu’il lui est extrêmement inconfortable d’être soutenue droite plutôt que d’avoir recours à son orthèse de positionnement pour pouvoir demeurer en position assise.

[17] Ces faits ne sont pas contestés par WestJet.

[18] Par conséquent, l’Office conclut que Mme Cheung a besoin de mesures d’accommodement pour répondre aux besoins suivants liés à sa déficience :

  1. la soutenir pour qu’elle demeure en position assise pendant le décollage et l’atterrissage;
  2. lui fournir une assistance avec ses médicaments et ses soins personnels durant le vol.

[19] L’Office procédera donc à la détermination de l’accommodement approprié pour répondre à ces besoins liés à la déficience, et déterminera ensuite si Mme Cheung a prouvé, selon la prépondérance des probabilités, que ces besoins n’ont pas été satisfaits, donc que l’accommodement approprié pour répondre aux besoins liés à sa déficience n’ont pas été fournis.

Accommodement approprié

[20] Les fournisseurs de services ont l’obligation de fournir un accommodement aux personnes ayant une déficience. Si une variété de mesures d’accommodement peuvent répondre aux besoins liés à la déficience d’une personne, il n’est pas obligatoire que la mesure d’accommodement corresponde exactement à ce que la personne demande, mais elle doit être efficace (c.-à-d. pour répondre de manière appropriée aux besoins liés à la déficience de la personne). L’accommodement doit être fourni de manière digne; par conséquent, cette personne ayant une déficience a l’occasion d’obtenir le même niveau de services de transport que celui offert aux autres passagers dans le réseau de transport fédéral.

[21] Si la personne a obtenu un accommodement approprié aux besoins liés à sa déficience, alors elle n’a pas rencontré d’obstacle.

[22] Il revient au fournisseur de services, dans le cadre de son obligation d’offrir un accommodement, de déterminer et de fournir la mesure qui sera nécessaire pour répondre aux besoins d’une personne ayant une déficience. Cela reflète l’orientation de la Cour suprême du Canada dans Central Okanagan School District No. 23 c. Renaud, [1992] 2 R.C.S. 970, qui a conclu que l’employeur est celui qui est le mieux placé pour déterminer la façon dont il est possible d’accommoder le plaignant sans s’ingérer indûment dans l’exploitation de son entreprise. De la même façon, il revient au fournisseur de services de prouver, selon la prépondérance des probabilités, qu’il a déterminé et fourni un accommodement approprié qui répond aux besoins liés à la déficience d’une personne.

[23] L’Office évaluera et déterminera si la mesure déterminée par le fournisseur de services répond de manière appropriée aux besoins d’une personne liés à sa déficience. Si le fournisseur de services n’établit pas une mesure d’accommodement, ou si l’Office détermine que la mesure que le fournisseur a établie ne répond pas de manière appropriée aux besoins liés à la déficience de la personne, alors l’Office se fondera sur les présentations des parties et ses propres connaissances spécialisées et son expertise pour déterminer l’accommodement approprié qui répondra aux besoins liés à la déficience d’une personne.

[24] Toute contrainte (comme des préoccupations relatives à la sécurité) susceptible d’avoir une incidence sur la capacité du fournisseur de services de fournir l’accommodement n’est évaluée qu’à l’étape de la détermination du caractère abusif d’un obstacle.

Orthèse de positionnement

Positions des parties

[25] Mme Cheung affirme que le moyen le plus efficace pour répondre au besoin lié à sa déficience d’être soutenue pour demeurer en position assise consiste à utiliser son orthèse de positionnement durant le vol. WestJet a refusé de lui permettre d’utiliser son orthèse de positionnement lors de son voyage en mai 2014.

[26] Bien que WestJet n’ait initialement pas permis à Mme Cheung d’utiliser son orthèse de positionnement durant le vol, faisant ainsi valoir qu’il ne s’agissait pas d’un accommodement approprié, elle soutient qu’elle a élaboré une politique visant à permettre l’utilisation d’une orthèse de positionnement à bord de tous ses aéronefs, en tout temps, sous réserve du respect de certaines conditions en matière de sécurité. En agissant ainsi, WestJet a reconnu que l’utilisation d’une orthèse de positionnement constitue une mesure d’accommodement appropriée pour Mme Cheung.

[27] Mme Cheung indique que la nouvelle politique de WestJet répond adéquatement à la première question soulevée dans sa demande, notamment l’utilisation de son orthèse de positionnement à bord des vols de WestJet.

Constatation

[28] L’Office conclut que l’utilisation, par Mme Cheung, de son orthèse de positionnement durant un vol assure un accommodement approprié permettant de satisfaire aux besoins liés à sa déficience.

Siège supplémentaire, sans frais, pour un accompagnateur

Positions des parties

[29] Mme Cheung fait valoir qu’en plus d’utiliser son orthèse de positionnement durant le vol, elle a également besoin d’un accompagnateur pour l’aider durant les transferts/levages, pour lui administrer ses médicaments et pour lui prodiguer des soins personnels. Selon Mme Cheung, on devrait lui fournir un siège supplémentaire sans frais pour son accompagnateur.

[30] WestJet soutient que l’Office n’a pas besoin d’examiner la question de la fourniture de sièges supplémentaires sans frais pour les accompagnateurs puisque Mme Cheung demande qu’un siège supplémentaire, sans frais, soit fourni seulement si elle ne peut pas utiliser son orthèse de positionnement durant le vol.

[31] En réponse, Mme Cheung fait valoir que l’argument de WestJet n’est pas cohérent avec sa réponse à la décision no LET-AT-A-44-2014, dans laquelle Mme Cheung a affirmé ce qui suit :

[Traduction]

(…) Bien que le droit juridique de voyager par avion avec mon orthèse de positionnement soit ma préoccupation centrale, le résultat aura une incidence directe sur le nombre de sièges devant être fournis, sans frais, pour moi ainsi que pour mon ou mes accompagnateurs dans le cadre de vols internationaux.

En raison de mes limites physiques et tel qu’il a été souligné dans la lettre de mon médecin, j’ai besoin d’un accompagnateur pour m’aider avec les transferts/levages, m’administrer mes médicaments et m’offrir des soins personnels pendant toute la durée du vol. À ces fins, j’ai besoin d’un siège supplémentaire sans frais quand je peux utiliser mon orthèse de positionnement à bord des aéronefs (…).

Il est nécessaire que l’Office examine sérieusement la possibilité de fournir sans frais à mon ou mes accompagnateurs et à moi‑même des sièges supplémentaires (...).

Analyse

[32] Dans sa détermination de l’accommodement approprié pour répondre au besoin de Mme Cheung lié à sa déficience d’avoir un accompagnateur, l’Office est conscient du principe d’accessibilité voulant que les personnes ayant une déficience ne doivent ni être désavantagées économiquement en raison de leur déficience ni payer plus cher pour leurs services de transport que les autres passagers qui n’ont pas de déficience, y compris dans les circonstances où les fournisseurs de services de transport doivent fournir des services différents pour garantir un accès équivalent au réseau de transport fédéral.

[33] Selon les preuves fournies par son médecin, Mme Cheung a besoin d’un accompagnateur pour l’aider durant les transferts/levages, pour lui administrer ses médicaments et pour lui prodiguer des soins personnels. Si Mme Cheung doit payer un siège pour cet accompagnateur, elle devra donc débourser davantage pour des services de transport, en raison des besoins liés à sa déficience, que les autres passagers n’ayant pas besoin d’accompagnateurs. Ainsi, Mme Cheung serait désavantagée sur le plan économique en raison de sa déficience.

Constatation

[34] L’Office conclut que, en plus de la nouvelle politique de WestJet permettant à Mme Cheung d’utiliser son orthèse de positionnement durant le vol, la mesure d’accommodement appropriée pour satisfaire aux besoins liés à la déficience de Mme Cheung comprend la présence d’un accompagnateur et la fourniture d’un siège supplémentaire, sans frais, pour cet accompagnateur.

[35] Il n’est pas nécessaire que l’Office se penche sur la demande initiale de Mme Cheung en vue d’obtenir trois sièges (deux sièges pour deux accompagnateurs, et un siège supplémentaire pour lui permettre de s’allonger) dans l’éventualité où elle ne pourrait utiliser son orthèse de positionnement, puisque WestJet permet désormais cette utilisation durant un vol.

Détermination d’un obstacle

Orthèse de positionnement

[36] Mme Cheung n’a pas pu utiliser son orthèse de positionnement pendant son voyage en mai 2014.

Constatation

[37] L’Office conclut donc que l’accommodement approprié visant à répondre aux besoins liés à la déficience de Mme Cheung n’a pas été fourni, puisque la politique et les procédures de WestJet au moment du voyage de Mme Cheung en mai 2014 ne permettaient pas l’utilisation de son orthèse de positionnement durant le vol. Par conséquent, la politique et les procédures de WestJet ont constitué un obstacle aux possibilités de déplacement de Mme Cheung.

Siège supplémentaire, sans frais, pour un accompagnateur

[38] WestJet n’a pas fourni à Mme Cheung un siège supplémentaire, sans frais, pour son accompagnateur durant son voyage en mai 2014.

Constatation

[39] L’Office conclut donc que des mesures d’accommodement appropriées pour répondre aux besoins liés à la déficience de Mme Cheung n’ont pas été fournies, puisque WestJet n’a pas fourni de sièges supplémentaires, sans frais, aux accompagnateurs. Par conséquent, le manquement de WestJet de fournir, sans frais, des sièges supplémentaires pour les accompagnateurs à bord de ses vols internationaux ont constitué un obstacle aux possibilités de déplacement de Mme Cheung.

Les obstacles sont-ils abusifs?

Démarche de l’Office pour conclure à l’existence d’un obstacle abusif

[40] Après que l’Office a déterminé qu’une personne ayant une déficience a rencontré un obstacle, il détermine si le fournisseur de services a justifié, selon la prépondérance des probabilités, son incapacité de fournir l’accommodement que l’Office a jugé approprié ou toute autre forme d’accommodement.

[41] Si le fournisseur de services n’a pas justifié l’obstacle, alors l’Office conclura que l’obstacle est abusif et déterminera les mesures correctives nécessaires pour éliminer l’obstacle abusif.

[42] Si le fournisseur de services a justifié l’obstacle, alors l’Office conclura que l’obstacle n’est pas abusif, et n’ordonnera donc aucune mesure corrective.

Critère de justification

[43] Le critère que doit respecter un fournisseur de services pour justifier l’existence d’un obstacle comporte trois étapes. Le fournisseur de services doit prouver :

Étape 1 : que la source de l’obstacle est rationnellement liée à la fourniture du service de transport;

Étape 2 : que la source de l’obstacle a été adoptée selon la conviction honnête et de bonne foi qu’elle était nécessaire pour fournir le service de transport;

Étape 3 : qu’il ne peut fournir aucun accommodement sans se voir imposer une contrainte excessive.

Orthèse de positionnement

[44] WestJet n’a déposé aucune présentation indiquant que la modification de sa politique et de ses procédures pour permettre l’utilisation d’une orthèse de positionnement durant le vol lui imposerait une contrainte excessive. De plus, depuis le voyage de Mme Cheung en mai 2014, WestJet a élaboré une politique qui permet l’utilisation d’orthèses de positionnement, en tout temps, à bord de tous ses aéronefs, sous réserve du respect de certaines conditions en matière de sécurité. En élaborant cette politique, WestJet a démontré que le fait d’autoriser Mme Cheung à utiliser son orthèse de positionnement au moment de son voyage en mai 2014 ne lui aurait pas imposé une contrainte excessive.

Constatation

[45] Par conséquent, l’Office conclut que le refus de WestJet de permettre à Mme Cheung d’utiliser son orthèse de positionnement au cours de son voyage en mai 2014 a constitué un obstacle abusif à ses possibilités de déplacement.

[46] Toutefois, puisque WestJet a déjà éliminé cet obstacle abusif, aucune mesure corrective n’est exigée.

Siège supplémentaire, sans frais, pour un accompagnateur

[47] Même si Mme Cheung affirme que sa demande de réparation est fondée sur l’application élargie des principes de la 6-AT-A-2008">décision no 6‑AT-A-2008, cette décision s’applique uniquement aux « vols intérieurs » exploités par Air Canada, Jazz et WestJet. La quatrième note en bas de page de cette décision confirme cette affirmation comme suit :

4. Pour les besoins de la présente décision, ne sont pas considérés comme des services de transport aérien intérieurs les tronçons de vols intérieurs compris dans l’itinéraire de voyages aériens internationaux achetés comme un tout, puisque les liaisons intérieures ainsi assurées font partie d’un service aérien international. Toute mesure de réparation ne s’applique pas à ces tronçons de vols intérieurs.

[48] La question que l’Office doit trancher est de savoir si le défaut de WestJet de fournir à Mme Cheung un siège supplémentaire, sans frais, pour un accompagnateur à bord de ses vols transfrontaliers et internationaux constitue un obstacle abusif aux possibilités de déplacement de Mme Cheung?

[49] En réponse à cette question, WestJet demande que l’Office rejette cette partie de la demande.

Positions des parties

[50] WestJet soutient que la question de la fourniture de sièges supplémentaires, sans frais, pour les accompagnateurs, à bord des vols transfrontaliers et internationaux ne devrait pas être traitée par l’Office pour les raisons suivantes :

  1. Pour Mme Cheung, la question de la fourniture d’un siège supplémentaire, sans frais, à un accompagnateur se pose seulement si elle ne peut pas utiliser son orthèse de positionnement durant le vol.
  2. L’Office a la discrétion de ne pas enquêter sur une question ou de déterminer que des mesures correctives ne sont pas requises lorsque les circonstances sous-jacentes à la plainte ont changé et qu’aucun avantage ne pourrait être tiré du processus décisionnel puisqu’un accommodement approprié existe, ou lorsqu’une demande ne serait d’aucune utilité.
  3. La décision no 6-AT-A-2008, qui traitait de la fourniture, sans frais, de sièges pour répondre à des besoins liés à une déficience durant un voyage intérieur, excluait les vols internationaux. Il y a été expressément statué qu’aucune réparation ne serait possible pour les liaisons intérieures comprises dans les voyages aériens internationaux achetés comme un tout.
  4. L’examen de cette question exigerait l’analyse, la prise en compte et la pondération d’une multitude de facteurs, y compris :

a. les instruments internationaux;

b. les ententes entre les transporteurs et les organismes;

c. la concurrence et les coûts;

d. la territorialité d’une compétence;

e. les mesures de sécurité.

5. La fourniture de sièges supplémentaires, sans frais, pour les accompagnateurs a une incidence sur la centaine de transporteurs aériens autorisés à exploiter des services de transport aérien internationaux entre des points au Canada et à l’étranger, alors que WestJet demeure le seul défendeur de la demande.

[51] Mme Cheung soutient que la question de la fourniture de sièges supplémentaires, sans frais, pour les accompagnateurs à bord des vols transfrontaliers et internationaux devrait être traitée par l’Office pour les raisons suivantes :

  1. Son besoin d’obtenir un siège supplémentaire, sans frais, pour un accompagnateur existe même lorsqu’elle peut utiliser son orthèse de positionnement durant le vol, tel qu’il est indiqué dans sa réponse à la décision no LET-AT-A-44-2014.
  2. Une enquête portant sur la fourniture de sièges supplémentaires, sans frais, pour les accompagnateurs serait utile et est essentielle pour assurer ses possibilités de déplacement.
  3. La décision no 6-AT-A-2008 ne traitait que les vols intérieurs puisque les demandes initiales ne visaient que ces vols. De plus, l’Office a expliqué dans bon nombre de décisions qu’il a compétence sur le transport international en lien avec le Canada, y compris les activités à l’extérieur du Canada effectuées par des transporteurs qui fournissent des services de transport à destination ou en provenance du Canada.
  4. La complexité ou la difficulté éventuelle liée au traitement formel de cette question ne constitue pas une raison adéquate pour refuser de traiter la question.
  5. Mme Cheung n’est pas au courant des principes juridiques internationaux qui empêcheraient WestJet d’offrir un siège supplémentaire, sans frais, pour un accompagnateur. L’Office doit étendre la portée des principes soulignés dans la décision no 6-AT-A-2008 aux vols internationaux.

Analyse

[52] Tel qu’il a été noté précédemment, le fait d’offrir un siège, sans frais, pour l’accompagnateur de Mme Cheung ne constitue pas une solution de remplacement à l’utilisation de son orthèse de positionnement durant le vol. Cela fait plutôt partie de l’accommodement approprié pour répondre aux besoins liés à la déficience de Mme Cheung, lorsqu’elle est autorisée à utiliser son orthèse de positionnement durant un vol.

[53] La question à trancher est de déterminer si le principe « une personne, un tarif » devrait s’appliquer aux services de transport aérien transfrontaliers et internationaux de WestJet.

[54] L’Office note l’argument de WestJet voulant que l’Office doit prendre en compte et concilier une multitude de facteurs pour statuer sur la question. Dans le but d’évaluer le bien‑fondé de cet argument, l’Office examinera le contexte de la décision no 6-AT-A-2008 pour déterminer pourquoi et comment l’Office a ordonné la mise en œuvre de la règle « une personne, un tarif » dans les circonstances devant lui à ce moment-là.

Contexte de la décision no 6-AT-A-2008 de l’Office

[55] Pour rendre sa décision, l’Office a procédé à l’examen approfondi de la question dans le contexte de l’industrie du transport aérien intérieur. La vaste nature de l’instance est clairement exprimée au paragraphe 89 de la décision no 6-AT-A-2008 :

L’Office a fait enquête et examiné en profondeur l’ensemble des questions soulevées par les parties, ce qui fait qu’il lui a fallu plus de temps pour examiner l’affaire et rendre sa décision. Par exemple, au cours de son enquête, l’Office a :

  • dirigé des plaidoiries écrites très détaillées;
  • rendu plusieurs décisions préliminaires en matière de compétence, notamment une décision concernant la compétence de l’Office à l’égard de la Charte;
  • entendu les plaidoiries et rendu de nombreuses décisions préliminaires en matière de procédure;
  • tenu des instances pendant 23 jours, soit du 30 mai au 3 juin 2005; le 14 octobre 2005; du 14 au 29 novembre 2006; et le 12 décembre 2006, afin de donner aux parties la possibilité de produire la preuve et d’en déterminer la validité, notamment la vaste preuve d’experts et autre produite par les demandeurs, une intervenante à l’appui des demandeurs et les transporteurs en cause. […]

[56] Des experts ont présenté des rapports et ont témoigné au nom des demandeurs et des défendeurs, Air Canada, Jazz et WestJet. L’Office a également nommé deux experts. Enfin, divers non‑experts sont venus témoigner au nom des demandeurs et de divers défendeurs.

[57] C’est dans le contexte de ces vastes audiences et volumineux éléments de preuve que l’Office a rendu la décision no 6-AT-A-2008 en janvier 2008.

[58] L’Office note que le demandeur dans l’instance qui a mené à cette décision, le Conseil des Canadiens avec déficiences, est une importante association nationale représentant une vaste gamme de personnes ayant une déficience. Dans le même ordre d’idée, les défendeurs représentaient plus de 90 pour cent du marché du transport aérien national à ce moment-là. Ces faits ont rendu possible la prise en compte d’une réparation systémique visant à traiter la question des « tarifs et frais que doivent payer les personnes ayant une déficience qui ont besoin de plus d’un siège en raison de leur déficience lorsqu’elles utilisent des services de transport aérien intérieurs ».

Solutions systémiques par opposition à règlement de différends

[59] Le paragraphe 172(1) de la LTC est un mécanisme axé sur les plaintes. La demande de Mme Cheung ne vise que WestJet et, ainsi, tout recours ordonné par l’Office ne s’appliquerait qu’à WestJet. Toutefois, le comité de membres s’inquiète du fait que s’il devait enjoindre à WestJest d’appliquer le principe « une personne, un tarif » à ses activités internationales, d’autres personnes qui comparaîtront devant l’Office à l’avenir tenteraient probablement de s’appuyer sur cela pour élargir l’application de ce principe aux autres transporteurs aériens. Même si l’Office ne sera pas lié par toute décision rendue dans le cadre de cette instance, l’importance potentielle du principe établi doit être prise en compte.

[60] La demande initiale de Mme Cheung visait WestJet. Elle a par la suite modifié sa demande pour inclure quatre autres transporteurs aériens à titre de défendeurs. Toutefois, l’Office a rejeté sa demande contre ces autres transporteurs puisqu’elle n’a pas fourni de preuves suffisantes pour démontrer que les transporteurs ne lui avaient pas fourni un accommodement. Quoi qu’il en soit, ensemble, ces cinq transporteurs aériens ne représenteraient encore qu’une très faible proportion de l’industrie du transport aérien qui assure des vols transfrontaliers et internationaux entre le Canada et d’autres pays.

[61] La décision no 6-AT-A-2008 ne portait pas sur un différend entre un passager et un transporteur aérien, mais plutôt sur le fait de lever, au niveau systémique, l’obligation pour les passagers d’acheter un siège supplémentaire pour répondre aux besoins liés à leur déficience sur les vols intérieurs de ces transporteurs. Le fait que 90 pour cent du marché du transport aérien intérieur ait été couvert par les défendeurs désignés signifiait que l’Office avait bien compris les incidences d’une telle réparation sur le marché aérien intérieur et disposait d’un éventail de points de vue nécessaires pour évaluer une réparation systémique qui assurerait que les défendeurs fournissent, sans frais, à certaines personnes ayant une déficience des sièges qui pourraient autrement générer des revenus. L’Office devrait avoir une compréhension complète similaire des incidences d’une telle réparation sur le marché international du transport aérien avant d’ordonner un recours systémique.

[62] Toutefois, le différend actuel ne se prête pas facilement à une solution systémique. Mme Cheung demande une détermination à savoir si des sièges supplémentaires peuvent être fournis, sans frais, pour elle et son ou ses accompagnateurs durant un voyage international. Sa demande est considérée comme une allégation contre un seul transporteur. Même si l’Office avait accepté la demande de Mme Cheung dans sa totalité, celle-ci n’aurait visé que cinq transporteurs aériens, ce qui représente une faible part du marché de services aériens transfrontaliers et internationaux.

[63] L’Office note que l’industrie du transport aérien international est complexe et met en jeu plusieurs facteurs qui ne s’appliquent pas au contexte intérieur, y compris des lois et règlements étrangers et des accords bilatéraux de transport aérien sur lesquels l’Office n’exerce absolument aucun contrôle. À cet égard, dans la décision no 336‑AT‑A‑2008, l’Office a noté que « le contexte actuel des voyages internationaux est tel que de nombreux transporteurs sont parties à des alliances importantes avec plusieurs autres transporteurs aériens et peuvent ainsi s’en remettre à leurs partenaires pour assurer le service en leur nom. » Dans un monde d’alliances, de coentreprises et d’ententes de partage de codes entre les transporteurs, l’application du principe « une personne, un tarif » au-delà des frontières canadiennes constituerait une solution systémique qui aurait des conséquences à grande échelle et qui ne pourrait donc pas être examinée séparément, dans le contexte du cas présent.

[64] De plus, en déterminant si on doit appliquer ce principe, l’Office doit prendre en compte les lois et les règlements étrangers et les accords bilatéraux de transport aérien pouvant limiter la mise en œuvre internationale de toute décision de l’Office. La récente décision de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Thibodeau c. Air Canada, 2014 CSC 67 confirme que la cohésion et l’intégration des instruments internationaux en ce qui a trait aux règlements locaux sont requises dans la mesure du possible.

[65] Par exemple, en vertu du paragraphe 71(1) de la LTC, l’Office peut assujettir une licence de service international régulier aux conditions réputées conformes à l’accord, à la convention ou à l’entente au titre de laquelle elle est délivrée. Cela reflète clairement l’intention du Parlement voulant que les conditions d’une licence doivent être conformes aux modalités des accords bilatéraux de transport aérien signés par le Canada et les gouvernements étrangers. Conformément au paragraphe 74(1) de la LTC, l’Office peut également assujettir toute licence de service aérien international à la demande aux conditions qu’il estime indiquées.

[66] L’importance des contraintes internationales imposées par des lois ou des règlements étrangers a été reconnue par l’Office dans le contexte de l’accessibilité, par exemple, dans la mise en place d’un recours lié à l’utilisation d’oxygène à bord de vols transfrontaliers (voir la décision no 336‑AT‑A‑2008, paragraphes 80 et 326).

[67] En l’absence d’une instance qui fournirait à l’Office une gamme de points de vue nécessaires pour évaluer correctement cette réparation importante, l’Office ne peut s’acquitter de ses responsabilités d’une manière juste et éclairée. L’Office est limité par le mandat législatif prévu par la LTC qui ne comprend pas, à l’heure actuelle, un pouvoir d’agir de sa propre initiative pour mener des enquêtes plus vastes et systémiques.

Conclusion

[68] À la lumière de ce qui précède, l’Office accorde la demande de WestJet voulant que l’Office rejette cet aspect de la demande de Mme Cheung, et il ne penchera pas sur la possibilité d’élargir la portée du principe « une personne, un tarif » aux vols transfrontaliers et internationaux dans le contexte de cette demande et en ce moment.

SOMMAIRE DES CONCLUSIONS

  1. L’Office conclut que le refus de WestJet de permettre à Mme Cheung d’utiliser son orthèse de positionnement durant son voyage en mai 2014 a constitué un obstacle abusif à ses possibilités de déplacement. Toutefois, puisque WestJet a déjà éliminé cet obstacle abusif, aucune mesure corrective n’est nécessaire.
  2. L’Office accepte la demande de WestJet voulant que l’Office rejette cet aspect de la demande de Mme Cheung et ne se penchera pas sur la possibilité d’élargir la portée de l’application du principe « une personne, un tarif » aux vols transfrontaliers et internationaux dans le contexte de cette demande et en ce moment.

Membre(s)

Sam Barone
P. Paul Fitzgerald
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