Décision n° 149-AT-A-2023
Demande présentée par Lui Greco concernant une adjudication de frais
Résumé
[1] Lui Greco a déposé une demande le 30 janvier 2023 concernant une adjudication de frais, après l’émission, par l’Office des transports du Canada (Office), de la décision 154‑AT-A-2022 (décision sur la contrainte excessive). La décision sur la contrainte excessive traite une demande que M. Greco a présentée à l’Office contre Air Canada concernant l’inaccessibilité du site Web d’Air Canada pour lui, du fait qu’il est une personne aveugle qui utilise un lecteur d’écran.
[2] Dans la présente décision, l’Office doit se pencher sur les questions suivantes : l’Office devrait-il adjuger des frais en faveur de M. Greco et si oui, quel doit en être le montant?
[3] Dans la décision sur la contrainte excessive, l’Office indiquait que les parties devaient garder en tête les facteurs dont il a déjà tenu compte lors de l’adjudication de frais, notamment quelle partie a eu gain de cause, la durée et la complexité du cas; les possibles dimensions d’intérêt public importantes que revêt le cas; et la conduite de l’une ou l’autre des parties qui chercherait à prolonger inutilement la durée de l’instance.
[4] Pour les motifs énoncés ci‑après, l’Office adjuge des frais totalisant 60 704,97 CAD qu’il fixe en faveur de M. Greco, sur la base de dépens partie-partie, soit des dépens de 41 965,47 CAD, plus des débours de 18 739,50 CAD.
Contexte
[5] M. Greco a déposé une demande auprès de l’Office contre Air Canada le 23 octobre 2017, parce qu’il était incapable de réserver un billet sur le site Web d’Air Canada au moyen d’un lecteur d’écran.
[6] Le 5 avril 2019, l’Office a émis la décision CONF-8-2019 (décision sur les obstacles), dans laquelle il a conclu que M. Greco était une personne handicapée qui a rencontré un obstacle à ses possibilités de déplacement puisqu’il ne pouvait pas accéder au site Web d’Air Canada de façon égale aux personnes non handicapées.
[7] L’Office a émis la décision sur la contrainte excessive le 23 décembre 2022, après plusieurs requêtes procédurales et ajournements, une suspension en raison de la pandémie de COVID-19, une audience en deux parties et le dépôt de rapports d’expert. Dans cette décision, l’Office a conclu que l’obstacle était abusif puisqu’Air Canada a depuis été en mesure d’éliminer l’obstacle et de rendre son site Web accessible aux personnes qui, comme M. Greco, utilisent un lecteur d’écran. L’Office n’a pas ordonné de mesures correctives, car Air Canada avait déjà éliminé l’obstacle, mis en place des mesures qui devaient prévenir sa récurrence, et elle était désormais assujettie à de nouvelles exigences réglementaires, entrées en vigueur depuis le dépôt de la demande, concernant l’accessibilité de son site Web.
[8] À la fin de la décision sur la contrainte excessive, l’Office a donné aux parties l’occasion de présenter des demandes d’adjudication de frais. M. Greco a déposé sa demande à ce sujet le 30 janvier 2023. Air Canada n’a pas déposé de demande, mais a déposé une réponse à la demande de M. Greco le 6 février 2023. M. Greco a déposé une réplique le 26 avril 2023.
Positions des parties
[9] Les parties conviennent que le cas a été long et complexe, que l’Office dispose de vastes pouvoirs discrétionnaires pour accorder ou refuser des frais, et que des frais accordés doivent être fixés. Les parties conviennent également que, pour calculer le bon montant à adjuger, l’Office peut tenir compte de divers facteurs, à savoir : la partie qui a eu gain de cause, la question de savoir si le cas revêt des dimensions d’intérêt public importantes, et si les parties se sont comportées de manière à prolonger inutilement la durée de l’instance. Toutefois, les parties sont en désaccord sur les réponses à ces questions, de même que sur la pertinence de négociations en vue d’un règlement et sur la base de calcul des frais.
M. Greco
[10] M. Greco réclame un montant de 118 008,25 CAD pour les honoraires des deux avocats qui l’ont représenté, plus l’intégralité des débours de 18 739,50 CAD, soit le total des frais des trois témoins experts qui ont préparé des rapports et témoigné en son nom.
Partie qui a gain de cause
[11] M. Greco fait valoir qu’il est la partie ayant eu gain de cause, puisque l’Office a conclu dans la décision sur la contrainte excessive que sa demande avait donné lieu à l’élimination de l’obstacle, à savoir un site Web inaccessible. M. Greco affirme que le gain ne se mesure pas du fait qu’une ordonnance aura ou n’aura pas été prononcée contre Air Canada.
Intérêt public
[12] M. Greco fait valoir que sa demande et son issue étaient dans l’intérêt public, puisqu’elle a profité à toutes les personnes qui utilisent un lecteur d’écran.
Conduite des parties
[13] M. Greco souligne qu’Air Canada a, à plusieurs reprises, mais toujours en vain, fait valoir que la demande devait être rejetée sous prétexte que l’Office n’avait pas compétence pour la trancher ou qu’elle était sans fondement; qu’elle a demandé à l’Office de reconsidérer sa décision de tenir une audience; et qu’elle a remis en question la capacité et l’expertise de l’Office pour comprendre certaines informations techniques.
[14] Sans égard à ces dernières affirmations, M. Greco affirme ne pas prétendre qu’Air Canada aurait inutilement retardé l’instance. M. Greco affirme plutôt que, même s’il faut tenir compte de toute manœuvre visant à retarder inutilement l’instance, ce n’est pas une condition nécessaire pour que l’Office adjuge des frais en fonction des réels frais juridiques et débours.
Négociations en vue d’un règlement
[15] En réponse aux arguments d’Air Canada concernant les négociations qui ont eu lieu en décembre 2020, ainsi qu’en janvier et en octobre 2021, M. Greco fait valoir que les négociations ont uniquement porté sur l’offre d’Air Canada d’embaucher M. Greco à titre de consultant et de l’indemniser de ses frais juridiques relatifs à l’instance. Sur le premier point, M. Greco soutient que l’Office ne peut pas ordonner une entente de services consultatifs, donc qu’il ne peut pas tenir compte de cet élément. Concernant le second point, M. Greco soutient que, parce que les frais n’ont pas encore été calculés, l’offre d’Air Canada ne lui permet pas de déterminer si une ordonnance de l’Office est au moins aussi avantageuse que l’offre d’Air Canada.
Base pour calculer les frais
[16] M. Greco soutient que la Cour fédérale et l’Office sont distincts et que l’Office doit suivre ses propres précédents. Il cite l’arrêté 2008-AT-A-61 dans lequel, selon lui, l’Office a adjugé des frais en se basant sur les frais juridiques réels présentés par la partie ayant eu gain de cause à chaque étape de l’instance, après avoir déterminé si de tels frais juridiques étaient raisonnables et nécessaires.
[17] M. Greco souligne qu’il réclame seulement les frais associés au travail juridique effectué exclusivement pour faire avancer sa demande, et non pas pour son propre temps ou les communications périodiques, et parfois très longues, entre lui et son avocat, ou entre son avocat et celui d’Air Canada. Il détaille le travail effectué dans sa requête et fait valoir que, sans ce travail, il n’aurait probablement pas eu gain de cause.
[18] En ce qui concerne les débours pour ses témoins experts, M. Greco soutient que l’Office s’est appuyé, d’une part, sur le témoignage de Lisa Liskovoi à propos de la conformité aux Règles pour l’accessibilité des contenus Web et, d’autre part, sur l’analyse des causes premières probables effectuée par Jonathan Duncan, tandis que la preuve avancée par Abhishek Gupta et Lisa Liskovoi a aidé à dégager les problèmes d’accessibilité potentiels. M. Greco reconnaît que l’expert d’Air Canada, Derek Featherstone, a critiqué les rapports d’expertise qu’il a présentés, mais il soutient qu’Air Canada n’a pas demandé à son propre expert de venir démontrer la facilité avec laquelle cet expert, ou un autre testeur professionnel, pouvait utiliser son site Web.
Air Canada
[19] Air Canada fait valoir que si l’Office prend en compte et applique les principes et les pouvoirs pertinents dans les circonstances de la présente instance, il devrait lui adjuger des frais à elle. Elle estime toutefois qu’aucune des parties ne devrait se voir adjuger de frais.
[20] Partant du fait que l’Office a tous les pouvoirs de la Cour fédérale en ce qui a trait à l’adjudication des frais relativement à toute procédure prise devant lui, Air Canada cite les dispositions des Règles des Cours fédérales qui sont pertinentes, selon elle. Air Canada souligne que la directive de l’Office dans la décision sur la contrainte excessive renferme le terme « includes » qui, de l’avis d’Air Canada, donne à penser que la liste n’est pas exhaustive et que l’Office peut tenir compte de n’importe quelles dispositions de la liste.
Partie qui a gain de cause
[21] Air Canada convient que la partie qui a gain de cause devrait avoir droit au remboursement de ses frais, mais elle fait valoir que le terme « gain de cause » devrait être défini en fonction de son effet sur les parties. Air Canada affirme avoir entièrement eu gain de cause quant à l’issue de la décision sur la contrainte excessive, ou encore qu’elle a eu davantage gain de cause que l’autre partie.
[22] Air Canada souligne qu’elle n’a jamais remis en question le fait que M. Greco soit une personne handicapée, et concède que l’Office a conclu que M. Greco a rencontré un obstacle à ses possibilités de déplacement. Toutefois, Air Canada insiste sur le fait que l’Office a déclaré, dans sa décision LET-AT-A-69-2020, qu’il ne serait pas nécessaire d’envisager des mesures correctives ni la question de contrainte excessive si Air Canada démontrait, lors de l’audience, que l’ensemble des problèmes techniques précis avaient été réglés et qu’aucun nouveau problème n’était survenu, de sorte que le site Web était entièrement accessible. Air Canada affirme que c’est exactement cela qui s’est passé.
[23] Air Canada maintient que, tout au long de l’instance, M. Greco ne réclamait pas un règlement raisonnable. Elle répète que M. Greco réclamait que le site Web soit rétabli à sa version d’avant 2017, une solution qui n’a jamais été possible et qui n’a pas été ordonnée. Air Canada souligne que la réparation réclamée par M. Greco, lors de son plaidoyer final — en somme, qu’Air Canada doive lui présenter, ainsi qu’à l’Office, un rapport trimestriel sur la convivialité et la conformité technique de son site Web de réservation — n’a pas non plus été ordonnée.
[24] Air Canada fait valoir que la motivation de M. Greco était de faire d’Air Canada un exemple. Elle affirme que M. Greco a déposé des présentations dans lesquelles il réclamait qu’à la suite d’une audience publique, une décision publique soit rendue pour servir d’avertissement aux autres transporteurs.
[25] Selon Air Canada, l’objectif fondamental était qu’elle garantisse l’accessibilité du site Web et qu’elle travaille continuellement à atteindre ce résultat. Air Canada affirme que la décision sur la contrainte excessive n’établit pas définitivement que sans la demande, les changements à son site Web n’auraient pas été apportés.
Intérêt public
[26] Air Canada reconnaît que l’accessibilité est une question importante.
Conduite des parties
[27] Air Canada soutient que la durée de l’instance n’est pas pertinente sur la question de savoir si une partie l’aurait inutilement prolongée. Air Canada affirme que, puisque le fardeau de la preuve sur le fond de l’affaire lui revenait, le temps que son avocat a passé sur le dossier était justifié, compte tenu des volumineux documents techniques, de la préparation, de l’interrogatoire et du contre-interrogatoire des témoins, et des plaidoiries finales complètes. Air Canada soutient également que sa conduite était nécessaire compte tenu des circonstances de l’instance. En revanche, elle fait valoir que M. Greco a prolongé inutilement la durée de l’instance en refusant des offres de règlement raisonnables.
[28] Air Canada soutient que M. Greco n’a pas présenté d’arguments ni d’éléments de preuve pour soutenir son affirmation selon laquelle Air Canada aurait prolongé inutilement la durée de l’instance. Elle souligne que dans ses décisions, l’Office ne s’est pas prononcé à savoir s’il y a eu une étape injustifiée, ou encore sur le fait qu’aucune des requêtes sur le fond présentées par les deux parties aurait inutilement retardé l’instance, ni que les requêtes de prolongation de délai présentées par les deux parties étaient normalement accordées.
Négociations en vue d’un règlement
[29] Air Canada soutient que l’un des objectifs de l’adjudication de frais est d’encourager les parties à parvenir à un règlement. Elle souligne que les Règles des Cours fédérales prévoient des conséquences pour les situations où le demandeur obtient un jugement moins avantageux que l’offre de règlement, et celles où le demandeur n’a pas gain de cause lors du jugement après que le défendeur a présenté une offre de règlement.
[30] Air Canada soutient que le rejet, par M. Greco, des offres de règlement raisonnables qu’elle lui a faites vont dans le sens de ce scénario.
[31] Selon les copies de la correspondance où sont détaillées les négociations entre les parties, Air Canada a essentiellement offert à M. Greco de devenir consultant sur le développement de son site Web afin de le rendre plus accessible, à condition qu’il signe une entente de confidentialité. Air Canada soutient qu’elle a tenté d’embaucher M. Greco à titre de consultant pour mieux comprendre ses préoccupations et trouver ensemble une solution au lieu de continuer les procédures.
Base pour calculer les frais
[32] Air Canada affirme qu’elle réclamerait habituellement des frais, mais qu’elle ne le fait pas dans ce cas‑ci et, en conséquence, qu’aucune des parties ne devrait se voir adjuger des frais. Toutefois, si l’Office décide d’en adjuger quand même, Air Canada s’oppose à l’affirmation de M. Greco selon laquelle il a droit à l’indemnisation intégrale de ses frais réels. Air Canada affirme que le point de départ porte sur les frais d’indemnisation partielle prévus au tarif B des Règles des Cours fédérales. Air Canada soutient donc que si des frais sont adjugés à M. Greco, ils devraient être évalués à 25 % du taux effectif réclamé, et que les frais relatifs aux rapports d’expert devraient être réduits à 75 % des débours réclamés.
[33] Par ailleurs, Air Canada soutient que la taxation des dépens de M. Greco devrait être compensée par ses frais à elle.
[34] Air Canada affirme qu’elle a supporté des frais juridiques de 57 363,70 CAD pour les services d’un avocat externe. Air Canada affirme que, dans une procédure au civil, le paiement des honoraires représente habituellement environ 60 % des honoraires réels; toutefois, Air Canada réduit les dépens d’indemnisation partielle pour ces honoraires à 35 %, plus les débours. Air Canada affirme par la suite que, pour que le montant soit convenable, il faudrait le doubler en raison de ses démarches pour régler le litige. Air Canada fournit également un sommaire des dépens dans lequel elle calcule à 34 884,61 CAD ses frais juridiques et ses débours au taux d’indemnisation substantielle, à 51 760,14 CAD ses dépens d’indemnisation substantielle, et à 57 363,70 CAD ses dépens d’indemnisation intégrale.
[35] Air Canada affirme qu’elle a supporté des débours de 104 802,00 CAD pour la déposition présentée par l’expert, M. Featherstone. Elle fait valoir que la preuve de M. Featherstone était fiable, probante et nécessaire pour aider l’avocat et l’Office à comprendre les aspects techniques de la question.
[36] Air Canada résume que ses frais devraient être évalués à 145 355,03 CAD en honoraires et en débours relativement à toutes les étapes requises pour préparer et tenir l’audience, et préparer ses plaidoiries finales et son mémoire de frais, à un taux d’indemnisation partielle de 30 %.
Analyse et déterminations
Adjudication des frais
[37] La Loi sur les transports au Canada prévoit que l’Office a tous les pouvoirs de la Cour fédérale en ce qui a trait à l’adjudication des frais relativement à toute procédure prise devant lui. Selon les Règles des Cours fédérales, la Cour a le pouvoir discrétionnaire de déterminer le montant des dépens, de les répartir et de désigner les personnes qui doivent les payer.
[38] Même si les Règles des Cours fédérales servent de guide pour aider l’Office à calculer les frais, l’Office n’a pas l’obligation de se conformer à ces règles ou à des règlements qui prescrivent des grilles tarifaires pour l’adjudication de frais à une partie. Par le passé, l’Office a plutôt opté pour une approche particulière qui, contrairement à celle adoptée par les cours, est liée aux circonstances dans lesquelles des frais sont adjugés. Les cours de justice appliquent habituellement une règle générale pour adjuger des frais à la partie ayant eu gain de cause, tandis que l’Office a comme pratique d’en adjuger uniquement dans des circonstances exceptionnelles.
[39] L’Office privilégie cette approche parce que la présente instance se déroule dans un contexte quasi judiciaire conçu pour être plus facile d’accès et moins coûteux pour les parties. En conséquence, aucuns frais ne sont habituellement adjugés, même si l’Office reconnaît que le cas présent est effectivement exceptionnel compte tenu de sa durée, de sa complexité et de la nature des questions à débattre, soit un ensemble de facteurs qui justifient une adjudication de frais.
[40] L’Office a un vaste pouvoir discrétionnaire pour adjuger ou refuser des frais et décide de chaque demande au cas par cas. Des divers facteurs que l’Office a déjà pris en compte, voici ceux qui sont les plus pertinents au cas présent :
- quelle partie a eu gain de cause;
- les possibles dimensions d’intérêt public importantes que revêt le cas;
- la conduite de l’une ou l’autre des parties;
- la pertinence des négociations en vue d’un règlement.
[41] L’Office expose ci-dessous chacun de ces facteurs en détail.
Partie qui a gain de cause
[42] Dans la lettre d’ouverture des actes de procédure pour la demande de M. Greco, l’Office informait les parties que, s’il concluait que M. Greco était une personne handicapée et qu’il avait rencontré un obstacle, il déciderait ensuite si Air Canada pouvait éliminer l’obstacle sans se voir imposer une contrainte excessive. L’Office a conclu depuis que M. Greco est une personne handicapée, qu’il a rencontré un obstacle, et qu’Air Canada pouvait éliminer l’obstacle sans se voir imposer une contrainte excessive. L’Office conclut que ces résultats démontrent que M. Greco a eu gain de cause.
[43] L’Office reconnaît qu’il a refusé de prononcer une ordonnance contre Air Canada, en partie en raison du travail qu’elle avait réalisé pour rendre son site Web accessible entre le moment de la publication de la décision sur l’obstacle, en avril 2019, et l’audience tenue en septembre et en octobre 2021. Toutefois, l’Office note également que c’est grâce à la durée de l’instance qu’Air Canada a pu le faire. Il était simplement devenu inutile de prononcer une ordonnance en raison du travail continu effectué par Air Canada sur son site Web durant l’instance, travail qui, comme l’Office l’a conclu, a été en partie motivé par la demande de M. Greco.
Intérêt public
[44] Les deux parties reconnaissent que la question est importante et qu’elle revêt une dimension d’intérêt public. Dans la décision sur la contrainte excessive, l’Office a fait remarquer que l’accessibilité du site Web d’Air Canada touchait l’ensemble des utilisateurs de lecteur d’écran, et pas seulement M. Greco.
Conduite des parties
[45] M. Greco s’appuie davantage sur l’argument selon lequel l’Office peut, lorsqu’il adjuge des frais, tenir compte du fait qu’une partie aurait prolongé inutilement la durée de l’instance, au lieu de prétendre qu’Air Canada l’aurait effectivement fait. Air Canada a répondu que sa conduite était nécessaire et que toutes les requêtes de prolongation de délai présentées par l’une ou l’autre des parties ont habituellement été accordées.
[46] L’Office conclut que les requêtes d’Air Canada ont parfois retardé l’instance, mais que sa conduite n’était pas inappropriée durant l’instance, qu’elle a participé de bonne foi et a respecté toutes les directives de l’Office.
Négociations en vue d’un règlement
[47] Air Canada soutient qu’un des facteurs à l’encontre d’une adjudication de frais énoncés dans les Règles des Cours fédérales est de savoir si le demandeur a reçu une offre de règlement au moins aussi avantageuse que ce qui a été accordé dans la décision finale. Air Canada a présenté des copies de la correspondance concernant un règlement, dans lesquelles chaque partie a présenté des offres et des contre-offres concernant les frais juridiques de M. Greco et des dommages-intérêts, dans une fourchette de 25 000,00 CAD à 70 000,00 CAD. Air Canada a également présenté une offre indiquant combien elle paierait M. Greco pour des services de consultation. M. Greco réplique que, comme l’adjudication des frais n’a pas encore été faite, il lui est impossible de déterminer si l’offre d’Air Canada était plus avantageuse pour lui qu’une adjudication des frais.
[48] L’Office note également que durant les négociations, Air Canada a insisté sur le fait qu’il n’y aurait aucun échéancier fixé pour régler les questions ni engagement à donner la priorité aux questions soulevées par M. Greco.
[49] L’Office a tenu compte des discussions en vue d’un règlement, mais il a décidé qu’elles n’ont pas d’influence sur l’issue de sa décision à savoir s’il devrait adjuger des frais à M. Greco. L’Office a déjà noté qu’il n’était pas tenu de respecter les Règles des Cours fédérales, et qu’aucun des échanges entre les parties ne répond aux exigences normales d’une offre de règlement en ce qui a trait à des délais pour accepter une offre et à des éléments de frais explicites. Mais plus important encore, les offres faites, en raison de leur nature, ne se comparent pas à la réparation réclamée par le demandeur ni aux toutes dernières conclusions que rendra l’Office. Elles ne viennent pas non plus régler directement la question de l’existence d’un obstacle abusif : Air Canada n’a jamais offert, au cours de l’instance ou dans des offres de règlement, d’éliminer l’obstacle pour rendre son site Web accessible à M. Greco.
Base de calcul des frais
[50] Puisque les parties conviennent que les frais qui seront adjugés devront être fixés à une somme déterminée plutôt que taxés, l’Office a décidé de ne pas nommer un officier taxateur pour effectuer les calculs.
[51] M. Greco réclame l’indemnisation intégrale des heures indiquées par ses avocats au taux facturé au client. Air Canada, pour sa part, fait valoir que l’Office devrait ordonner 25 % du taux effectif réclamé.
[52] L’Office conclut qu’il convient d’adjuger des frais à M. Greco sur la base de dépens partie-partie. Habituellement, les dépens avocat-client, qui prévoient une indemnisation intégrale, sont accordés uniquement dans des circonstances rares et exceptionnelles où la défenderesse prolongerait inutilement l’instance, ou que l’une des parties aurait eu une conduite répréhensible, scandaleuse ou outrancière. M. Greco concède qu’il n’y a pas de preuve solide qui donnerait à penser qu’Air Canada aurait inutilement retardé l’instance et, comme l’Office l’a déjà noté, aucun élément ne lui permet de croire qu’Air Canada aurait autrement eu une conduite inappropriée durant l’instance.
[53] L’Office note également l’argument d’Air Canada selon lequel toute adjudication de frais à M. Greco devrait être compensée du montant de ses frais à elle du fait que l’issue a également été en faveur d’Air Canada, puisque l’Office n’a pas prononcé d’ordonnance contre elle. Le sommaire de l’évaluation qu’Air Canada a faite de ses coûts semble déphasé par rapport aux montants qu’elle a déjà présentés. Toutefois, les divergences dans les calculs effectués par Air Canada ne sont pas pertinentes puisqu’elle n’a pas réclamé de dépens, et l’Office n’ordonnera aucune forme de compensation des frais qu’Air Canada a supportés à partir des frais adjugés à M. Greco. Comme il l’a déjà affirmé, l’Office conclut que M. Greco est la partie qui a eu gain de cause, et ne modifiera pas sa taxation des dépens en conséquence.
[54] Pour les motifs énoncés ci-dessus, l’Office conclut qu’il est raisonnable d’adjuger à M. Greco 35 % des frais qu’il réclame.
Taxation des dépens
[55] Les dépens doivent être raisonnables dans les circonstances et avoir été nécessaires pour servir l’instance. M. Greco a demandé une adjudication de frais afin de recouvrer ses frais juridiques et les débours payés pour ses témoins experts. L’Office note qu’Air Canada ne conteste pas les montants réels des frais juridiques ou des débours réclamés par M. Greco. D’après la preuve, il semble que M. Greco a supporté ces frais de bonne foi. L’Office accepte donc les montants qu’il a indiqués.
Frais juridiques
[56] Bien que l’Office accepte les montants indiqués par M. Greco, il note des erreurs de calcul dans le total des honoraires de Laura Snowball et de Tanaaz Padania. Plus précisément, les heures déclarées dans le texte aux pages 7 à 13 de la demande de M. Greco diffèrent à trois endroits par rapport aux heures déclarées dans le tableau sommaire des pages 18 et 19 de la demande. L’Office conclut qu’il est raisonnable, aux endroits où les montants diffèrent, de prendre la moyenne entre les deux (arrondie au centième d’heure près), puisque la preuve ne lui permet pas de déterminer clairement lequel des montants est le bon. Selon cette approche, les calculs de l’Office aboutissent à un total de 119 895,56 CAD en honoraires à la charge de M. Greco, soit 107 784,25 CAD pour Laura Snowball et 6 407,50 CAD pour Tanaaz Padania, plus une taxe combinée sur les produits et les services de 5 709,31 CAD. Ce total, à un taux de 35 %, revient à 41 965,47 CAD.
[57] En conséquence, l’Office adjuge des dépens de 41 965,47 CAD à M. Greco pour ses frais juridiques.
Débours
[58] Bien qu’Air Canada fasse valoir que les experts de M. Greco n’ont été presque d’aucune assistance à l’Office et que les débours de M. Greco de 18 739,50 CAD devraient être réduits à 75 %, une adjudication de frais comprend habituellement la somme intégrale des débours raisonnables et nécessaires. De fait, Air Canada n’apporte aucun précédent à son argument.
[59] Comme l’Office a conclu que M. Greco a agi de bonne foi lorsqu’il a retenu les services de témoins experts afin d’aider au processus décisionnel, l’Office n’a aucune raison de refuser à M. Greco le montant représentant l’indemnisation intégrale de ses débours, et il lui adjuge donc la somme de 18 739,50 CAD pour ses témoins experts.
Ordonnance
[60] L’Office ordonne à Air Canada de verser la somme de 60 704,97 CAD à M. Greco le plus tôt possible, mais au plus tard le 30 novembre 2023. L’Office ordonne également à Air Canada de confirmer au plus tard à cette date, auprès du directeur général, Déterminations et conformité, de l’Office, par l’entremise du Secrétariat de l’Office, que le paiement a été fait.
Dispositions en référence | Identifiant numérique (article, paragraphe, règle, etc.) |
---|---|
Loi sur les transports au Canada, LC 1996, c 10 | 25.1(1) |
Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 | 400(1); 420(2); 420(3)a) |
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